Objectif Soins n° 193 du 01/02/2011

 

Actualités

Laure de Montalembert  

ÉCHANGES → Les 20 et 21 janvier dernier à Montpellier, les cadres de santé étaient conviés à deux journées riches en informations et en découvertes de toutes sortes. Invitée surprise, la secrétaire d’État à la santé, Nora Berra, a tenu à présenter en avant-première le rapport de l’Igas, relatif à la formation des cadres de santé.

De son vrai nom “Rapport sur la rénovation de la formation des cadres de santé”, ce document (1) était très attendu par les quelque 500 participants de ces journées de formation. Nora Berra avait d’ailleurs pris soin de demander à l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) de ne le publier officiellement qu’au moment même de son intervention surprise à Montpellier. Ce qu’on peut en retenir principalement, c’est cette fameuse “masterisation”. Un changement qui se fera en partenariat étroit avec les universités, comme s’en félicite la secrétaire d’État (cf. encadré). Il est également envisagé un rapprochement entre les IFCS et l’École des hautes études de la santé publique (EHESP).

Les recommandations

À l’horizon 2014, l’Igas préconise donc une formation master 1 pour les cadres de santé et une formation master 2 pour les cadres supérieurs de santé avec une première évaluation en 2018. Cette mission, menée conjointement par Michel Yahiel et Céline Mounier et faisant suite au rapport Singly de 2009, recommande également d’axer la formation des cadres sur « trois pivots d’égale importance : l’environnement sanitaire et hospitalier, le fonctionnement des établissements et les leviers du métier ». Autre point mis en avant : « Revoir en profondeur les modes de formation et d’exercice des cadres formateurs, afin notamment de garantir des allers-retours beaucoup plus réguliers entre périodes d’enseignement et fonctions opérationnelles. » Il est aussi envisagé d’élargir le rôle des IFCS, les chargeant d’« une intervention plus résolue » dans le domaine de la formation continue afin « d’apporter une réponse concrète au besoin de transversalité des formations entre différents types de cadres, voire avec d’autres responsables, y compris les directeurs et chefs de pôles ».

Si les informations contenues dans ce rapport étaient très attendues, il ne faut pas moins en oublier les autres interventions ayant eu lieu durant ces deux journées. Encadrer, un métier impossible ?(2) C’est le titre qu’avait choisi Frédérik Mispelblom, professeur de sociologie à l’université d’Évry, pour sa conférence. Face à la salle, le sociologue, plein d’humour, a pris soin de préciser « un métier impossible mais plein de possibilités ». Et puis, « il n’y a pas d’encadrement zéro défaut. On ne peut encadrer que cahin-caha, encadrer en boitant ». Un constat qu’il ne veut pas pessimiste mais « créatif et libérateur ». « Les encadrants sont souvent des bricoleurs professionnels humanistes, commence-t-il. Ce ne sont pas les procédures qui font que les choses se passent bien, c’est parce que les encadrants apprennent à les ‘retricoter’ sans cesse. » Ce qui explique probablement ce fameux malaise des cadres, dont Frédérik Mispelblom dit qu’il existe dans tous les domaines économiques, qu’il s’agit d’une « maladie cyclique et congénitale » liée à leur position même au sein de la structure, « toujours pris entre deux feux, subissant une pression venant du haut et une autre venant du bas ». Une double pression à laquelle s’ajoute, dans le domaine de la santé, une difficulté supplémentaire : côtoyer la misère du monde.

Management et encadrement

Quelle formation, alors, pour ces équilibristes du soin ? « Dans les manuels de management, il y a une idée de toute-puissance. On y parle des managers comme de “locomotives”. Cela ferait-il des autres des wagons sans moteurs ? », demande-t-il, soucieux de faire comprendre à son auditoire la différence entre management et encadrement : « Encadrer, c’est faire faire des choses à d’autres, passer de la parole aux actes. Dire, c’est faire. Les encadrants constituent le dernier rouage permettant de passer de la parole aux actes. Le management, c’est un ensemble de techniques. Parfois, même, du “prêt-à-penser” et du “prêt-à-parler”, d’où cette nécessité du passage par l’étape de “faisant fonction”. » Mais l’un ne va pas sans l’autre. Ainsi, Frédérik Mispelblom déplore-t-il que certains cadres ne soient pas assez formés au management. Il insiste sur la nécessité de la professionnalisation de l’encadrement sans pour autant en faire « un métier comme les autres ». « L’encadreur est celui qui a la plus de mal à organiser son propre emploi du temps. Il se tient sur une planche de surf, en équilibre sur des vagues qu’il a parfois contribué à créer », s’exclame-t-il.

Sortir des stéréotypes

Auteur d’un livre sur le sujet, le sociologue s’intéresse particulièrement au sujet des cadres de santé et des contraintes qu’ils subissent : « Votre outil principal est votre personnalité ! », lance-t-il avec force, avant d’ajouter : « Les principes moraux sont aussi forts et agissants que du ciment, aussi contraignants que les réalités matérielles qui vous entourent. Et, parmi les défis nouveaux auxquels vous êtes confrontés, il y a de plus en plus souvent une nécessité d’organiser l’autonomie de vos équipes. » Notre conférencier s’intéresse alors à une question épineuse du genre : existe-t-il une manière féminine et une manière masculine d’encadrer ? Pour lui, la réponse est non. Ce qui n’empêche pas les stéréotypes. Un état de fait avec lequel il est parfois intéressant de jouer, voire de détourner ces stéréotypes contre ceux qui les utilisent. Ainsi raconte-t-il l’histoire de cette femme cadre supérieure qu’un cadre masculin avait pris pour la secrétaire. « Jouant le jeu, elle en a appris dix fois plus que s’il avait su qu’elle était directrice régionale », s’amuse Frédérik Mispelblom. Et, arrivant au sujet le plus douloureux au sein de l’hôpital d’aujourd’hui – celui de l’argent –, il insiste : « Les orientations, ce sont les principes moraux tels qu’ils sont pratiqués au jour le jour. Les choix faits dans une structure de soins ne peuvent pas être purement financiers. Il n’y a pas de choix financier humainement neutre. » D’où la nécessité de trouver des « complicités en termes de valeurs citoyennes » au sein de l’institution. Des liens, des réseaux qui se créent parfois autour de la machine à café, dans une ambiance plus détendue. « Les réseaux informels jouent un rôle essentiel dans l’encadrement », insiste enfin le chercheur. Et de terminer : « Ce n’est pas parce qu’on sait pratiquer un métier qu’on sait l’encadrer. » Ce qui pourrait être le thème général à retenir de ces journées.

(1) Le rapport de l’Igas : www.igas.gouv.fr/spip.php?article165.

(2) Également un ouvrage Encadrer, un métier impossible ?, de Frédérik Mispelblom aux éditions Armand Colin.