Régionalisation de la santé : un frein à l’interrégion ? - Objectif Soins & Management n° 197 du 01/06/2011 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 197 du 01/06/2011

 

Économie de la santé

Didier Jaffre  

DIVISIONS TERRITORIALES → Alors que les ARS élaborent leur projet régional de santé, un pan de l’activité semble avoir été oublié : l’interrégionalité. Pourtant, la loi prévoyait la possibilité de créer des agences interrégionales de santé. Que sont donc devenus les schémas interrégionaux d’organisation sanitaire ? Quid du devenir de l’interrégion en santé ?

En date du 24 janvier 2006, le ministre alors en charge de la Santé a découpé le territoire français en sept groupes de régions, constituant ce qu’on appelle désormais les interrégions sanitaires :

→ Antilles-Guyane, comprenant la Guyane, la Guadeloupe et la Martinique ;

→ Est, comprenant l’Alsace, la Bourgogne, la Champagne-Ardenne, la Franche-Comté et la Lorraine ;

→ Nord-Ouest, comprenant la Basse-Normandie, la Haute-Normandie, le Nord-Pas-de-Calais et la Picardie ;

→ Ouest, comprenant la Bretagne, le Centre, les Pays de la Loire et le Poitou-Charentes ;

→ Sud-Est, comprenant l’Auvergne et les Rhône-Alpes ;

→ Sud-Méditerranée, comprenant la Corse, la Provence-Alpes-Côte d’Azur et le Languedoc-Roussillon ;

→ Sud-Ouest, comprenant l’Aquitaine, le Limousin et le Midi-Pyrénées.

L’Île-de-France constitue une interrégion en elle-même, compte tenu de sa taille et de ses caractéristiques démographiques, de même que la Réunion.

LES CARACTÉRISTIQUES DES INTERRÉGIONS SANITAIRES

La dimension de ces interrégions doit permettre d’identifier des besoins de santé suffisants pour justifier une offre de soins bien structurée avec un niveau d’activité permettant de garantir la qualité des soins. Ainsi chaque interrégion comprend entre 6 et 11millions d’habitants.

Les limites de ces interrégions ont été définies en fonction des possibilités d’accès aux soins, des ressources d’offres de soins (notamment de prise en charge des enfants), des flux de patients déjà observés pour ces activités et des partenariats et coopérations existants.

Ont également été pris en compte les liens interrégionaux préexistants dans les domaines des urgences, de la formation ou de la recherche. Ces limites ne doivent cependant pas être un frein à des collaborations entre les interrégions.

Ces nouveaux territoires n’avaient pas vocation à créer un échelon supérieur de décision en matière d’organisation des soins, ni d’aboutir à une centralisation de l’offre de soins, mais d’établir de nouvelles complémentarités dans un cadre adapté à la haute technicité des activités de soins concernées par le niveau interrégional.

Ils devaient permettre simplement aux Agences régionales de l’hospitalisation (ARH) de disposer d’un territoire adapté à l’organisation de ces activités.

LES SCHÉMAS INTERRÉGIONAUX D’ORGANISATION SANITAIRE

C’est sur leurs bases que les ARH d’une même interrégion devaient arrêter le Schéma interrégional d’organisation sanitaire, autrement dit le Sios. Le Sios avait pour vocation de mettre en place une organisation des soins adaptée à des activités hautement spécialisées (cinq au total, cf. encadré) en favorisant la coordination des moyens des régions.

Cette nouvelle organisation souhaitait mieux répondre aux besoins de soins en assurant une synergie des compétences tout en conservant une bonne accessibilité de la population à l’offre de soins dans les domaines concernés. Ils ont été arrêtés fin 2008-début 2009 par les directeurs des ARH des régions constituant les interrégions, sur lesquelles s’appliquent les Sios, pour une durée de cinq ans. Ils peuvent cependant faire l’objet, à tout moment, d’une révision dans les mêmes conditions que pour leur adoption.

L’organisation sanitaire dans le cadre interrégional répondait aux mêmes principes que pour les Schémas régionaux d’organisation sanitaire (Sros). Le Sios a été fixé par un arrêté cosigné des directeurs d’ARH des régions composant l’interrégion, après avis des Comités régionaux d’organisation sanitaire (Cros) et des commissions exécutives des ARH de chaque région.

En ce qui concerne l’activité de greffe, l’agence de biomédecine était consultée pour avis sur le projet de schéma avant son examen par les Cros.

Les Sios ont été construits selon les mêmes principes qui ont présidé aux Sros de troisième génération, à savoir :

→ une meilleure évaluation des besoins de santé de la population de l’interrégion dans les domaines concernés, ainsi que les modes et les sites de recours aux soins utilisés et notamment les flux de patients entre les régions de l’interrégion et entre les intérrégions ;

→ une prise en compte de la nouvelle dimension territoriale qu’est l’interrégion, qui suppose une collaboration forte entre les ARH, la promotion de la coopération inter-établissements, l’identification de filières de soins au sein de l’interrégion ;

→ une association plus étroite des établissements, des professionnels de santé médicaux et paramédicaux, des sociétés savantes, des représentants des fédérations d’établissements, des élus et des usagers ;

→ une véritable animation au niveau interrégional, sous la forme d’un projet médical interrégional.

LES ENJEUX DE L’INTERRÉGIONALITÉ ET DES SIOS EN 2008

Le découpage en sept interrégions était le même pour les cinq activités de soins concernées par le Sios, de manière à créer des liens durables et une dynamique de travail entre les ARH, les établissements de santé (notamment les CHU), aussi bien dans les domaines du soin, de la prévention, de la formation et de la recherche.

Car l’enjeu des interrégions était bien là. Les uns disent que les limites sont arbitraires et virtuelles, et ne reflètent pas les mouvements habituels des populations ; d’autres craignent un mouvement de concentration de grande ampleur de l’offre de soins au niveau interrégional ; certains s’interrogent sur le choix de ces cinq activités de soins… Autant d’arguments qui montrent que la démarche interrégionale n’est pas encore naturelle et suscite des craintes et des interrogations chez les professionnels, les usagers, les élus.

Or refuser l’interrégion, c’est en quelque sorte continuer à favoriser le tropisme des régions Île-de-France, Rhône-Alpes et Paca, au détriment des autres régions. Car c’était bien l’enjeu des interrégions : avoir une taille critique suffisante pour pouvoir justifier de l’installation de services spécialisés et permettre de maintenir des praticiens hospitaliers très spécialisés, tout en développant la recherche et l’innovation. Au risque sinon de voir ces spécialités disparaître totalement des interrégions pour ne plus exister que dans les trois régions citées précédemment.

Parce qu’elle n’a pas d’existence juridique et relève uniquement de la volonté des professionnels à travailler entre eux, l’interrégion sanitaire est donc fragile. Mais c’est en même temps une chance unique pour maintenir sur l’ensemble du territoire français des activités de soins hautement spécialisées et ainsi garantir une certaine équité dans l’accès aux soins.

L’INTERRÉGION OUBLIÉE APRÈS LA LOI HPST

Trois ans plus tard, la loi HPST mise en place, tout le monde semble avoir oublié les Sios et les enjeux de l’interrégion. Le guide élaboré par le ministère de la Santé pour les nouveaux schémas régionaux d’organisation des soins aborde bien la question des Sios, mais renvoie celle-ci à plus tard : « Sur le plan juridique, le Sios ne fait pas partie du projet régional de santé (PRS): il s’agit d’un document autonome en droit qui fait l’objet d’une procédure de consultation distincte pour son adoption. Par ailleurs, les Sios sont “figés” depuis l’entrée en vigueur de la loi le 1er juillet 2010 tout comme les Sros, car ils ont été arrêtés sur la même base légale (article L. 6122-1) qui a été abrogée par la loi HPST. Deux conséquences s’en suivent : d’une part, les Sios en cours conservent leur validité juridique jusqu’à leur échéance dans le délai de cinq ans ; d’autre part, les Sios ne sont ni révisables ni abrogeables avant leur échéance. Une mesure législative est en préparation pour proroger la durée des Sros et des Sios en cours et permettre de réviser les Sios avant leur échéance normale, dans un objectif de cohérence avec le Sros-PRS. »

Les ARS auraient dû constater la conformité des autorisations délivrées suite au Sios au début 2011. Mais, toujours confrontées à leur structuration interne et régionale, elles ne sont pas encore constituées en interrégion.

DES ENJEUX À RECONSIDÉRER ?

Pourtant les enjeux de l’interrégion restent majeurs, et peut-être même accentués grâce à un champ de compétence beaucoup plus large des ARS que ne l’était celui des ARH.

Les questions de démographie médicale, paramédicale, de formation, de la recherche, d’organisation de filières, sont autant de domaines qui doivent dépasser le cadre strict des frontières régionales. Mais également celui de la veille et de l’alerte sanitaire, de la santé publique, de la santé environnementale, du secteur médico-social. Pourquoi ne pas élaborer un véritable projet de santé interrégional, doté d’instances de démocratie participative ? Les ARS auraient tout intérêt à se fédérer en interrégions pour construire leur politique régionale et interrégionale de santé. Mais le repli sur la région semble être la priorité, avant le partage et l’ouverture.

Certaines interrégions, sous l’impulsion des centres hospitaliers universitaires et des facultés de médecine, ont malgré tout vu le jour : le Nord-Ouest et l’Est. Les acteurs ont compris les enjeux et tout l’intérêt de se fédérer pour peser dans les décisions et les arbitrages nationaux.

Espérons, à l’heure de l’Europe, que la question de l’interrégionalité en santé ne sera pas reléguée au second plan dans les années à venir.

Les activités de soins soumises à un Sios (décret du 24 janvier 2006)

Auparavant rattachées au niveau national, cinq activités de soins relèvent désormais d’un Sios.

Auparavant rattachées au niveau national, cinq activités de soins relèvent désormais d’un Sios.

• La chirurgie cardiaque : toutes les interventions chirurgicales intra-thoraciques portant sur l’appareil cardiovasculaire (cœur, péricarde, artères coronaires, veines afférentes, gros vaisseaux afférents et efférents), que ces interventions nécessitent ou non une circulation extracorporelle.

• La neurochirurgie : actes simples (chirurgie des nerfs périphériques) ou prises en charge plus complexes (tumeurs cérébrales, traumatismes cérébraux et médullaires, malformations vasculaires ou cancéreuses, troubles fonctionnels). Ensemble des actes dont les plus spécialisés justifiant des conditions particulières par rapport à la chirurgie. Cette partie de la neurochirurgie est caractérisée par des actes opératoires majeurs de durée souvent longue (3 à 4 heures) avec risque vital et fonctionnel, des patients dépendants du fait de leur état neurologique, neuropsychologique ou physiologique et donc la nécessité d’un environnement technique lourd et spécifique.

• Les activités interventionnelles par voie endovasculaire en neuroradiologie : concernent la région cervico-céphalique et médullo-rachidienne. Elles traitent des maladies vasculaires touchant le système nerveux : anévrismes intracrâniens, malformations artério-veineuses, accidents vasculaires cérébraux (AVC), sténoses carotidiennes et fistules durales intracrâniennes et médullaires. Elles prennent en charge en grande partie, en substitution ou en complément, les patients de neuro­chirurgie. Elles interviennent en urgence dans la phase aiguë des AVC. Leur intérêt comme alternative thérapeutique au geste chirurgical est de traiter les affections du névraxe et de ses enveloppes dans des technologies radiologiques peu invasives.

• Le traitement des grands brûlés : les brûlures sont le résultat d’un traumatisme de la peau et de certaines muqueuses, voire des tissus sous-jacents, par des agents thermiques, chimiques, électriques et par des radiations. Ce sont des lésions dont l’impact initial est cutané mais qui ont des conséquences très diversifiées et de gravité très variable. Elles sont à l’origine d’une réaction locale qui devient générale, lorsque les brûlures sont étendues. Il s’ajoute alors à une lésion locale un retentissement au niveau de tous les grands systèmes de l’organisme et qui exige donc une thérapeutique associée adaptée.

• Les greffes d’organes et les greffes de cellules hématopoïétiques : le Sios prend en compte certains organes (rein, foie, cœur, poumons, cœur-poumon, pancréas, rein-pancréas). Quelques greffes doivent faire l’objet d’une organisation adaptée, notamment la greffe de l’intestin et les greffes réalisées sur les enfants. Les greffes expérimentales de tissus vascularisés (face, mains…) sont exclues du Sios. Le Sios concerne également l’activité d’allogreffe de cellules hématopoïétiques : moelle osseuse, sang placentaire ou sang périphérique.

Les autres activités de soins relèvent soit du niveau régional (Sros), soit du niveau national.