Objectif Soins n° 195 du 01/04/2011

 

Point sur

Philippe Vasseur  

L’agression sexuelle(1) est définie par l’article 222-22 du Nouveau Code pénal comme « toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise ». C’est un délit susceptible de cinq ans d’emprisonnement. L’article suivant (222-23) définit le viol : « Tout acte de pénétration sexuelle de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. »(2) C’est un crime, puni de quinze ans de réclusion criminelle.

L’ENVEFF (Enquête nationale sur les violences envers les femmes en France) réalisée en 1999 a révélé que 1,2 % des femmes sont victimes d’agression sexuelle tous les ans dont 0,5 % de tentatives de viol et 0,3 % de viol, soit en extrapolant ces chiffres à la population féminine (de 20 à 59 ans), 190 000 femmes victimes d’agression sexuelle tous les ans, dont 48 000 de viol.

Au cours de la vie, 11,4 % de femmes sont victimes d’agression sexuelle, dont 5,3 % d’attouchements et 8 % de viols ou tentatives de viols. 11 % seulement des viols sont signalés à la justice.

La prévalence en France des agressions sexuelles sur mineurs est de 3 à 5 % tous sexes confondus (8 % pour les filles). En 2010, l’unité médico-judiciaire de l’Hôtel-Dieu de Paris a pratiqué 543 examens pour agression sexuelle (tous sur réquisition judiciaire), dont 119 sur des victimes mineures.

Leur prise en charge se fait dans un cadre médico-légal ou médical.

LE CADRE MÉDICO-LÉGAL

La victime dépose plainte dans un commissariat ou une gendarmerie pour agression sexuelle. L’officier de police judiciaire lui remet une réquisition : le médecin a pour mission d’examiner la victime et de recueillir toutes preuves de l’agression. L’examen comporte un volet médico-légal où les soignants sont auxiliaires de justice et un volet médical “soignant”. La victime est majeure ou mineure. Des spécificités lors de l’examen de la victime mineure doivent être prises en compte.

Examen de la victime majeure

La victime est le plus souvent une femme, la plupart du temps en état de choc. L’accueil est essentiel : la victime doit se sentir en sécurité face à des professionnels à l’écoute, bienveillants, empathiques. Il est souhaitable que le médecin soit secondé par une infirmière, tant sur le plan technique que psychologique.

L’interrogatoire ou questionnement

– Les circonstances de l’agression : date, heure, lieu, nombre d’agresseurs, lien entre la victime et l’auteur des faits, le déroulement de l’agression, le type de menace, le mode de pénétration, le port ou non d’un préservatif, la notion d’éjaculation.

– Les antécédents médico-chirurgicaux de la victime, en particulier gynéco-obstétricaux : date des dernières règles, du dernier rapport sexuel avant l’agression, utilisation ou non d’une contraception.

– La prise de traitements médicamenteux, d’alcool, de produits stupéfiants, avant et après l’agression.

– La notion d’une toilette gynécologique externe ou interne, d’émission de selles, de changement de vêtements.

– Les signes fonctionnels somatiques (doléances, saignements…).

– L’état psychologique (sidération…).

L’examen somatique général

Recherche des lésions traumatiques : ecchymoses, hématomes, en particulier dans des zones de défense – contusion des avant-bras – ou des zones de prise – face interne des bras ou des cuisses – plaies, brûlures, traces de lien. On essaie de dater ces lésions, d’en comprendre le mécanisme et d’en déduire la compatibilité avec les faits allégués. On délivre une ITT (incapacité totale de travail “personnel”) au sens pénal du terme pour ces lésions somatiques concomitantes de l’agression sexuelle (pas d’ITT pour le viol proprement dit, car il s’agit d’un crime jugé aux assises).

La victime se déshabille hors présence des soignants et est vêtue d’une tenue facilitant l’examen et respectant sa pudeur. On s’enquiert des zones douloureuses précisées par la victime en examinant les seules zones suspectes. La présence de ces traces de violence peut jouer un rôle majeur dans l’indication du non-consentement de la victime.

L’examen des orifices de pénétration sexuelle

L’examinateur doit au préalable être habillé d’une casaque, d’un masque, d’une charlotte et de gants afin de prévenir toute contamination (l’ADN du médecin ne doit pas être retrouvé dans les prélèvements de la victime).

→ la bouche : recherche de plaies labiales, jugales. Des prélèvements sont réalisés dans les sillons gingivaux-jugaux, entre la langue et le plancher buccal. Le prélèvement n’est pas effectué au-delà d’un délai de 12 heures après les faits (inexploitable).

→ la sphère génitale : l’examen est pratiqué en position gynécologique habituelle, décubitus dorsal, sur une table gynécologique électrique (dans l’idéal) équipé d’un colposcope.

Après avoir expliqué les modalités de l’examen à la patiente et lui avoir demandé si elle était prête, celui-ci débute.

Recherche de lésions génitales externes : plaie, ecchymose, hématome au niveau de la vulve, fourchette, grandes et petites lèvres.

Examen de l’hymen (barrière médico-légale à la frontière de l’externe et de l’interne) : sa forme et son aspect, intact ou déchiré, une déchirure complète ou partielle, récente ou ancienne ? Noter la position horaire des lésions : déchirure à 5 heures… L’examen au colposcope permet parfois d’objectiver des lésions discrètes.

Recherche de lésions génitales internes : l’introduction douce d’un spéculum à usage unique, transparent, lubrifié avec du sérum physiologique (une crème lubrifiante est contre-indiquée) permet de visualiser des lésions intravaginales et de réaliser des prélèvements.

→ l’anus : cet examen est réalisé en position genu pectoral (pour les deux sexes).

Recherche de lésions péri-anales : ecchymoses, hématomes…

Recherche de lésions anales : on déplisse délicatement la muqueuse anale afin de constater des fissures, des déchirures, des contusions.

Recherche de lésions endorectales : l’introduction douce d’un anuscope à usage unique, transparent, lubrifié au sérum physiologique, permet d’identifier des lésions et d’effectuer des prélèvements, les mêmes que ceux réalisés au niveau vaginal.

Un toucher rectal peut être pratiqué afin d’évaluer la tonicité du sphincter.

Des photographies des lésions somatiques et des lésions sexuelles complètent l’examen clinique.

Les prélèvements locaux, sanguins et urinaires

→ Prélèvements locaux, réalisés par le médecin avec l’aide de l’infirmière

Recherche de preuve d’un rapport sexuel et recherche de l’identification de l’auteur :

– prélèvements à la recherche de spermatozoïdes. Cette recherche est faite si l’examen de la victime est réalisé 5 jours au maximum après l’agression.

Les prélèvements buccaux, anaux, gynécologiques peuvent être complétés par des prélèvements réalisés sur une partie du corps ou sur un vêtement suspect de porter un éjaculat.

Trois écouvillons sont prélevés par site, étalés sur trois lames pour chaque localisation et séchés à l’air pendant 5 minutes. Pour les prélèvements de peau, un écouvillon est au préalable humidifié par du sérum physiologique. Les vêtements conservés sont déposés par la victime dans un sac en papier kraft ;

– prélèvements pour typage génétique : un quatrième écouvillon est prélevé par site, il n’est pas étalé sur lame. Il est conservé dans un congélateur. L’utilisation de sondes ADN permet de détecter l’empreinte génétique de l’agresseur.

Recherche de maladies sexuellement transmissibles : présence de gonocoque mis en évidence par écouvillonnage de l’endocol ou du canal rectal (effectué après la recherche des spermatozoïdes), recherche de trichomonas.

→ Prélèvements sanguins, réalisés par l’infirmière

Recherche de maladies sexuellement transmissibles :

– sérologie de la syphilis (TPHA, VDRL);

– sérologie HIV1 et 2 ;

– sérologie de l’hépatite B et C.

Recherche d’une grossesse antérieure par HCG.

Bilan de compatibilité avec un traitement préventif rétroviral : NFS, plaquettes, iono, urée, créatininémie, bilan hépatique complet, CPK, LDH, lipasémie, TP, TCA, fibrinogène.

Recherche de substances toxiques (alcool, stupéfiants), médicamenteuses (psychotropes) pour déterminer une éventuelle soumission chimique.

Typage génétique, afin de séparer dans les prélèvements l’ADN de la victime de celui de l’agresseur. Les prélèvements sont pratiqués en double pour une éventuelle contre-expertise. Les prélèvements conservatoires sont stockés au congélateur à - 30°C.

→ Prélèvements urinaires

Recherche de maladies sexuellement transmissibles (Chlamydiae).

Recherche de prise de substances toxiques (stupéfiants, psychotropes) dans le cadre d’une éventuelle soumission chimique.

Évaluation du retentissement psychologique

Réalisée par le psychiatre à la demande des officiers de police judiciaire. Le retentissement est souvent très important. Le syndrome de stress post-traumatique est fréquent.

Prélever l’auteur

Lorsque l’auteur de l’agression est identifié, il faut notifier dans le rapport médico-légal qu’un prélèvement sanguin est souhaitable. Il permet de connaître le statut sérologique de l’agresseur (risques de contamination sexuelle pour la victime). La loi du 18 mars 2003 oblige le suspecté à se faire prélever, sous peine de prison. Le traitement préventif rétroviral mis en place pourra, en cas de négativité des tests sanguins de l’auteur, être interrompu.

Un rapport complet et détaillé est remis à l’autorité judiciaire.

Si l’équipe soignante a le devoir de répondre à la mission dans le cadre de la réquisition, elle doit aussi s’assurer du suivi médical de la victime.

Le volet soins

Il comporte :

– une contraception du lendemain pour la victime féminine ;

– un traitement rétroviral, préventif du sida mis en place (sous certaines conditions) si la victime est examinée dans les 48 heures après l’agression et ce pendant 4 semaines ;

– un traitement préventif de l’hépatiteB (immunoglobuline) peut être prescrit mais son utilité n’a pas encore fait l’objet d’un consensus.

Ces traitements sont prescrits après avoir recueilli le consentement de la victime (information sur les effets secondaires…). Un suivi psychologique est proposé, le recours à une hospitalisation étant parfois nécessaire.

Examen de la victime mineure

Cet examen doit être effectué dans un cadre médico-légal, le consentement du mineur n’étant pas requis pour déposer plainte. L’article44 du Code de déontologie médicale mentionne : « Lorsque le médecin discerne qu’une personne auprès duquel il est appelé, est victime de sévices […] s’il s’agit d’un mineur de 15 ans ou d’une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique, il doit, sauf circonstances particulières qu’il apprécie en conscience, alerter les autorités judiciaires, médicales ou administratives. » Le secret médical est levé lorsque les sévices sont infligés à un mineur de 15 ans (article 226-14 du Nouveau Code pénal).

Si le consentement du mineur victime de sévices sexuels n’est pas un préalable nécessaire pour alerter les autorités, ce consentement est le préalable indispensable à tout examen…

→ L’interrogatoire : il exige de la patience de la part du médecin interrogateur qui doit obtenir la confiance de l’enfant ou de l’adolescent. Chez le tout-petit, l’utilisation de pantins, de poupées, de dessins permet de faciliter l’interrogatoire. Il faut indiquer dans le rapport les termes exacts utilisés par l’enfant. La présence des parents s’avère nécessaire chez le tout-petit en prenant cependant soin de ne pas laisser les parents influer sur les réponses de l’enfant. Chez l’adolescent, l’examen est réalisé en dehors de la présence des parents.

→ L’examen somatique général recherche les traces de violences.

→ L’examen des orifices de pénétration sexuelle :

Examen endobuccal : recherche des lésions de violence comme des pétéchies du palais, ecchymoses, déchirure du frein lingual. Des prélèvements sont effectués.

Examen génital : chez le tout-petit, ou l’enfant prépubère, l’examen est réalisé en position de décubitus dorsal, position dite de la grenouille, permettant l’ouverture spontanée de l’orifice hyménal. Recherche des lésions externes : elles sont identiques aux lésions de l’adulte (ecchymose…).

Examen de l’hymen : pour l’enfant pubère, on expose l’hymen grâce au procédé du ballonnet. Une sonde à ballonnet n° 10 ou 12 est introduite très doucement à travers l’orifice hyménal. Une fois la sonde en place, le ballonnet est gonflé de quelques cm3 d’eau. La sonde est ensuite retirée tout doucement : elle va déplisser l’hymen qui pourra ainsi être exploré. Des photographies sont prises. La forme est notée (variation anatomique physiologique): annulaire, labié, semi-circulaire, en pont, cribiforme. On recherche la présence de déchirures traumatiques atteignant ou non l’insertion hyménale sur la paroi vaginale. Ces lésions ne doivent pas être confondues avec les incisures physiologiques. Le ballonnet est dégonflé progressivement, jusqu’à sa sortie. On en déduit le degré de perméabilité de l’hymen (diamètre utile). La “souplesse” de l’hymen peut-être appréciée : un hymen “tolérant” intact peut permettre un rapport sexuel complet sans aucune déchirure. L’examen au colposcope chez un enfant détendu permet parfois d’éviter la technique du ballonnet. Un spéculum de vierge peut être mis en place afin de réaliser les prélèvements.

Examen ano-rectal : identique à celui de l’adulte sauf chez le tout-petit ou la position de la grenouille est souvent suffisante pour l’examen.

→ Les prélèvements locaux et sanguins : pas de spécificités, ils sont identiques à ceux de l’adulte.

Rôle de l’infirmière

L’infirmière, par sa présence, joue un rôle-clé dans l’examen des victimes d’agression sexuelle. Elle prépare le matériel et assiste le médecin lors de l’examen médical et des prélèvements locaux. C’est elle qui réalise et conditionne les prélèvements sanguins, urinaires et conservatoires. Une grande rigueur est nécessaire dans l’identification et la traçabilité des actes médicaux. L’infirmière et le médecin expliquent le traitement prescrit, l’infirmière contrôle la prise de la contraception et du traitement antirétroviral. L’infirmière concoure à la mise en confiance de la victime, en particulier chez le mineur, et facilite ainsi l’examen. L’image du couple homme médecin, femme infirmière ou femme médecin et homme infirmier (image parentale) permet à la victime de se sentir en sécurité et de ne pas vivre cet examen comme une intrusion supplémentaire.

LE CADRE MÉDICAL, HORS DEPÔT DE PLAINTE

La victime a refusé de déposer plainte, elle vient donc sans réquisition. Un certificat doit être rédigé par le médecin à remettre à la victime ou à conserver par devers lui, notant les lésions générales et sexuelles. Les prélèvements locaux, sanguins sont effectués à visée diagnostique et de traitement. Ces traitements sont mis en œuvre. La recherche de spermatozoïdes et d’ADN de l’auteur peut être faite mais à charge pour le praticien de conserver ces échantillons dans de bonnes conditions, pour un éventuel dépôt de plainte ultérieur. Dans la pratique, cela s’avère très difficile sauf dans le cadre d’une institution hospitalière.

CONCLUSION

L’examen d’une victime d’agression sexuelle est réalisé de façon rigoureuse, dans le respect de la personne qui a souffert dans son intimité la plus profonde. Cette prise en charge nécessite un savoir-faire et un savoir-être des soignants pour ne pas traumatiser davantage la victime, tout en répondant au mieux à la mission. Cet examen aura des implications médico-sociétales importantes pour la victime, pour l’auteur de l’agression et pour la société garante de sa justice.

NOTES

(1) L’agression sexuelle est le plus souvent un attouchement des parties génitales.

(2) Il faut préciser que la pénétration concerne la bouche, l’anus ou le vagin et que « l’agent pénétrant » peut-être un sexe, un doigt ou de toute autre nature.