SOLIDARITÉ→ Depuis cinq ans, tous les établissements hospitaliers, publics ou privés, sont assujettis à la même obligation d’emploi de personnes handicapées. Une injonction qui peut être mise en place aussi pour les soignants, même si elle nécessite un accompagnement spécifique.
Depuis la loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées du 11 février 2005, les établissements de la fonction publique sont désormais soumis aux mêmes pénalités que leurs homologues privés lorsqu’ils ne respectent pas l’obligation d’emploi de travailleurs handicapés. Pour s’en acquitter, tous doivent donc soit inclure dans leur effectif 6 % de personnel handicapé, soit recourir à la prestation de service d’un ESAT (Établissement et service d’aide par le travail) ou d’une entreprise adaptée, soit mettre en œuvre un accord de branche, ou encore régler une contribution pouvant aller jusqu’à 600 fois le Smic horaire. En conséquence, ces dernières années, beaucoup d’établissements ont développé des politiques de recrutement – et surtout de maintien dans l’emploi – de personnels handicapés. Pour les soignants, il peut apparaître particulièrement difficile de se maintenir à un poste lorsque le physique ne suit plus. Pourtant, ici et là, des initiatives sont mises en place.
Les employeurs font généralement appel aux organisations gérant les fonds de développement pour l’insertion professionnelle des handicapés : l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph) pour le secteur privé et le Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP) pour la fonction publique. Par le biais de conventions, ils définissent avec eux les objectifs d’une politique en faveur des travailleurs handicapés (formation en vue d’une reconversion, campagnes de sensibilisation, étude ergonomique des postes de travail, acquisitions matérielles pour l’aménagement de postes, remboursement du reste à charge des orthèses/prothèses, etc.) et peuvent négocier l’attribution de financements pour développer ses axes. Le recours à ces organisations permet également, au cas par cas, d’élaborer un parcours de formation/reclassement ou d’aménagement de poste pour un employé en particulier.
Les employeurs, dans l’ensemble, encouragent leurs employés/salariés à solliciter le statut de travailleur handicapé : « Cela leur permet d’acquérir certains droits par rapport à la retraite, à l’aménagement de poste, explique Sophie Granger, directrice des ressources humaines adjointe aux Hospices civils de Lyon. De notre côté, cela nous aide à recenser les travailleurs handicapés qui peuvent nous permettre d’atteindre le quota de 6 %. »
Mais la démarche n’est pas chose facile pour des soignants qui peuvent craindre d’être discriminés ou éloignés du métier qu’ils ont choisi. Se reconnaître soi-même travailleur handicapé témoigne également d’un cheminement personnel qui peut nécessiter temps et renoncement. Mais salariés et agents peuvent bénéficier de ces politiques, quel que soit leur statut. Il n’est en effet pas toujours nécessaire d’être titulaire de la Reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH), délivrée par les maisons départementales de la personne handicapée, pour bénéficier d’un reclassement, d’un aménagement horaire, d’une formation, ou accéder à un poste mieux adapté. Parfois, une recommandation de la médecine du travail ou du comité médical départemental (pour les agents de la fonction publique hospitalière) suffit.
Dans les établissements des Hospices civils de Lyon, par exemple, des commissions de veille médico-sociale ont été mises en place afin de détecter les inaptitudes au poste, en amont de la notion de handicap. Chaque établissement possède sa commission qui réunit des représentants de la DRH, de la médecine du travail, de l’encadrement, du service social, etc. Sur dossier, ces commissions examinent les possibilités de mutation sur des postes compatibles avec une restriction au port de charge ou à la manutention, par exemple. « Ce sont d’ailleurs souvent des infirmières qui sont concernées, note Sophie Granger. Nous pouvons alors les orienter vers des postes de consultation. » De nombreuses aides-soignantes sont également concernées par les restrictions d’aptitude, en raison notamment de troubles musculo-squelettiques. Les commissions servent également à envisager la sortie du dispositif : « Parce que nous avons un nombre limité de postes compatibles avec des restrictions d’aptitude, moins de 1 % des postes soignants, poursuit la DRH adjointe. Et parfois le besoin ne peut être que temporaire. »
Au CHU de Dijon, qui a signé il y a un an une convention avec le FIPHFP, une politique volontariste a été mise en place. « À partir d’une recommandation de la médecine du travail, nous pouvons recourir au financement compris dans la convention que notre établissement a négociée afin d’acquérir une table élévatrice pour une aide-soignante qui présente des troubles musculo-squelettiques ou des pousse-lits ultra-légers », explique Nadine Guerrin, correspondant handicap auprès de la DRH. Même si, la plupart du temps, les aides-soignants sont surtout reclassés dans des fonctions hors soins : postes d’accueil, de standard ou de codage des actes, etc. « Après un bilan de compétences et une formation à la bureautique prise en charge dans le cadre de la convention FIPHFP, une infirmière est également devenue secrétaire médicale, sans modification de son traitement comme le garantit la loi, poursuit Nadine Guerrin. Bien sûr, ce n’est plus le même métier et il lui a fallu faire le deuil de ses fonctions de soignant, mais elle ne pouvait plus être en contact avec des patients et elle était demandeuse de ce changement. »
Dans l’ensemble, le maintien dans l’emploi d’un agent ou d’un salarié présentant une restriction d’aptitude ou un handicap s’organise au cas par cas. « Il faut évaluer ce que génère pour chacun l’incapacité constatée et cela demande des réponses individualisées », explique Muriel Jamot, représentante de la FHP au Comité national du fonds pour l’insertion des personnes handicapées. Faire le bilan des aptitudes, réfléchir précocement aux perspectives de reclassement, mettre en place un projet individualisé de formation et accompagner l’entrée dans un nouveau poste, cela peut prendre du temps. Au CHU de Dijon, par exemple, l’arrivée d’un agent de service hospitalier sourd s’est accompagnée pour les membres de l’équipe d’une session de formation de deux heures. Une initiation à la langue des signes a même été proposée à l’équipe. « Il s’agissait que chacun comprenne bien ce qu’était le handicap de cet agent, comment il fallait se comporter pour bien communiquer et travailler avec lui », explique Damien Patriat. Lorsque l’agent participe à des réunions de service, un interprète est sollicité pour qu’il participe pleinement à l’échange.
Au centre hospitalier de Montbéliard, le service de néphrologie a pu aménager un poste spécifique pour l’une de ses infirmières présentant une pathologie évolutive au niveau du dos. « Lorsque Véronique est revenue après un congé maladie, j’ai évalué avec elle ce qu’elle pouvait faire et ne pas faire, explique Valérie Grandjean, cadre du service. Puis j’ai rédigé une fiche de poste qui la positionne plus spécifiquement sur les tâches administratives, les prises de rendez-vous, la réalisation des pansements, les prises de sang, etc. La fiche a ensuite été validée par la médecine du travail. » Ce qui a facilité l’opération, c’est que Véronique, employée à temps partiel, est en fait affectée à un poste “en plus” de l’effectif habituel. « En fonction de la charge d’activité, elle intervient dans le secteur qui est le plus sollicité à un moment donné, explique la cadre de soins. Mais elle n’a pas même pression que ses collègues et, en conséquence, elle leur apporte un certain recul qu’elle transmet aux autres et elle fait bénéficier toute l’équipe de son propre équilibre. »
Comme si la soignante, au lieu de représenter un handicap, pouvait en fait apporter un plus. C’est d’ailleurs cette idée que défend également Damien Patriat, DRH au CHU de Dijon. Pour lui, le handicap peut être intégré comme un outil de management qui facilite le changement dans les équipes et impose de revoir les relations entre collègues : « Par exemple, lorsque nous avons engagé cet agent de service hospitalier sourd, cela a nécessité de la part de l’équipe un effort. Pour lui parler, il faut se positionner bien en face de lui et s’exprimer distinctement, sans crier. Cela a un retentissement positif sur l’atmosphère de travail pour tout le monde. »
Dans la fonction publique comme dans le secteur privé, en revanche, peu d’employeurs s’engagent dans la démarche de recrutement de soignants handicapés. Parce qu’ils sont eux-mêmes marqués par des préjugés. « Or le handicap, ce n’est pas forcément un fauteuil roulant ou une canne blanche », comme aime à le rappeler Patrice Thuaud, responsable de l’Ifsi de Castelnau-le-Lez, un établissement réservé aux travailleurs handicapés. Tous ses élèves sortent titulaires du diplôme d’État, acquis sur une même durée de formation globale et avec les mêmes épreuves au concours d’entrée, les mêmes enseignements et stages que tous les IDE de France…
Mais il reste en effet beaucoup à faire pour sensibiliser des équipes à l’accueil d’un collègue handicapé. Comme le faisait remarquer récemment au Salon infirmier un enseignant de l’Ifsi de Castelnau-le-Lez : « On a l’impression que l’image qu’ont les soignants du handicap est encore plus dure que celle qui prévaut dans la société. Quand on ouvre un nouveau lieu de stage, il faut généralement sept à neuf ans pour que nos étudiants soient bien acceptés », poursuit Yannick Ledreux. Et ce, alors que les étudiants ne présentent généralement pas de handicap visible… « C’est qu’en milieu hospitalier, normalement ce sont les patients qui sont malades, analyse Damien Patriat, DRH à Dijon. Il est plus difficile aux soignants d’accepter la différence de leurs collègues. » Un collègue qui, un jour, pourrait bien être eux-mêmes…,