DÉCOUPAGE → La loi HPST prévoit la mise en place de territoires de santé, mais ne précise pas les modalités de découpage de ces territoires. En fonction des régions, les découpages peuvent être administratifs, géographiques, d’action ou de concertation. Quoi qu’il en soit, ils représentent de véritables enjeux.
Après avoir installé les conférences régionales de santé et l’autonomie, les agences régionales de santé (ARS) définissent actuellement le découpage de leur région en territoires de santé, afin de pouvoir installer au plus vite les conférences de territoire.
La notion de territoire est particulièrement présente dans la loi Hôpital, patients, santé, territoires (HPST) du 21 juillet dernier : communautés hospitalières de territoire, délégations territoriales départementales de l’ARS, territoires de santé du schéma régional d’organisation des soins (Sros), conférence de territoire. Toutefois, la loi ne précise pas comment doivent être délimités ces “nouveaux” territoires de santé.
D’ores et déjà, selon les régions, le découpage proposé par les ARS répond à des logiques différentes : territoire de concertation versus territoire d’action ; logique administrative versus logique géographique ; etc. Dès lors, quels sont les véritables enjeux de ce nouveau découpage en territoires de santé ?
La loi HPST indique que l’ARS définit les territoires de santé pertinents pour les activités de santé publique, de soins et d’équipement des établissements de santé, de prise en charge et d’accompagnement médico-social ainsi que pour l’accès aux soins de premier recours. Les territoires de santé peuvent être infrarégionaux, régionaux ou interrégionaux. Ils sont définis après avis du représentant de l’État dans la région, d’une part, de la conférence régionale de la santé et de l’autonomie, d’autre part et, en ce qui concerne les activités relevant de leurs compétences, des présidents des conseils généraux de la région.
Dans chacun des territoires de santé, le directeur général de l’ARS constitue une conférence de territoire, composée de représentants des différentes catégories d’acteurs du système de santé du territoire concerné, dont les usagers du système de santé. La conférence de territoire contribue à mettre en cohérence les projets territoriaux sanitaires avec le projet régional de santé et les programmes nationaux de santé publique. La conférence de territoire peut faire toute proposition au directeur général de l’agence régionale de santé sur l’élaboration, la mise en œuvre, l’évaluation et la révision du projet régional de santé. La mise en œuvre du projet régional de santé peut faire l’objet de contrats locaux de santé conclus par l’agence, notamment avec les collectivités territoriales et leurs groupements, portant sur la promotion de la santé, la prévention, les politiques de soins et l’accompagnement médico-social.
Le schéma régional d’organisation des soins (pour mémoire, soins hospitaliers et ambulatoires) indique, par territoire de santé, les besoins en implantations pour l’exercice des soins (activités de soins et équipements matériels lourds), notamment celles des professionnels de santé libéraux, des pôles de santé, des centres de santé, des maisons de santé, des laboratoires de biologie médicale et des réseaux de santé. Le schéma régional d’organisation des soins fixe ainsi, en fonction des besoins de la population, par territoire de santé :
→ 1. les objectifs de l’offre de soins par activités de soins et équipements matériels lourds ;
→ 2. les créations et suppressions d’activités de soins et d’équipements matériels lourds ;
→ 3. les transformations et regroupements d’établissements de santé, ainsi que les coopérations entre ces établissements ;
→ 4. les missions de service public assurées par les établissements de santé et les autres personnes possibles ;
→ 5. les objectifs et les moyens dédiés à l’offre de soins en milieu pénitentiaire.
Le territoire de santé est donc tout à la fois un territoire de concertation, avec la mise en place de conférences de territoire, mais également un territoire de planification qui sert de cadre pour l’organisation des soins hospitaliers et ambulatoires, puisque le Sros définit les objectifs par territoire de santé. Avec la particularité de devoir être pertinents pour l’ensemble des champs couverts par l’ARS, à savoir la santé publique, la veille et la sécurité sanitaire, la prévention, les soins hospitaliers, les soins ambulatoires, les prises en charge médico-sociales. Ce qui suppose un découpage reposant sur un dénominateur géographique à l’ensemble de ces secteurs.
Des établissements publics de santé peuvent conclure une convention de communauté hospitalière de territoire afin de mettre en œuvre une stratégie commune et de gérer en commun certaines fonctions et activités grâce à des délégations ou des transferts de compétences entre les établissements et grâce à la télémédecine. Un établissement public de santé ne peut être partie qu’à une seule convention de communauté hospitalière de territoire. La convention prend en compte la notion d’exception géographique, que constituent certains territoires. Un ou plusieurs établissements publics médico-sociaux peuvent participer aux actions menées dans le cadre d’une convention de communauté hospitalière de territoire.
Mais l’assise de cette communauté n’est pas le territoire de santé mentionné précédemment. Au sein d’un même territoire de santé, plusieurs communautés hospitalières de territoire peuvent être constituées.
La convention de communauté hospitalière de territoire est préparée par les directeurs et les présidents des commissions médicales des établissements et approuvée, après information des comités techniques d’établissement, par les directeurs des établissements après avis de leurs conseils de surveillance. Elle est ensuite soumise à l’approbation du directeur général de l’ARS compétente.
Cette double approbation entraîne création de la communauté hospitalière de territoire. La convention de communauté hospitalière de territoire définit : le projet médical commun de la communauté hospitalière de territoire et les compétences et activités qui seront déléguées ou transférées entre les établissements partenaires ainsi que, le cas échéant, les cessions ou échanges de biens meubles et immeubles liés à ces délégations ou transferts ; les modalités de mise en cohérence des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens, des projets d’établissement, des plans globaux de financement pluriannuels et des programmes d’investissement des établissements ; les modalités de coopération entre les établissements en matière de gestion et les modalités de mise en commun des ressources humaines et des systèmes d’information hospitaliers ; en tant que de besoin, les modalités de fixation des frais pour services rendus acquittés par les établissements en contrepartie des missions assumées pour leur compte par certains d’entre eux ; le cas échéant, les modalités d’articulation entre les établissements publics de santé signataires de la convention et les établissements médico-sociaux publics participant aux actions menées dans le cadre de la convention de communauté hospitalière de territoire ; la composition du conseil de surveillance, du directoire et des organes représentatifs du personnel de l’établissement siège de la communauté hospitalière de territoire, qui comprennent chacun des représentants des établissements parties à la convention.
La désignation de l’établissement siège est approuvée par au minimum les deux tiers des conseils de surveillance, représentant au moins les trois quarts des produits versés par l’Assurance maladie au titre de l’activité de médecine, chirurgie et obstétrique des établissements parties à la convention. En l’absence d’accord, le directeur général de l’agence régionale de santé désigne l’établissement siège.
Les établissements de santé publics peuvent constituer une communauté hospitalière, afin de mettre en œuvre une stratégie commune et de gérer en commun certaines fonctions et activités, grâce à des délégations ou des transferts de compétences entre les établissements membres de la communauté.
Il y a donc bien deux notions de territoire distinctes au sein de la loi HPST : celle du territoire de santé et celle de la communauté hospitalière de territoire.
La notion de bassin de santé vise à la fois à une meilleure accessibilité des personnes au système de santé et à une meilleure adéquation entre l’offre et la demande. Le bassin de santé représente le cadre spatial de l’action du professionnel de soins, en l’occurrence l’hôpital, c’est-à-dire celui où réside “sa” clientèle et autour de lui les autres professionnels (médecins généralistes, infirmières libérales, pharmaciens…), avec lesquels l’hôpital constitue un réseau de soins. L’hôpital étant au sommet de la hiérarchie des soins, les bassins de santé sont d’abord des territoires hospitaliers.
Un bassin de santé (qui est aussi un bassin de vie) est une partie du territoire drainée par des flux, hiérarchisés et orientés principalement vers un centre, de patients aux caractéristiques et aux comportements géographiques homogènes. Une commune ou un canton appartiennent à un bassin de santé quand ses habitants s’adressent préférentiellement aux établissements de ce bassin et que, vis-à-vis des autres établissements périphériques, les habitants des communes ont un comportement voisin. Les limites des bassins de santé sont déterminées par les aires d’influence respectives des pôles hospitaliers voisins. La définition des bassins de santé repose sur une homogénéité des pratiques des populations. Il s’agit d’une approche par les comportements, de type populationnel, et non par les structures, de type institutionnel. Un bassin de santé comprend au moins un centre hospitalier de cent cinquante à deux cents lits. Dans la pratique, on parlera de bassin de santé dès lors que la population sera suffisamment nombreuse tout en restant la plus homogène possible, en rapport avec ses caractéristiques significatives des besoins de santé.
Les bassins de santé peuvent être délimités de plusieurs manières à partir :
→ de la perception des acteurs par le biais d’enquêtes d’opinion ou de consommation (enquêtes sociologiques), même s’il convient de veiller à l’objectivité des réponses ;
→ des aires d’attraction des établissements de santé ;
→ des méthodes de prescription et d’orientation des patients par les médecins libéraux (généralistes et spécialistes) vers les établissements de santé.
Quelle que soit la méthode de délimitation retenue, elle repose sur l’analyse d’une information qui décrit les flux de patients de leur domicile à leur lieu de soins.
Un pays, notion peu utilisée dans les Sros alors qu’elle est la base de la loi sur l’aménagement du territoire, peut être considéré comme un bassin de santé. Le pays recouvre une communauté démographique, géographique, historique et culturelle, permettant d’apprécier les besoins de santé. La seule limite concerne sa taille de population insuffisante pour justifier, dans tous les cas, la présence d’un équipement hospitalier.
Le territoire “sanitaire” peut être découpé selon plusieurs logiques : administrative (secteur sanitaire ou département), naturelle (flux de population) ou construite (bassin de santé). Nous proposons de retenir trois niveaux d’organisation territoriale des soins qui composent avec ces trois logiques : la région, au sens administratif du terme, le bassin de santé, ou zone de besoins, et le bassin de proximité.
Depuis les ordonnances d’avril 1996, la région est devenue le lieu de régulation et de planification, tant au niveau hospitalier (agence régionale de l’hospitalisation) qu’au niveau ambulatoire (union régionale des caisses d’assurance maladie). Elle est renforcée aujourd’hui avec la création des ARS. Le bassin de proximité, ou de premier recours, comme le définit la loi HPST, correspond quant à lui aux lieux où les ex-hôpitaux locaux et les médecins généralistes (ou maisons de santé, centres de santé, pôles de santé) offrent des services de proximité dans le cadre de réseaux ville-hôpital locaux. Ne se pose pas pour ces bassins la question de leur délimitation, mais plutôt celle de la délivrance des soins de proximité dans des conditions satisfaisantes de qualité et d’efficacité.
La question fondamentale pour l’ARS consiste à déterminer le niveau intermédiaire du découpage territorial, entre le bassin de proximité et la région, qui constitue, à notre sens, le levier de la nouvelle organisation des soins : les zones de besoins, appelées parfois bassins de santé ou bassins de vie, sont perméables, non figées, ni dans le temps, ni dans l’espace. Il s’agit d’un découpage fictif de la région, qui vise à identifier des ensembles homogènes quant aux besoins sanitaires de la population, pour fixer la nouvelle organisation de l’offre de soins. Ces zones doivent être homogènes au plan des déterminants des besoins de santé. Un indicateur unique de besoins ne peut résumer parfaitement les besoins d’une zone considérée. C’est une batterie d’indicateurs, relatifs aux déterminants de la santé, à l’état de santé et aux conséquences des problèmes de santé, qui permettront de décrire une situation, par leur mise en corrélation.
La zone de besoins s’apparente, dès sa délimitation, à un pôle sanitaire dans lequel l’hôpital est appelé à travailler en réseaux avec les autres composantes de l’offre. Les zones de besoins s’appuient donc sur une certaine homogénéité de comportement de la population vis-à-vis d’une structure hospitalière. La délimitation des zones repose sur l’analyse des flux des patients de leur domicile à leur lieu de soins hospitaliers. Pour chaque zone ainsi délimitée, les indicateurs de besoins s’inscrivent dans une matrice décrivant la fréquentation de chaque pôle hospitalier pour chaque secteur d’habitat. C’est la condition sine qua non de la prise en compte concrète et objective de la pratique spatiale des personnes hospitalisées et de leurs caractéristiques. Des familles de profils de comportement peuvent être identifiées pour orienter ensuite les actions prioritaires menées dans chaque zone.
Par ailleurs, il convient de prendre en compte, outre l’attraction des hôpitaux, les distances réellement parcourues par les patients, pour déterminer ultérieurement les activités susceptibles d’être entreprises dans une autre zone de besoins où les habitants ont l’habitude de se rendre. Les pôles hospitaliers, niveau intermédiaire, sont le reflet des zones de besoins. Les zones de besoins sont construites autour d’un établissement de santé “référent”. Dans chaque zone de besoins identifiée, sont implantés des professionnels de santé, médecins généralistes et établissements de santé. Les pôles hospitaliers formalisent le regroupement de l’ensemble des établissements de santé, publics et privés, d’une même zone de besoin. L’organisation d’un pôle hospitalier peut être schématisée de la manière suivante :
→ un site siège d’un service d’urgences, public et/ou privé, offre à la population l’ensemble des services de soins en médecine, chirurgie, obstétrique, soins de suite et soins de longue durée. Il constitue en quelque sorte le relais du niveau régional dans chaque zone, avec lequel il doit développer des coopérations pour organiser notamment les transferts de patients, mais aussi pour élaborer conjointement les protocoles de soins, les formations… Afin de respecter les critères d’accessibilité aux soins, il conviendra que ce site ne soit pas trop éloigné de la population en tout point du territoire de la zone (fixation de seuils en termes de temps de trajet par discipline : trente minutes, soixante minutes…) et qu’un système de transport sanitaire rapide soit mis en place pour réduire les délais de prise en charge.
→ des sites de proximité répondent aux besoins de proximité : “petites” urgences, médecine générale et gériatrique, consultations avancées de spécialités du site service d’urgences, soins de suite et de longue durée.
Au sein de chaque pôle hospitalier, les modalités de fonctionnement reposent sur le principe de la coopération interhospitalière et des réseaux extrahospitaliers.
Trois types de coopération visent plus particulièrement à assurer la cohérence du système et la continuité des soins : la mise en place de réseaux ville-hôpital sur les sites de proximité, la coopération public/privé sur le site référent et la mise en place de coopération entre les sites de proximité et le site service d’urgences de référence de chaque pôle. Il importe également qu’une coopération forte soit établie entre les zones, dans la mesure où le patient est libre de se rendre dans l’établissement de son choix, à l’intérieur ou à l’extérieur de la zone de besoins auquel il appartient virtuellement. Cette coopération est appelée à s’inscrire dans un méta-réseau régional global entre les sites sièges d’un service d’urgences et le site régional. Les ARS doivent donc définir leur découpage en territoires de santé, dans une approche décloisonnée de la santé, et répondant à la fois à des logiques de prévention et de santé publique, de soins, et médico-sociales. Or l’organisation propre à chacun de ces secteurs suppose très certainement la nécessité de définir des territoires de santé différents. Comment, dès lors, garantir l’unicité de la vision de la santé et éviter de démultiplier les strates d’analyse et de prise de décision ? Sera-t-il possible de déterminer un découpage territorial qui réponde à l’ensemble des exigences ?
Tel est le défi auquel doivent répondre actuellement les ARS pour être à la fois au plus proche des besoins de santé, dans une approche à la fois décloisonnée et spécialisée pour être opérationnelle.
Il s’agit, dès lors, si l’on veut que les territoires de santé, et surtout que les conférences de territoire, soient opérationnelles, constructives et productives, de retenir un découpage qui fasse l’objet d’un large consensus entre les acteurs de la santé, qu’ils soient élus, professionnels de santé, établissements, institutions et services, usagers. Il n’existe pas de “bon” découpage, mais seulement un découpage où tout le monde doit se retrouver : dans un cas, cela pourra être le département, dans un autre, le bassin de vie.
Mais ce qui importe, c’est de présenter en toute transparence les méthodes qui ont conduit à retenir tel ou tel découpage, et de préciser si ces territoires sont avant tout de concertation ou d’action. Même si les textes restent ambigus sur le sujet, notamment quant à l’élaboration des Sros.