Objectif Soins n° 192 du 01/01/2011

 

Ressources humaines

Isabelle Bailly  

GESTION DES LITS → La mort tragique, dénoncée par les médias, d’un patient en décembre 2008, faute d’avoir trouvé à temps un lit en réanimation pour l’accueillir, a, de nouveau, conduit les établissements hospitaliers à s’interroger sur l’efficience de leurs organisations. Répondre aux besoins et permettre l’accessibilité de tous à des soins sécurisés et de qualité demeurent des missions essentielles.

Comment, dès lors, accepter qu’une hospitalisation soit différée, faute de place au sein d’une unité, tandis que l’unité voisine dispose de lits inoccupés ? Comment parler alors de continuité et de qualité des soins ? Comment, enfin, depuis l’instauration de la tarification à l’activité (T2A), valider le fait qu’un lit reste vacant quand toutes les ressources humaines et matérielles nécessaires à son occupation sont réunies ? Face à ces questions, le centre hospitalier Necker-Enfants malades à Paris (AP-HP) s’est engagé dans une véritable reconstruction de ses modes de fonctionnements.

HISTORIQUE

Depuis l’application de la réforme du 2 mai 2005, dite “plan hôpital 2007”, les établissements hospitaliers de l’AP-HP se sont efforcés d’initier une véritable redéfinition de leurs modes organisationnels.

Les différents services hospitaliers sont désormais regroupés en pôles d’activités et visent à répondre au mieux aux besoins de la population, par une meilleure utilisation des ressources institutionnelles, tout en préservant la qualité et la sécurité des soins.

C’est dans cette optique que le “bed management” a vu le jour à l’hôpital Necker et ne cesse de se développer depuis trois ans. Anglicisme qui pourrait être traduit littéralement par “gestion des lits”, le bed management consiste à admettre un enfant, faute de lit vacant dans l’unité dont il relève, dans une autre unité du pôle. Ainsi, le bed management permet de majorer les capacités d’accueil des enfants hospitalisés et souligne l’indispensable accompagnement des équipes dans la mise en place de cette méthode.

La mutualisation des ressources participe ainsi à la prise en compte des besoins, tout en répondant aux efforts nécessaires pour atteindre un équilibre budgétaire.

UNE RÉFLEXION PLURIPROFESSIONNELLE

L’originalité de cette démarche réside dans la conception de la prise en charge de l’enfant accueilli.

Changement de méthode

En effet, il ne s’agit plus d’aménager un hébergement provisoire dans une autre unité le temps d’organiser la vacance d’un lit, ni de prévoir des consultations ponctuelles de médecins référents au sein d’autres unités. Ces méthodes, auparavant fréquemment utilisées, ne se sont révélées satisfaisantes ni pour les équipes soignantes qui se considéraient alors comme “bouche-trou” et se montraient parfois désinvesties, ni pour les enfants hébergés et leurs familles, qui déploraient une moindre qualité des soins. Dans le cadre du bed management, la prise en charge d’un enfant au sein de l’unité d’accueil se conçoit pour toute la durée de l’hospitalisation, sauf aggravation de son état de santé.

Nouveau protocole

Suite aux réflexions des membres d’un groupe de travail réunissant divers professionnels soignants, un protocole, validé par l’ensemble des unités du pôle, a été élaboré.

Il reprend notamment les principaux objectifs de cette démarche et développe très précisément les rôles, les fonctions et les responsabilités des différentes équipes médicales, paramédicales, socio-éducatives… depuis l’admission jusqu’à la sortie de l’enfant.

Ainsi, l’équipe référente a pour mission l’accueil de l’enfant et de sa famille, qu’elle accompagne ensuite jusqu’à l’unité qui va les héberger, après les avoir informés et rassurés quant aux modalités d’organisation des soins au cours de l’hospitalisation.

De même, si la réalisation des soins paramédicaux incombe au service “hébergeant”, les prescriptions médicales sont en revanche assurées par l’équipe médicale référente, à l’occasion de visites, planifiées et organisées, quotidiennes, voire pluriquotidiennes au chevet de l’enfant.

Outre l’élaboration d’un protocole, ce travail a permis aux soignants, toutes catégories confondues, de s’interroger sur leurs pratiques professionnelles. Cette pratique souligne également l’importance de la communication interprofessionnelle et de la clarté de l’information donnée aux familles.

UNE DÉMARCHE ACCOMPAGNÉE…

Le bed management permet aux professionnels d’élaborer des projets et un suivi pour des enfants dont la pathologie ne relève pas directement de la spécialité de l’unité dans laquelle ils exercent.

Toutefois, pour garantir la qualité et la sécurité des soins, un accompagnement s’avère bien souvent nécessaire, notamment pour les équipes paramédicales. En effet, le cloisonnement des services jusqu’en 2007 a permis aux soignants de développer de réelles expertises pour certaines pathologies, mais a parallèlement généré une certaine déperdition des connaissances pour d’autres. Par exemple, une infirmière, qui exerce depuis plusieurs années en orthopédie, peut ignorer les nouvelles modalités de prise en charge d’un enfant porteur d’une jéjunostomie.

Afin d’actualiser les connaissances des professionnels et de les rassurer quant à leurs pratiques professionnelles et leurs compétences, de nombreux projets, initiés par l’encadrement, ont progressivement vu le jour. Ainsi, des formations et des cours théoriques ont été organisés pour plusieurs unités d’un pôle (prise en charge d’un enfant porteur d’un plâtre, soins des stomies, surveillance d’une fistule artérioveineuse…). Des séminaires annuels ont permis également aux professionnels de présenter les spécificités et les projets développés au sein de leur service (consultation d’annonce avant une greffe d’organe, éducation des familles à la dialyse péritonéale…). La connaissance des pratiques professionnelles propres à chaque unité conduit les soignants à appréhender beaucoup plus sereinement la prise en charge d’enfant “hébergé”. Dans cette même optique, le recrutement des nouveaux professionnels s’envisage maintenant bien souvent sur deux unités d’un pôle, voire davantage.

Enfin, de véritables efforts d’uniformisation des matériels, des procédures, des équipements, etc., au sein de l’institution participent à la qualité de la prise en charge des enfants hospitalisés.

… POUR LA PLUS GRANDE SATISFACTION DES FAMILLES…

Le bed management participe à la réduction des délais d’attente des patients et au maintien de l’activité des différentes unités, essentielle d’un point de vue budgétaire depuis la mise en place de la tarification à l’activité (T2A). Ce nouveau mode de gestion ne peut toutefois être recevable que s’il garantit la qualité et la sécurité des soins, ainsi que la satisfaction des usagers et de leurs familles.

Une enquête a été réalisée en 2008, par plusieurs membres du groupe de travail, auprès des familles de 80 enfants hébergés dans ce cadre. Il en résulte globalement une forte satisfaction.

En effet, la majorité des familles ont exprimé un ressenti favorable face à l’annonce qui leur a été faite de l’hébergement dans une autre unité ainsi qu’à l’explication fournie sur les motifs qui le justifiait. Les conditions d’hébergement, l’organisation des soins, la prise en charge globale de l’enfant et de sa famille, ainsi que la communication entre soignants ont également pleinement satisfait les personnes interrogées.

Seule réserve exprimée par les familles : du fait des interventions répétées des équipes médicales “référentes”, les médecins “hébergeurs” sont parfois ressentis un peu lointains. Cette remarque appelle bien sûr des pistes d’amélioration, mais elle témoigne parallèlement de l’investissement considérable consenti par les équipes pour assurer la qualité et la continuité des soins des enfants, même lorsqu’ils sont accueillis dans une autre unité d’hospitalisation que la leur.

… ET DES SOIGNANTS

Cette approche favorise en tout premier lieu la solidarité et la volonté d’entraide entre les équipes, qui ont maintenant bien compris l’intérêt des pôles d’activités, de la collaboration et du partage. Librement consentie par les équipes médicales et paramédicales, l’occupation d’un lit vacant sur une unité ne s’effectue qu’au regard de la charge en soins déjà existante, ainsi que des arrivées éventuelles d’enfants déjà convoqués.

Cette démarche de compétences croisées permet par ailleurs un enrichissement et une réactualisation des connaissances, compétences et des capacités des professionnels soignants.

Les nouveaux diplômés infirmiers et aides-soignants s’inscrivent maintenant bien souvent dans une dynamique de diversifications des expériences professionnelles et ne peuvent que s’enthousiasmer face à cette nouvelle politique.

Les étudiants en soins infirmiers ne pourront vraisemblablement n’y trouver que des avantages également. Comme le précise Joëlle Kozlowski, « l’étudiant, longtemps présent sur un terrain professionnel, aura besoin de supports divers »*. En effet, le nouveau programme de formation prévoit des stages moins nombreux, mais plus longs au sein des unités.

La prise en charge d’enfants présentant des pathologies autres que celles habituellement traitées dans l’unité permettra aux étudiants de compenser la moindre diversité des terrains de stage. Enfin, cette méthode apparaît comme une alternative à la mobilité des soignants, tant redoutée par certains, au sein des pôles.

Ainsi, elle permet aux professionnels, qui ne souhaitent pas, même occasionnellement, quitter leur unité, de participer néanmoins activement à la solidarité entre les unités, de développer un sentiment d’appartenance au pôle et de répondre efficacement aux besoins des usagers.

CONCLUSION

La gestion des lits présente un impact direct sur l’accessibilité et la qualité des soins, mais également sur les coûts de fonctionnement des établissements hospitaliers.

Le bed management, nouveau mode de fonctionnement, a permis d’optimiser les ressources matérielles et humaines disponibles et de développer la solidarité des équipes, tout en répondant aux contraintes réglementaires, dans la continuité du plan hôpital 2007.

Dans le cadre de la restructuration des établissements hospitaliers au sein de l’AP-HP, certaines unités du centre hospitalier Saint-Vincent-de-Paul ont rejoint en 2010 le centre hospitalier universitaire Necker-Enfants malades (AP-HP), favorisant le développement sur ce site de nouvelles disciplines médicales et chirurgicales pédiatriques, et majorant de ce fait les besoins et capacités d’accueil.

Le recrutement prochain d’un régulateur, qui, disposant d’une vision globale sur l’institution de la disponibilité actuelle et à venir des lits, permettra d’optimiser les activités de soins au regard des ressources disponibles. Toutefois, la qualité et la sécurité des soins, de même que la satisfaction des équipes soignantes, des patients et de leurs familles ne pourront être atteints que par la poursuite de la dynamique de solidarité, de partage et de collaboration engendrée par ce mode de gestion.

Développée depuis trois ans au sein du centre hospitalier Necker-Enfants malades (AP-HP), cette démarche pourrait être reproduite au sein d’autres établissements hospitaliers. En effet, l’occupation, organisée et anticipée, de lits vacants permettrait de désengorger les unités de réanimation, qui pourraient à leur tour accueillir les patients qui nécessitent des soins intensifs.

NOTE

*Kozlowski J., Un référentiel de formation infirmière pour une formation à réinventer, in Soins Cadres de Santé, décembre 2008, suppl. n° 68 : S6-S9.

En savoir plus

• Cordier M., Hôpitaux et cliniques en mouvement, changements d’organisation de l’offre de soins et évolution de l’attente des patients, Drees, avril 2008, n° 633.

• Kozlowski J., Muller A., Professionnalisation et référentiel de formation infirmière, les situations de soins en question, in Soins Cadres de Santé, décembre 2008, suppl. n° 68 : S10-S12.