Le travail de nuit, nécessaire courroie de transmission - Objectif Soins & Management n° 198 du 01/08/2011 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 198 du 01/08/2011

 

Ressources humaines

Géraldine Langlois  

ORGANISATION → Effectifs plus réduits que le jour, plus grande solitude des soignants dans les services, rythme chrono-biologique et social à contretemps… Le management des ressources humaines en mode nocturne s’adapte aux spécificités du travail en équipe de nuit.

Lumière plus douce, bruits étouffés, couloirs presque déserts : le travail de nuit s’effectue à l’hôpital dans des conditions particulières, un peu à contretemps ou différentes de celles du jour. Certaines infirmières et aides-soignantes ne travaillent que la nuit, d’autres effectuent un roulement jour/nuit. À part dans les services très sensibles comme la réanimation, le nombre de soignants présents la nuit est inférieur aux effectifs de jour, les médecins ou internes n’interviennent qu’en cas de besoin et l’encadrement est moins rapproché. Il existe cependant bel et bien, selon des modalités variables. Les soignants de nuit peuvent ainsi être encadrés par des cadres spécifiquement dédiés à des équipes nocturnes fixes ou être sous l’autorité du cadre de jour de leur unité et encadrés la nuit par des cadres uniquement responsables du bon fonctionnement de l’activité nocturne.

CLÉS DE RECRUTEMENT

Les uns ou les autres n’interviennent donc pas forcément au moment du recrutement des soignants de nuit. Au CHRU de Lille, Véronique Autricque, l’un des cadres responsables des deux équipes de nuit fixes de l’hôpital gériatrique des Bateliers (63 agents), reçoit les lettres de motivation des candidats au travail nocturne. Beaucoup émanent de mères de famille désireuses de mieux articuler vie personnelle et professionnelle. Dans cet établissement, par exemple, infirmières et aides-soignantes de nuit connaissent leur planning début octobre pour toute l’année suivante…

Pour la cadre lilloise, « il ne faut pas que le passage de nuit corresponde à une fuite du service où l’on travaille, ni à la recherche d’une “planque”. Il faut être solide, physiquement et psychologiquement. Je suis très franche avec les candidats sur ce qu’est le travail de nuit. À l’Ehpad, il y a seulement deux aides-soignantes pour deux fois soixante lits ». Et puis, l’hiver, certains soignants ne voient presque pas la lumière du jour !

Si les mêmes compétences sont attendues des soignants de nuit et de jour, certaines qualités facilitent l’adaptation au travail de nuit. Apprécier le travail en binôme, par exemple, mais surtout posséder une bonne expérience. « Il faut savoir réagir vite et même anticiper les problèmes », souligne Patrice Campion, cadre affecté de nuit à l’hôpital de Roubaix. La nuit, infirmières et aides-soignantes sont « plus seules que le jour, souligne Noëlle Ledenmat, l’une des dix cadres qui gèrent l’activité nocturne des soignants à l’hôpital Lariboisière (AP-HP, Paris). Si elles ont travaillé plusieurs années de jour, elles savent mieux faire face aux urgences. » À Poitiers, Fabienne Étourneau, cadre de jour de l’équipe diurne et nocturne de la réanimation chirurgicale, attend au moins six mois avant de faire entrer une nouvelle recrue de jour dans le roulement de nuit.

PRÉCIEUSE EXPÉRIENCE

Bien souvent, les cadres organisent le travail des nouvelles recrues nocturnes en doublon afin qu’elles se familiarisent pendant quelques semaines avec le travail de nuit. Elles évaluent aussi avec elles leurs débuts au bout de quelques semaines, mais, « de toute façon, je les vois toutes les nuits », précise Véronique Autricque. Impossible cependant de prédire si les unes ou les autres s’adapteront à la modification de leur rythme circadien : « Il faut essayer pour le savoir », indique la cadre lilloise… Durant la nuit, les conseils circulent, de manière informelle. « On incite les nouvelles à se coucher en rentrant chez elles, remarque Hélène Ravot, cadre coordinatrice de nuit à Lariboisière, de faire une sieste avant de prendre leur poste le soir, de ne pas se coucher le ventre vide et de boire la nuit pour ne pas se déshydrater. »

Les soignants qui ne travaillent que la nuit s’adaptent plus facilement que ceux qui “tournent” de jour et de nuit. Leur rythme est plus régulier et ils bénéficient aussi de plages de repos plus longues qui leur permettent de mieux récupérer. Pour Patrice Campion, les plus anciennes supportent aussi mieux cette vie à contretemps que les nouvelles, mais Suzanne Neveu, cadre supérieur de santé à la direction des soins du CHU de Poitiers, constate qu’après dix/quinze ans de nuits, certaines montrent tout de même des signes de fatigue.

VIGILANCE

Défaut de vigilance, tension inhabituelle ou réticence répétée à se mettre au travail : les cadres décryptent d’autant mieux ces signes de grosse fatigue s’ils connaissent bien leurs équipes. Infirmières ou aides-soignantes leur en parlent parfois ou bien des collègues les alertent. Une période de congé permet souvent de recharger les batteries. Cependant, « si une personne se sent en difficulté, on peut lui proposer de repasser de jour quelque temps, souligne Fabienne Étourneau. Mais c’est très rare ». Les retours au planning diurne des agents fixes de nuit ne s’effectuent qu’à leur propre initiative, pas celle des cadres, précisent les cadres consultés. Et à l’issue d’une longue réflexion commune, ajoute Suzanne Neveu. Parfois, le simple fait de permettre à un soignant de “vider son sac” peut relancer sa dynamique professionnelle… Un antidote précieux à l’absentéisme, dont les équipes de nuit ne sont pas plus exemptes que celles de nuit. Les cadres observent toutefois une différence : une solidarité très forte des travailleurs de la nuit les conduit plus facilement à se donner un coup de main entre services, entre étages. Ou à appeler le cadre de jour à l’avance pour lui permettre de prendre des dispositions pour la nuit suivante et ne pas mettre l’équipe de nuit devant le fait accompli. Un réflexe d’autant plus judicieux que les effectifs nocturnes sont encore plus resserrés que ceux de jour et que la moindre absence y est plus fortement ressentie.

LIENS JOUR/NUIT

Souvent décrites comme soudées et plus stables, les équipes fixes de nuit se sentent parfois “à part” au sein de l’hôpital. Leurs cadres ont un rôle d’autant plus grand à jouer pour maintenir la cohésion des équipes et le niveau d’implication collective des agents de nuit. « C’est un travail de fond », commente Véronique Autricque. La diffusion des informations institutionnelles en fait partie. Par l’affichage, bien sûr, mais aussi en direct lors du passage des cadres dans services ou via un cahier bien identifié qui circule dans les services ou reste au contraire en son point névralgique. « Les équipes de nuit sont très demandeuses d’information », estime Fabienne Étourneau. Cette cadre de jour vient plus tôt certains matins pour rencontrer l’équipe de nuit, multiplie les moyens de contact (petits mots, téléphone, mail) avec les soignants de nuit et programme les réunions pour qu’ils puissent y participer. Pour Véronique Autricque, qui ne travaille que la nuit, c’est plus facile d’organiser ses réunions d’équipe, réunions d’aides-soignantes ou d’infirmières et réunions de service, mais aussi entretiens et certaines formations sur les soins urgents, l’hygiène, etc. Une chance car, même si les soignants de nuit ont les mêmes droits à la formation que les autres, le manque d’effectifs ne permet pas toujours de satisfaire toutes les demandes, reconnaissent certains cadres. Et les horaires diurnes de certaines sessions découragent parfois les velléités de participation aux formations des soignants qui ont travaillé la veille ou travaillent la nuit suivante. Surtout si, comme en région parisienne, ils habitent loin de l’hôpital… À Poitiers, Fabienne Étourneau constate une meilleure participation des soignantes de nuit aux réunions de jour. Ce qui présente l’avantage de permettre aux infirmières et aides-soignantes de nuit de rencontrer leurs collègues du matin et de l’après-midi… qu’elles ne croisent, sinon, presque jamais !

D’autres éléments favorisent la cohésion des équipes de jour et de nuit. Dans le service de Fabienne Étourneau, seule une partie des soignants – les aides-soignantes et quelques infirmières – travaille uniquement la nuit. Le reste de l’effectif est constitué d’agents de jour qui assurent une quinzaine de nuits tous les trois ou quatre mois, indique la cadre. Une formule à laquelle tient Suzanne Neveu car elle évite l’isolement des soignants de nuit. À Roubaix, à l’inverse, les agents fixes de nuit travaillent de jour pendant deux semaines tous les dix-huit mois, histoire de rester ancrés dans la vie de l’équipe.

Que le cadre qui exerce la nuit soit “leur” cadre ou un cadre en coordination, l’attente des soignants en poste la nuit est grande vis-à-vis d’eux. Qu’il s’agisse de les accompagner face à l’urgence comme de les aider à se sentir aussi partie prenante de la vie de l’hôpital que leurs collègues de jour.

Différentes articulations jour/nuit

Les formes d’encadrement d’agents qui travaillent la nuit diffèrent selon l’organisation du travail de nuit des établissements ou des pôles.

Certains disposent, comme aux Bateliers, à Lille, d’équipes de nuit fixes encadrées par des cadres de nuit à part entière. Dans d’autres établissements, les soins sont délivrés la nuit par des infirmières et aides-soignantes qui travaillent aussi de jour (en totalité ou aux côtés d’un groupe soignant toujours de nuit). Dans ce cas, comme à Lariboisière (Paris) ou à Roubaix, ces soignants restent sous l’autorité du cadre de jour de leur unité. Et, la nuit, des cadres coordonnent l’activité de plusieurs unités, d’un pôle ou d’un hôpital entier, selon sa taille.