TEXTES → Poursuivons l’analyse des fondamentaux du droit. Après les quelques articles qui fondent le droit de la santé, voici, en deux volets, la jurisprudence. Aujourd’hui celle relative aux droits fondamentaux, qui irrigue toute la matière, et bientôt celle relative à la responsabilité en santé.
Pour le non-juriste, découvrir le droit, c’est vite rechercher les textes. Erreur fondamentale ! Le droit est l’ensemble indissociable des textes et de la jurisprudence. Une règle de droit, ce n’est jamais que le texte. C’est le texte, tel que l’interprète le juge. Mais bien sûr, vient vite la question : où trouver la jurisprudence ? Pour un texte, c’est simple et rassurant : le site Internet Legifrance est un outil officiel et d’une précision parfaite. Le texte à jour, c’est celui qui est publié sur www.legifrance.gouv.fr. Rien de cela avec la jurisprudence. Cette “ jurisprudence ” ne connaît pas une source unique. Elle est l’œuvre, progressive et mouvante, de l’ensemble des juridictions, françaises et internationales. Elle est très liée aux questions sociales, car le juge ne se prononce que lorsqu’il a été saisi. Pour tout dire, la jurisprudence n’est en réalité accessible qu’aux juristes professionnels qui seuls, et encore sur leurs domaines d’intervention, savent dire quel est l’état de la jurisprudence. Legifrance et les grandes juridictions publient désormais beaucoup de leurs décisions, et le rôle du juriste est de savoir trouver celles qui sont importantes, et de savoir les mettre en perspective.
Voici quelques-unes des grandes décisions de jurisprudence relatives aux droits fondamentaux. Dans la pratique, elles sont souvent plus importantes que la loi, car la loi elle-même doit respecter ces droits fondamentaux.
La démocratie représente sans nul doute un élément fondamental de l’ordre public européen. Ceci ressort d’abord du préambule à la Convention, qui établit un lien très clair entre la Convention et la démocratie en déclarant que la sauvegarde et le développement des droits de l’homme et des libertés fondamentales reposent sur un régime politique véritablement démocratique d’une part, et sur une conception commune et un commun respect des droits de l’homme d’autre part. Le même préambule énonce ensuite que les États européens ont en commun un patrimoine d’idéal et de traditions politiques, de respect de la liberté et de prééminence du droit. La Cour a vu dans ce patrimoine commun les valeurs sous-jacentes à la Convention ; à plusieurs reprises, elle a rappelé que celle-ci était destinée à sauvegarder et promouvoir les idéaux et valeurs d’une société démocratique – Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), Parti communiste unifié de Turquie, 30 janvier 1998.
La liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun. Sous réserve du paragraphe 2 de l’article10, elle vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent : ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de société démocratique – CEDH, Handyside c. Royaume-Uni, 7 décembre 1976.
Les États signataires de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme reconnaissent et assurent à toute personne relevant de leur juridiction la jouissance des droits et libertés reconnus par le texte sans distinction fondée sur l’origine nationale – Chambre sociale de la Cour de cassation (Soc.), 31 octobre 2000, JDI 2001, p. 1107.
Il n’est ni souhaitable, ni même possible actuellement de répondre dans l’abstrait à la question de savoir si l’enfant à naître est une « personne » au sens de l’article2 de la Convention EDH – CEDH, 8 juillet 2004.
L’article 2 ne saurait être interprété comme conférant un droit diamétralement opposé tel que le droit à mourir ou le droit à l’autodétermination permettant à l’individu de choisir la mort plutôt que la vie. L’interdiction du suicide assisté est une ingérence dans la vie privée qui n’est pas disproportionnée dès lors que la protection du droit à la vie s’accompagne d’un régime d’appréciation par la justice prenant en compte tant l’intérêt public d’entamer des poursuites que les exigences justes et adéquates de la rétribution et de la dissuasion – CEDH, 29 avril 2002, Pretty.
La première phrase de l’article 2 § 1 astreint l’État non seulement à s’abstenir de provoquer la mort de manière volontaire et irrégulière, mais aussi à prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction – CEDH, 9 juin 1998.
L’article 2 § 1 implique de la part de l’État le devoir primordial d’assurer le droit à la vie en mettant en place une législation pénale concrète dissuadant de commettre des atteintes contre la personne et s’appuyant sur un mécanisme d’application conçu pour en prévenir, réprimer et sanctionner les violations. Cela peut aussi vouloir dire, dans certaines circonstances, mettre à la charge des autorités l’obligation positive de prendre préventivement des mesures d’ordre pratique pour protéger l’individu dont la vie est menacée par les agissements criminels d’autrui – CEDH, 28 octobre 1998, Osman.
Le droit de tout prisonnier à des conditions de détention conformes à la dignité humaine de manière à assurer que les modalités d’exécution des mesures prises ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention. Outre la santé du prisonnier, c’est son bien-être qui doit être assuré de manière adéquate eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement – CEDH, Kudla.
La détention prolongée d’une personne de grand âge ne constitue pas en elle-même une violation de l’article 3 de la convention européenne de droits de l’homme (EDH). Si les mesures privatives de liberté s’accompagnent ordinairement de souffrance et d’humiliation, l’article 3 impose aux États de s’assurer que tout prisonnier soit détenu dans des conditions compatibles avec le respect de sa dignité humaine – CEDH, 24 juillet 2001.
Constitue un traitement contraire à l’article 3 l’usage d’entraves sur un détenu âgé et non spécialement dangereux, hospitalisé en vue de subir une intervention chirurgicale – CEDH 27 novembre 2003.
L’excision constitue un traitement inhumain au sens de l’article 3 – tribunal d’administration Lyon, 12 juin 1996, D. 1998.
À l’égard d’une personne privée de sa liberté, tout usage de la force physique qui n’est pas rendu strictement nécessaire par le comportement de ladite personne porte atteinte à la dignité humaine et constitue, en principe, une violation de l’article 3 – CEDH, 4 décembre 1995.
La violation de l’article 3 ne suppose pas nécessairement une volonté d’humilier ou de rabaisser, et elle peut résulter d’une inaction ou d’un manque de diligence des autorités publiques – CEDH 2 décembre 2004.
La privation de liberté d’une personne considérée comme aliénée n’est conforme à l’article 5 de la convention EDH que si elle est ordonnée, dans un cadre légal, avec l’avis d’un médecin donné avant la mesure ou, en cas d’urgence, juste après l’internement, et s’attachant à l’évaluation de l’état actuel de l’intéressé, éventuellement sur dossier si ce dernier refuse de se prêter à l’examen – CEDH, 5 octobre 2000, req. 31365/96.
Le refus d’autoriser un détenu en détention provisoire pour vol d’assister aux funérailles de ses parents constitue une violation de l’article 8 – CEDH, 12 novembre 2002.
Est illicite toute immixtion arbitraire dans la vie privée d’autrui – Première chambre civile de la Cour de cassation (Civ. 1°), 6 mars 1996.
La seule constatation de l’atteinte à la vie privée ouvre droit à réparation – Civ. 1°, 5 novembre 1996.
Toute personne, quels que soient son rang, sa naissance, sa fortune, ses fonctions présentes ou à venir, a droit au respect de sa vie privée – Civ. 1°, 23 octobre 1990.
La restriction apportée par l’employeur à la liberté individuelle de se vêtir doit être justifiée par la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché – Soc., 18 février 1998.
Le dossier médical d’un salarié, couvert par le secret médical, ne peut en aucun cas être communiqué à l’employeur – Soc. 10 juillet 2002.
Les dispositions de l’article R. 4127-35 du Code de la Santé publique (article 35 du Code de Déontologie médicale) qui prévoient, sous certaines réserves, que le médecin prévient les proches d’un malade d’un diagnostic fatal ne sont pas contraire au principe du respect de la vie privée – Conseil d’État (CE), 30 avril 1997.
L’entretien personnel que l’expert a avec une personne soumise à un examen mental revêt par sa nature même un caractère intime. Il n’est donc pas tenu d’admettre les conseillers médicaux de l’une des parties à assister à l’examen – Civ. 1°, 25 avril 1989.
L’atteinte à la présomption d’innocence consiste à présenter publiquement comme coupable, avant condamnation, une personne poursuivie pénalement – Civ. 1°, 6 mars 1996.
La présomption d’innocence, qui concourt à la liberté de la défense, constitue une liberté fondamentale – CE, 14 mars 2005.
Nul ne peut être contraint à produire en justice des documents relatifs à des faits dont il a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions et touchant à l’intimité de la vie privée des personnes – Civ. 2°, 29 mars 1989.
La loi du 17 janvier 1975 relative à l’interruption volontaire de grossesse n’admet qu’il soit porté atteinte au principe du respect de tout être humain dès le commencement de sa vie qu’en cas de nécessité et selon les conditions et limitations qu’elle définit. Aucune de ces dérogations n’est, en l’état, contraire à l’un des principes fondamentaux de la République, ni ne méconnaît le principe énoncé dans le préambule de la Constitution de 1946 selon lequel la Nation garantit à l’enfant la protection de la santé, non plus qu’aucune des autres règles à valeur constitutionnelle édictées dans le même texte – Conseil constitutionnel, 15 janvier 1975.
La sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle – Conseil constitutionnel, 27 juillet 1994.
Les principes déontologiques fondamentaux relatifs au respect de la personne humaine, qui s’imposent au médecin dans les rapports avec son patient, ne cessent pas de s’appliquer avec la mort de celui-ci – CE, 2 juillet 1993.
Il résulte de l’article 16-3 du Code civil que nul ne peut être contraint de subir une intervention chirurgicale – Civ. 2°, 19 mars 1997.
Ne commet pas une faute le médecin qui, dans une situation d’urgence, lorsque le pronostic vital est en jeu et en l’absence d’alternative thérapeutique, pratique une transfusion sanguine sur un témoin de Jéhovah, en pleine connaissance de la volonté de celui-ci de refuser ce type de soins pour quelque motif que ce soit – Cour administrative d’appel de Paris, 9 juin 1998.
Le droit pour un patient majeur de donner, lorsqu’il se trouve en état de l’exprimer, son consentement à un traitement médical revêt le caractère d’une liberté fondamentale, et l’obligation pour le médecin de sauver la vie ne saurait prévaloir de façon générale sur celle de respecter la volonté du malade – CE, 26 octobre 2001.
Toutefois, les médecins ne portent pas atteinte à cette liberté fondamentale telle qu’elle est protégée par l’article 16-3 du Code civil et par l’article L. 1111-4 du Code de la Santé publique, une atteinte grave et manifestement illégale lorsque, après avoir mis tout en œuvre pour convaincre un patient d’accepter les soins indispensables, ils accomplissent, dans le but de le sauver, un acte indispensable à sa survie et proportionné à son état – CE, 16 août 2002.
Une atteinte à l’intégrité du corps humain, telle la ligature des trompes de Fallope, pratiquée en dehors de toute nécessité thérapeutique, et à des fins strictement contraceptives, est prohibée par l’article 16-3 du Code civil – Cassation, 6 juillet 1998.