Objectif Soins n° 193 du 01/02/2011

 

Point sur

Laure de Montalembert  

L’annonce d’un cancer est perçue par le patient et par son entourage comme un choc traumatique. Une prise en charge humaine, une bonne qualité de relation médecin/malade ainsi qu’une coordination interprofessionnelle aideront à une amélioration du vécu des malade.

« Le processus de l’annonce du cancer, c’est dire quelque chose que l’on n’a pas vraiment envie de dire à quelqu’un qui n’a pas vraiment envie de l’entendre », lance Étienne Seigneur, pédopsychiatre à l’institut Curie ou il s’occupe du suivi des enfants, adolescents et jeunes adultes atteints de cancers. Et de poursuivre : « Face à une maladie comme le cancer, il faut se garder de toute standardisation. Chaque individu réagit de manière propre. Il n’y a pas de passage obligé. La confrontation à l’angoisse de la maladie – voire à la perspective de la mort possible – est très traumatique. Face à cela, l’individu met en place des mécanismes de défense psychiques qui lui sont propres pour rendre l’événement plus supportable. Ceux-ci sont très changeants. Ce qu’on trouve de commun, c’est un stade de sidération. L’impression que le sol se dérobe sous leurs pieds ou que le ciel leur tombe sur la tête sont des expressions que j’entends communément. Cela détermine une incapacité à tout entendre, une sorte de paralysie de l’appareil psychique. Les gens se disent “sonnés”. Les patients ne peuvent pas intégrer la totalité des informations qui leur sont données. Cependant, le temps de l’annonce initiale est essentiel. De sa qualité découle l’instauration d’une confiance réciproque. C’est un moment clé que le médecin ne doit pas rater. Il implique un temps d’écoute, des locaux adaptés, puis la mise en œuvre d’une vraie réflexion avec l’équipe pluridisciplinaire. »

UN RÉSEAU D’ACCOMPAGNEMENT

C’est à ce moment, passée la brutaliteé et la douleur de l’annonce, que doit se mettre en place un véritable réseau d’accompagnement autour du malade, réseau au sein duquel les infirmières et les cadres de santé tiennent une place essentielle. « Ce n’est pas parce qu’une chose est dite qu’elle est intégrée. Inversement : ce n’est pas parce qu’une chose n’est pas dite qu’elle n’est pas perçue par le patient, quel que soit son âge. C’est pourquoi l’annonce doit se faire en plusieurs étapes. Le processus de l’annonce, c’est l’affaire de toute une équipe. Cela donne du temps aux individus pour intégrer les informations. Ils doivent les entendre plusieurs fois de personnes différentes », poursuit le pedopsychiatre.

Ce que confirme Florence Lantier, cadre de santé à la direction des soins du même institut : « Nous essayons de rencontrer les personnes des la sortie de l’annonce initiale dans le cadre d’une consultation infirmière. Même si cette procédure est celle qui est préconisée par le plan cancer, ce n’est pas toujours facile à organiser par manque de personnel. L’objectif de cette consultation est de déterminer ce qui a été compris ou non. Nous tenons également à leur disposition des fiches d’information par pathologies, rédigées conjointement par les médecins et les infirmières. Celles-ci décrivent les procédures, les traitements, des éléments sur le parcours des patients. les infirmières ont également à cœur d’observer les réactions des gens dans les couloirs et les salles d’attente afin de leur proposer leur aide lorsqu’elles les sentent très déstabilisés » termine-t-elle.

L’ÉTAPE DU TRAITEMENT

Cadre du département d’oncologie médicale, Sylvie Carrié complète la description de l’accompagnement mis en place par les équipes de soins à Curie : « À l’hôpital de jour, nous organisons une seconde consultation infirmière systématique lors de la mise en place du traitement. C’est l’occasion de répéter certains éléments qui n’auraient pas été bien intégrés. Nous aidons également les patients à mieux supporter la toxicité des traitements. C’est le moment où certains évoquent leurs problèmes. Ils sont toujours angoissés mais n’ont pas toujours demandé de l’aide précédemment. À cette étape, nous travaillons conjointement avec les psys ou les assistantes sociales, si nécessaire. » Au démarrage du traitement, se met en place la seconde étape charnière dans l’accompagnement, comme le confirme le Dr Seigneur : « Certaines personnes ont l’air de très bien tolérer l’annonce initiale de leur maladie mais s’effondrent lorsqu’ils perdent leurs cheveux, par exemple. D’autres peuvent parfois avoir entendu autre chose que la réalité. Il y a aussi cette révolte qui s’exprime par “Pourquoi moi ?”… Chez d’autres encore, le nom enfin mis sur les symptômes qu’ils ressentaient et la proposition d’un traitement, d’une prise en charge, est plutôt rassurant. Sentir l’esprit d’équipe joue également un rôle extrêmement favorable. »

Mais parmi les autres éléments essentiels : la qualité de la relation établie entre les équipes soignantes et les patients qui viennent suivre leurs traitements, le plus souvent en ambulatoire. « En hôpital de jour, nous sommes essentiellement dans la relation d’aide. Le reste, c’est juste de la technique, explique encore Sylvie Carrié. Il s’agit d’établir un lien qui facilite le dialogue et la confiance. Nous sommes à l’écoute de manière à répondre à leurs problèmes, même ceux qui semblent peu importants, vus de l’extérieur. Le patient est très demandeur mais cette relation est à double sens : il nous en apprend beaucoup sur sa maladie. Chacun réagit aux traitements de manière différente. »

LA RELATION D’AIDE

Si elle fait l’objet d’un apprentissage lors de la formation en Ifsi, on aura compris que la relation d’accompagnement et d’aide des patients atteints de cancer est particulièrement complexe à mettre en place, tant les spécificités individuelles sont variables. Les professionnels de santé l’affirment systématiquement : ils ont presque tout appris sur le tas, au décours de leur pratique quotidienne. Les jeunes recrues sont ainsi confiées à une collègue plus expérimentée pendant les premiers mois de leur exercice. De cette manière, elles bénéficient de l’expérience de leurs ainées. Un « tutoring » malheureusement mis à mal par l’augmentation de l’instabilité professionnelle au sein des services, déplorent la plupart des cadres. Les “anciennes” culminent parfois à deux ou trois ans d’expérience. « Cette situation renforce encore le role des cadres, insiste Sylvie Carrié, à Curie depuis vingt-huit ans. Nous avons plus de recul, ce qui est essentiel pour rassurer les patients, écouter les équipes, monter des projets, etc., car les soignants ont également besoin d’être motivés en permanence. » Effectivement, il faut également prendre soin des équipes !

Parmi les interlocuteurs à ne pas oublier non plus, ceux du monde extérieur tiennent une grande place dans la vie des malades, à commencer par la famille. Étienne Seigneur décrit cette difficulté supplémentaire à laquelle sont parfois confrontées les personnes atteintes de cancer : « Il y a aussi la crainte de la réaction des autres. Le silence du corps social face au mot cancer choque les patients. Les gens font une association classique entre cancer et mort possible, ce qui entraîne un malaise. Face aux enfants, c’est un mot que nous utilisons souvent. Les enfants sentent et comprennent plein de choses non dites. Il est très important d’avoir du respect face aux capacités de l’enfant d’entendre. En cela, nous sommes amenés à aider les parents, qui ont beaucoup plus peur des mots. Cela dit, ce n’est pas parce qu’on prononce le mot “cancer” que les gens l’ont intégré pour autant. C’est parfois réaménagé. Le rôle principal de l’accompagnement psychologique est de leur permettre de parler librement de ce qui leur arrive. Une petite fille a baptisé la pièce où travaillent les psychologues “le bureau des secrets”. La confidentialité est essentielle. Elle rompt un certain sentiment de solitude. On peut également évoquer ce que cela fait résonner dans l’histoire personnelle, voire dans l’histoire familiale. Selon l’âge, nous voyons d’abord les parents ou d’abord les adolescents ou jeunes adultes. Les frères et sœurs peuvent être inclus également. En peédiatrie, l’annonce a peu de sens pour les jeunes enfants. Pour eux, c’est d’abord une expérience corporelle. Cela dit, l’enfant est tres sensible aux réactions de ses parents. C’est à travers eux qu’il comprend que ce qui lui arrive est grave. Nous nous basons donc sur les questions des enfants. Lorsqu’il s’agit d’adolescents ou de jeunes adultes, on n’oublie pas la place des parents, mais les jeunes constituent nos interlocuteurs principaux. »

UNE AUTRE APPROCHE : LES ERI

Un autre axe d’accompagnement, développé en parallèle aux structures de soins, est constitué par le réseau des ERI. Sous cet acronyme, se cachent des Espaces de rencontre et d’information dont le premier a été créé en mars 2001 à l’institut Gustave-Roussy à Paris. Depuis, on en compte une trentaine, disséminés un peu partout en France (cf. encadré). Accessibles à tous et sans rendez-vous, ces espaces sont dédiés à l’écoute et à l’information. Paramètre essentiel : on n’y est pas accueilli par des professionnels du soin mais par des “accompagnateurs en sante”.

À l’institut Gustave-Roussy, Karyn Dugas fais partie de ces nouveaux professionnels de l’hôpital, issus d’univers très variés et titulaires d’un DU information et médiation santé. Elle exerce son métier au sein du seul ERI spécifiquement pédiatrique de France. « Nous recevons environ dix personnes par jour, explique-t-elle. Et 80 % des gens que nous rencontrons reviennent par la suite, à la recherche d’autres informations ou tout simplement pour parler de leur expérience de la maladie. Leur première visite a généralement lieu aux alentours de la troisième semaine suivant l’annonce du cancer. Ces personnes ont reçu des tonnes d’informations, très vite. Le temps de sidération passe, elles ont beaucoup de questions à poser. »

Comme aux consultations infirmières d’accompagnement, le premier objectif est de déterminer ce que les malades – ou leurs proches – ont compris de ce qui leur avait été dit précédemment. « Pour les aider a comprendre le parcours dans lequel ils sont engagés, nous leur distribuons des documents spécifiques. Et, face au foisonnement d’informations que les gens trouvent sur l’Internet, par exemple, nous savons également les orienter vers des sources fiables, précise Karyn Dugas. Mais les gens viennent aussi pour discuter tout simplement, pour bénéficier d’une écoute empathique et bienveillante. Il nous arrive également de les orienter sur les questions à poser aux médecins lors des consultations suivantes », conclut-elle.

Les accompagnateurs en santeé sont certes, formés aux pathologies et aux traitements, mais ils ne disposent pas des dossiers médicaux de leurs interlocuteurs. leur rôle est différent de celui des équipes de soin. Cela ne les empêche pas d’alerter celles-ci lorsque se présentent des situations singulières, comme lorsqu’une personne confond sa pathologie avec une autre, par exemple.

CONTACTS ET INFORMATIONS

EN SAVOIR PLUS

→ La Ligue contre le cancer www.ligue-cancer.net

→ Institut Gustave Roussy www.igr.fr

→ Institut Curie www.curie.fr

→ Les ERI www.igr.fr/fr/page/l-eri-espace-de-rencontres-et-d-information_334 www.ligue-cancer.net/article/ accompagner-dialoguer/espace-de-rencontres-et-d-information

→ Cancer écoute Tél. : 0810 810 821

→ Aidéa Tél. : 0810 111 101 (appel gratuit et anonyme)

→ Institut national du cancer

→ Groupe de parole et d’échange www.ligue-cancer.net/carte

→ Les Plans cancer www.plan-cancer.gouv.fr