La distance d’accès aux soins, un facteur déterminant d’hospitalisation ? - Objectif Soins & Management n° 196 du 01/05/2011 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 196 du 01/05/2011

 

Économie de la santé

Didier Jaffre  

ENQUÊTE → La Dress du ministère de la Santé vient de publier une étude sur la fréquentation des hôpitaux en France. Il en ressort que 30 % des patients sont hospitalisés à moins de 30minutes de leur domicile en court séjour, et 50 % à moins de 20 minutes. Dès lors, peut-on considérer la distance d’accès aux soins comme un frein à l’hospitalisation ?

Selon la Dress (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques)*, à partir des données issues du PMSI (programme de médicalisation des systèmes d’information à l’hôpital), le temps de parcours médian pour les accouchements est de 17 minutes, le temps le plus bas étant de 6minutes, le plus haut de 29 minutes. Pour les séjours médicaux, ce temps médian est de 21 minutes, pour les séjours chirurgicaux 24 minutes.

Selon la catégorie de l’établissement de santé, le temps de parcours médian diffère également : 29 minutes pour les centres hospitaliers régionaux et/ou universitaires (CHR/U, qui traitent des pathologies lourdes uniquement), 18 minutes pour les autres centres hospitaliers.

LES TEMPS MÉDIANS D’ACCÈS AUX SOINS

Les vingt pathologies dont les temps d’accès médians sont les plus faibles (dont les IVG, les accouchements, les troubles de l’équilibre, les maladies virales, les infections ORL, les névroses et psychoses, la psychiatrie, les appendicectomies, les bronchites, les gastroentérites, les endoscopies…) ont en commun d’être très fréquentes. La moitié est prise en charge par un centre hospitalier, un cinquième par un CHR/U, et seulement deux majoritairement traitées dans le secteur privé.

Les vingt pathologies dont les temps médians d’accès sont les plus élevés sont également les moins fréquentes (polytraumatismes, tumeurs malignes, allogreffes, chirurgies ORL et ophtalmologiQe lourdes, transplantations, pontages…): 65 % ont lieu dans un CHR/U, 7 % dans un centre hospitalier, 27 % dans un établissement de santé privé.

Ces pathologies nécessitant des soins complexes, les malades n’ont pas d’autre choix que de parcourir une distance plus grande pour se faire soigner, à l’exception des suivis majoritairement réalisés dans le secteur privé (chirurgie sur le rachis et la moelle, chirurgie ophtalmologique par exemple).

20 % des séjours (toutes pathologies confondues) sont réalisés dans la commune de résidence du malade : 24 % pour les accouchements, 19 % pour les cataractes, 6 % pour les transplantations. Pour la transplantation, le temps d’accès est de 61 minutes en moyenne. En revanche, 77 % des accouchements, 64 % des chirurgies de la cataracte, 26 % des transplantations sont réalisés à moins de 30 minutes de trajet du domicile du patient.

DE FORTES DISPARITÉS INFRARÉGIONALES

Entre les régions, les écarts sont faibles, 17 ont une médecine accessible entre 20 et 26 minutes. La fourchette s’étend de 15 minutes en Île-de-France à 29 minutes en Franche-Comté. Les régions Île-de-France, Nord-Pas-de-Calais, Alsace et Provence-Alpes-Côte-d’Azur affi-chent les temps de trajet les plus courts, les régions Franche-Comté et Midi-Pyrénées les plus longs.

Selon la discipline, les temps varient fortement d’une région à l’autre : les habitants du Limousin parcourent les temps de trajet les plus longs pour les cataractes (33 minutes). Les Bourguignons, le habitants du Centre et du Poitou-Charentes plus de 100 minutes pour les transplan-tations. À noter également que 70 % des Bourguignons se font transplanter dans une autre région que la Bourgogne, contre 2 % et 4 % pour les Rhônalpins et les Franciliens. Les départements les plus peuplés sont souvent les mieux desservis. Le temps médian le plus faible se trouve dans les Alpes-Maritimes, alors que le plus élevé revient aux Alpes de Haute-Provence. Seuls trois départements dépassent les 40minutes de temps de trajet médian : les Alpes de Haute-Provence, le Gers et la Lozère.

Les cartes de déplacement de patients entre départements et de distances moyennes parcourues montrent que les habitants de départements possédant une offre hospitalière importante se déplacent nettement moins que ceux des départements moins bien pourvus, en général plus ruraux et moins peuplés que les premiers.

La confrontation de la carte des temps médians avec celle de la part de la population urbaine met en évidence le lien entre ces deux indicateurs. De manière générale, une forte part de population urbaine et des densités de population et de capacités d’accueil importantes vont de pair avec des temps de parcours faibles.

L’IMPACT DE LA DISTANCE SUR LE RÉSULTAT DES SOINS : l’EXEMPLE DE L’OBSTÉTRIQUE

Si le débat est relativement tranché en ce qui concerne les activités de soins d’urgences et de médecine, qui doivent être assurés à proximité, il n’en est pas de même pour l’obstétrique. Dans la plupart des textes et des rapports parus ces dix dernières années, l’obstétrique n’est pas à proprement parler une discipline de proximité.

Les travaux empiriques conduits sur l’impact de la proximité sur le résultat des soins ne permettent pas d’apporter une réponse unanime. Certaines études montrent qu’il existe une relation inverse entre la distance et la mortalité ; d’autres le contraire. Selon une étude américaine, dans le cas particulier des maternités, les femmes ayant un accès difficile aux services d’obstétrique ont moins de chance d’avoir un nouveau-né normal. Mais elle ne permet pas de trancher entre le renforcement des services de proximité en obstétrique, ou au contraire le développement des moyens de transfert des mères sur les maternités plus importantes éloignées.

Une autre étude finlandaise conclut que dans un système régionalisé de soins d’obstétrique avec un système d’adressage approprié, les petites structures présentent les mêmes résultats en termes de mortalité périnatale que les hôpitaux de soins tertiaires.

Ce qui est certain, c’est que la proximité n’est pas en soi une garantie d’efficacité des soins hospitaliers. Il est nécessaire que les structures qui prodiguent ces soins de proximité soient également efficaces, c’est-à-dire qu’elles respectent les normes techniques de fonctionnement et les conférences de consensus établies par les professionnels eux-mêmes. Si tel n’est pas le cas, alors la prise en charge dans un hôpital éloigné mais disposant d’un plateau technique adéquat est largement préférable à l’hospitalisation dans un établissement qui ne dispose pas des moyens pour prendre en charge le malade dans des conditions optimales.

Dès lors, la proximité des soins hospitaliers est davantage garantie par un système de transports sanitaires rapide et performant pour transférer les patients que par la présence d’un hôpital de proximité qui n’offre pas toutes les conditions de sécurité sanitaires requises.

EN FRANCE, UN TEMPS D’ACCÈS RELATIVEMENT FAIBLE

D’après l’étude de la DRESS, la distance d’accès aux soins hospitaliers en France est relativement faible. Pour les vingt pathologies les plus fréquentes dont les temps de parcours des patients sont les plus faibles, le temps d’accès ne dépasse jamais 32 minutes, et dans certains cas il est nul (20 % des patients se font soigner dans leur commune de résidence). Pour les vingt pathologies les plus complexes dont les temps de parcours des patients sont les plus élevés, le temps d’accès va de 17 minutes (tumeurs malignes) à 146 minutes (transplantations d’organes et surveillance en pneumologie). La distance d’accès aux soins ne constitue donc pas un frein en tant que tel à l’hospitalisation. Ce qui signifie que le maillage du territoire français en offre hospitalière reste relativement conséquent.

*Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, À quelle distance de chez soi se fait-on hospitaliser ?, Études et résultats n° 754, février 2011.

Distance et accès aux soins hospitaliers

En matière d’accès aux soins hospitaliers, on distingue deux types principaux de distance : la distance d’implantation et la distance de clientèle.

→ La distance d’implantation représente la distance moyenne de la population à l’établissement de santé le plus proche. Elle est égale à la moyenne arithmétique pondérée des distances entre l’établissement et chaque individu de la population générale desservie par ce même établissement. En fait c’est la distance moyenne entre la mairie de la commune où est implanté l’hôpital et les mairies des communes desservies par cet hôpital qui ne disposent pas d’hôpital mais qui sont situées dans la zone d’attraction de l’hôpital en question.

→ La distance de clientèle permet d’évaluer la distance réellement parcourue par les malades pour accéder à un établissement de santé. Elle correspond à la moyenne arithmétique pondérée des distances entre l’hôpital et chaque individu hospitalisé dans cet hôpital. Cette distance est également appelée indicateur de distance pondérée : c’est la distance moyenne des lieux de résidence des malades à leur lieu d’hospitalisation. Si on l’applique à différentes disciplines, plus la distance calculée est grande, plus la discipline est attractive, et, inversement, plus l’indicateur de distance est faible, moins la discipline est attractive. La distance de clientèle correspond donc à l’accès effectif aux soins, alors que la distance d’implantation correspond à la disponibilité théorique des soins hospitaliers et constitue un indicateur d’accessibilité.

Les quatre dimensions de l’accessibilité aux soins

• Dans le langage courant, on dit qu’un objet ou un lieu sont accessibles quand il est facile ou possible d’arriver à ceux-ci. Frenk* définit alors l’accessibilité aux soins comme le degré d’ajustement entre les caractéristiques des ressources de soins et celles de la population dans le processus de recherche et d’obtention des soins. Elle est représentée comme une fonction entre les obstacles (indicateurs de résistance) et les capacités de la population à surmonter de tels obstacles (utilisation potentielle). Ces obstacles qui caractérisent l’accessibilité aux soins sont au nombre de quatre.

→ L’obstacle physique concerne la facilité d’accès physique et géographique à l’offre de soins, généralement appréhendé en termes de distance à parcourir pour se rendre à l’équipement sanitaire. Cette distance est elle-même mesurée soit en kilomètres ou en temps (la distance physique qui dépend du relief, des axes et des moyens de communication), soit en monnaie (la distance économique qui correspond à la perte de revenus et/ou de production), soit en social (la distance sociale dont les facteurs sont le niveau d’éducation, la mobilité des personnes, par exemple). Plus la distance à parcourir est élevée, moins l’accessibilité est garantie, en n’oubliant pas toutefois de distinguer la disponibilité de l’offre de l’accès effectif et efficace.

→ L’obstacle financier se traduit par la barrière financière dans l’accès aux soins dont la consommation représente un coût direct et indirect pour le malade. Dans un système de soins à financement socialisé comme l’est le système français [NDLR : Objectif soins n° 152 de janvier 2007 et n° 153 de février 2007] où le coût de la santé est relativement réduit, restent cependant à la charge du malade le ticket modérateur qui peut s’avérer un frein dans l’accès aux soins pour les personnes modestes, tout comme l’avance de frais. Par ailleurs, une hospitalisation entraîne de nombreux coûts indirects comme la perte de revenus du travail, la garde des enfants, les aides à domicile.

→ L’obstacle organisationnel caractérise une offre de soins encombrée (les services d’urgences ou de gériatrie par exemple) dont la cause identifiée correspond à un manque d’articulation entre les professionnels de santé. Il se traduit par la constitution de files d’attente de malades, le transfert des personnes, l’allongement des délais de prise de rendez-vous, qui peuvent se traduire in fine par un renoncement aux soins. Il se traduit également par une inadaptation de la prise en charge par rapport à l’état de santé du malade.

→ L’obstacle informationnel réside dans le manque de lisibilité du système de soins et le manque d’information de l’usager. Ce niveau d’information dépend de la relative opacité du fonctionnement de l’offre de soins, mais aussi de l’éducation à la santé que le malade a reçue. Selon le niveau d’éducation, le niveau culturel, l’appartenance à un groupe, l’usager n’adoptera pas la même attitude quant au recours et au mode de recours aux soins. Certaines personnes refuseront de se faire soigner en invoquant des croyances ou des arguments religieux, par exemple.

Au-delà de ces quatre dimensions, il convient de distinguer l’accessibilité absolue de l’accessibilité relative, dans le sens où le recours aux soins dépend de trois décisions : celle, initiale, du malade de recourir aux soins, celle du médecin généraliste de prescrire une hospitalisation, puis celle du malade de suivre la recommandation de son médecin prescripteur.

*Frenk J. (1985), The concept and measurement of accessibility, Salud Publica de México, vol. n° 27, p. 438-453.%