Objectif Soins n° 190 du 01/11/2010

 

Économie de la santé

Didier Jaffre  

RECONNAISSANCE → Au moment où les agences régionales de santé (ARS) commencent à définir leurs orientations stratégiques dans le cadre de leur projet régional de santé, la Documentation française publie un numéro spécial de la Revue française des affaires sociales* consacré aux politiques et à l’organisation des soins primaires en Europe, et aux soins primaires en Europe et aux États-Unis.

La loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) du 21juillet 2009 confie aux ARS le soin de garantir et d’assurer les soins de premier recours en France, qu’on peut assimiler à la notion de soins primaires définie par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). À ce titre, après avoir défini les soins de premiers recours et qui doit les prodiguer, la loi confie aux ARS le soin de les organiser dans le cadre du volet ambulatoire du schéma régional d’organisation des soins (Sros), élément novateur en matière d’organisation de la médecine ambulatoire jusqu’alors régulée par le marché, mais également dans le cadre du cahier des charges régional de la permanence des soins ambulatoires, qui fait partie intégrante des soins de premier recours.

Dès lors, quels principes tirer des expériences étrangères pour faire en sorte que les soins primaires en France, jusqu’alors non réellement reconnus, le soient de manière efficiente ?

LES SOINS DE PREMIER RECOURS DANS LA LOI HPST

Soins de premier recours

La loi HPST indique que « l’accès aux soins de premier recours ainsi que la prise en charge continue des malades sont définis dans le respect des exigences de proximité, qui s’apprécie en termes de distance et de temps de parcours, de qualité et de sécurité. Ils sont organisés par l’ARS au niveau des territoires de santé » (cf. article du mois précédent) et conformément au Sros, dans son volet ambulatoire. Ces soins comprennent :

→ la prévention, le dépistage, le diagnostic, le traitement et le suivi des patients ;

→ la dispensation et l’administration des médicaments, produits et dispositifs médicaux, ainsi que le conseil pharmaceutique ;

→ l’orientation dans le système de soins et le secteur médico-social ;

→ l’éducation pour la santé.

Les professionnels de santé (médecins généralistes), ainsi que les centres de santé concourent à l’offre de soins de premier recours en collaboration et, le cas échéant, dans le cadre de coopérations organisées, avec les établissements et services de santé, sociaux et médico-sociaux.

La loi HPST définit donc le premier recours au regard de la proximité, mais dans le respect de la qualité et de la sécurité.

Missions du médecin

La loi précise ensuite quelles sont les missions du médecin généraliste de premier recours :

→ contribuer à l’offre de soins ambulatoire, en assurant pour ses patients la prévention, le dépistage, le diagnostic, le traitement et le suivi des maladies ainsi que l’éducation pour la santé. Cette mission peut s’exercer dans les établissements de santé ou médico-sociaux ;

→ orienter ses patients, selon leurs besoins, dans le système de soins et le secteur médico-social ;

→ s’assurer de la coordination des soins nécessaire à ses patients ;

→ veiller à l’application individualisée des protocoles et recommandations pour les affections nécessitant des soins prolongés et contribuer au suivi des maladies chroniques, en coopération avec les autres professionnels qui participent à la prise en charge du patient ;

→ s’assurer de la synthèse des informations transmises par les différents professionnels de santé ;

→ contribuer aux actions de prévention et de dépistage ;

→ participer à la mission de service public de permanence des soins ;

→ contribuer à l’accueil et à la formation des stagiaires de deuxième et troisième cycles d’études médicales.

Rôle pivot du médecin généraliste

La loi indique également que les pharmaciens d’officine participent aux soins de premier recours. Il en est de même des maisons de santé, des pôles de santé, des centres de santé, des réseaux de santé. Les soins de premiers recours, effectués à proximité du patient, sont donc exercés essentiellement par les médecins généralistes ; ils caractérisent en France les missions exercées par la médecine ambulatoire, en coordination avec les autres acteurs de la santé, et au premier rang desquels les établissements de santé. Il appartient à l’ARS de faire en sorte qu’ils soient assurés en tout point du territoire, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, soit pour des raisons de démographie médicale, soit pour des raisons d’installation inadéquate des professionnels sur le territoire. De nouveaux modes d’exercice de la médecine ambulatoire (maisons de santé, nouveaux modes de rémunération) sont à la disposition des professionnels pour rendre attractif le métier de médecin généraliste en zone rurale. Il en est de même des contrats d’engagement de service exclusif pour les étudiants et les internes qui visent en contrepartie d’une aide financière à inciter les étudiants à s’installer en zone déficitaire.

LES TROIS MODÈLES D’ORGANISATION DES SOINS PRIMAIRES : DE L’OBLIGATION AU MARCHÉ

L’OMS définit les soins primaires comme des soins de base incluant l’amélioration des conditions de vie (accès à l’eau potable, au logement, à l’alimentation) mais également l’accès aux soins pour tous, dans un objectif de justice et d’équité sociale.

Yann Bourgueil* distingue trois types d’organisation des soins primaires :

→ le modèle normatif hiérarchisé caractérise les pays qui ont inscrit dans leurs lois l’organisation des soins primaires comme principe, en définissant les rôles et les missions de chaque acteur de la santé en la matière. C’est le cas par exemple de l’Espagne, de la Suède et de la Finlande, où les soins primaires sont obligatoires et exercés par des centres de santé, régulés et planifiés comme les établissements de santé, où les professionnels y exercent majoritairement sous forme salariée ;

→ le modèle professionnel hiérarchisé caractérise les pays qui accordent une place très importante au médecin généraliste, qui est le pivot du système de soins en régulant l’accès aux soins spécialisés et aux établissements de santé. C’est le cas au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas, par exemple. L’organisation des soins ambulatoires repose sur les médecins généralistes, dotés d’un appareil de formation et de recherche très important, et rémunérés à la capitation (en fonction du nombre de personnes inscrites, l’inscription auprès d’un médecin généraliste étant obligatoire) ;

→ le modèle professionnel non hiérarchisé laisse l’organisation des soins ambulatoires à l’initiative des acteurs (pas d’obligation comme dans les deux modèles précédents), comme en Allemagne, au Canada ou en France. Le rôle des différents acteurs n’est pas hiérarchisé et l’organisation repose sur une logique de marché, fondée sur la relation contractuelle entre le malade et son médecin. En découle ainsi la rémunération des médecins majoritairement à l’acte.

Toutefois, l’auteur note que ces trois modèles ont tendance à se rapprocher du fait de l’évolution de la demande (maladies chroniques, responsabilisation et information des patients) et de l’offre (démographie médicale, nouveaux modes d’exercice, progrès médicaux). La France illustre parfaitement ce changement, avec la loi HPST, introduisant des pratiques d’exercice en groupe sous la forme de maisons ou de centres de santé, des nouveaux modes de rémunération sous la forme de forfaits, la planification de l’offre de soins ambulatoires dans le cadre du nouveau Sros. Même si, pour l’instant, tout cela reste encore dans le domaine de l’incitation et non de l’obligation, contrairement au modèle espagnol ou anglais. Sans oublier également la mise en œuvre par l’assurance maladie du modèle du médecin traitant.

LES ENSEIGNEMENTS DES EXPÉRIENCES ÉTRANGÈRES

Pour Anne-Marie Brocas*, trois thèmes clés se dégagent des différentes expériences étrangères utiles pour la réflexion de l’organisation des soins primaires en France : la territorialisation et la définition des soins primaires (premier recours), les formes d’organisation des soins, les formes de contractualisation et de rémunération avec les professionnels.

→ Concernant la territorialisation, les expériences étrangères montrent qu’il existe toujours un opérateur infrarégional qui assure le pilotage et l’interface entre l’autorité régionale et les cabinets (ou groupes) de médecins qui assurent les soins primaires. Ces opérateurs infrarégionaux soit sont organisés dans le cadre d’un maillage territorial, soit prennent la forme de réseaux qui ne s’identifient pas à un strict découpage du territoire. Les discussions portent ensuite sur la taille des territoires et leurs frontières dans une démarche de maillage systématique.

→ Concernant la définition des soins primaires, là encore selon les pays (voire les époques), elle est extrêmement variable, mais elle combine toujours une approche individuelle associée à une logique collective. Dans tous les cas, le principe du libre choix du patient n’est pas remis en cause. La gamme de services offerts peut être définie par les autorités de régulation ou par les professionnels eux-mêmes.

→ Concernant l’organisation des soins primaires, toutes les expériences montrent la tendance au regroupement des professionnels de compétences diverses et à l’évolution dans le partage des rôles et des compétences de chacun, même si le poids des cabinets individuels reste encore relativement important dans tous les pays, quel que soit le modèle d’organisation des soins primaires, hiérarchisé ou non, normatif ou non. Dans tous les cas, les exercices sous forme regroupée ont des effets positifs en termes d’égalité des soins et de qualité des soins et sont efficientes du point de vue des dépenses d’assurance maladie. Dans tous les cas (maison de santé, cabinet de groupe, maison médicale) il est nécessaire de développer une fonction d’administration.

→ Concernant le financement des soins primaires, enfin, partout émargent des formes mixtes de rémunération, acte et forfait, avec la nécessité de laisser une marge de manœuvre pour contractualiser avec les offreurs de soins au niveau de l’autorité de régulation.

Autant d’éléments forts utiles au moment où les ARS vont s’engager dans l’élaboration du volet ambulatoire du Sros et du cahier des charges régional de la permanence de soins.

Les nouvelles unions régionales des professionnels doivent-elles jouer ce rôle opérateur infrarégional, avec qui les ARS doivent contractualiser ? Ou bien est-ce le rôle des conférences de territoire dans le cadre des projets territoriaux de santé ?

Le Sros va-t-il faire passer la France d’un modèle professionnel non hiérarchisé à un modèle normatif hiérarchisé des soins primaires, tout en maintenant le principe de la liberté d’installation des médecins ?

La rémunération à l’acte est-elle vouée à disparaître au profit de nouveaux modes de rémunérations, comme le forfait ou la capitation ?

Autant de questions qui montrent que le modèle français des soins de premiers recours va subir dans les années à venir de profondes modifications et qu’il constitue un enjeu majeur pour les ARS en charge d’améliorer l’efficience du système de santé. Rendez-vous au moment de la publication des Sros par les ARS.

* “Politiques et organisation des soins primaires en Europe et aux États-Unis. Quels enseignements pour la France ?”, Revue française des affaires sociales, n° 3, juillet-septembre 2010, la Documentation française, Paris.