Des agents hospitaliers comme les autres - Objectif Soins & Management n° 188 du 01/08/2010 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 188 du 01/08/2010

 

Ressources humaines

Géraldine Langlois  

PERSONNES EN SITUATION DE HANDICAP → Petite taille, surdité, maladie invalidante, cécité ou handicap moteur influent sur la capacité à occuper certains postes ou exercer certains métiers. Malgré la dimension très technique des professions qui y sont exercées, l’hôpital doit répondre, comme tous les employeurs de plus de vingt personnes, à l’obligation d’emploi de 6 % de personnes handicapées.

Florence, infirmière, travaillait en chirurgie quand des douleurs se sont installées dans ses membres. « J’avais du mal à marcher, à effectuer certains gestes de précision, raconte-t-elle. Je ressentais aussi une grande fatigue. » Les premiers temps, elle tente de s’adapter, « mais je vivais mal de ne pas pouvoir courir s’il fallait faire une réanimation en urgence ». Son arrêt de travail durera trois ans, le temps de poser un diagnostic – spondylarthrite ankylosante –, de tenter plusieurs traitements et d’être hospitalisée plusieurs fois. Quand son état s’améliore finalement, elle envisage de reprendre le travail.

UN DEUIL

« J’adorais mon métier, je travaillais dans un service qui me passionnait. Mon objectif était de retourner dans ce service mais c’était de l’utopie », confesse Florence. Elle rencontre la direction des soins, le médecin du travail et l’assistante sociale de l’établissement. Ils évaluent ses compétences et ses capacités, elle les assure de sa motivation. On lui propose alors de reprendre en mi-temps thérapeutique.

Comme la majorité des soignants dans son cas, « je ne voulais pas sortir de mon métier, même si je savais que je l’exercerai différemment, remarque l’infirmière. J’avais plusieurs cordes à mon arc car j’avais fait des formations sur la douleur et la fin de vie, des interventions dans des écoles… On pouvait trouver quelque chose ». “Heureusement” pour elle, le poste au standard du Samu se situe au deuxième étage sans ascenseur. Un poste d’infirmière au service de médecine du travail lui est finalement proposé : elle l’accepte les yeux fermés. Une étude de poste est réalisée par l’ergonome de l’hôpital, un fauteuil spécial est acheté ainsi qu’une pince pour attraper les objets. Un fauteuil roulant lui permet de se déplacer dans l’établissement en cas de besoin. « Je ne travaillais pas avec des malades mais avec des agents, précise Florence. En plus du travail administratif, je faisais beaucoup de prévention, mais aussi des actes de soins comme des vaccins, des prises de sang, des tests de vision ou d’audition. Je recevais des agents en souffrance et je me déplaçais aussi dans les services pour évaluer une pratique de soins source d’accidents. »

Tout s’est très bien passé avec ses nouveaux collègues… jusqu’à une nouvelle dégradation de son état de santé. « Physiquement et moralement, je n’étais pas bien et je ne voulais pas l’admettre, raconte-t-elle. Mes collègues se sentaient démunies et voulaient en parler avec moi mais pas moi. Nous avons traversé une période de conflit jusqu’à ce que je craque, ce qui a libéré la parole. Depuis, tout va très bien. » Même si, depuis ce moment-là, il y a trois ans, le travail administratif occupe la majorité de son temps, elle ne désespère pas de reprendre plus tard les activités de soins.

“UNE CHANCE INOUÏE”

Grâce à l’aide de ses collègues, Florence a la chance de pouvoir adapter son travail à son état du moment, presque au jour le jour. Sur le fond, elle bénéficie de l’écoute et du soutien de sa cadre. Elle fait preuve d’une grande souplesse quand l’infirmière doit être hospitalisée inopinément ou ne peut pas venir travailler certains jours. Elles se rencontrent régulièrement pour vérifier que ses activités ou ses horaires lui permettent de se sentir au mieux à son poste et n’aggravent pas son état. « J’ai une chance inouïe », reconnaît Florence.

Son expérience illustre les nombreux paramètres à prendre en compte pour faire en sorte que le maintien dans l’emploi d’un soignant se passe le mieux possible. Il semble avoir plus de chances de bien se dérouler si la problématique de l’emploi des personnes handicapées fait l’objet d’une politique affirmée et qu’une personne, au moins, en est officiellement chargée au sein de la direction des ressources humaines (DRH), souligne Jean-François de Caffarelli, directeur du Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP).

C’est d’ailleurs l’un des effets de la loi du 11 février 2005 sur l’égalité des droits et des chances, qui soumet les trois fonctions publiques aux mêmes obligations que les employeurs privés vis-à-vis de l’emploi des personnes handicapées. À Toulouse, le taux du CHU a progressé d’un point (4,87 % en 2009) depuis qu’il a commencé à plancher officiellement sur le sujet, il y a deux ans.

MAINTIEN DANS L’EMPLOI

Face à la question de l’emploi des personnes en situation de handicap, les établissements sont surtout concernés par le maintien dans l’emploi des personnes déjà employées, observe Marion Beetschen, directrice adjointe au directeur coordinateur du pôle Ressources humaines et relations sociales au CHU d’Amiens. Car elle touche des agents déjà employés par l’institution, titulaires, et pour lesquels l’hôpital se doit de trouver un poste adapté.

La création du FIPHFP, qui a pour mission d’aider les établissements à élaborer leur politique mais aussi de financer des actions comme des aides techniques ou humaines, a eu un effet incitatif en faveur du recensement des personnels souffrant de restrictions d’aptitude au sein des établissements. Le CHU de Toulouse procède par enquête, par formulaire ou lors du recensement des besoins de formation. À partir de l’automne 2010, il diffusera également des affiches, des dépliants et un petit film à tous les personnels d’encadrement.

Médecin du travail, psychologue et assistante sociale du personnel y évaluent et réexaminent régulièrement les situations, explique Olivier Rastouil, DRH de l’établi ssement. Une commission particulière peut même être mise en place dans certains établissements. Au CHU d’Amiens (4,93 % de personnes handicapées employées), par exemple, les rencontres sont fréquentes entre le service de santé au travail, le pôle Ressources humaines et la direction des soins, même si elles ne sont pas protocolisées.

Pour Olivier Rastouil, le maintien dans l’emploi devient de plus en plus difficile avec la professionnalisation croissante des métiers hospitaliers : « On a de moins en moins de facilité à trouver des postes adaptés, estime-t-il. Nous essayons de gérer les situations, en première intention, au niveau du pôle, si possible dans le même métier. Une infirmière peut par exemple se charger de l’orientation des patients, de l’accueil d’une consultation, etc. »

Lorsque c’est nécessaire, l’adéquation entre les personnels en restriction d’aptitude et les postes disponibles se déroule au niveau de la DRH. Même démarche à Amiens : le maintien dans le métier est privilégié, dans un esprit de co-construction, précise Marion Beetschen. « La garantie que nous apportons, c’est notre disponibilité et un suivi individualisé des situations », assure-t-elle.

VAINCRE LES RÉTICENCES

À Toulouse, Chantal Sterckeman, cadre supérieure de santé du pôle Santé, société et réadaptation, consacre une partie de son temps, sous la responsabilité de la direction des ressources humaines, à l’accompagnement des personnels soignants en restriction d’aptitude (cadres de santé, infirmières, aides-soignants mais aussi manipulateurs de radiologie, masseurs-kinésithérapeutes, techniciens de laboratoire, ASH et personnels de bionettoyage, beaucoup ayant plus de 50 ans).

Trouver un poste adapté à leurs compétences et leur handicap, c’est possible dans 80 % des cas, estime-t-elle. « Nous essayons d’abord d’adapter le poste de la personne par l’achat d’un fauteuil, d’écouteurs ou d’un soulève-bras, poursuit-elle. Sinon, nous recherchons quelles sont ses autres compétences à valoriser pour lui permettre d’occuper un autre poste, souvent ceux de secrétaire médicale ou de technicien de l’information », pour lequel les capacités intellectuelles sont précieuses. Mais qui nécessitent souvent une forme de deuil.

Il s’agit ensuite de convaincre les cadres des unités d’accueil de ces personnels réorientés. Chantal Sterckeman estime leurs éventuelles réticences « souvent justifiées par la pression économique » que la tarification à l’activité (T2A) fait désormais peser sur tous les pôles. Mais « la plupart des cadres jouent le jeu », ajoute-t-elle. D’autant que l’organisation d’un essai pour évaluer les compétences permet au pôle d’accueil de ne commencer à prendre en charge le salaire du nouvel arrivant sur ses finances propres qu’à partir du troisième mois, l’agent restant payé pendant ce temps sur le budget de son pôle d’origine.

Lorsque la personne revient dans son unité, Chantal Sterckeman prévient les agents. « Dans un premier temps, la solidarité joue beaucoup, ajoute-t-elle. Les collègues se font du souci pour la personne mais, rapidement, elles se font du souci pour elles-mêmes. Certains sont malmenés et préfèrent quitter l’unité. Ils ont le sentiment de gêner les autres et développent une culpabilité, parfois une dépression. Il faut alors les aider à changer de service. » Formation à l’appui : c’est souvent nécessaire. Un domaine sur lequel le CHU d’Amiens compte bien améliorer sa réponse à travers son plan de formation 2011, souligne Marion Beetschen. Une aide-soignante ne s’improvise pas agent d’accueil ou “pro” de l’informatique et du codage…

DIFFICILE RECRUTEMENT

Le recrutement direct de personnes handicapées s’avère plus compliqué pour les établissements hospitaliers. Il s’intègre dans la politique globale de recrutement du CHU d’Amiens. « Les contrats de type CAE [contrat d’accompagnement dans l’emploi] de 23 heures sur deux ans maximum peuvent être utilisés, explique Marion Beetschen. Ensuite, nous pouvons étudier les possibilités de titularisations dérogatoires. Nous ne recrutons pas, en tout cas, sur des postes ciblés. »

Même démarche à Toulouse. Outre les candidatures spontanées et le recrutement sur concours, le réseau Cap Emploi est souvent sollicité par les établissements afin de proposer des candidats. Le CHU de Toulouse a d’ailleurs signé en mars une convention avec lui pour l’insertion de quinze personnes handicapées par an sur trois ans. « Nous sommes prêts à recruter des personnels soignants ou médico-techniques handicapés, souligne Olivier Rastouil. Nous avons d’ailleurs un masseur-kinésithérapeute non-voyant. Avec un minimum d’organisation et d’accompagnement [pendant six mois, ndlr], cela se passe bien. »

L’aide du FIPHFP, en la matière, est irremplaçable puisqu’elle porte sur l’aide au recensement des personnes en interne, l’appui au montage de dossier, le financement d’aides techniques ou humaines, de formations qualifiantes avec l’ANFH (Association nationale pour la formation permanente du personnel hospitalier), d’outils de communication, d’une prime à la titularisation ou plus généralement de plans d’action en faveur du recrutement ou du maintien dans l’emploi de personnes handicapées.

Un financement qui peut être ponctuel ou pluriannuel, par le bais de conventions signées à ce jour par vingt-quatreétablissements, dont le CHU de Toulouse.

L’objectif du FIPHFP, qui perçoit aussi les pénalités lorsque le taux d’emploi n’atteint pas les 6 %: développer et même banaliser l’emploi des personnes handicapées dans la fonction publique.

Sur le terrain, face au défi de l’intégration des personnes handicapées, le rôle des cadres de proximité reste essentiel, assure la directrice adjointe du CHU d’Amiens, tant dans le suivi des situations, l’accompagnement renforcé des personnes, leur évaluation au quotidien et dans la réussite du dispositif.

« Ces agents ne sont pas moins productifs que les autres, déclare-t-elle. Il faut seulement trouver un poste qui corresponde à leurs compétences et à leurs capacités. »

L’emploi des personnes handicapées dans la fonction publique hospitalière

→ 2 300 employeurs assujettis à l’obligation d’emploi.

→ 40 800 bénéficiaires de l’obligation d’emploi sur 920 000 agents.

→ 4,68 % de taux d’emploi de personnes handicapées dans la FPH au 01/01/2008 (contre 3,78 % en 2005, 4,08 % en 2006 et 4,45 % en 2007).

→ 50 millions d’euros ont été collectés en 2009 auprès des employeurs de la FPH.

→ 40 millions d’euros de dépenses déductibles ont été déclarées au FIPH en 2009.

Données FIPHFP.

Pour en savoir plus

La loi du 11 février 2005 : www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000809647

Le site du FIPHFP : www.fiphfp.fr

La convention FIPHFP-ANFH : www.anfh.asso.fr/espacepresse/cp/cp_anfh_28062010

Le site de Cap Emploi : www.capemploi.net