Soigner malgré les différences - Objectif Soins & Management n° 195 du 01/04/2011 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 195 du 01/04/2011

 

Actualités

Aurélie Vion  

DISCRIMINATION → Comme tout être humain, le professionnel de santé a nécessairement des a priori face à des patients différents, qu’il s’agisse de couleur de peau, de religion ou de toute autre altérité. Comment, dès lors, s’exonérer de ses préjugés et garantir la même qualité de soins pour tous ?

Qu’ils soient noirs ou blancs, musulmans ou catholiques, jeunes ou vieux, alcooliques ou non, très sympathiques ou particulièrement désagréables, tous les patients doivent être égaux devant les soins, comme le stipule l’article L. 1110-3 du Code de la santé publique : « Aucune personne ne peut faire l’objet de discriminations dans l’accès à la prévention ou aux soins. » Si la déontologie l’impose, dans la pratique, les choses ne sont pas si évidentes pour les professionnels de santé qui sont sujets, comme tout être humain, à des jugements de valeurs, conscients ou non. Tel était l’objet d’un colloque organisé par neuf étudiantes de l’IFCS du Centre psychothérapique de Nancy le 17 mars dernier. La discrimination à l’hôpital ne se limite pas à la seule question de la pratique religieuse ou ethnique, en particulier de la religion musulmane qui est régulièrement pointée du doigt dans les médias, prévient le sociologue Ivan Sainsaulieu, chercheur au CNRS. « Au-delà, c’est tout un mécanisme de catégorisations pré-établies qui entre en jeu, ajoute Jacky Merkling, cadre supérieur, formateur en IFCS et président du comité d’éthique du Centre psychothérapique de Nancy. Ne nous comportons-nous pas différemment, que l’on s’adresse à une patiente âgée de 90 ans ou à un jeune de 17 ans ? Dans la première situation, on adoptera volontiers une attitude rassurante et réconfortante, tandis que, dans le deuxième cas de figure, on prendra plutôt un ton dynamique et énergique. Mais qui nous dit que le jeune de 17 ans n’a pas envie de réconfort et de paroles douces ? » Et d’ajouter : « Face à nos jugements de valeurs, il n’est pas toujours facile d’établir une véritable évaluation clinique. »

Ethnocentrisme

Parce qu’elle renvoie à la notion d’ethnocentrisme, « la différence fait écho à nos propres références et nos propres logiques considérées comme meilleures », indique Anne Vega, ethno-anthropologue chercheuse au CNRS. Une étude* menée auprès de 554 infirmières de même âge et de même spécialité mais exerçant au Japon, en Corée, aux États-Unis, à Taïwan ou encore à Porto Rico, a par exemple démontré à quel point il pouvait exister des différences culturelles importantes autour de la perception de la maladie : « Face à des patients présentant les mêmes symptômes, les évaluations faites par les infirmières étaient extrêmement différentes, certaines y voyant une très grande souffrance, d’autres pas », résume Anne Vega.

Comment dès lors échapper à ce penchant si humain de mettre des étiquettes ? S’il n’existe pas de solution miracle, les pistes de réflexion abordées lors de cette journée tournaient autour de l’échange : échanges directs avec le patient, mais aussi échanges avec le reste de l’équipe soignante. Il faut surtout savoir reconnaître ses limites quand l’altérité met en péril l’évaluation clinique. Car, comme l’affirmait Cécile Cosson, cadre de santé IADE au centre hospitalier de Lunéville lors de la table-ronde, « la différence ne se prend pas en charge tout seul mais en collectif ».

* Étude citée dans Des sciences sociales dans le champ de la santé et des soins infirmiers, sous la direction de Nicolas Vonarx, décembre 2010, chez PUL.