Objectif Soins n° 189 du 01/10/2010

 

Ressources humaines

Anne-Marie Foret  

EXPÉRIENCE → Printemps 2009 : une idée naît à la Maison familiale rurale (MFR) de Massales à Saint-Flour (15) : aller voir “ailleurs” comment s’organise la prise en charge des personnes fragilisées et la formation du personnel intervenant auprès de ces publics.

L’échange et la mobilité sont déjà inscrits comme objectifs pédagogiques à la MFR, connue et reconnue pour le dynamisme de son équipe. La MFR décide de proposer à ses administrateurs et partenaires un projet novateur dans le cadre de son volet formation sanitaire et social. Pour cela, la Belgique est choisie pour sa proximité, bien sûr, mais aussi pour la reconnaissance d’une certaine avance sur la prise en charge du vieillissement et du handicap. Et voilà madame Odoul, référent mobilité de la MFR, à la pêche au programme européen, aux futurs partenaires cantaliens et accueillants potentiels en Belgique.

TROUVER UN PROGRAMME

Grundtvig est là : il s’agit d’un programme d’action communautaire pour l’éducation et la formation tout au long de la vie. Il vise les besoins en matière d’enseignement et d’apprentissage des participants à toutes les formes d’éducation des adultes, ainsi que les établissements et les organisations qui dispensent ce type d’éducation.

C’est une action de mobilité. Il s’agit de se rendre dans un pays de la communauté européenne pendant une semaine et, par des visites de structures et des échanges avec des organismes de formation, d’étudier les aspects de la formation des adultes dans le pays hôte.

Le but est d’améliorer les systèmes d’éducation des adultes par des transferts d’innovations et de bonnes pratiques et de mettre en place des partenariats de stage à terme.

MOBILISER LES PARTENAIRES DE LA MFR

La MFR a “sélectionné” un certain nombre d’administrateurs ou de leurs partenaires en matière d’accueil de stages de formation adultes dans le domaine du sanitaire et social (service à domicile, établissements type maison de retraite) pour participer à ce programme. Certains ont répondu spontanément(1).

PRENDRE CONTACT

Maisons de retraite, cantous Alzheimer, écoles d’infirmières, services d’aide à domicile, agences d’aide aux personnes handicapées, services de soins palliatifs… Au travers des relations déjà instaurées sur d’autres programmes européens par madame Odoul, mais surtout sa manière d’opérer, les prises de contacts ont été facilitées, amenant des réponses positives. Les partenaires belges se sont donc présentés(2).

RAPPEL DE LA MISSION

Il s’agit de la découverte d’une approche différente de la personne fragilisée, des prises en charge possibles et de la formation des personnels en Belgique. Le fil conducteur qui nous réunit, tous professionnels dans le domaine de la dépendance, en structure ou à domicile, dans la formation adulte aux métiers du sanitaire et social, c’est de se faire une idée nouvelle du métier, d’observer, de partager et surtout de témoigner à notre retour.

RÉUNIONS PRÉPARATOIRES

Plusieurs réunions ont permis aux futurs participants de se rencontrer, de se connaître, de mesurer nos objectifs à la fois communs et différents suivant la structure, avec dans l’idée de mener à bien cette démarche originale.

En effet, l’originalité du projet réside aussi dans le fait que nous avons réussi, par le biais de la MFR, à travailler ensemble, nous, acteurs locaux qui faisons des métiers similaires, voire complémentaires, dans le secteur de l’aide à la personne fragilisée.

Concrètement, il a fallu huit mois pour achever les démarches administratives et organiser le séjour d’une semaine prévu du 30 mars au 2 avril 2010. Chacun ayant parfait son dossier européen et fait une demande de financement individuelle.

Au cours des réunions préparatoires, chaque acteur a pris en charge la visite d’une structure par affinité professionnelle et préparé cette visite (contact téléphonique, mail, questionnaire, etc.). Il est devenu l’interlocuteur privilégié pour la préparation de nos échanges.

Les premières prises de contact et les échanges téléphoniques ont été très chaleureux. On notera aussi une disponibilité exemplaire qui ne s’est pas démentie une fois sur place. Tous ont décidé de jouer le jeu et d’accueillir les éclaireurs auvergnats et accepté de prendre notre projet très au sérieux. Ils y ont certainement perçu la motivation et le professionnalisme de leurs interlocuteurs français. Il s’agissait bien d’une première en la matière, au moins dans ce secteur professionnel.

VISITES ET ÉCHANGES

Un planning des visites a été élaboré sur les quatre journées de présence sur le terrain (deux jours ont été consacrés au voyage).

À chaque visite, nous avons procédé de la façon suivante : descriptif de la MFR et du projet, présentation de la structure visitée (par projection ou verbale), échanges très participatifs, visites des lieux lorsqu’il s’agissait d’établissements.

Nous avons été plus que comblés par leur accueil, le contenu des échanges riches, des visites, la disponibilité des responsables. En fait, notre visite était attendue, préparée, gage de professionnalisme et de respect de part et d’autre.

Nous avons eu aussi beaucoup de chance de pouvoir échanger avec des résidents de maisons de retraite et de soins (MRS), le personnel, des étudiants en soins infirmiers, et même d’assister à un séminaire sur les soins palliatifs : échanges sur l’organisation et financements des services, conditions d’admissions de patients, conditions de travail, accès à la formations, etc.

Même si chacun aura à préparer une fiche technique sur la visite dont il était le référent, il faut noter ici combien l’attention portée à la personne en situation de fragilité est importante : elle est bien au cœur de leur dispositif.

RENDU ET PARTAGE

Au cours du voyage retour, nous nous sommes réparti les tâches pour faire partager à l’ensemble de nos partenaires les informations recueillies et organiser une journée de restitution.

→ Article de presse à destination de la presse locale et départementale, article dans les revues internes des services spécialisés.

→ Préparation d’une fiche technique par visite.

→ Préparation d’une fiche sur la Belgique (indication géographique, géopolitique, démographie, etc.).

→ Préparation d’une fiche sur la genèse du projet.

Ce regard nouveau, que nous aurons en revenant de ce séjour, il nous faut le partager, le communiquer à nos partenaires, décideurs, financeurs.

La Belgique, plus petite en termes géographique et démographique, attache depuis bien longtemps une attention toute particulière à ses aînés, et ce, malgré une situation économique dégradée sur certaines régions et un contexte géopolitique compliqué. Cependant l’effort est là et la solidarité aussi.

Par ailleurs, au cours de ce séjour, nous nous sommes découverts pour certains d’entre nous : pourquoi ne pas poursuivre en initiant des actions collectives entre structures, et faire dans le Cantal ce que nous avons pu réaliser en Belgique, visites, accueil, partage ?

Peut-être aurons-nous aussi réussi à motiver certains de nos hôtes à nous rendre visite en France pour un échange similaire. En tout cas, certains d’entre eux sont déjà prêts à faire le voyage.

DIMENSION EUROPÉENNE

Au cours de la journée de restitution, outre l’explication de la démarche professionnelle, il ne faut pas oublier une autre mission, tout aussi intéressante culturellement parlant.

En effet, dès notre descente de train à Bruxelles, nous avons porté haut et fort les couleurs de notre département, aux portes du Parlement européen. Combien de nos concitoyens auvergnats connaissent l’antenne Centre Auvergne Limousin située à Bruxelles, dont la mission est de promouvoir les actions à visées européennes des régions citées ? Et pourtant nous y avons été reçus chaleureusement.

RESTITUTION

Le vendredi 28 mai 2010 de 16 à 18 heures à la MFR de Saint-Flour auprès des administrateurs et collaborateurs professionnels.

→ Présentation du réseau professionnel départemental existant.

→ Présentation de la démarche collective du projet Grundtvig (genèse, déroulement et effets).

→ Présentation des informations suite au séjour en fonction du fil conducteur de “l’accompagnement” :

– de l’étudiant au centre de la formation ;

– de la personne au centre du dispo­sitif et dans la continuité.

→ Conclusion et mise en débat.

PRÉSENTATION DU RÉSEAU PROFESSIONNEL DÉPARTEMENTAL EXISTANT

→ Les MFR : réseau de 501 associations en France avec soixante-dix ans d’expérience, 430 établissements de formation, 70 000 jeunes et adultes en formation, 8 000 salariés. L’alternance étant la méthode pédagogique spécifique aux MFR.

→ La MFR de Saint-Flour : formation initiale (BEPA EFR, services à la personne) et continue (validation de projet, pré-qualification aux métiers du secteur sanitaire et social, préparation aux concours paramédicaux, qualification au DEAVS, accompagnement à la VAE DEAS, DEAVS, DEAMP).

→ L’individu au cœur de la formation : l’alternance est une pédagogie de la personne qui suppose toujours une singularité du parcours et des démarches de personnalisation et de socialisation. C’est le “je” au sein du “nous” et de l’environnement, stra­tégie de coopération éducative. L’alternance suppose un fort travail d’accompagnement de chaque individu et crée une confrontation de champs culturels (culture de lieu, environnement de vie, culture d’un secteur d’activité, culture du centre de formation…). L’individu est au centre de ce complexe nécessitant un partenariat, un réseau de personnes agissant en complémentarité et non des acteurs isolés, juxtaposés.

PRÉSENTATION DE LA DÉMARCHE COLLECTIVE DU PROJET GRUNDTVIG

La MFR de Saint-Flour a innové en impliquant aussi ses partenaires dans ce projet de mobilité européenne qui est un projet d’enrichissement mutuel et d’ouverture sur d’autres pratiques professionnelles au profit de leur secteur d’activité et de ses bénéficiaires.

→ Initiative de la MFR : avec la référente “mobilité internationale” et la responsable de formation, proposition du projet Grundtvig.

→ Réactivité du territoire : les partenaires administrateurs de la MFR sollicités ont répondu présents de suite, ont déposé leurs candidatures (toutes retenues) et sont partis une semaine tous ensemble afin d’effectuer “ensemble” des visites dans différentes structures.

→ Renforcement du réseau départemental du cantal : le voyage de six jours a permis des échanges au sein du groupe auvergnat, un rapprochement avec une meilleure connaissance des missions et valeurs de chacun. Le constat étant la volonté d’améliorer au retour le fonctionnement du réseau auvergnat au service du département du Cantal.

→ Ouverture à la mobilité européenne : les échanges ont abouti sur une volonté de poursuivre les contacts avec, pour certains déjà, la volonté d’accueillir des stagiaires ou d’en envoyer.

PRÉSENTATION DES INFORMATIONS SELON LE FIL CONDUCTEUR DE “L’ACCOMPAGNEMENT”

L’accompagnement des étudiants en formation d’infirmier

L’Union européenne permet aujourd’hui à ses habitants de se mouvoir librement au sein de ses pays membres afin d’y faire leurs études et d’y travailler. Nous nous sommes particulièrement intéressés à la formation des personnels infirmiers. Les deux écoles qui nous ont accueillis préparent à deux types de formation existant en Belgique : formation des infirmiers hospitaliers ou bacheliers.

En Belgique, il n’existe pas de concours pour pouvoir intégrer une école ; il suffit d’être titulaire du baccalauréat. Ce sont les premiers inscrits qui ont les places. Au cours des trois années, la formation prévoit un enseignement en alternance entre cours théoriques, pratiques et stages. Les durées de stage ne sont pas organisées de la même manière selon l’un ou l’autre des parcours de formation (cf. tableau ci-dessous).

Le suivi de l’étudiant en stage est particulièrement important. Chaque semaine, sur le terrain, l’étudiant est accompagné par un formateur “infirmier professeur” et les équipes de professionnels de terrain ne sont pas impliqués dans les certifications pratiques. Cette proximité entre formateur et étudiant est rassurante : elle donne confiance à l’élève et lui permet de développer au quotidien un sens relationnel “naturel”, nécessaire à sa future pratique professionnelle. À noter l’importance des moyens humains existants : un formateur pour huit à dix étudiants. Pour obtenir le diplôme, les étudiants doivent réussir l’examen pratique et théorique. Les stages sont notés par le professeur mais aussi évalués par l’infirmier du service.

Sans sélection de départ, 50 à 60 % des étudiants engagés la 1re année échouent au cours des trois ans. En revanche, 100 % de ceux qui mènent à terme leur formation obtiennent le diplôme.

Des moyens d’aide à la réussite sont mis en place tels qu’une semaine préparatoire à l’enseignement supérieur, un temps préparatoire à la méthodologie, une mise à niveau en mathématiques et, pendant l’année, des ateliers de consolidation de cours techniques ou approfondissement de thèmes.

Dans le cadre de la formation des infirmiers bacheliers, chaque année d’études peut être organisée avec un étalement sur deux ans.

L’accompagnement individualisé est donc la priorité en Belgique.

L’accompagnement des personnes dans la continuité

Il existe en Belgique une forte politique en faveur du maintien à domicile. Nous avons visité deux structures d’aides à domicile. Ces services permettent aux personnes d’obtenir différentes aides (soins infirmiers, aide à la vie journalière et coordination) et les intervenants sont les aides familiales, les aides ménagères sociales et les aides ménagères titre-service. Les institutions belges ne supportent que les frais de formation continue.

Entre le domicile et l’hébergement classique, la Belgique a développé un certain nombre de structures d’accueil intermédiaires : l’accueil de jour, le court séjour, les résidences services. Ces structures sont de véritables entités de dix à quinze places avec du personnel propre et des locaux identifiés. Elles sont le plus souvent rattachées à des maisons de retraite et la coordination est confiée à des assistants sociaux. Cette diversification de l’offre permet de répondre au mieux aux besoins des personnes et de décloisonner l’accompagnement, notamment entre établissement et domicile.

→ L’accueil en institution : les maisons de retraite sont dénommées maisons de repos et maisons de repos et de soins. Le rôle infirmier y est prépondérant.

→ L’accompagnement des personnes handicapées : nous avons visité l’AWIPH (agence wallonne pour l’insertion de la personne handicapée), structure subventionnant les services qui œuvrent dans le milieu du handicap ainsi que le particulier. L’aide apportée se décline en plusieurs niveaux : aide en milieu de vie, au domicile, à l’école, en vacances, aide à la vie journalière, formation emploi. Les acteurs sont centrés sur la personne handicapée en individualisant toute aide apportée.

Les démarches d’accompagnement spécifiques

Pour l’accompagnement de la maladie d’Alzheimer, la Belgique propose différents lieux d’accueil, soit en court séjour, soit en unité sécurisée, soit en accueil de jour. Les objectifs sont essentiellement préventifs (sauvegarde de l’autonomie et maintien des liens sociaux et familiaux). L’organisation architecturale se traduit par la possession pour chacun d’un espace personnalisé, l’existence de lieux de vie communautaires, chacun de ces espaces présentant une ouverture sur l’environnement extérieur.

Les “cantous” s’inspirent de trois principes : de communauté, de sauvegarde de l’autonomie, de participation (de la personne désorientée, de la famille, du personnel). Une vraie culture du travail pluridisciplinaire au service du résident, le tout dans une atmosphère “familiale” de vie “normale”. À noter un système de quotas de personnels imposés en Belgique : si ce quota n’est pas atteint, les établissements sont financièrement sanctionnés.

En parallèle, le souci d’un accompagnement jusqu’au bout de la vie avec des soins palliatifs présents dans tous les secteurs de soins : hôpital, domicile, maison de repos, centre de jour. Il existe vingt-huit plateformes de coordination avec pour missions l’information, sensibilisation, mise à jour des connaissances des médecins, groupes de travail, coordination des projets. La cellule d’évaluation instituée par le Roi belge gère les questions relatives à l’état du paysage palliatif belge et formule des propositions et recommandations. À l’hôpital, il existe des unités résidentielles de six à douze lits, des équipes mobiles. À domicile, on trouve des équipes de soutien, des aides financières pour les patients palliatifs (le forfait palliatif de 589,31 euros par mois pendant 2 mois, le congé pour l’aide à un parent gravement malade de 1 à 3 mois avec prolongation jusqu’à 24 ou 40 mois, le congé soins palliatifs d’un mois renouvelable une seule fois).

CONCLUSION ET MISE EN DÉBAT

Le souci de l’accueil, de l’accompagnement, de la globalité de la prise en charge en Belgique font écho à nos pratiques.

Nous envisageons de recevoir nos partenaires belges afin de leur faire connaître nos institutions et leur fonctionnement, la place des personnels, le fonctionnement des équipes, les démarches de formation et de professionnalisation, les caractéristiques du territoire et du terroir cantalien…

Une fois cet échange formalisé, il deviendra alors possible d’étendre notre coopération franco-belge à des projets de mobilité pour nos étudiants, et pourquoi pas de nos personnels.

Ce que viennent de vivre les professionnels de terrains cantaliens, tuteurs et partenaires des formations de la MFR, doit être un exemple pour les stagiaires qu’ils accueillent. La mobilité européenne pourrait alors devenir une proposition supplémentaire mise à disposition des personnes en cursus de formation. Les premiers liens tissés avec les professionnels rencontrés en Belgique nous laissent penser que cela peut être envisageable, dans un esprit d’accompagnement de qualité. Cela ne pourra donc se faire que dans la prise en compte de l’individu et de son projet.

Dans le contexte de restructuration territoriale de l’offre de services et de soins, la coopération nous semble être un moyen indispensable pour proposer une nouvelle organisation des prises en charge sur nos territoires.

Comment repenser aujourd’hui la place de chacun au service de l’usager ? Comment assurer la continuité de l’accompagnement ? Comment mutualiser nos ressources spécifiques ? Comment développer des capacités d’adaptation plus importantes encore chez les professionnels qui vont devoir intégrer ces nouveaux systèmes de fonctionnement ?

NOTES

(1) Mme Laudat, directrice de la maison de retraite de Pierrefort ; M. Chasteing, directeur de la maison de retraite de Chaudes Aigues ; M. Lapeyre, directeur de l’Ehpad La Vigière ; Mme Foret, infirmière cadre supérieur de santé à l’hôpital de Murat ; Mme Bouniol, directrice adjointe Ased (Association de services à domicile du Cantal); Mme Laporte, assistante de direction à la Fédération ADMR (Aide à domicile en milieu rural). Et pour la MFR : M. Sorin, directeur ; trois formatrices : Mme Sarraille, Mme Bouquerel, Mme Odoul.

(2) CPAS Charleroi ; École Saint-Aubain-Sainte-Élisabeth de Namur ; Centre d’accueil de Bouge et Cantou Alzheimer de Namur ; AWIPH (intégration des personnes handicapées) de Charleroi ; École d’infirmière de Charleroi ; Fédération d’aide et soins à domicile de Bruxelles ; Service de soins palliatifs de Bruxelles (Paliabru).