Objectif Soins n° 189 du 01/10/2010

 

Recherche et formation

Claudine Fouquet*   Francine Perrier**   Francis Monprofit***  

PARTENARIAT IFSI/STAGES → Au terme d’une année de formation faisant suite à la mise en place de la réforme des études en soins infirmiers, nous souhaitons mettre en évidence l’opportunité qui nous est donnée de faire évoluer nos représentations de la formation, nos méthodes d’accompagnement et notre posture professionnelle.

En effet, il s’agit de passer d’une logique de contenu à une logique de compétence(1) : « Le référentiel de formation est organisé pour mettre en re­lation les connaissances à acquérir et le développement des compétences requises. » Il s’agit également de créer des liens entre les différents lieux et temps de la formation (Ifsi/stage) afin de favoriser l’intégration des savoirs.

G. Bourgeon qualifie d’« intégrative » cette alternance qui laisse une place importante aux différents acteurs dans les stratégies d’apprentissage mises en place. Tantôt le savoir se construit de la pensée vers l’action, tantôt il s’élabore en se référant d’abord à l’action. Formateurs et tuteurs se retrouvent investis du partage du pouvoir de former. C’est au cœur de ce système de partenariat que se situe le développement des compétences. Qu’entendons-nous par partenariat ?

LE CONCEPT DE PARTENARIAT

Le concept de partenariat reste une notion complexe, difficile à définir et à mettre en œuvre. Selon Corinne Mérini, le partenariat repose sur deux idées apparemment contradictoires : l’idée d’association et de coopération (avec) et l’idée d’opposition, de contradiction (contre). « Il faut [donc] voir dans le partenariat le fait que les partenaires associent leurs ressources, leur volonté ou leur savoir-faire sur la base de leurs différences, et que, ce faisant, il s’établit des partages d’autorité et de pouvoir qui aboutissent à des formes d’abstention réciproques délimitant des zones d’influence spécifique au projet conjoint. »(2) Le partenariat représente donc, dans l’idéal, une action commune négociée. C’est « une forme supérieure de coopération qui permet de s’entendre pour agir en commun dans une logique d’ensemble hétérogène et conflictuelle »(3). Cela sous-entend un minimum de partage dans les projets, les objectifs, les actions mises en œuvre pour l’étudiant. Cela implique également une collaboration, une coopération, un partage des tâches et des responsabilités pour les différents acteurs de la formation. Pour autant, il reste nécessaire que chaque partenaire garde sa spécificité, son identité pour faire vivre la complémentarité. Travailler en partenariat, c’est connaître et reconnaître les compétences de chacun, les zones d’autonomie de chaque fonction, mais également celles de recouvrement.

Dans ce nouveau référentiel de formation, l’étudiant est clairement reconnu comme acteur, voir auteur de sa formation. C’est à partir de l’analyse de sa pratique, de la mise en évidence des différences, de la prise de conscience des écarts entre un certain “idéal professionnel” et la réalité du terrain qu’il va devoir se professionnaliser. Formateurs et tuteurs ont un rôle à jouer dans ce processus.

En effet, le formateur a pour mission de transmettre à l’étudiant des savoirs théoriques hors contexte. Il favorise chez lui une réflexion plus conceptuelle, l’acquisition de méthodologie, la mise en évidence des ressources et repères pour sa professionnalisation. Les professionnels de terrain apportent quant à eux tous les savoirs professionnels liés à l’action. Le stage permet à l’étudiant infirmier de développer des compétences qui ne peuvent s’acquérir qu’en situation réelle de travail (prise d’initiative, autonomie, organisation, communication, travail en équipe, gestion de l’urgence, mise en œuvre d’actions adaptées…). Malgré tout, leur objectif reste bien évidemment le même : former des professionnels responsables, autonomes, compétents.

LE PARTENARIAT AU SERVICE DU DÉVELOPPEMENT DE LA COMPÉTENCE

Selon Guy Le Boterf

Si nous reprenons les écrits de Guy Le Boterf, être compétent, « c’est être capable d’agir et de réussir avec compétence dans une situation de travail […], être compétent, c’est mettre en œuvre une pratique professionnelle pertinente tout en mobilisant une combinatoire appropriée de ressources (savoir, savoir-faire comportement, mode de raisonnement…) »(4)

Guy Le Boterf propose en effet une distinction entre “être compétent” et “avoir des compétences”. Pour être compétent, c’est-à-dire pour agir avec compétence, il faut avoir des compétences, donc des ressources (des connaissances, du savoir faire, des méthodes de raisonnement, des aptitudes physiques, des aptitudes comportementales…) mais également savoir les mobiliser et interagir de façon adaptée dans un contexte donné.(5)

Avoir des ressources devient donc une condition nécessaire mais non suffisante pour agir avec compétence. Le formateur se situe davantage au niveau de la transmission des ressources à mobiliser par le futur professionnel en situation. Les professionnels de terrain quant à eux se situent plus dans la transmission des savoirs en action. C’est donc la complémentarité des missions de chaque partenaire, formateur et tuteur, autour de la compétence qui va permettre à l’étudiant de devenir un professionnel compétent.

Selon W. C. Howell

Nous pouvons donc estimer que la finalité du projet de formation partagé par les formateurs en Ifsi et par les professionnels pendant les stages serait d’amener les étudiants infirmiers à devenir des professionnels « compétents conscients », en référence aux quatre stades de compétence décrites en 1982 par W. C. Howell(6).

W. C. Howell définit en effet quatre étapes repérables dans l’acquisition des compétences. Celles-ci se succèdent de « l’incompétence inconsciente » jusqu’à la « compétence inconsciente » en passant par « l’incompétence consciente » et par la « compétence consciente » (cf. le graphique page suivante). Quel que soit le lieu d’apprentissage (pour les étudiants infirmiers : Ifsi ou terrain de stage), les professionnels accompagnent l’apprenant de la première étape « d’incompétence inconsciente », celle de l’entrée en formation, jusqu’à la troisième étape, celle de « compétence consciente », étape qui nous semble accessible en fin de formation. Pour nous, seules la diversité et la multiplicité des expériences permettent d’atteindre la quatrième étape : celle de « compétence inconsciente ». Elle correspond à un niveau de professionnel confirmé, au-delà de la formation initiale.

Selon Patricia Benner

De son côté, Patricia Benner(7) a décrit cinq stades dans le développement de la compétence par l’infirmière en référence au modèle développé par les frères Hubert et Stuart Dreyfus. Elle a construit sa théorie autour de cinq paliers :

→ la Novice,

→ la Débutante,

→ la Compétente,

→ la Performante,

→ l’Experte.

LA NOVICE

La novice n’a « aucune expérience des situations auxquelles elle risque de se trouver confrontée ».(8) Elle est capable d’appliquer ce qu’elle a appris ou observé.

LA DÉBUTANTE

« La multiplication des situations vécues lui permet d’analyser et de mettre en évidence des éléments significatifs qu’elle sera en mesure de reproduire dans des situations identiques. »(9)

LA COMPÉTENTE

« L’infirmière devient compétente lorsqu’elle commence à percevoir ses actes en termes d’objectifs ou de plans à long terme. »(10) Elle utilise ses ressources pour intervenir de façon adaptée dans différentes situations de soin. Elle est capable de prendre des initiatives.

LA PERFORMANTE

L’infirmière performante « perçoit les situations comme des tous […], elle apprend par l’expérience quels événements typiques risquent d’arriver dans une situation donnée et comment il faut modifier ce qui a été prévu pour faire face à ces événements »(11). Ses expériences guident ses actions.

L’EXPERTE

L’infirmière qualifiée d’experte « a une énorme expérience, [elle] comprend de manière intuitive chaque situation et appréhende directement le problème, sans se perdre dans un large éventail de solutions et de diagnostics stériles »(12).

Elle va rapidement à ce qui est prioritaire pour le patient dans une prise en compte globale de sa situation.

Pour nous, ce modèle qui concerne l’infirmière diplômée peut être transposable à l’étudiant en soins infirmiers dans son processus de professionnalisation. Celui-ci est en capacité d’atteindre en fin de formation le stade de compétence, voire de performance. Celui de l’expertise nous semble difficilement envisageable dans le cadre de l’apprentissage.

En pratique

Au regard de ce que nous avons évoqué précédemment, il nous semble raisonnable d’amener l’étudiant en fin de formation au niveau de la « compétence consciente » telle que l’a décrite W. C. Howell. En deuxième année, nous ne parlerons toujours pas de compétence mais plutôt « d’incompétence consciente », sachant que l’étudiant se situe toujours dans une dynamique d’apprentissage, mais il sait qu’il ne sait pas. En première année, nous évoquerons l’« incompétence inconsciente » dans la mesure où l’étudiant découvre ses potentialités et le milieu professionnel dans lequel il va être amené à évoluer.

Cette réflexion s’ouvre d’ailleurs sur les trois paliers de l’apprentissage décrits dans le référentiel de formation qui sont “comprendre, agir et transférer”. Quel que soit le modèle retenu, n’est-ce pas autour de paliers de progression dans l’acquisition des compétences que le partenariat entre les formateurs en Ifsi et les professionnels/tuteurs de stage peut se construire ? Chacun doit être en mesure de déterminer ce qu’il attend d’un étudiant en fonction de son niveau de formation. Dans un souci de cohérence, il est indispensable de travailler ensemble la notion de compétence, fil rouge du nouveau référentiel de formation infirmière, et de s’entendre sur des degrés d’exigence partagés.

EN CONCLUSION

Évoquer un partenariat Ifsi/stages dans une formation par alternance comme celle de la formation en soins infirmiers semble évident. Sa mise en œuvre ne va pas pour autant de soi. Celle-ci ne bouleverse pas fondamentalement le rôle de chacun (formateurs et professionnels de terrain) mais demande d’intégrer une logique de compétence et de construire de nouveaux repères pour accompagner l’étudiant dans son parcours de professionnalisation. L’écriture de cet article nous a permis de mettre en évidence des points qui pourraient être approfondis entre formateurs et professionnels de terrain. Déterminer des paliers dans l’acquisition des compétences concrétiserait cette collaboration Ifsi/stages et faciliterait l’évaluation des compétences en stage, qui est actuellement difficile à organiser faute de repères fiables. Ce travail suppose des temps de réflexion accompagnés dans la durée en lien avec l’appropriation du référentiel de formation, des moyens en temps et en disponibilité, une connaissance mutuelle et une volonté de partager enjeux et responsabilité.

NOTES

(1) Annexe 3 arrêté 31/07/2009 relatif au diplôme d’État infirmier.

(2) Mérini, C. Le partenariat en formation. De la modélisation à une implication. (1999) Paris, L’Harmattan, pp.16-17.

(3) Op. cit. p.17.

(4) Le Boterf, G. Construire les compétences individuelles et collectives. Agir et réussir avec compétence. (2006, 4e édition). Paris, éditions d’Organisation, p.97.

(5) Op. cit.

(6) Howell (1982) (An overview of models, methods, and problems) in W.C. Howell and E.A. Fleishman (eds.), Human Performance and Productivity. Vol.2: Information Processing and Decision Making. (1982). Hillsdale, NJ: Erlbaum.

(7) Benner, P. De novice à expert. Excellence en soins infirmier. (1995) Paris, édition Masson, 253 p.

(8) Op. cit. p.23.

(9) Op. cit. p.24.

(10) Op. cit. p.27.

(11) Op. cit. pp.28-29.

(12) Op. cit. p.32.