Psychiatrie : le nouveau régime des soins sous contrainte - Objectif Soins & Management n° 198 du 01/08/2011 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 198 du 01/08/2011

 

Droit

Gilles Devers  

LOI DU 5 JUILLET 2011 → Après bien des débats, la loi réformant les régimes de soins psychiatriques sous la contrainte a été publiée. C’est la loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011, immédiatement suivie de deux décrets d’application et de deux circulaires(1).

Il va falloir appliquer cette loi, et dans des circonstances qui sont souvent complexes. Or le premier constat est la complexité du texte. Il faut dire que cette réforme d’ensemble résulte de deux injonctions ouvertement contradictoires : d’un côté, le gouvernement avait affiché sa volonté d’imprimer une marque sécuritaire et, de l’autre, deux décisions du Conseil constitutionnel(2) ont établi la nécessité de renforcer la protection des libertés individuelles, en développant le rôle du juge judiciaire. La loi était donc un mariage des contraires, mais, en plus, le législateur a voulu passer de la notion “d’hospitalisation sous contrainte” à celle de “soins sous contrainte”. Tout part donc de la signification du consentement aux soins.

LE CONSENTEMENT, C’EST TOUJOURS RECONNAITRE L’AUTRE

Des principes établis

Le consentement à l’acte médical se rattache au principe du respect de l’intégrité du corps humain, qui est lui-même une conséquence du principe de dignité de la personne humaine : chacun a droit à l’intangibilité de son corps et nul ne peut y porter atteinte sans sa volonté, même dans un but curatif.

Une seule chose compte : un être humain vit, et un jour de vie, c’est la vie. Si le corps vit, l’être est là, comme sujet de droit, quand bien même il n’est plus en mesure d’assurer l’exercice de ses droits. Si sa conscience est altérée au point qu’il n’a plus la perception de son environnement, que ce qu’il dit ne fait pas sens, il atteindra le degré de l’irresponsabilité pénale, mais parce qu’il reste sujet. Le corps vivant est l’être humain. Cette conception est si forte que, même après la mort, le corps inerte ne redevient pas une simple chose.

Ce qui a longtemps été une construction intellectuelle juste fondée sur les principes repose désormais sur des textes, de grande qualité, qui figurent dans les tous premiers articles du Code civil, le code de la civilisation, et en particulier l’article 16-3 : « Le consentement de l’intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n’est pas à même de consentir. »

En 2001, la Cour de cassation a exprimé le lien entre le consentement et le principe constitutionnel de dignité : « Un médecin ne peut être dispensé de son devoir d’information vis-à-vis de son patient, qui trouve son fondement dans l’exigence du respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, par le seul fait qu’un risque grave ne se réalise qu’exceptionnellement. »(3)

La loi du 27 juin 1990, qui ne traitait que des mesures d’hospitalisation sous contrainte, créait un cadre objectif, au sien duquel les acteurs devaient trouver le moyen d’une relation de soin. Il s’établissait une distinction nette entre la limitation d’aller et venir et la relation de soin.

La légalité du soin pratiqué n’était pas contestable et n’avait jamais fait l’objet du moindre recours. Répondaient les principes fondamentaux de la déontologie – le médecin va au-devant de la souffrance, cherche dans toute situation une part d’acceptation et s’engage pour le reste – et l’article 16-3 du Code civil, qui est la référence incontournable en matière de consentement : « Le consentement de l’intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n’est pas à même de consentir. »

Une remise en cause fondamentale

Si la loi dispense de la recherche du consentement, elle écarte la nécessité de construire une relation, qui laisse toujours une place pour le patient. Le consentement n’est plus une relation, mais le chemin à faire par le patient pour accepter la décision médicale. Et si le patient n’accepte pas, la loi lui impose.

Ainsi, le présupposé de la loi indique que la décision médicale est ce qu’il faut faire. Vu qu’elle est juste, on la rend légale, sous l’autorité du préfet. C’est une destruction de la relation. Le consentement n’est plus une rencontre, mais une acceptation unilatérale qui dénie l’altérité. La loi heurte ici les principes les plus fondamentaux du droit, pour lesquels le consentement n’est qu’une conséquence directe du principe constitutionnel de dignité.

Les acteurs de la psychiatrie n’ont jamais montré d’hostilité à la réforme de la loi du 27 juin 1990 et, bien mieux, ils la demandaient. Ils souhaitaient une redéfinition du cadre, pour adapter les outils à une société qui change vite, et en particulier tout ce qui permettait d’alléguer l’hospitalo-centrisme pour renforcer les liens villes-hôpital, et les liens sanitaire-social. Des rapports d’études estimés se sont succédés en ce sens. Mais la question de l’hospitalisation sous contrainte n’était pas le point névralgique. Au total, le système ne fonctionnait pas si mal. C’est en réaction à des faits divers que l’autorité publique a exprimé sa décision d’une refonte globale de l’hospitalisation sous contrainte. Des faits graves ont été mis en exergue pour donner une impression négative, et négative à un point tel que la refonte de la loi était nécessaire.

Cette justification de la réforme n’avait objectivement rien de convaincant. Ces faits étaient très rares. Parfois ils relevaient du caractère soudain et irrépressible du passage à l’acte. Dans d’autres, on relevait des carences de fonctionnement, renvoyant à la responsabilité des acteurs, et pas à la refonte de la loi. Surtout, les acteurs de la psy voyaient comment la question trouvait sa réponse en amont, par la qualité du travail en secteur, par le lien entre l’hôpital et la ville, par la mise en réseau des acteurs du sanitaire, et de par la pertinence des liens avec le social. Le passage à l’acte est toujours l’aboutissement d’un processus, et l’efficacité est d’intervenir en amont, quand se créent les risques de cassure, de bascule. Or le choix a été fait de cantonner la réforme de la psychiatrie à celle de l’hospitalisation sous contrainte.

LES SOINS PSYCHIATRIQUES SOUS CONTRAINTE

Le système mis en place est particulièrement complexe.

L’hospitalisation sous contrainte

La loi du 5 juillet 2011 maintient la grande division, entre :

→ la procédure à la demande d’un tiers (Code de santé publique, CSP, art. L. 3212-1 s.) ;

→ la procédure sur décision du représentant de l’État (CSP, art. 3213-1).

Les régimes d’hospitalisation d’office (HO) s’organisent en quatre groupes :

→ de droit commun (CSP, art. 3213-1) ;

→ dans le cadre de soins psychiatriques à la demande d’un tiers, un psychiatre constate la nécessité de soins, le patient compromettant la sûreté des personnes ou portant atteinte de façon grave à l’ordre (CSP, art. L. 3213-6) ;

→ mesure concernant une personne détenue (CSP, art. L. 3214-1) ;

→ suite d’une déclaration d’irresponsabilité pénale, soit par la chambre de l’instruction ou une juridiction de jugement (Code de procédure pénale, CPP, art. 706-135), soit par le représentant de l’État (CSP, art. L. 3213-7).

Les soins sous contrainte

À partir de ce cadre constant, la loi innove profondément en passant de l’hospitalisation sous contrainte, une mesure simple de limitation de la liberté d’aller et venir, au soin sans consentement, notion complexe incluant toute la relation thérapeutique. La loi distingue désormais l’hospitalisation complète et les soins ambulatoires sous contrainte, qui doivent être validées par le préfet sous la forme d’un “programme de soins” (CSP, art. L. 3211-2-1).

L’article L. 3211-2-1 précise le contenu de ces “programmes de soins” possibles : hospitalisation à temps partiel, de jour ou de nuit, soins à domicile, consultations en ambulatoire ou activités thérapeutiques.

Le séjour s’ouvre par une période d’hospitalisation complète pour évaluation (CSP, art. L. 3211-2-2), ce, pour trois jours au plus. Un médecin de l’établissement délivre par un certificat concluant ou non au maintien de la mesure et, dans ce cas, il joint une “proposition motivée” de prise en charge. Si la forme moins contraignante s’avère inadaptée, il est possible de revenir à l’hospitalisation complète. Tout ceci doit être validé par le préfet.

COMPÉTENCE ADMINISTRATIVE ET CONTRÔLE JUDICIAIRE

La loi du 5 juillet 2011 maintient la compétence administrative, tant pour l’hospitalisation sur demande d’un tiers que pour l’hospitalisation d’office. Il existait déjà un contrôle judiciaire, par le juge des libertés. Cette place est préservée et cessera le premier des recours des patients. Mais, dans le même temps, il est instauré un contrôle dit “de plein droit” du juge des libertés et de la détention (JLD), qui est ainsi amené à effectuer un contrôle de toutes les mesures d’hospitalisations sous contrainte.

Recours libre à l’initiative du patient

Le premier recours, qui sera le plus efficace car il est le plus libre, sera le recours formé par le patient, quand il estime le moment venu (CSP, art. L. 3211-12). De ce point de vue, la loi ne modifie rien. Le juge peut également se saisir d’office, en fonction d’informations qu’il reçoit. (CSP, art. L. 3211-12 et R. 3211-14).

Contrôle de plein droit

L’apport de la loi du 5 juillet 2011 est ce qui est appelé le “contrôle de plein droit” (CSP, art. L. 3211-12-1), à savoir une intervention systématique du JLD pour toutes les hospitalisations complètes. Cela concerne l’hospitalisation à la demande d’un tiers, et l’hospitalisation décidée par le préfet, à un , puis trois, puis six mois.

Dangerosité potentielle présumée

La loi innove enfin en instaurant un procédé de contrôle lourd (CSP, art. L. 3213-8) pour la levée d’une hospitalisation sous contrainte chez des patients dont le législateur a déduit une “dangerosité potentielle présumée”.

Il s’agit de :

→ HO faisant suite à une déclaration d’irresponsabilité pénale (CPP, art. 706-135 ou CSP art. L. 3213-7) ;

→ HO de droit commun (CSP, art. L. 3213-1) qui a été mise en œuvre en unité pour malades difficiles (UMD) ;

→ HO, avec une précédente HO faisant suite à une déclaration d’irresponsabilité pénale ou ayant séjourné en UMD durant un an ou plus, ce, au cours de dix dernières années.

L’appartenance à l’une de ces trois catégories modifie la procédure, qu’il s’agisse du recours du patient ou du contrôle de plein droit (CSP, art. L. 3211-12-1 ou L. 3213-5).

En effet :

→ le juge doit disposer de l’avis motivé d’un collège spécial, constitué de deux psychiatres, dont un participant à la prise en charge du patient, ainsi que d’un membre de l’équipe pluridisciplinaire ;

→ si le juge envisage d’ordonner une mainlevée d’hospitalisation complète, il doit recueillir les conclusions de deux experts.

EN CONCLUSION

Une page a été tournée, mais comment se fera le nouvel équilibre ? Cette hyper-réglementation de la relation de soins aura pour effet mécanique de développer la judiciarisation et le rôle de la jurisprudence. Il reste à souhaiter que ce renforcement réglementaire laisse une vraie place pour une relation médicale de confiance. Ce n’est pas gagné.

NOTES

(1) Les textes d’application : décret n° 2011-847 du 18 juillet 2011 relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge ; décret n° 2011-846 du 18 juillet 2011 relatif à la procédure judiciaire de mainlevée ou de contrôle des mesures de soins psychiatriques ; circulaire n° DGOS/R4/2011/312 du 29 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge ; circulaire du 21 juillet 2011 relative à la présentation des principales dispositions de la loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge et du décret n° 2011-846 du 18 juillet 2011 relatif à la procédure judiciaire de mainlevée ou de contrôle des mesures de soins.

(2) Décisions n° 2010-71 QPC du 26 novembre 2010 et 2011-135/140 QPC du 14 juin 2011.

(3) Cour de cassation 1°, 9 octobre 2001, n° 00-14564.