ÉQUITÉ → Dans le cadre de la construction du projet régional de santé, figure une priorité : la réduction des inégalités territoriales. Mais de quelles inégalités parle-t-on ? Après l’équité libérale, nous nous penchons aujourd’hui sur l’égalité égalitariste au cœur du concept de réduction des inégalités. (2e partie)
Un objet, un droit ou un être humain est égal à un autre lorsqu’il est de même quantité, nature, dimension, qualité ou valeur. Deux êtres égaux possèdent les mêmes caractéristiques. Dès lors, l’égalitarisme peut être appliqué selon deux approches, l’une positive visant à rechercher l’égalité absolue, l’autre négative visant à réduire les inégalités.
Force est de constater que l’égalitarisme sous-tend la régulation de la santé que l’on connaît en France. Le premier objectif est l’égalité d’accès aux soins, ou, tout du moins, dans la pratique, la réduction des inégalités d’accès aux soins par le maintien d’un niveau d’accessibilité satisfaisant pour l’ensemble de la population. C’est ce qui sous-tend la plupart des projets régionaux de santé, à savoir la réduction des inégalités territoriales pour aller vers l’objectif inatteignable d’égalité entre les territoires.
Trois courants peuvent être distingués au sein de l’équité égalitariste : l’égalité utopique, l’État providence et le mouvement welfariste.
Pour les égalitaristes purs ou utopistes, la société idéale est celle où tous les hommes sont égaux à tout point de vue. Les biens sont répartis de manière parfaitement égale entre les individus selon les besoins de chacun.
Ainsi, pour Marx, chacun doit avoir un droit égal au fruit de son travail : à chacun selon son travail, déduction faite de ce qui est nécessaire pour alimenter les fonds collectifs, tels que l’éducation ou la santé. Dans la société communiste achevée, la répartition des biens se fait en fonction des besoins de chacun, « de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins » (Marx, 1875) : les besoins de chacun doivent être également satisfaits. La notion de besoin est fondamentale dans l’analyse de Marx puisqu’elle constitue la base pour la répartition des biens.
L’État providence symbolise la forme prise par les États contemporains, notamment européens. Il assure notamment la protection sociale, à la différence de l’État gendarme ou régalien défini dans le courant libéral qui n’est là que pour garantir le bon fonctionnement du marché. Deux modèles d’État providence sont généralement distingués.
→ Le modèle bismarckien se fonde sur le principe de l’assurance sociale obligatoire : chaque individu cotise à une assurance pour se protéger des risques de perte de revenus (chômage, invalidité, vieillesse) ou pour des besoins particuliers (éducation, santé, famille). L’État gère ce fonds en le redistribuant à chacun en fonction de ses cotisations.
→ Le modèle beweridgien repose sur le principe de solidarité entre les individus, dans le sens où les bénéficiaires des transferts n’ont pas forcément cotisé.
Quel que soit le modèle retenu, l’État providence a pour but de concilier efficacité du marché et justice sociale par le biais d’un principe de solidarité pour faire face aux problèmes sociaux de misère et de grandes inégalités notamment.
L’objectif n’est alors plus de rechercher l’égalité parfaite entre les individus – l’utopie de l’égalité à tout prix – mais de diminuer les inégalités existantes entre les individus. L’équité dans l’État providence prend la forme d’un égalitarisme spécifique se substituant à l’égalitarisme pur, dans la mesure où seulement certains attributs doivent être distribués également entre les individus, et notamment les droits sociaux définis dans la Déclaration universelle des droits de l’homme.
Enfin, pour les économistes relevant de la pensée welfariste – l’économie du bien-être –, l’égalité dans une distribution est atteinte lorsqu’aucune autre ne pourrait rendre les individus plus égaux en termes d’utilité. L’égalité utilitariste correspond à l’égalité des utilités marginales, c’est-à-dire qu’elle est atteinte lorsque les utilités marginales des gagnants et des perdants sont égales. Pour d’autres auteurs, le welfarisme égalitariste correspond à l’égalité de bien-être. Il s’agit alors de maximiser les utilités individuelles sous contrainte d’égalité des bien-être individuels, le bien-être représentant ce que recherche fondamentalement tout individu. L’État providence a alors pour objectif de réduire les inégalités de bien-être entre les individus.
Les partisans du courant égalitariste considèrent la santé comme un bien à caractère tutélaire (ou bien public) pour lequel l’intervention de l’État est nécessaire pour permettre à la fois l’égalité des états de santé, des droits à la santé et la maximisation de la santé et du bien-être.
Garantir l’égalité des états de santé des individus signifie que le système de santé produit des résultats égaux à état de santé et à besoin de santé équivalents. Or cette volonté se révèle vite être irréalisable dans la réalité. D’une part, l’amélioration de l’état de santé d’un individu ne peut pas être atteinte par la détérioration de l’état de santé d’un autre individu : il n’y a pas d’effet de redistribution, comme en matière de revenus par exemple. D’autre part, l’égalité des états de santé relève de l’utopie, tant les caractéristiques physiologiques de l’être humain diffèrent selon l’âge, le sexe, les prédispositions génétiques.
Dès lors, à l’approche positive de la recherche des égalités des états de santé se substitue une approche négative visant à la réduction des inégalités de santé. Cette approche postule l’égalité du droit à la santé qui suppose que tout individu possède un droit à la santé, comme il possède un droit au travail, à l’éducation, au logement. La santé est considérée comme un droit social fondamental et l’État doit garantir le respect de ce droit pour chaque individu. Réduire les inégalités de santé est un objectif qui sous-tend très largement les politiques de santé, entre autres en France.
La régulation de la santé en France est légitimée et animée par un objectif relevant de l’égalitarisme qui est celui de l’égalité des individus dans l’accès aux soins. L’égalité d’accès aux soins est le principe par exemple sur lequel repose la conception du service public hospitalier : les établissements qui assurent le service public hospitalier doivent garantir l’égal accès de tous aux soins qu’ils dispensent, sans aucune discrimination entre les malades. Cela signifie que chaque hôpital doit assurer à chaque malade une égalité de traitement : chacun doit avoir accès à des soins de qualité et efficaces, et la planification hospitalière doit être guidée par le souci de créer les conditions d’une égalité des chances pour tous face à la nécessité de se faire soigner.
Rechercher l’égalité dans l’accès aux soins signifie rechercher un niveau d’accessibilité aux soins qui soit identique pour chaque individu, ceci dans toutes les dimensions de l’accessibilité :
→ physique : égalité, pour chaque individu, des distances à parcourir pour se rendre à un offreur de soins, quel que soit l’unité de mesure retenue (kilomètre, temps…) ;
→ financière : égalité, entre les individus, des coûts directs et indirects pour bénéficier des soins requis par son état de santé ;
→ organisationnelle : égalité des offreurs de santé, tant sur le plan des soins et des techniques médicales, que sur celui de l’organisation administrative et logistique, de l’architecture. Chaque individu doit pouvoir bénéficier d’une même prestation hospitalière en fonction de ses besoins, quel que soit l’offreur de soins dans lequel il se rend ;
→ informationnelle : tous les individus doivent disposer de la même information sur le système de santé.
Si ces objectifs sont clairement affichés dans les instruments de régulation des soins, et en particulier dans les schémas régionaux, il n’en demeure pas moins qu’ils sont généralement formulés selon une approche négative de l’égalitarisme. Le projet régional de santé n’a pas pour objectif l’égalité dans l’accès aux soins, mais la réduction des inégalités dans l’accès aux soins. Les défenseurs des structures hospitalières de proximité s’appuient sur ce concept de l’équité en avançant que la fermeture de ces structures est contraire à la réduction des inégalités dans l’accès aux soins. Les hôpitaux de proximité permettent de mailler le territoire et, en ce sens, permettent de réduire les distances d’accès aux soins. Toutefois, ces structures n’assurent pas tous les niveaux de soins, dans toutes les disciplines. S’ils peuvent être un facteur positif en termes d’efficacité, cette efficacité varie néanmoins selon le type de soins considéré et le malade, et elle suppose que la structure soit elle-même efficace, tant sur le plan de la sécurité des soins que sur celui de la gestion économique, ce qui est loin d’être prouvé. Par ailleurs, dans l’égalité d’accès aux soins, il convient de distinguer l’égalité dans la possibilité d’acquérir des soins et l’égalité de traitement pour un même besoin.
→ L’égalité dans l’accès aux soins, au sens de la possibilité, signifie que le système de santé doit être organisé de manière à ce qu’aucun obstacle ne s’oppose à la possibilité de recourir aux soins. D’une part, cela signifie qu’il n’y a pas d’obstacle financier : deux individus ont un égal accès aux soins s’ils ont le même prix à payer pour acquérir ces soins. Ce prix s’entend à la fois en termes de coût monétaire pour le malade, mais aussi en termes de distances et de temps. Deux individus ont donc un égal accès aux soins s’ils déboursent la même somme pour payer le fournisseur de soins, si leur déplacement est identique et leur temps d’attente est le même. Or, force est de constater que, si en termes monétaires l’accès aux soins est égalitaire en France, il n’en est pas de même en termes de distance et de temps. Compte tenu de la localisation des offreurs, il est évident que les individus n’ont pas le même accès aux soins : un individu habitant en zone rurale n’a pas le même accès qu’un individu habitant en zone urbaine. D’autre part, il ne suffit pas que le prix soit égal, il convient également que la même quantité de soins puisse être consommée pour que l’égalité d’accès aux soins puisse exister.
→ L’égalité d’accès aux soins signifie également que, pour un même besoin, les individus doivent pouvoir bénéficier d’un même soin : égalité de traitement. Ce principe d’égalité selon les besoins de chacun comporte, d’une part, une dimension d’équité horizontale (égalité de traitement pour des besoins identiques) et, d’autre part, une dimension d’équité verticale (inégalité de traitement pour des besoins différents).