Rentrée 2010 et protection sociale - Objectif Soins & Management n° 188 du 01/08/2010 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 188 du 01/08/2010

 

Économie de la santé

Didier Jaffre  

PLFSS 2010 → Qui dit rentrée, dit commencement des débats sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Et comme chaque année, il va s’agir pour le gouvernement de trouver de nouvelles mesures visant à réduire l’évolution des dépenses d’assurance maladie, dans l’objectif de restaurer à terme l’équilibre financier de la branche maladie de la Sécurité sociale.

Depuis plusieurs décennies maintenant, les pouvoirs publics cherchent par tout moyen à équilibrer les comptes de la Sécurité sociale. Ces moyens passent par deux canaux principaux : la réduction des dépenses et/ou l’augmentation des recettes. Mais qu’est-ce qui fonde l’existence de nos politiques sociales et justifie tous ces efforts pour maintenir notre système de protection sociale en place ? Comment expliquer le développement historique de la protection sociale ? L’occasion pour nous de revenir sur les trois approches théoriques qui sous-tendent les raisons du développement de la protection sociale.

L’APPROCHE KEYNÉSIENNE

Pour les économistes keynésiens, la protection sociale se justifie car elle est source de demande, et donc de relance du marché et de l’économie.

Dans la mesure où les transferts sociaux sont financés par des prélèvements affectant des individus dont la propension marginale à consommer est généralement moins forte que celle des bénéficiaires, ils renforcent ainsi la demande globale et peuvent donc être utilisés à des fins de relance conjoncturelle. Réduire les transferts sociaux, c’est réduire la demande effective. Mais cette analyse ne correspond qu’à la redistribution verticale entre les individus, à savoir la redistribution de revenus entre les plus aisés et les plus pauvres ; elle ne permet pas d’expliquer la redistribution horizontale, notamment dans le cadre de l’assurance maladie obligatoire, c’est-à-dire à niveau de revenus équivalents la couverture médicale par exemple.

L’APPROCHE LIBÉRALE

Pour les économistes libéraux, le marché est le seul instrument légitime de régulation qui garantisse les libertés individuelles. Toutefois la protection sociale peut être justifiée à deux niveaux :

→ d’une part, certains services s’analysent comme des externalités. Ce sont des biens qui ne sont pas produits car il n’existe pas de demande automatique s’il n’y a pas intervention des pouvoirs publics. C’est le cas notamment de la prévention, de l’éducation à la santé, mais également de certains soins que les individus ne jugent pas utiles d’effectuer ou dont ils ne soupçonnent même pas l’existence ;

→ d’autre part, le marché peut être source d’inégalités. Pour les corriger, il est alors nécessaire de mettre en place un système de transfert et de redistribution par le biais de la protection sociale. Une redistribution privée pourrait être envisagée (charité) mais, compte tenu des besoins énormes et des coûts importants, l’intervention de l’État s’avère indispensable pour organiser la protection sociale

Dès lors, la protection sociale s’envisage en cas de défaillance du marché.

UNE APPROCHE TECHNIQUE

Des raisons techniques imposent de donner un caractère obligatoire à une partie de la protection sociale.

Les individus peuvent être protégés de quatre façons différentes mais complémentaires face aux risques de l’existence et de la vie quotidienne : leur propre épargne de précaution, leur famille, des mécanismes collectifs privés (mutuelles, assurances) et des mécanismes collectifs publics obligatoires. Si les trois premiers modes de couverture se trouvent pris en défaut, la collectivité prend alors le relais et paye pour les personnes dans le besoin sans pouvoir cependant récupérer sa mise ; sauf à considérer, comme le font les keynésiens, que la demande étant soutenue, la croissance également, et donc une récupération par le biais des impôts et cotisations du fait de l’élargissement de l’assiette. D’où les actions engagées actuellement pour relancer coûte que coûte la croissance en France.

L’épargne individuelle de précaution

Cette épargne pour pallier les baisses de niveaux de vie que peuvent engendrer les charges de famille, la maladie, le handicap, le chômage, la vieillesse, constitue une forme de protection qui a l’avantage de pouvoir être en principe tout à fait adaptée aux caractéristiques de l’individu et à ses risques biologiques et économiques. Mais le mauvais fonctionnement des marchés de capitaux (la crise financière, puis économique, que nous vivons actuellement en est une bonne illustration) rend incertaine à long terme la valeur de l’épargne cumulée tout au long d’une vie et risque de mettre l’individu dans une situation où son épargne cumulée ne sera pas suffisante pour couvrir les risques : c’est le cas notamment de la retraite (et les débats qui s’ouvriront sur la réforme des retraites en France ne manquera de faire référence à ce postulat), mais également de la maladie dans la mesure où les dépenses de santé sont concentrées dans les tous derniers jours de la vie. De plus, pour qu’une telle épargne soit suffisante, cela suppose que l’individu dispose de revenus conséquents qui lui permettent d’épargner et que ne surviennent pas trop précocement les risques. Or les risques sociaux sont très incertains et aléatoires, et peuvent toucher l’individu dès son plus jeune âge (les enfants handicapés par exemple). Il faut en plus que les individus apprécient correctement les risques qui pèsent sur eux. Mais face à un risque d’espérance de probabilité faible, la tendance naturelle est de considérer que ce risque n’interviendra pas, même si les conséquences financières par lesquelles il faudrait pondérer cette probabilité sont considérables. Enfin, même si les agents prévoient correctement les risques qui les concernent, il est possible que leur préférence pour la consommation actuelle les désincite à la sacrifier suffisamment en faveur de l’épargne dont ils auront besoin dans un lointain futur.

La protection sociale par la famille

Cette protection est en diminution dans certains domaines (hébergement des personnes âgées par exemple) mais prend encore aujourd’hui des formes qui permettent à la Sécurité sociale d’immenses économies par rapport à ce qu’elle devrait payer si ces solidarités privées disparaissaient (l’aide aux aidants par exemple pour les personnes âgées). Elle rencontre les mêmes limites que la protection individuelle. Si elle offre des garanties plus grandes, du fait d’une assiette financière plus importante, elle ne permet pas de faire face à tous les risques encourus, surtout lorsqu’ils touchent la famille collectivement (comme un incendie de maison). De plus, avec le développement des familles monoparentales ou peu nombreuses, elle perd de son efficacité.

La protection apportée par l’assurance privée

Elle permet de remédier aux principales limites de formules individuelles ou familiales de précaution. La société d’assurance a une connaissance plus fine des risques de morbidité et de mortalité, a une faible préférence pour le présent, a une surface financière très large pour absorber d’importants risques individuels. Plus la société d’assurance est grande, plus les limites individuelles sont amoindries. Mais elle n’est pas en position de prévision parfaite. De plus, les mécanismes privés facultatifs de protection sociale ne sont pas entièrement substituables aux formules publiques obligatoires, du fait notamment de la présence :

→ d’effets externes : certains individus en cas de maladie contagieuse ou transmissible refusent de se faire vacciner ou de prendre toutes les précautions nécessaires pour ne pas transmettre la maladie. L’individu ne s’assure pas s’il n’en ressent pas le besoin. Ainsi les sociétés d’assurance ne prennent pas en charge tout ce qui est prévention ;

→ de sélection adverse : se tournent vers l’assurance ceux qui sont le plus exposés aux risques et ayant une forte aversion pour le risque. Les individus qui ne présentent pas de risques ne s’assurent pas. Les calculs des primes prenant en compte ces derniers, la société d’assurance risque de se retrouver en déficit. Dès lors, soit elle relève ses tarifs (ce qui ne sera pas favorable aux individus avec des petits risques), soit elle sélectionne les risques ou pratique des tarifs discriminatoires. Et donc tous les individus ne sont plus assurés.

La protection sociale obligatoire

La société d’assurance pratique des primes en fonction du risque individuel. Un individu présentant un risque élevé mais ayant des ressources financières faibles ne pourra pas s’assurer. Si le risque se réalise, soit il est pris en compte pas la charité privée, soit par la collectivité qui doit s’organiser : c’est la protection sociale obligatoire au minima.

L’ENJEU

Ces quatre formules sont plus complémentaires que substituables. La variable d’ajustement relève bien entendu d’un choix politique entre une protection sociale très large ou une protection sociale privée très forte. Sauvegarder le système de protection sociale français tel qu’il est aujourd’hui – c’est-à-dire une protection très large obligatoire –, c’est ne pas faire le choix de la protection individuelle, familiale ou d’assurance privée. Cependant, il peut être nécessaire de bouger légèrement le curseur pour maintenir le système dans son ensemble, au risque de le déstabiliser et de le perdre complètement. Tel est là l’enjeu du retour à l’équilibre financier de la Sécurité sociale, et donc les choix à faire par le gouvernement en cette rentrée 2010.