Différentes études ont montré chez les soignants l’importance des risques psychosociaux, responsables d’une dégradation de la santé des personnes au travail. Pour autant, seuls quelques établissements hospitaliers ont mis en place des actions de prévention. Les cadres de santé sont en première ligne pour repérer les phénomènes de souffrance au travail au sein de leurs équipes. Une étude ciblée sur les cadres de proximité vient par ailleurs de mettre en évidence qu’ils sont eux aussi confrontés à ces risques.
Burn-out, épuisement professionnel, stress, violences, agressions, souffrance au travail… Ces mots sur ces maux, que les soignants connaissent depuis longtemps, sont aujourd’hui regroupés sous les termes “risques psychosociaux”. Les suicides dans de grandes entreprises françaises comme France Télécom ou Renault tout comme l’épidémie des troubles musculo-squelettiques dus au travail ont entraîné une prise de conscience de l’importance des risques psychosociaux pour la santé des personnes au travail. Même s’il n’y a pas de définition universellement reçue des risques psychosociaux, il est généralement admis qu’il s’agit de « risques pour la santé, mentale mais aussi physique, créés au moins en partie par le travail à travers des mécanismes sociaux et psychiques ». Le stress constitue le premier risque psychosocial. Depuis plusieurs années, les études épidémiologiques ont mis en évidence les conséquences des risques psychosociaux sur les maladies cardiovasculaires, les problèmes de santé mentale et les troubles musculo-squelettiques. Le Collège d’expertise sur le suivi statistique des risques psychosociaux au travail, mis en place en 2008 suite à la demande du gouvernement, précise que le risque de développer ces pathologies est augmenté de 50 à 100 % en cas d’exposition aux facteurs psychosociaux au travail.
La prise de conscience au sein des établissements de santé de l’importance des risques psychosociaux se fait lentement. Cependant, le dernier congrès de l’Association nationale de médecine du travail et d’ergonomie du personnel des hôpitaux (ANMTEPH), organisé fin septembre à Paris, a été consacré à l’évaluation et à la prévention de ces risques. Nicolas Sandret, médecin inspecteur régional du travail en Île-de-France, a rappelé à cette occasion que plusieurs études ont souligné l’importance des risques psychosociaux chez les soignants, comme l’enquête européenne Presst-Next ou l’enquête Sumer (Surveillance médicale des risques) diligentée par les services du ministère du Travail. « Il existe dans les établissements de santé un réel paradoxe. Les facteurs de risques psychosociaux y sont très importants mais nous avons l’impression d’un déni de ce risque », a estimé Nicolas Sandret. Et pourtant, les conséquences pour les personnes sont importantes en termes de risque pour leur santé mais aussi pour l’hôpital, avec des réductions d’aptitude au travail et des risques de rupture d’activité professionnelle. Sur le plan de l’activité, ces risques pénalisent la performance des établissements en désorganisant le fonctionnement et en générant des coûts directs et indirects. De plus, les risques psychosociaux font partie des facteurs qui expliquent l’abandon prématuré de la profession infirmière, selon les résultats de l’étude Presst-Next.
Le volet de l’enquête Sumer conduite auprès de 2 400 personnels soignants des hôpitaux, principalement infirmières et aides-soignantes, montre qu’un tiers des soignants sont en situation de job strain susceptible de porter atteinte à leur santé. Le job strain s’apparente à une situation de stress professionnel, c’est un risque psychosocial considéré comme majeur pour les spécialistes de la santé au travail. Il est défini par l’association d’une forte demande psychologique et d’une faible latitude décisionnelle. En comparaison, moins d’un quart des salariés en France sont concernés par une situation de job strain. Par ailleurs, les personnels soignants se distinguent nettement de l’ensemble des salariés par un cumul de contraintes horaires et organisationnelles. Les contraintes horaires sont le travail en équipe avec des horaires variables (34 % contre 6 % pour l’ensemble des salariés), du travail de nuit (39 % contre 20 %) et le week-end (67 % contre 31 %)… Compte tenu de l’urgence dans laquelle ils effectuent souvent leur travail, les personnels soignants déclarent plus que les autres salariés devoir « interrompre une tâche en cours pour une autre non prévue », devoir « toujours ou souvent se dépêcher », avoir « des demandes extérieures à satisfaire immédiatement ». Les soignants signalent moins souvent avoir la possibilité d’interrompre leur travail quand ils le souhaitent. Près de la moitié des soignants estiment que les effectifs de travail sont en nombre insuffisant. Enfin, un quart d’entre eux se plaignent de vivre des tensions avec le public. Les pénibilités dites physiques sont pour les auteurs de l’étude souvent associées à un manque de moyens et à un travail en urgence. Ces constats viennent apporter une caution scientifique aux plaintes souvent exprimées sur le terrain, notamment une intensification du travail dans un contexte de pénurie et de réduction des postes.
Pour dépister et prévenir les risques psychosociaux, des indicateurs sont nécessaires. L’Institut national de recherche et sécurité (INRS) a publié en février 2010 un guide des indicateurs téléchargeable sur son site. L’Institut a retenu deux grands types d’indicateurs : les indicateurs liés au fonctionnement de l’entreprise et des indicateurs en santé et sécurité. En décembre 2010, la Dares (Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques) a quant à elle analysé la batterie d’indicateurs retenus par le collège d’expertise des risques psychosociaux. Les risques psychosociaux sont regroupés en six dimensions : les exigences du travail, les exigences émotionnelles, l’autonomie et les marges de manœuvre, les rapports sociaux et relations de travail, les conflits de valeur et enfin l’insécurité socio-économique.
L’accord national sur la santé et la sécurité au travail dans la fonction publique, signée en novembre 2009, insiste sur la nécessité d’évaluer et de prévenir les risques psychosociaux et le stress chez l’ensemble des personnels des trois fonctions publiques. Cet accord stipule que les « les maladies considérées comme émergentes telles que le stress, la dépression ou l’anxiété ainsi que la violence au travail et le harcèlement sont moins liés à l’exposition à un risque spécifique qu’à un ensemble de facteurs tels que l’organisation des tâches, les modalités de temps de travail, les relations hiérarchiques, la fatigue liée au transport… ». La prévention des risques psychosociaux est d’ailleurs une obligation de la part d’un employeur puisque celui-ci est tenu d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé physique et mentale des salariés. Quelques actions autour de l’évaluation et la prévention des risques psychosociaux dans les établissements de santé ont été présentées par les médecins du travail au cours des dernières journées de l’ANMTPEH.
Au CHU de Nîmes, la démarche a été initiée par une demande de la DRH. Un groupe de seize personnes (médecin du travail, DRH, directrice des soins, cellule conditions de travail, direction qualité, commission des risques hospitaliers, ergonomes, partenaires sociaux…) a été chargé de travailler sur les risques psychosociaux avec l’aide d’un consultant externe. Plusieurs documents ont été analysés : enquête et bilan social de l’établissement, fiches d’événements indésirables, base de données sur l’absentéisme, rapports du médecin du travail. Dans un second temps, le groupe de travail a identifié un certain nombre de facteurs de risque liés à l’organisation du travail, aux conditions de travail, à la communication interne, au management, aux possibilités d’évolution de carrière… La démarche a permis de dégager des thématiques de réflexion prioritaires, notamment le problème de la stabilité des plannings, le manque d’un collectif de cadres de santé et la reconnaissance de la place des cadres de proximité dans l’organisation de l’hôpital.
Confronté à un absentéisme préoccupant, le CH de Perpignan a également réuni un groupe de travail pluridisciplinaire sur les risques psychosociaux. La démarche est similaire à celle retenue au CHU de Nîmes, à savoir analyse des documents et identification des facteurs de risques. La surcharge de travail a été identifiée comme l’un des principaux facteurs de risques psychosociaux. Plusieurs actions ont été mises en œuvre, comme un partenariat avec le Centre médico-psychologique ou le service d’addictologie ou encore l’organisation de débriefing collectif pour permettre l’expression de chacun. En matière de prévention, il est prévu des actions de sensibilisation aux risques psychosociaux et la mise en place de formation sur la gestion des situations de violence pour les personnels.
Le service de santé au travail du CHU de Nantes s’est engagé dans une démarche de grande ampleur d’évaluation et de prévention des risques psychosociaux. Les salariés ont été invités à répondre à un autoquestionnaire, basé sur le questionnaire de Karasek, afin de repérer les catégories socioprofessionnelles les plus à risques. Les catégories professionnelles dans une situation de job strain sont les infirmières, les aides-soignantes, mais aussi le personnel administratif. L’analyse comparative par pôles a montré une latitude décisionnelle particulièrement faible dans les pôles pharmacie et soins gériatriques. À la suite de cette étude, la direction du personnel a décidé d’une action ciblée sur le pôle de gériatrie : enquête de terrain destinée aux cadres axée sur l’organisation du travail, formation spécifique pour les cadres sur la souffrance psychologique au travail, nouvel autoquestionnaire pour tous les salariés du pôle axé sur la souffrance physique et mentale, mise en place de référents avec obligation de suivi des plans d’actions, intervention d’un psychologue du travail dans les services. La direction des soins du CHU a quant à elle entrepris avec l’aide d’un consultant extérieur une étude sur la pénibilité liée aux plannings. Cette étude a débouché sur la mise en place d’indicateurs de pénibilité par service et par pôle : nombre de rappels par mois sur les week-ends, nombre de week-ends travaillés par mois… Enfin, le service de santé au travail du CHU a lancé une évaluation des pratiques professionnelles (EPP) sur les risques psychosociaux.
À la demande des organisations syndicales, le CHSCT central de l’AP-HP a également lancé un travail sur les risques psychosociaux. Quelques réunions ont d’ores et déjà été organisées et un groupe de travail a été constitué. Dans d’autres établissements, les élus au CHSCT ont demandé la mise en place d’une expertise sur les risques psychosociaux. Certaines ont été acceptées par les directions et elles sont déjà en cours. L’Anact (Agence d’amélioration des conditions de travail) est également intervenue ponctuellement dans certains services hospitaliers pour aider à la mise en place d’une démarche d’évaluation et de prévention des risques.
Les premiers résultats d’une enquête inédite sur les conditions de travail des cadres ont été présentés au cours d’une journée organisée en décembre par l’Association pour le développement des ressources humaines à l’hôpital (Adrhess). Cette enquête menée par Nathalie Broessel, maître de conférences et médecin du travail au CHU de Strasbourg, a porté sur 500 cadres de proximité de cinq hôpitaux du grand Est. Près de 330 cadres ont accepté de participer en répondant à des questionnaires anonymes. Les résultats ont notamment été comparés à ceux de l’enquête Orosa (Organisation des soins et santé), une enquête en cours auprès de sept CHU destinée à évaluer les contraintes psychologiques et organisationnelles chez les soignants.
Les résultats font apparaître l’importance des risques psychosociaux chez les cadres de proximité. Le questionnaire Siegrist, couramment utilisé dans les recherches sur le stress et les risques psychosociaux, mesure le déséquilibre efforts/récompenses, c’est-à-dire les exigences du travail au regard du soutien, du respect et de l’estime. Près de 16 % des cadres présentent un déséquilibre du ration efforts/ récompenses, source de mal-être. C’est un pourcentage par exemple beaucoup pus élevé que celui observé chez les cadres d’EDF et même chez les infirmières. L’échelle CESD, qui permet quant à elle d’évaluer les symptômes dépressifs, indique que 15 % des cadres de proximité étaient dans une situation de dépression dans les deux semaines précédant l’enquête. Pour Nathalie Broessel, ces chiffres sont bien plus élevés que ceux en population générale. S’agissant des troubles musculosquelettiques (TMS), des pathologies professionnelles en partie induites par les risques psychosociaux, plus d’un quart des cadres ont pris des antalgiques au cours de l’année pour soulager des douleurs du membre supérieur. Étonnée par ce résultat, Nathalie Broessel a analysé les contraintes physiques des cadres au cours d’une journée de travail. Beaucoup travaillent debout pendant un bon nombre d’heures. Surtout, les cadres sont amenés à manipuler des charges parfois lourdes. Et, en raison de l’exiguïté de leurs bureaux, nombre de cadres se plaignent d’avoir à maintenir des postures inconfortables lorsqu’ils travaillent sur écran…
→ Les études disponibles
→ Les expositions aux risques professionnels des soignants : www.travailsolidarite.gouv.fr/IMG/pdf/2009-10-41-4-2.pdf
→ Une étude sur la prévention des risques psychosociaux dans le secteur médico-social (constats et préconisations) : www.oeth.org (rubrique actualités, agenda et publications)
→ Le site de l’enquête Presst-Next : http://presst-next.fr
→ Les outils disponibles
→ Risques psychosociaux, les indicateurs disponibles : www.travail-solidarite.gouv.fr/IMG/pdf/2010-081-2.pdf
→ Le site de l’INRS : www.inrs.fr
→ Collège d’expertise sur le suivi statistique des risques psychosociaux au travail : www.college-risquespsychosociaux-travail.fr
→ La revue Santé et Travail, le magazine de la prévention des risques : www.sante-et-travail.fr