Objectif Soins n° 189 du 01/10/2010

 

Cahier du management

Isabelle Bailly  

Prolongement direct de la nouvelle gouvernance, la loi du 21 juillet 2009, portant réforme de l’Hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite loi HPST, dessine déjà une refonte des organisations et de l’offre de soins, toujours centrées sur le patient et ses besoins. Quels seront les impacts pour les soignants ?

Le plan Hôpital 2007 soulignait l’importance d’une réorganisation hospitalière permettant aux établissements de s’adapter simultanément, dans un environnement en mutation, aux progrès scientifiques et technologiques, aux besoins des usagers et aux exigences d’une maîtrise des dépenses de santé.

La nouvelle gouvernance est souvent ignorée, même parfois rejetée parce qu’elle incite à la polyvalence des ressources humaines au sein des pôles. Les professionnels redoutent encore parfois qu’elle n’instaure une mobilité subie et préjudiciable à la qualité des soins et la sécurité des patients.

Par ailleurs, cette réforme est très souvent vécue comme un fonctionnement calqué, sans aménagement, sur celui de l’entreprise, dans un contexte de mise en concurrence, de compétition où la victoire des uns devient la défaite des autres.

Culturellement, et d’un point de vue éthique, les soignants se refusent encore à concevoir les soins soumis exclusivement à des exigences de rentabilité, de compétitivité, de flexibilité, ou même d’efficience. Alors même que, dans ce contexte, la reconstruction identitaire des soignants semble inachevée, une nouvelle réforme s’impose désormais aux établissements de santé, les invitant à une véritable redéfinition de leurs modes de fonctionnement et de coopération.

Associer valeurs hospitalières, éthiques des soins et rationalité économique peut apparaître pour certains une injonction paradoxale. Extension de la logique des pôles au niveau des territoires de santé, la loi HPST suscite déjà de grandes craintes et incompréhensions parmi les soignants.

LA NOUVELLE GOUVERNANCE : UN BOULEVERSEMENT ORGANISATIONNEL ANNONCÉ

Extrêmement usité depuis dix ans, le terme de “gouvernance” apparaît dès le XIIIe siècle. Associée à l’idée de gouverner, et par extension au gouvernail, et définie comme « la manière de gérer, d’administrer », l’image retenue demeure celle du pilotage et de la maîtrise.

La gouvernance se différencie du gouvernement en ce sens qu’elle se rattache davantage à « la manière de gérer adéquatement la chose publique (res-publica) qu’à la pratique du pouvoir »(1).

Le principe de liberté d’organisation interne(2) permet à chaque établissement public de santé, dès 1991, d’organiser son activité de soins comme il l’entend.

L’organisation hospitalière par regroupements est introduite par les ordonnances de 1996 avec la création de départements d’activités, puis de fédérations.

Toutefois, les rapports Couanau(3) et Debrosse(4), élaborés en 2003, convergent dans leurs conclusions et montrent que, plus de dix ans après la promulgation de la loi, « ces espaces de liberté n’ont pas été investis par les établissements », et qu’« il s’agit là d’une carence à laquelle il faut remédier au plus vite ».

La réforme du 2 mai 2005, dite “plan Hôpital 2007” est alors élaborée. Elle se compose de quatre grands volets, dont celui de la nouvelle gouvernance hospitalière.

Cette dernière abroge la notion de “liberté” et impose, cette fois, un réaménagement interne des établissements publics de santé, tout en leur laissant d’importantes marges de manœuvre et d’autonomie. Trois objectifs complémentaires sous-tendent cette réorganisation :

→ améliorer la qualité et la sécurité des soins ;

→ mieux utiliser les ressources institutionnelles ;

→ accroître l’efficience de la prise en charge des patients, grâce à davantage de responsabilisation, d’autonomie et de créativité de la part des professionnels soignants.

En introduisant une modification de l’organisation générale par la création des pôles d’activité, remplaçant les “services” d’hospitalisation, la nouvelle gouvernance vise déjà à la mise en place d’un fonctionnement en réseaux, favorisant la circulation de l’information par une redistribution des pouvoirs et une décentralisation des décisions.

LES APPORTS DE LA LOI HPST

Tandis que la finalité et le contenu du plan hôpital 2007 demeurent encore parfois un peu obscurs pour certains soignants, la loi HPST s’impose désormais à eux.

Elle se décompose en quatre grands chapitres : la modernisation des établissements de santé, l’accès de tous à des soins de qualité, la prévention et santé publique et, enfin, l’organisation territoriale du système de santé.

En dépit des nombreux efforts de restructuration et réorganisation consentis par les établissements de santé ces dernières années, l’offre de soins est présentée comme étant inégalement répartie, sur les différents territoires, et entre spécialités.

Le système de santé actuel ne répond donc pas avec suffisamment d’efficience aux besoins des usagers.

Alors que la nouvelle gouvernance s’attachait davantage à une réorganisation interne des établissements, la loi HPST prône quant à elle une collaboration ville-hôpital et un partage plus conséquent des ressources entre les différentes structures de soins, publiques et privées. Elle s’inscrit en effet dans une approche transversale de la santé.

C’est ainsi que, s’inspirant des communautés de communes et d’agglomérations, cette réforme encourage fortement la création de “communautés hospitalières de territoires” (CHT). Favorisant une meilleure coordination, une répartition plus adéquate et un partage des ressources matérielles et humaines, elle répond à la fois aux besoins des usagers et à une nécessaire réduction des dépenses.

La création des CHT permettra par exemple le regroupement d’équipes de directions, facilitant l’élaboration de programmes d’investissements et de recrutements plus adaptés, complémentaires et cohérents, tout en réduisant les coûts.

À l’Assistance publique des hôpitaux de Paris (AP-HP), la constitution des groupes hospitaliers relève de la même logique. Ainsi, à partir des trente-sept hôpitaux actuels, douze groupes hospitaliers devraient être créés à l’horizon 2011, chaque groupe reposant sur une structure de gouvernance unique (un seul directoire, un seul comité consultatif médical…), des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens concertés entre établissements et agences régionales de santé (ARS)…

UNE MÉCONNAISSANCE DES SOIGNANTS QUI FAVORISE LA RÉSISTANCE AU CHANGEMENT

Prolongement direct de la précédente, cette réforme dessine pourtant, de nouveau, une refonte en profondeur des divers projets et organisations pour les années à venir, centrant les processus sur le patient, son parcours de soins coordonné et une réponse adéquate à ses besoins en santé.

Pour les établissements hospitaliers, l’enjeu est conséquent. Contrôlés par les ARS dans le cadre de plans de retour à l’équilibre financier et du respect de leurs missions de service public, ils doivent préserver l’image de l’hôpital vis-à-vis de patients qui demandent cohérence, qualité, sécurité, mais aussi transparence, tout en se montrant efficients face à la concurrence des établissements privés.

Insuffisamment diffusée et développée auprès des professionnels, cette nouvelle loi est uniquement associée, pour nombre d’entre eux, à un outil de gestion comptable, dans le cadre de plan de retour à l’équilibre, et de perte du pouvoir médical au profit de celui des directeurs d’établissements. Cette crainte est relayée en mai 2009 par le manifeste des vingt-cinq chefs de service de l’AP-HP.

Ainsi stigmatisée et synonyme de mobilités contraintes dans le cadre de restructurations géographiques, de dégradation des conditions de travail et de la qualité des soins suite à des restrictions d’effectifs, générant conflits et mécontentements, la loi HPST est fort peu populaire.

Se réfugiant dans une routine stable et rassurante, nombre de professionnels ont encore à cœur de préserver des méthodes organisationnelles maintenant désuètes et surannées.

Pourtant, le décloisonnement des structures ne peut, à terme, qu’améliorer la clarté et la cohérence du système de santé, faciliter l’accès aux soins des usagers et garantir une réelle qualité des soins.

La réussite de ce projet réside en grande partie dans l’implication des équipes de direction et d’encadrement à communiquer cette nouvelle vision transversale de la santé, à favoriser le partage d’un langage et de référentiels communs et à transcrire dans un langage clair et accessible les nouveaux processus, le rôle de chacun et sa relation avec les autres acteurs.

COMMENT PERMETTRE L’INTÉGRATION INDIVIDUELLE D’UN PROJET COLLECTIF ?

Comme le souligne François Dubet dans Le Déclin de l’institution, même si les repères individuels se sont déplacés et si la sphère religieuse a été progressivement remplacée par la sphère du travail, il n’existe plus actuellement de “vocation aveugle”, plus d’adhésion systématique à un projet collectif, plus de comportement grégaire.

En effet, même si le projet collectif répond dans ses grandes lignes aux besoins des patients et aux exigences socio-économiques, il convient de donner du sens au changement pour que l’intérêt général devienne intérêt individuel.

Les professionnels acceptent d’être “disponibles”, dans un contexte d’organisation, d’anticipation et d’implication, mais pas d’être “à disposition”, ce qui sous-entend passivité et servitude.

DES ÉQUIPES D’ENCADREMENT POUR DONNER UN SENS AU CHANGEMENT…

Le sens est un enjeu existentiel, à la base de l’appropriation d’un travail. La qualité passe en effet par le fait de donner un sens à l’action, de se projeter dans un avenir riche d’opportunités et de développement.

Le défi doit alors être suffisamment explicite pour que chacun puisse imaginer l’organisation de demain. Il appartient aux équipes d’encadrement et aux directions fonctionnelles de la mettre suffisamment en valeur pour qu’elle attire.

La notion de compétition, qui implique une mise en concurrence, considérant l’autre comme un obstacle, est très souvent rejetée par les soignants. En revanche, l’émulation permet de progresser et de se construire avec d’autres individus, autour de valeurs communes. Il s’agit alors de se dépasser pour faire mieux que soi-même, et non mieux que les autres.

De la capacité des cadres de santé à impulser, expliquer et insuffler cette dynamique dépend la réussite de ce projet.

… POUR IMPLIQUER…

L’implication résulte d’un apprentissage. Elle provient de l’expérience à travers laquelle un individu trouve quelque chose qu’il interprète comme une source de plaisir, qu’il essaiera de ce fait de renouveler, voire d’accentuer.

Auparavant, chaque service considérait qu’il suffisait de mobiliser ses propres ressources pour améliorer l’efficience organisationnelle, que la grandeur des missions accomplies suffisait à justifier la pérennité des pratiques professionnelles.

L’objectif des réformes depuis 2007 est de permettre à chacun de percevoir que ce n’est pas parce que chaque service optimise ses ressources que le parcours du patient sera optimal pour autant.

Une réponse adaptée aux besoins des usagers ne sera possible qu’à travers une contribution de chacun au processus de soins (coordination de l’ensemble des activités), garantissant une valeur ajoutée à chaque étape, grâce une réflexion élargie et concertée.

… POUR MOTIVER…

Différentes approches peuvent permettre aux individus de comprendre le sens des changements initiés et d’y adhérer.

L’organisation peut engager :

→ des processus d’identification, valorisant les intérêts partagés, dans une logique gagnant-gagnant,

→ des processus d’idéalisation, qui prônent la quête et le culte de l’excellence, par une stimulation de l’imaginaire et un discours de valorisation de la personne, insistant sur l’importance des compétences, des qualités d’adaptation, des potentiels et des capacités d’initiatives.

La compréhension du sens du changement et l’adhésion, plus ou moins forte, au projet développé, vont influer sur le degré de motivation consenti par l’individu. Celle-ci sera liée à la notion de jugements que le soignant porte sur lui-même et sur l’investissement fourni, au regard des autres vis-à-vis de la tâche accomplie, et enfin à la satisfaction qu’il en tire.

… ET SATISFAIRE

La satisfaction, issue du vécu qualitatif face à un changement, peut provenir :

→ de la nature de la mission,

→ du fait de pouvoir agir, de gagner de l’autonomie,

→ de l’élargissement de domaines de compétences,

→ d’un enrichissement personnel,

→ de la découverte de nouveaux aspects du travail tels que les processus de soins,

→ de la participation à un enjeu collectif et essentiel,

→ de la reconnaissance des autres, et surtout celle des patients.

Le degré de satisfaction résulte du jugement vis-à-vis du travail réalisé, par le professionnel lui-même, et par les autres. Plus la jouissance se révèle intense, plus l’individu poursuivra ou renouvellera cette tâche pour retrouver ce plaisir.

UNE IDENTITÉ RENOUVELÉE

Tout comme la nouvelle gouvernance incitait au passage « d’une identité et d’une culture de service à une culture de pôle, facteur d’intérêt, de curiosité et de dynamisme »(5), la loi HPST invite les professionnels à une mise en commun, à une co-construction de projets adaptés aux patients, qui ne peut néanmoins se résumer ni à une juxtaposition, ni à une simple simultanéité des actions proposées, comme le rappelle Françoise Acker(6).

Il s’agit maintenant de bâtir, de créer en commun, selon un plan bien déterminé qui découle des actions de chacun, des desseins définis et des valeurs communes que sont l’égalité d’accès aux soins, la solidarité, l’équité, la laïcité, l’écoute, l’éthique professionnelle et le respect de la dignité de la personne.

Malgré cela, la création de véritables réseaux de soins permettra de préserver la différence, la singularité et la spécificité des différents acteurs. Ce nouveau collectif protège les identités individuelles et professionnelles, sans pour autant sombrer dans l’individualisme.

Dans le cadre de la loi HPST, co-construire ne signifie pas « rejoindre un groupe », mais créer un groupement qui respecte les individualités, pour un avenir riche d’opportunités, de collaboration, de développement personnel et professionnel, d’adaptation permanente.

CONCLUSION

Invitant les différentes structures à une véritable redéfinition de leur mode de coopération, la loi HPST incite dès maintenant les professionnels soignants, administratifs et médicosociaux à s’unir et à s’investir dans une nouvelle co-construction des soins aux patients, qui dépasse maintenant le périmètre de chaque établissement de santé.

À l’instar du programme de formation des étudiants infirmiers qui favorise la compréhension et la prise en charge globale des besoins de santé des patients, l’organisation du système de santé connaît depuis quelques années de profonds bouleversements – du fait d’une très forte volonté politique –, indispensables à sa survie, mais qu’il convient d’accompagner, en proximité.

NOTES

(1) Svandra P., La gouvernance : le mot et la chose, Éthique et santé, n° 4, vol. 4, 2007.

(2) loi du 31 juillet 1991 portant réforme hospitalière.

(3) Couanau R., rapport d’information sur l’organisation interne de l’hôpital, Mission d’information, Assemblée nationale, 2003.

(4) Debrosse D., rapport “Projet Hôpital 2007 : mission sur la modernisation des statuts de l’hôpital public et de sa gestion sociale”, 2003.

(5) Bailly I. Les pôles d’activité au service de la reconstruction identitaire infirmière, Soins cadres, août 2009, n° 71 : 20-22.

(6) Acker F., Travailler ensemble, Soins cadres, février 2004 ; n° 49 : 22-5.

POUR EN SAVOIR PLUS

→ Oser de nouveaux réflexes professionnels : entre subir et agir. BousquetC., MarxerA. Lyon, Chronique Sociale, 2009, 240 p.

→ Le déclin de l’institution. DubetF. Paris, édition du Seuil, 2002, 402 p.

→ La réforme de l’hôpital en 120 questions et réponses. DupuyO. Paris, Heures de France, 2009, 134 p.

→ Le plaisir de travailler, favoriser l’implication des personnes. ThévenetM. Paris, éditions d’Organisation, 2004, 265 p.

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