Objectif Soins n° 192 du 01/01/2011

 

Qualité, hygiène et gestion des risques

Anne Lise Favier  

ENVIRONNEMENT → Règne du jetable et de l’usage unique, l’hôpital est un milieu qui génère des tonnes de déchets. C’est également un endroit où sont utilisées des quantités importantes de solvants et de produits chimiques. Un tableau qui ne semble pas très favorable à une cohabitation entre l’hygiène et le développement durable à l’hôpital. Qu’en est-il vraiment ?

L’hôpital semble peu exemplaire pour les partisans du développement durable (DD). Surtout si l’on se réfère à la quantité de déchets générés – liquides et solides – et aux produits utilisés pour soigner, désinfecter ou laver. Pourtant, selon le précepte d’Hippocrate, primum non nocere, (« d’abord, ne pas nuire »), cette “vertu” devrait faire partie intégrante de sa vocation de soins.

À ce titre, la prise de conscience récente des enjeux environnementaux entourant les missions des établissements de soins a apporté des modifications conséquentes dans les hôpitaux. Le DD fait d’ailleurs désormais partie des exigences de certification inscrites dans la version 2010 du manuel de la Haute Autorité de santé. Preuve que la prise en compte des dommages environnementaux est tout à fait compatible avec l’activité hospitalière : « Il faut juste se poser la question de l’impact sur chaque décision que l’on prend, argumente Olivier Toma, président du Comité en développement durable en santé (C2DS). Impact énergétique, impact des déchets, sur la santé du personnel, des patients que l’on reçoit et sur l’environnement. Il ne s’agit pas de laisser tomber certaines désinfections et d’opter pour le vinaigre blanc ! Mais je pense qu’il existe des alternatives intéressantes à certaines pratiques. » Et de citer l’exemple de l’utilisation de la vapeur d’eau pour s’affranchir de quantités astronomiques d’eau et de produits chimiques en stérilisation, procédé pas validé par les instances décisionnaires.

L’HOPITAL COMME EXEMPLE ?

Pour le Pr Philippe Hartemann, chef du service d’hygiène hospitalière au CHU de Nancy et pilote de la commission environnement, développement durable et hygiène à la Société française d’hygiène hospitalière (SFHH), « l’hôpital se doit d’être vertueux, en rapport avec les décisions qui ont été prises lors du Grenelle de l’environnement, mais reste à voir si tout est compatible ». Pour Olivier Toma, les établissements de soins doivent donner l’exemple car « ils drainent dix-huit millions d’usagers chaque année ». Ainsi, selon lui, sur le pilier sociétal du développement durable, chaque établissement de santé devrait commander des produits plus écologiques : en augmentant la demande, l’offre sera plus diversifiée et surtout plus abordable, le DD s’attachant également à l’impact économique.

D’un point de vue social, l’un des autres piliers du DD, l’hôpital doit également s’interroger sur l’impact qu’il a sur la santé de ses propres salariés. Du point de vue écologique, le pilier le plus évident du DD, la question la plus importante à se poser est celle des effluents liquides. « Rien n’est mis en place et il est pourtant urgent d’agir pour arrêter de rejeter toutes sortes de molécules néfastes dans l’environnement », argue Olivier Toma. La quantité de molécules antibiotiques présente dans les eaux usées atteint en effet des niveaux préoccupants, faisant naître des risques de résistance antibiotique de plus en plus prégnants. « L’idéal serait la constitution d’un plan d’action spécifique dans les établissements qui montrerait combien il consomme, ce qu’il rejette et également la mise en place d’une centrale de dilution », estime Olivier Toma. Une problématique que le Pr Hartemann espère aussi soulever au sein de la commission DD de la SFHH : « Nous réfléchissons à une solution alternative permettant de récupérer les effluents à la source. Nous avons mis en place un groupe de travail sur cette thématique. On sait que des solutions existent : par exemple, en Allemagne, des toilettes permettent de capter les rejets avant qu’ils n’atteignent le réseau. »

Tout est-il faisable ? En tout cas, « rien n’est insurmontable », selon le président du C2DS, même si les choses ne sont pas forcément simples à mettre en place et qu’il faut du temps. Et si une réflexion est menée par l’hôpital, c’est aussi le grand public qui sera sensibilisé : « Combien de fois voit-on des produits d’usage quotidien porter la mention “dangereux pour l’environnement” ? », déplore-t-il. Si l’hôpital montrait l’exemple dans ce domaine, il y aurait une véritable réflexion globale sur l’usage de certains produits. Une réflexion que le Pr Hartemann mène également à la SFHH : « Pour une action sur le long terme, nous pouvons mettre en place certaines actions, privilégier certains produits plutôt que d’autres, favoriser tel protocole de soins pour être dans un contexte plus durable. Il faut revoir certaines pratiques. » C’est pour cela qu’Olivier Toma plaide pour la création d’une agence en recherche et développement en santé : « Elle pourrait justement être en charge d’évaluer certaines pratiques, de les valider. Sur le procédé vapeur, par exemple, on sait que c’est efficace, mais la réglementation bloque son utilisation. » Une création non pertinente pour le Pr Hartemann : « L’évaluation existe déjà, c’est le travail des sociétés savantes. Mais il est vrai que la réglementation doit évoluer, tout comme certaines normes. »

QUID DE L’USAGE UNIQUE ?

Autre sujet de questionnement, l’usage unique à l’hôpital. S’il permet une asepsie totale, il est extrêmement coûteux et générateur de déchets. Certains dispositifs jetables en plastique contiennent des phtalates, montrés du doigt pour leur effets néfastes sur le développement du fœtus et la fertilité* ; d’autres, bien que durables car fabriqués en métal, ne sont utilisés qu’une fois car leur usage a ainsi été conçu. Alors, peut-on réutiliser un matériel dit à usage unique ? Outre-Rhin, le pas a été franchi : en 2001, la ministre de la Santé de l’époque, Andrea Fisher, a fait voter une loi autorisant, sous certaines conditions, la réutilisation de certains dispositifs médicaux à usage unique coûteux, dans un souci écono-écologique. Quelques années plus tard, un rapport d’évaluation de cette mesure indique des résultats satisfaisants avec une réutilisation de plus de 18 % des dispositifs censés être à usage unique. Et sans couac. À quand une réflexion sur le sujet en France ?

DES OUTILS ET DES VOLONTÉS

Il s’agit d’un travail de longue haleine, estiment Olivier Toma et Philippe Hartemann. Si les mentalités évoluent peu à peu, il reste du chemin à parcourir. Mais l’hôpital demeure un lieu privilégié pour bâtir une exemplarité écologique, avec des retombées qui ne se cantonnent pas à l’environnement, mais qui s’étendent également à l’économie. Un argument qui pourrait peut-être accélérer les décisions ?

En tout cas, la réflexion est en marche et des groupes de travail planchent sur la question. La SFHH a ainsi dressé une liste de sujets à traiter sur le thème du développement durable et de l’hygiène. Outre les sujets évoqués plus haut, elle veille à la conception des locaux : « L’hygiène, c’est la discipline qui s’occupe des relations entre l’homme et son environnement, rappelle le pilote de la commission DD à la SFHH. Et donc ce qui touche à l’hygiène touche également aux bâtiments : qu’en est-il des matériaux utilisés, de la circulation de l’air, de l’usage de la climatisation, de la conception du réseau d’eau ?

Des questions que la commission se pose également, misant notamment sur le développement du label HQE (Haute Qualité environnementale) pour parvenir à un équilibre. De son côté, l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (Anap) encouragent les établissements à suivre la voie du développement durable : elle vient notamment de publier un guide sur l’organisation de la gestion des déchets. Elle met également à disposition un outil en ligne sur les déchets (Déchet’tri) et un film – Déchets et santé – qui sensibilise au tri et à la valorisation des déchets. Les outils et les volontés existent, la cohabitation entre l’hygiène et la développement durable est donc possible !

NOTE

* Selon une étude du Centre pour l’évaluation des risques sur la reproduction humaine. .

Le développement durable vu par les établissements de santé

Une étude conduite en 2009 sur le développement durable dans les établissements publics de santé montre que, pour la majorité des répondants (157 établissements sur 1 690 sollicités), il s’agit d’une démarche volontariste et collective.

S’il n’a pas de caractère utilitariste, d’un point de vue réglementaire par exemple, il s’inscrit dans un processus d’amélioration et relève d’une démarche stratégique et globale pour sa mise en œuvre. La moitié des interrogés souligne en outre l’importance du développement durable sur la prévention des risques environnementaux, l’éducation à la santé, l’amélioration du cadre de vie des patients et les conditions de travail du personnel.

Pour en savoir plus

→ Comité en développement durable en santé, C2DS : www.c2ds.com

→ Société française d’hygiène hospitalière, SFHH : www.sfhh.net

→ Haute Autorité de santé, HAS : www.has-sante.fr

→ Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux, Anap : www.anap.fr