ÉCOLOGIE → Elle a beau ne concerner que la construction, la norme de haute qualité environnementale (HQE) a cela de bon qu’elle modifie les conditions de travail des agents comme des responsables et met les équipes sur les rails du développement durable. À charge pour tous, ensuite, d’enrichir la démarche sur les plans humain, social et écologique. Avec les cadres en première ligne.
Replacer le patient au centre de l’institution, limiter les émissions de gaz à effet de serre, les rejets polluants, économiser l’énergie… Ces beaux principes émaillent les discours des responsables hospitaliers depuis des lustres sans que beaucoup de réalisations soient observées.
Et si l’heure était enfin venue d’appliquer ces belles idées ? Si le développement durable faisait vraiment son entrée à l’hôpital ? « La France accuse un énorme retard dans ce domaine, regrette Olivier Toma, le président du Comité pour le développement durable en santé (C2DS). En 2010, seuls six établissements de soins français répondent à la norme ISO 14001
Alors, certes à petite vitesse, mais les choses changent. En 2008, Xavier Bertrand a ajouté un élément au Plan Hôpital 2012 : pour pouvoir bénéficier de l’aide financière, les hôpitaux doivent désormais s’engager dans une démarche de développement durable. Un élément de motivation environnementale non négligeable. La Haute Autorité de santé, de son côté, a ajouté des éléments environnementaux dans le manuel 2010 de certification. Le Grenelle de l’environnement est également passé par là. Cette année devrait donc voir fleurir, enfin, de nombreux projets. « La prise de conscience est faite, remarque Olivier Toma. À présent, tout reste à faire. »
De nombreux établissements se sont donc engagés dans la démarche de haute qualité environnementale (HQE), que la Mission nationale d’appui à l’investissement hospitalier (MAINH) et la caisse des dépôts et consignations, bailleur majeur du plan Hôpital 2012, ont adapté en 2008 aux spécificités des établissements hospitaliers. En phase projet, les cadres hospitaliers sont largement associés, bien souvent, aux réflexions. Mais plus sur l’organisation et l’équipement que sur les matériaux de construction.
« Une conception HQE a des incidences directes sur l’exploitation et le fonctionnement d’un établissement (et donc le vécu quotidien du patient et du professionnel), souligne Artus Paty, directeur adjoint chargé du projet de nouvel hôpital au centre hospitalier régional (CHR) d’Orléans. Elle se doit d’associer les utilisateurs (dont les cadres) à la définition des priorités. » Angéla Brunel, cadre de santé du service de SSR (en cours de construction) au centre hospitalier d’Alès, a fait partie d’un groupe de travail au sein duquel les professionnels ont pu faire état de leurs priorités en matière de qualité environnementale. Ils ont ainsi planché sur le confort thermique, la luminosité, les odeurs mais aussi la présence de quelques plantes dans le service. À Douai aussi, des groupes pluridisciplinaires auxquels les cadres ont participé ont fait la synthèse des besoins, des attentes, des propositions. « Le monde hospitalier repose grandement sur les cadres soignants, estime Olivier Toma. Si le système fonctionne, c’est grâce à eux. Ils ont compris, avant les autres, l’importance du développement durable dans les hôpitaux. Pour eux, c’est presque implicite ! »
Aujourd’hui, les pionniers observent déjà la réalisation de ces travaux, dont les effets bénéfiques se répercutent, directement ou indirectement, sur les pratiques et le management des cadres. Le centre de dialyse du Béarn, à Aressy (Pyrénées orientales), a adopté la démarche HQE pour reconstruire ses bâtiments, depuis 2003, explique Anne-Marie Labat, directrice des soins. Des leds à variateur d’intensité ont été installés près de chaque lit, des bureaux, pour tamiser la lumière (réduisant au passage la facture d’électricité de 40 %). Pour atténuer les nuisances sonores, les grandes salles de dialyse ont été découpées en box de quatre lits, séparés par des cloisons vitrées isolantes : les alarmes qui se déclenchent ne dérangent plus les patients à chaque fois – ni les soignants). « On entend le silence ! », observe Anne-Marie Labat. Autre élément de confort : les fenêtres donnent sur les Pyrénées ou sur des patios légèrement éclairés la nuit. Ce qui est aussi agréable pour les patients que pour les infirmières !
À Douai aussi, même si le paysage n’est pas le même, toutes les chambres donnent sur l’extérieur et les salles de soins sur des patios, la lumière se tamise le soir dans les couloirs et s’allume dans certaines pièces grâce à des détecteurs de présence. Le renouvellement de l’air a permis d’éliminer complètement l’odeur d’hôpital. Le circuit des déchets a été repensé et ne croise plus celui des patients ou des visiteurs. Les télétubes de transport évitent les déplacements des agents… « Tout est fait pour que les soignants restent dans leur unité de soin, souligne Françoise Tourbez, cadre supérieur de santé du pôle médecine interne polyvalente. On a vraiment l’impression d’être recentrés sur les soins. »
L’ergonomie des postes de travail a été entièrement repensée dans le centre de dialyse. Plans de travail, tiroirs et autres éléments ont été étudiés pour être particulièrement pratiques à nettoyer. Sur le modèle des plinthes qui, arrondies, ne capturent plus de poussière mouillée.
Côté nettoyage, d’ailleurs, tout le centre de dialyse est passé à la vapeur. Pour un grand bénéfice : « Nous réalisons un bionettoyage régulier et un gros bionettoyage tous les trimestres avec prélèvement bactériologique de contrôle, explique Agnès Duluc, l’un des deux cadres de santé hygiénistes du centre. Les résultats sont sans comparaison : ils ne révèlent aucune bactérie. » L’établissement enregistre aussi très peu de bactéries multirésistantes aux antibiotiques (BMR). Autre axe de travail : les économies d’énergie. Des lave-mains automatiques à infrarouge ont permis par ailleurs de réaliser d’importantes économies d’eau. Quant aux produits d’entretien, les plus écologiques possibles, « ils ne coûtent pas plus cher, assure Anne-Marie Labat, car on passe par un groupement d’achat ».
Jean-Pierre Maillot, cadre du pôle médico-technique à l’hôpital de Douai, a piloté lui aussi une démarche verte. Plus de radios sur film (polluants) ou presque, donc plus de produits chimiques de développement, des films de taille réduite quand il en reste, des radios réalisées sur des capteurs plans avec une irradiation 30 % inférieure et traitées rapidement sur informatique, une dosimétrie opérationnelle plus poussée : les manipulateurs s’en félicitent. Tandis que dans les laboratoires, les effluents liquides contaminés sont traités dès la sortie des automates, le bruit est atténué par les matériaux utilisés et les normes de protection des personnels sont dépassées d’un cran par rapport aux préconisations.
Christine Huddlestone, cadre supérieure de santé responsable du bionettoyage et de l’hôtellerie, notamment, s’est complètement investie dans l’adoption de procédés et de produits plus respectueux de l’environnement à l’échelle de l’hôpital douaisien. Avec la cellule “ marchés ”, elle choisit des produits sur des critères écologiques (biodégradabilité, effluents) et d’efficacité. Surtout, elle essaie de modifier les habitudes.
Déjà, « nous avons supprimé l’usage de l’eau de Javel en MCO et en zone4, nous l’avons réduit au maximum », indique-t-elle. Les rejets de chlore ont tellement diminué que l’hôpital n’a plus à payer la taxe correspondante ! « L’eau de Javel était utilisée tous les jours pour la désinfection des siphons alors qu’elle est d’un intérêt très relatif dans cet usage, ajoute Christine Huddlestone. Il a fallu changer de nombreux siphons alors que l’hôpital était neuf ! » Elle a été remplacée par des détergents désinfectants simples. Au bloc, elle a dû aussi convaincre les agents que le nettoyage à la vapeur sèche (moins d’eau favorable à la prolifération bactérienne, pas de produit, moins de temps passé) était aussi efficace que le double passage (détergence puis désinfection) et elle a réussi. Idem en ce qui concerne le lavage des sols, « quand c’est nécessaire » et non pas tous les jours, ce qui, au contraire, encrasse les sols.
Tout cela relève-t-il précisément de la norme HQE ? Pas forcément : en général, les équipes impliquées souhaitent naturellement aller plus loin. La haute qualité environnementale n’est pas une fin en soi. Pour Olivier Toma, « le label HQE, seul, ne veut rien dire. Il ne porte que sur l’éco-construction, l’éco-conception. Pour relever du développement durable, il doit être accompagné d’un management environnemental stratégique, d’une politique d’achats spécifique, d’une gestion raisonnée des déchets, d’un plan de prévention de la santé au travail… » Artus Paty, directeur adjoint à Orléans, partage cette opinion : « Il est indispensable que des actions soient engagées en cohérence avec la HQE dans le domaine plus vaste du développement durable : gestion des déchets, réflexion sur les pratiques professionnelles, responsabilité sociale, achats durables… autant de thèmes sur lesquels les cadres de santé peuvent être en première ligne. »
C’est ce qu’on observe dans ces différents établissements : à Issery, avec le modèle unique de tiroirs à double face donnant à la fois sur l’extérieur et l’intérieur des box de dialyse, ce qui permet d’alimenter chaque box en matériel et produits sans avoir à entrer (ou sortir) de la chambre ; à Alès, en adaptant les roulements de personnel au système de co-voiturage qui s’est mis en place entre infirmières ; à Douai où les normes de protection des personnels dans les laboratoires sont toutes dépassées d’un cran pour réduire la pollutions et protéger les personnels…
Même si ces changements s’inscrivent dans la continuité, observe Agnès Duluc, « ils se répercutent sur la charge mentale des infirmières : elles viennent travailler plus sereinement. Cela se voit à leur façon de travailler, leur façon d’être ». « Et elles l’expriment clairement lors des entretiens annuels », ajoute Anne-Marie Labat. Une enquête a aussi confirmé la baisse du nombre de déclarations des événements indésirables liés à l’agressivité des patients. Les efforts, qui semblent porter leurs fruits bénéfiques en direction des patients, atteignent à nouveau les soignants par ricochet… Dans des unités plus petites, remarque Françoise Troubez, des chambres individuelles mieux insonorisées, « les patients sont moins gênés par les allers et venues du personnel, les bruits de canalisation… Ils sont plus sereins et cela se répercute sur l’ambiance de travail ».
Certes, l’adoption d’une démarche environnementale plus poussée oblige à changer des habitudes. Les cadres jouent alors leur rôle pédagogique et d’accompagnement dans la conduite du changement. « Ils doivent aussi s’assurer de la bonne utilisation par le personnel et les patients des éléments et des process HQE » mis en place, précise Artus Paty, afin qu’ils aient un sens et que chacun puisse se les approprier.
L’engagement en faveur de l’environnement et du développement durable véhicule une image positive qui fédère volontiers les équipes. « Le personnel est fier de travailler dans un établissement HQE », remarque Françoise Tourbez. Même s’il doit s’investir un peu plus dans la maîtrise de l’outil informatique : une nécessité, par exemple, quand tous les résultats d’examens, laboratoire ou imagerie, sont dématérialisés. Autre corollaire de ces pratiques nouvelles : les cadres doivent passer un peu plus de temps, dans ce type d’établissement, avec les nouveaux venus ou les intérimaires. Mais qu’elle soit environnementale, humaine ou économique, c’est pour la bonne cause. D’autant qu’elle permet de répondre, aussi, aux critères de la certification. Pour Olivier Toma, il s’agit de toute façon d’une évolution totalement inéluctable.
* Cette norme atteste de l’adoption d’un système de management environnemental.
→ La démarche HQE dans les établissements de santé et le référentiel à télécharger sur le site de la Mission nationale d’appui à l’investissement hospitalier (MAINH) : www.mainh.sante.gouv.fr (rubrique « Développement durable »)
→ L’association HQE : www.assohqe.org
→ Le Comité pour le développement durable en santé : www.c2ds.org
La démarche HQE se définit comme une démarche de management de projet visant à obtenir la qualité environnementale d’une opération de construction ou de réhabilitation. Elle repose sur un système de management environnemental et un objectif de qualité environnemental des bâtiments, qui font chacun l’objet d’un référentiel (téléchargeable sur le site de la MAINH). La qualité environnementale se décline suivant 14 cibles réparties en quatre thèmes :
Éco-construction
1. Relations des bâtiments avec leur environnement immédiat
2. Choix intégré des procédés et produits de construction
3. Chantier à faibles nuisances
Confort
8. Confort hygrothermique
9. Confort acoustique
10. Confort visuel
11. Confort olfactif
Éco-gestion
4. Gestion de l’énergie
5. Gestion de l’eau
6. Gestion des déchets d’activité
7. Gestion de l’entretien et de la maintenance
Santé
12. Qualité sanitaire des espaces
13. Qualité sanitaire de l’air
14. Qualité sanitaire de l’eau
Pour obtenir la certification HQE, le maître d’ouvrage doit retenir trois cibles avec un niveau très performant et quatre cibles à un niveau performant.