Objectif Soins n° 195 du 01/04/2011

 

Recherche et formation

Sandra Mignot  

DISPOSITIF → Comme tous les professionnels de santé, les cadres de proximité sont soumis à l’obligation de formation continue. Au-delà des participations aux colloques et aux formations internes, ils peuvent également accéder aux masters professionnels. Les cursus proposés sont dominés par les thématiques liées au management mais d’autres options apparaissent désormais.

« Au départ, je n’aurais jamais pensé reprendre une formation, se remémore Sandrine Lefebvre, cadre de santé en neurologie à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP) qui a suivi un master1 en sciences cliniques infirmières à l’EHESP (École des hautes études en santé publique). J’étais bien dans mon poste et mes études initiales étaient loin. Mais finalement cela m’a enrichie. J’ai rencontré de nombreuses personnes, ce qui m’a ouvert des perspectives. » La formation continue, devenue formation professionnelle tout au long de la vie ou développement professionnel continu, est de longue date une obligation pour toutes les professions de santé. Les cadres de santé aussi y sont soumis. La plupart du temps, elle est remplie par les actions de formation que proposent les établissements en interne ou par la participation à des colloques. « Nous proposons souvent des formations institutionnelles pour les cadres, indique Denise Schall, directrice des soins du centre hospitalier de Colmar (Haut-Rhin). Par exemple, sur la conduite du changement ou récemment sur le management. Nous avons aussi abordé les écrits professionnels, les risques psycho-sociaux… » Des thématiques choisies en fonction des carences exprimées par les personnels, mais aussi consécutives à l’évolution de la gestion hospitalière.

DÉFINIR LES BESOINS

Car il est difficile d’évaluer précisément les besoins des cadres de santé. « Il y a peu de temps que les institutions intègrent les dimensions de gestion, de pilotage et de négociation à la formation continue de ces personnels », explique Véronique Belliard, du Grieps (Groupe de recherche et d’intervention pour l’éducation permanente des professions sanitaires et sociales). Les rapports de Singly (2009)(1) et Yahiel-Molinier (2011)(2) ont effleuré le sujet, se penchant surtout sur la formation initiale et l’identité du cadre de santé. En matière de formation continue, la mission cadre de 2009 avait ainsi spécifiquement dégagé des besoins en management pour les cadres de santé de proximité et en sciences de l’éducation pour les cadres formateurs. Ce rapport misait sur la formulation d’actions en interne, ciblées à l’intention des cadres pour les soutenir dans la conduite du changement au quotidien. Elle avait également souligné que la politique de formation continue pour les cadres n’était pas toujours affichée dans les établissements et pas toujours élaborée avec les cadres…

ORIENTATION MANAGEMENT

Pour l’heure, il semble donc que les besoins restent surtout définis par l’institution. Au premier rang, que ce soit en sessions internes ou externes, en DU ou même en master, on retrouve depuis quelques années les formations transversales orientées management. « Chez nous, les demandes formulées par les cadres de santé sont constituées à 45 % par des formations destinées à l’évolution prévisible des métiers, notamment les techniques de managements, et à 42 % à l’amélioration des connaissances, le plus souvent des diplômes universitaires », détaille ainsi Bernard Orsoni, responsable formation au centre hospitalier de Flers (Orne). Depuis cette année, le centre hospitalier a donc mis en place une formation au management pour tous les cadres, constituée de cinq séminaires de deux jours en interne, afin de répondre à l’évolution du contexte hospitalier. Au CHU de Dijon (Côte-d’Or), un vaste dispositif, intitulé développement des compétences managériales, a pu être mis en place : 330 cadres, tous secteurs confondus, étaient concernés, afin d’harmoniser les connaissances et les pratiques, de construire une vision commune et actualisée de la fonction d’encadrement et de développer des capacités d’animation et de motivation d’équipe. Chaque cadre a ainsi pu disposer de neuf jours de formation. Et le dispositif a été récompensé par un prix annuel de l’ANFH (Association nationale de formation hospitalière).

DES FORMATIONS SECTORIELLES

Bien sûr, des formations plus “sectorielles” sont également proposées aux équipes, car les besoins sont aussi liés à la spécificité des services : « Dans un service de gériatrie, par exemple, on formera toute l’équipe et aussi le cadre à l’humanitude, souligne Denise Schall. Dans un bloc opératoire, on proposera plutôt de travailler sur la performance économique du bloc. Dans les Ifsi, on suggérera des formations aux sciences de l’éducation. C’est donc fonction du lieu d’exercice. »

La formation continue est parfois associée à la promotion ou à l’évolution interne, ce qui est le cas lorsqu’il s’agit de “monter” dans la hiérarchie. Mais aussi lorsqu’il s’agit d’accéder à un autre service. « Lorsque j’ai posé ma candidature pour le poste de cadre hygiéniste, je me suis engagé à suivre le DU, c’était logique », note Philippe Blanco du centre hospitalier de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique).

Des formations sont aussi organisées pour répondre aux besoins spécifiques du secteur : fidéliser le personnel, voire le “séduire” dès la réalisation des stages. C’est le but des formations au tutorat, proposées aux équipes de nombreux établissements. Des sessions de sept jours ont ainsi été proposées aux équipes de l’hôpital Nord à Marseille (Bouches-du-Rhône). « Il nous faut travailler sur l’attractivité de nos services, souligne Claude Ribière, directeur des soins de l’établissement. Et cocooner les étudiants comme l’ensemble du personnel. » L’hôpital Nord a ainsi également développé des formations pour la prévention de l’épuisement professionnel. « Mais savoir reconnaître les personnels en difficulté et leur proposer des solutions fait aussi partie du management », observe Claude Ribière.

JOURNÉES CADRES

Par ailleurs, la situation d’isolement d’un certain nombre de cadres de proximité a également donné naissance à des projets. « Nous avons organisé une journée des cadres, basée sur une thématique toute simple : “qu’est-ce qu’être cadre” », explique Brigitte Gaurin, directeur des soins au centre hospitalier de Saint-Nazaire. Cela a fait ressortir un problème de reconnaissance, un sentiment de ne pas être suffisamment associé aux décisions. » Des groupes de travail sur différentes thématiques concernant l’évolution de l’établissement et des sessions de formation aux pratiques managériales exclusivement réservées aux cadres de santé ont donc été mises en place. « Cela permet d’échanger sur leurs pratiques de manière totalement confidentielle, les cadres supérieurs n’étant pas présents », poursuit Brigitte Gaurin.

VERS LE NIVEAU MASTER…

Enfin, avec les recommandations des rapports de Singly et Yahiel-Molinier, et l’intégration des formations initiales dans le cursus LMD (licence-master-doctorat), les cadres de santé s’engagent timidement dans des diplômes de niveau master. « À Colmar, ce sont les cadres supérieurs que nous encourageons dans cette direction, mais ce n’est pas une obligation », remarque Denise Schall. Là encore, les candidats s’orientent vers des masters management, bien sûr, mais pas seulement. Ainsi, à Aix-en-Provence, le département des Sciences de l’éducation a mis en place, depuis une dizaine d’années déjà, un master Formation et encadrement dans le secteur sanitaire et le travail social (FEST) qui permet de réunir formateurs et cadres de proximité mais aussi soignants et travailleurs sociaux.

Et, depuis peu, des masters en sciences cliniques infirmières ont été créés. « Ce sont des cursus que nous avons conçus à la base pour des infirmières et il faut que les étudiants soient immergés dans la clinique », indique Christophe Debout, infirmier et directeur adjoint du département de sciences infirmières et paramédicales de l’EHESP. Pourtant, cela n’empêche pas certains cadres de se lancer dans l’aventure. À l’image de Sandrine Lefebvre, cadre de santé en neurologie à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière. « Au départ, je ne voulais surtout pas faire de master, car je pensais que cela signifiait forcément se spécialiser en gestion, économie, logistique, raconte-t-elle. Puis on m’a parlé de ce cursus en sciences cliniques. Cela m’a intéressée car je pouvais rester dans le soin. » Après son master1, Sandrine est donc revenue à son poste, de nombreux projets en tête. « Il y avait une composante éducation thérapeutique dans ce diplôme, du coup, j’ai eu l’idée de monter une consultation dans notre service. Deux des infirmières ont suivi le DU d’éducation thérapeutique, puis nous avons rédigé un cahier des charges qui vient tout juste d’être validé par l’Agence régionale de santé. La consultation peut donc être lancée. » Son objectif suivant : trouver le financement pour un master2, relativement coûteux.

… MALGRE DES OBSTACLES

Une difficulté pour accéder au master réside probablement dans l’organisation de ces cursus. « C’est important de se poser et d’analyser ses pratiques. Mais il peut être compliqué d’organiser un départ en formation, notamment dans les petits centres hospitaliers », suppose Chantal Eymard, maître de conférences en sciences de l’éducation et responsable du master professionnel FEST. Difficultés qui se rencontrent aussi dans les grands hôpitaux. Sandrine Lefebvre se souvient ainsi qu’elle passait tous les matins travailler dans son service, partait ensuite pour ses huit heures de stage, puis revenait parfois le soir car elle n’avait pas été remplacée à son poste durant sa formation.

Mais c’est souvent sur le chapitre financier que peuvent apparaître les restrictions. « Hormis cette limite, à moins que le projet de formation soit rigoureusement sans rapport avec l’activité, il n’y a pas de raison de refuser une formation », note Denise Schall. D’ailleurs, les cadres le savent bien, eux qui s’interdisent souvent de solliciter une formation par peur d’en priver une IDE de leur équipe. « Il y a cette idée que la formation est un peu un cadeau ou qu’elle sera plus utile pour des soignants qui sont vraiment dans le soin et le contact patient (les DU notamment) », regrette Sarah Lebossé, responsable formation du centre hospitalier de Saint-Nazaire. Dans cet établissement, il est même arrivé qu’un cadre propose de financer lui-même son DU alcoologie. « Par chance, quelqu’un d’autre s’est finalement désisté et nous avons pu lui proposer une prise en charge », poursuit Sarah Lebossé.

« Actuellement, notre budget a dû être restreint, reconnaît également Bernard Orsoni. Au point que des entrées en Ifsi ont été reportées. Il faut dire que l’établissement consacre un 12 % de son budget formation à la fonction cadres et assimilés. » C’est d’ailleurs également pour motif financier que les établissements peuvent être amenés à privilégier les formations collectives en intra, plutôt que les formations individuelles. « C’est l’une des raisons pour lesquelles le Dif n’est pas un dispositif très développé chez nous, explique Bernard Orsoni. Cela coûte cher alors nous ne l’encourageons pas vraiment pour l’instant. Sans quoi nous risquons de nous retrouver avec des demandes que nous ne pourrons pas satisfaire. Bien sûr, il faudra très bientôt nous pencher sur la question car les heures vont s’accumuler. »

Il semble aussi que, pour l’heure, les cadres de santé ne sont pas saisis de l’ensemble du dispositif de formation continue. Le congé de formation professionnelle (CFP) correspond pourtant bien au cursus master et des financements sont disponibles, en dehors de l’établissement (cf. encadré). « Nous dispensons l’information progressivement et déjà cela crée des frustrations car nous ne pouvons pas répondre à toutes les demandes, rapporte Bernard Orsoni. Il nous faudra probablement communiquer à nouveau sur l’ensemble du dispositif et notamment le CFP qui peut être financé en dehors du plan de formation. » ,

(1) Rapport de la mission cadres hospitaliers, Chantal de Singly, ministère de la Santé et des Sports. Accessible sur www.sante.gouv.fr/rapport-de-la-mission-cadres-hospitaliers-presente-par-chantal-de-singly.html.

(2) Quelles formations pour les cadres hospitaliers ? Yahiel Michel, Mounier Céline, France. Inspection générale des affaires sociales. Accessible sur www.igas.gouv.fr/spip.php?article165.

Les dispositifs de formation

Il existe deux voies d’accès à la formation professionnelle tout au long de la vie : le plan de formation de l’établissement et les dispositifs individuels financés par l’ANFH (Association nationale de formation hospitalière), fonction publique hospitalière, le Formahp (Formation hospitalière et médico-sociale privée) ou le Fongecif, secteur privé hospitalier.

→ Le plan de formation regroupe les actions de formation retenues par l’établissement en fonction notamment de ses orientations stratégiques, des besoins en développement des compétences individuelles et collectives. Il finance les actions de formation proposées en interne : études promotionnelles, préparation aux examens et concours de promotion interne, maintien ou perfectionnement des connaissances, actions de conversion permettant d’accéder à une qualification nouvelle, validation des acquis de l’expérience. Dans le secteur public, les actions prises en charge dans le cadre du plan de formation ont lieu pendant le temps de travail et permettent le maintien de la rémunération. Ils impliquent pour l’agent une obligation de servir durant une durée égale ou triple à celle de la formation.

→ Les dispositifs individuels sont sollicités à l’initiative de l’agent ou du salarié, la plupart du temps avec l’accord de l’employeur. Tout agent ou salarié d’un établissement de santé bénéficie notamment d’un droit individuel à la formation (Dif) d’une durée de 20 heures par année de service qui peuvent être cumulés jusqu’à 120 heures. Le Dif peut être utilisé pour une validation des acquis de l’expérience, un bilan de compétence, des actions d’adaptation à l’évolution prévisible des emplois, le développement des connaissances, la préparation aux examens et concours. Le bénéficiaire perçoit 50 % de son traitement ou de son salaire à titre d’allocation lorsque le Dif est utilisé hors temps de travail. Le bilan de compétences peut être mis en œuvre au cours d’un congé pour bilan de compétences de 24 heures ou hors du temps de travail. Il est accessible à partir d’une année d’ancienneté dans le privé et de deux ans dans le secteur public. Le congé de formation professionnelle (CFP, dans le secteur public) ou congé individuel formation (Cif, dans le privé) est accessible à partir de trois ans d’ancienneté dans un établissement public ou deux ans dans un établissement privé. L’employeur ne peut refuser plus de deux fois la demande de départ en congé formation. Celui-ci peut toutefois être différé dans l’intérêt du fonctionnement du service ou lorsque le nombre de personnels simultanément absents du service dépasse 2 % du nombre total des employés de l’établissement au 31 décembre de l’année précédente. Une indemnité forfaitaire mensuelle peut être prise en charge durant 12, voire 24 mois maximum. L’agent du secteur public bénéficiant d’un CFP s’engage à rester dans la fonction publique hospitalière ou dans une autre fonction publique durant le triple de la durée de son indemnisation.