Objectif Soins n° 189 du 01/10/2010

 

Point sur

Lahouari Zergane*   Mélanie Perrault**   Françoise Fayet***  

Depuis plus de quinze ans, l’équipe du service de Médecine physique et de réadaptation de l’enfant (MPR) organise une opération spéciale : l’intervention du doudou d’enfant de moins de 6 ans ayant une paralysie cérébrale et qui va se faire opérer pour la première fois. Cette unité, dirigée par le Dr Picard, fait partie du pôle Pédiatrique qui offre une structure de prise en charge pluridisciplinaire, centrée sur le handicap neurologique ou moteur.

Implanté au cœur de l’Ouest francilien, à Garches (92), l’hôpital Raymond-Poincaré, grâce à une activité multidisciplinaire, est aujourd’hui un centre de référence dans la prise en charge de la personne souffrant d’un handicap, d’origine neuromusculaire ou traumatique.

Le groupe hospitalier s’organise autour de trois pôles tournés vers la prise en charge des personnes handicapées :

→ pôle RER : rééducation, évaluation, réadaptation de l’adulte ;

→ pôle aigu : chirurgie orthopédique, maladies infectieuses, réanimation médicale adulte, consultation des maladies professionnelles ;

→ pôle pédiatrique : prise en charge des enfants atteints de pathologies neuromusculaires et neurologiques. Il est constitué des unités de réanimation, de neuro-pédiatrie et de rééducation. Le service de MPR, situé dans le pavillon Brézin 3, est une entité complémentaire aux différents secteurs du pôle pédiatrique (réanimation, médecine, consultations). Il est très proche des Établissements régionaux d’enseignement adapté où les enfants peuvent poursuivre leur scolarité durant le temps de leur prise en charge. Il accueille des enfants infirmes moteurs cérébraux ou atteints de paralysie cérébrale, âgés de 2 à 16 ans, soit en hôpital de jour, soit en hospitalisation complète après une prise en charge chirurgicale.

LA PARALYSIE CÉRÉBRALE

La paralysie cérébrale ou infirmité motrice cérébrale est définie comme une séquelle de lésion cérébrale stable, responsable de troubles moteurs prédominants, survenue sur un cerveau en développement (en général dans les deux premières années de vie). L’intelligence est dans les normes ou au moins sur l’un des deux versants verbal ou non verbal. « La paralysie cérébrale ou infirmité motrice est liée à une lésion du cerveau survenue dans la période anténatale ou périnatale. Elle constitue un trouble moteur non progressif secondaire à un défaut ou une lésion sur un cerveau en maturation. Le handicap moteur séquellaire associe, à des degrés variables, des troubles de la posture et du mouvement. »(1) Ces enfants peuvent, également, présenter d’autres troubles associés (de la vue, du langage, un retard mental…). Ils bénéficient, au sein du service, d’une rééducation intensive et spécialisée durant plusieurs semaines, plusieurs mois, voire plusieurs années : kinésithérapie jusqu’à cinq à dix fois par semaine, ergothérapie et/ou orthophonie en séance individuelle ou en groupe, rééducation oculomotrice. Les enfants sont hospitalisés pour améliorer leurs capacités motrices et leur indépendance et, si possible, pour se déplacer debout. Cependant, malgré la rééducation intensive et les traitements préventifs (toxines botuliniques, attelles de jambes…), certains troubles orthopédiques devront être corrigés de façon chirurgicale (dérotation fémorale et tibiale, allongement et transfert tendineux…). De ce fait, une, voire plusieurs interventions chirurgicales peuvent être nécessaires avant l’âge adulte. Le premier geste opératoire intervenant très souvent vers l’âge de 3 ans.

L’OPÉRATION DU DOUDOU

Préparatifs

Le plâtre du doudou est proposé aux enfants les plus jeunes, entre 2 et 6 ans, pour qui les seules explications données par le médecin et le chirurgien ne suffisent pas à dissiper les doutes, voire les angoisses, ou pour leur proposer une meilleure représentation de ce qui va leur arriver et de ce que l’on va leur faire. Cette mise en scène permet à l’enfant de “jouer son opération” tout en prenant place auprès des adultes.

Une matinée importante et difficile attend Micka, 5 ans, hospitalisée dans le service de MPR : son doudou va subir une intervention au niveau des membres inférieurs et sera ensuite plâtré. Elle participera avec l’équipe (infirmière, éducatrice de jeunes enfants, aide-soignante, psychologue) au déroulement de cette opération.

Quelques jours avant l’intervention, (l’enfant n’ayant pas une notion de temps aussi pointue que celle de l’adulte), nous demandons à la famille d’amener, ou de nous faire parvenir, un doudou, un nounours auquel Micka est très attachée. Nous lui disons également que nous prendrons beaucoup de photos pour en faire un album qu’elle pourra regarder avec ses parents et ainsi leur expliquer, à son tour, le déroulement de l’intervention(2).

Le petit livre du doudou et de son opération est un outil de partage. Il permettra à la famille de mieux visualiser la position de Micka lorsqu’elle sera plâtrée et ainsi nous poser toutes questions d’ordre pratique (installation à la maison, plâtre, couche…). Une manière d’anticiper les problématiques futures dans l’un des événements majeurs de leur enfant.

Cette mise en images est aussi un moyen de tourner les pages d’un moment important de sa vie. Micka pourra ainsi, si elle le désire, se remémorer cet épisode longtemps après l’intervention. Nous décidons avec l’enfant le jour de l’opération de son doudou. Nous prévenons alors les parents et leur proposons d’y assister s’ils le désirent.

L’opération

L’équipe du 1er étage, l’unité d’hôpital de jour, composée de l’infirmière, d’une aide-soignante, de l’éducatrice de jeunes enfants, de la psychologue et de Micka elle-même, prépare le matériel nécessaire (tablier en plastique, masque, champ opératoire, seringue, pansement, bassine d’eau, bande de plâtre…), sans oublier l’appareil photo.

La mise en scène débute vers 9 h 30, et dure en général deux heures, dans le poste de soin ou la salle de jeux, le plus au calme possible, afin que Micka puisse se concentrer sur ce qu’elle est en train de faire. Le cadre posé est assez rigide pour permettre à l’enfant d’être le plus disponible possible, mais aussi pour entourer cette mise en scène d’un cérémonial qui lui signale que quelque chose d’important se prépare.

Toute l’équipe prend les choses très au sérieux même si, bien sûr, il ne s’agit que de jouer. On signifie ainsi à Micka que l’opération de son doudou est très sérieuse pour nous.

Lorsque tout est prêt, champ opératoire et habillage des différentes personnes, la prise en charge “opératoire” de la poupée peut alors commencer. L’infirmière ou l’éducatrice met le masque chirurgical, en donne un à Micka et l’aide à le mettre sur son visage. Tout au long de “l’opération”, elle aide l’infirmière ou un autre membre de l’équipe à tenir le masque pour l’anesthésie, à poser le pansement pour la perfusion. Elle donne, injecte les médicaments pour que le doudou s’endorme, ou pour qu’il n’ait plus mal. Elle participe ensuite avec l’équipe à la fabrication du plâtre. Elle manipule les différents matériaux, les bandes plâtrées.

Durant tout ce laps de temps, chacun lui explique dans un langage très simple les différentes étapes afin de rassurer le doudou et, à travers lui, Micka.

Des réponses précises et claires sont apportées aux questions qu’elle peut nous poser : « Qu’est-ce que le plâtre ? Est-ce que cela fait mal ? Comment et quand l’enlève-t-on ? À quoi sert le masque que l’on met sur le visage ? Est-ce que je vais dormir longtemps ? Est-ce que l’opération va me faire mal ? » Les explications sont toujours données dans un objectif de meilleure compréhension et de réassurance. L’enfant participe en rapport avec ses capacités de compréhension, de manipulation et d’accès au jeu symbolique. Parfois, c’est l’équipe qui met en mots et en gestes ce qui est en train de se dérouler pour essayer d’impliquer le plus possible l’enfant.

Mais tout cela ne prendra de sens pour lui que lorsqu’il sera lui-même plâtré. Il pourra alors faire le rapport avec ce qui a été mis en scène.

Rejouer les moments difficiles

Une fois “l’opération” terminée et le doudou enfin plâtré, Micka participe à sa toilette. Elle le manipule, le câline, l’habille pour se réapproprier à nouveau son doudou ou son nounours… Nous expliquons enfin au doudou qu’après cette “opération”, il a besoin de surveillance et de soins plus spécifiques, qu’il doit rester, dormir à l’hôpital, au deuxième étage, une quinzaine de jours environ, mais que, durant la journée, il reviendra avec ses copains du 1er étage. Nous décrivons au doudou les lieux, en citant les prénoms des différentes personnes qui s’occuperont de lui. Nous précisons enfin qu’il va passer sa première nuit, à cet étage, afin que son plâtre sèche bien. Nous lui expliquons que, pour un temps, il sera immobilisé, ce qui va l’obliger à être dépendant : il ne pourra plus aller aux toilettes ni manger seul. Nous évoquerons alors la perte d’autonomie, en insistant bien sur le fait qu’il n’aura de couches que pour un laps de temps très bref et qu’ensuite tout sera comme auparavant.

À la fin de cette étape, les moments qui nous auront paru importants ou difficiles pour l’enfant (pleurs lors de la mise du masque, de la piqûre, rejet du doudou…) seront rejoués en essayant à nouveau de faciliter le plus possible la compréhension de l’enfant. Il s’agit, en effet, durant toute cette période, d’être le plus à l’écoute et le plus attentif possible, afin que l’enfant puisse se saisir de la situation, qu’il s’approprie les différents objets (seringue, masque…), qu’il les manipule, et surtout qu’il verbalise ou que nous l’aidions à verbaliser ses angoisses.

Rencontre avec l’équipe de l’hôpital de semaine

En fin de matinée, nous montons au 2e étage, unité d’hospitalisation complète de semaine, afin d’y emmener le doudou et permettre ainsi à Micka de faire connaissance avec l’équipe et le secteur de soins dans lequel elle sera prise en charge. En effet, jusqu’à présent, en hôpital de jour, l’enfant, lorsqu’il sera opéré, passera pour un temps en hôpital de semaine. L’équipe soignante se présente au doudou et à Micka et lui permet de faire une visite des lieux (salle de bain, chambre, salle à manger, salle de jeux…). Elle lui donnera des explications sur la prise en charge du doudou (toilette, douleur…). Nous installons le doudou dans une chambre et Micka nous aide à faire des transmissions sur ce qui s’est passé et sur l’état de santé de son doudou (s’il a des “douleurs”, ce qu’il aime manger, comment il dort en général…). Ici, il faut prendre en compte la difficulté et l’impact de l’internat sur l’enfant. Lors de la prise en charge chirurgicale et son hospitalisation dans une autre unité, il perdra ses repères (équipe habituelle du premier, son environnement familial…). En lui permettant de voir les lieux et de rencontrer les personnes qui y travaillent, nous faisons en sorte qu’il soit moins anxieux lors de sa future hospitalisation. Cette partie de la mise en scène est tout aussi importante car cela permet à l’enfant de faire connaissance avec ceux qui s’occuperont de lui et ainsi de préparer au mieux son retour dans le service.

Nous disons alors au revoir au doudou : il peut être confiant puisqu’il connaît les personnes et nous viendrons le voir dès le lendemain matin. Là encore, nous rassurons Micka quant au sentiment de séparation qu’elle peut éprouver. Nous revenons le lendemain voir le doudou, et l’infirmière de l’étage racontera ce qui s’est passé durant la nuit (s’il a bien dormi, s’il a eu mal…), puis nous redescendons au 1er étage avec le doudou.

Retour à la maison

Quelques jours plus tard, et seulement sur avis médical, le doudou peut repartir à la maison, retrouver papa, maman, frères et sœurs. Il est alors important de préciser à l’enfant comme à sa famille que le doudou peut tout à fait recevoir des câlins et être pris dans les bras une fois le plâtre sec. Nous expliquons aux parents que le plâtre , bien sûr, met une certaine distance entre l’enfant et eux mais, bien que plâtré, l’enfant n’est pas pour autant fragile (même s’il faut prendre quelques précautions).

Le doudou plâtré suivra Micka durant toute cette période difficile. Il ira avec elle lorsqu’elle sera opérée et sera dans sa chambre lorsqu’elle sera hospitalisée dans notre unité. Enfin, il sera déplâtré en même temps que Micka.

UN “JEU” SYMBOLIQUE

À travers la symbolique du doudou(3), cette démarche à pour but de mettre en “jeu” ce que vivra l’enfant. Il sera peut être alors plus facile dans un second temps pour lui de parler de ce moment avec ses parents, sa fratrie et même avec l’équipe. Ce moment permet de favoriser les échanges avec l’enfant, de dédramatiser ce qui va lui arriver en le mettant en scène avec le doudou. Cela l’aidera également à se familiariser avec ce qui pourrait le mettre mal à l’aise au moment de son intervention : le masque pour l’anesthésie, les piqûres, les adultes qui portent des masques, le plâtre… En effet, même le jeune enfant a besoin que le soignant, qui fait partie de son lien affectif, lui dise ce qui va se passer (le séjour, les soins et les examens qu’il va subir).

L’enfant est à la fois le parent du doudou : c’est lui qui peut savoir s’il souffre, s’il faut le rassurer. Il est l’infirmière qui peut faire une piqûre s’il a mal. Mais il est aussi le plâtrier qui fait le plâtre, en manipulant le matériel nécessaire. L’enfant, qui a accès au jeu symbolique, se saisit de la situation pour poser des questions, en rajouter pour voir ce qui peut arriver. Et il peut aussi faire le parallèle avec sa situation et se projeter.

La psychologue de l’enfant nous accompagne dans toutes ces démarches et laisse les “portes ouvertes” à l’enfant afin de lui permettre d’exprimer ses angoisses. Elle nous aide à répondre de façon la plus juste possible à toutes ses questions.

L’espace de jeu dégagé par “la mise en scène” du plâtre du doudou procure à l’enfant un endroit pour s’exprimer et mettre en scène aussi ce qu’il souhaite et ce qu’il imagine. Il peut décider que son doudou souffre beaucoup et voir ce qu’on peut proposer comme réponses. Il met ainsi les adultes au défi de prendre soin de son doudou et voir s’ils sont à la hauteur. En espérant que les adultes le soient, l’enfant sera alors d’autant plus confiant. Ce travail d’équipe autour d’un événement majeur dans la vie de l’enfant est très important. Car, avec des explications plus simples, en montrant des choses plus concrètes, nous essayons de reprendre toutes les informations qui ont été données à l’enfant afin de lui permettre de mieux visualiser ce que sera l’intervention, le plâtre.

Chaque professionnel se rend disponible, reste attentif et à l’écoute pour prendre en compte ses appréhensions et pouvoir mieux y répondre. L’enfant, mais aussi les parents, comprenant mieux le déroulement de l’opération et les conséquences immédiates (douleur, perte de l’autonomie, changement de lieux et d’équipes…), seront moins angoissés ou auront moins de crainte quant à l’opération et aux suites opératoires futures. Il est essentiel de tout mettre en œuvre pour apporter un maximum d’éclaircissements par rapport à tous les fantasmes que l’enfant et ses parents pourraient avoir.

Le fait de pouvoir mettre en scène sous forme d’un jeu de rôle permet, à l’enfant (et peut être aux parents) d’aborder la future chirurgie de façon plus sereine, voire plus dédramatisée, que lors de la consultation avec le médecin et le chirurgien. Notre but, dans cette approche, est d’essayer de diminuer autant que possible l’anxiété de l’enfant et de ses parents pour que la prise en charge post-opératoire très importante dans ce genre de chirurgie se passe au mieux et que l’enfant n’en garde pas un souvenir trop désagréable. Car il y aura, malheureusement et très probablement, une intervention multisite en fin de croissance.

UNE MISE À DISTANCE SALUTAIRE

Pour conclure, cette préparation préopératoire chez les jeunes enfants permet une meilleure prise en charge des douleurs post-opératoires, ainsi qu’une diminution de l’angoisse de l’enfant et des familles que peut entraîner ce type d’intervention(4). En effet, le jeu de rôle, plaçant l’enfant dans la position des “adultes-parents-soigants” face à son doudou, lui permet une mise à distance et probablement un meilleur contrôle de ses peurs ou de ses angoisses. En effet, comme l’enfant imagine mieux ce qui va se dérouler, et donc ce qu’il va vivre, la prise en charge des douleurs post-opératoires est, dans l’ensemble, plus facile. C’est pourquoi, après ces années de pratique, il nous paraît à présent essentiel d’évaluer, en collaboration avec les différents services de chirurgie de l’enfant, l’impact de notre travail sur l’anxiété préopératoire, ainsi que sur la douleur, et le vécu post-opératoire de l’enfant.

D’autre part, il nous semble tout à fait souhaitable de réfléchir à une adaptation pour des enfants plus âgés. En effet, cette “mise en scène” n’est actuellement pas proposée aux enfants plus grands car nous recevons très peu d’enfants de plus de 6ans en préopératoire : la plus part du temps, ils arrivent dans notre service après leur intervention. Il serait alors très intéressant de mettre en place cette pratique sur l’ensemble du pôle pédiatrique.

NOTES

(1) L’infirmité motrice cérébrale, Dr V.Leroy-Maherbe.

(2) http://www.sparadrap.org/Professionnels/Nos-conseils-pratiques/Creer-un-carnet-de-photographie.

(3) Piaget et Inhelder, La Psychologie de l’enfant, Paris, Puf, 1966, 5eédition.

(4) http://www.pediadol. org/anxiete-preoperatoire-douleur-postoperatoire-et-troubles-comportementaux-chez-les-jeunes-enfants-en-chirurgie2.html.