Sécuriser l’administration du médicament injectable - Objectif Soins & Management n° 199 du 01/10/2011 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 199 du 01/10/2011

 

Qualité, hygiène et gestion des risques

Marie Bocquillon*   Sylvie Camadro**   Odile Freytag***   Christine Jouys****   Alexandra Tony*****  

DÉMARCHE → La sécurisation de l’administration du médicament injectable par les infirmiers(1) est une préoccupation commune des cadres de santé. Une grille d’Évaluation des pratiques professionnelles a été élaborée afin de vérifier si les pratiques des infirmières sont réalisées en conformité avec les règles professionnelles ou les recommandations de bonnes pratiques, et en sécurité avec la technique et les matériels préconisés. Pour les cadres de santé, c’est un outil d’aide à la sécurisation de l’administration du médicament.

L’accident d’administration médicamenteuse survenu en décembre 2008 dans un hôpital de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP– HP) a déclenché la demande par l’Inspection générale des affaires sanitaires (Igas) d’une mission aux fins d’établir un diagnostic des forces et faiblesses du circuit du médicament à l’hôpital.

La direction des soins du groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière-Charles-Foix, auditionnée dans le cadre de cette mission, a souhaité initier un projet d’Évaluation des pratiques professionnelles (EPP) concernant l’administration des médicaments injectables. Les critères de cette EPP sont conformes au critère de la Pratique exigible prioritaire (PEP) du manuel de certification de la Haute Autorité en santé (HAS) Démarche qualité de la prise en charge médicamenteuse du patient. L’administration d’un médicament est l’étape ultime qui peut révéler toute erreur ou dysfonctionnement. Les infirmiers, qui assurent cette étape, constituent le dernier maillon sécuritaire dans le circuit du médicament. Aussi l’objectif du groupe chargé de ce projet était de construire un outil d’EPP concernant toutes les étapes de l’administration des médicaments injectables.

LA RECHERCHE DE SÉCURITÉ

Formalisation des étapes du processus

Pour construire cette EPP, le groupe a pris en compte l’ensemble des étapes réalisées par les infirmiers en centrant son attention sur les éléments sécuritaires qui permettent d’éviter la survenue d’incidents ou d’accidents médicamenteux. Le groupe s’est attaché à identifier les critères de qualité exigibles dans les différentes étapes. Le résultat final de ce travail d’analyse est objectivé dans un logigramme (cf. figure en page suivante). Les quatre points de vigilance suivants ont été déterminés pour chacune des étapes du processus d’administration des médicaments injectables :

→ les documents utiles sont ceux nécessaires à la réalisation de la tâche ou à la prise de décision. Ils figurent dans la colonne 1 ;

→ les dangers sont définis comme étant des situations qui exposent à un risque. Le présupposé est que toute absence, partielle ou totale, de ces documents, tout manquement à leur utilisation ou toute méconnaissance des informations qu’ils contiennent par les infirmiers, constituent un danger et, donc, une situation de travail potentiellement génératrice d’un risque. Ils figurent dans la colonne 2 ;

→ les risques (erreurs potentielles associées au danger) ont été déterminés à partir de trois sources d’information distinctes : les données de la littérature, les situations récurrentes connues dans l’expérience professionnelle des membres du groupe ainsi que les observations qu’ils ont faites auprès des infirmiers sur le terrain. Les risques potentiels figurent dans la colonne 3 ;

→ les actions préventives sont les propositions destinées à éviter les dangers. Elles figurent dans la colonne 4.

La grille d’EPP

Dans les quatre étapes du processus à savoir – la prise de connaissance de la prescription médicale, la préparation du médicament injectable, l’administration du médicament et la traçabilité – le choix des critères a été fait sur la base des caractéristiques présentes dans les textes réglementaires et/ou dans les recommandations de la HAS.

Cette grille comporte trente-trois critères. Certains d’entre eux sont repris in extenso ou adaptés du référentiel de l’Instrument global d’évaluation de la qualité des soins infirmiers (IGEQSI)(2). Ces critères permettent de mesurer la qualité du recueil de données pour une prise en charge thérapeutique sécuritaire, la qualité de la transmission écrite des résultats obtenus à la suite des traitements antalgiques et celle des caractéristiques réglementaires de la traçabilité concernant l’administration des médicaments par l’infirmière.

D’autres critères, notamment ceux sur l’évaluation de la qualité de la prescription médicale et la traçabilité de l’administration, ont été repris dans l’outil institutionnel d’évaluation de la tenue du dossier de soins.

La grille d’EPP a été testée par les membres du groupe en binôme avec un cadre de santé dans cinq services de soins. Ce test a permis de s’assurer de la compréhension des critères ainsi que de mesurer la fiabilité du recueil des données.

LE PROCESSUS COMME OUTIL DE DIAGNOSTIC

Chaque cadre de santé peut réaliser un diagnostic de situation sur les conditions de l’administration du médicament injectable à partir du processus. Ce diagnostic repose sur l’analyse des éléments qui concourent à la qualité et la sécurité dans les quatre étapes décrites ci-dessous.

Prise de connaissance de la prescription médicale

L’existence d’un logiciel institutionnel permettant les interfaces entre le prescripteur, le pharmacien et l’infirmier, a semblé être un gage de qualité et de sécurité. Ceci au regard de :

→ l’identification du prescripteur : il a paru pertinent et sécuritaire que le prénom et la qualification du médecin figurent sur le support de prescription, au même titre que son nom. Ceci pour éviter les homonymies et vérifier facilement les habilitations à la prescription de certains produits. Toutefois, au regard de la réglementation, le niveau d’exigence porte uniquement sur le nom du prescripteur. Par ailleurs, sur les supports informatisés institutionnels de prescription, le code utilisateur du médecin vaut signature électronique ;

→ l’identification du patient : se fait sur la base de données civiles complètes et de la mention de la date d’entrée du séjour en cours. Cette exigence correspond à la nécessité d’assurer une identification du patient complète et la plus fiable possible ;

→ la posologie du médicament : l’exigence sécuritaire porte sur la précision du fractionnement des doses de mé­dicament par jour. Par exemple, Rocéphine 2 g IV par jour peut être compris indifféremment des manières suivantes : Rocéphine 2 g fois 1 par jour ou Rocéphine 1 g fois 2 par jour.

Préparation du médicament

→ Cette étape fait intervenir les connaissances de l’infirmier sur les thérapeutiques médicamenteuses, d’autant que les médicaments peuvent être prescrits et stockés dans la pharmacie sous des dénominations différentes : générique, dénomination internationale commune, nom commercial. De ce fait, les sources d’informations – résumé des caractéristiques du produit, dictionnaire Vidal et tableau des équivalences des médicaments – doivent être accessibles aux infirmiers.

→ Par ailleurs, dans une logique sécuritaire, la vérification de la justesse du calcul de dose est apparue nécessaire.

→ La préparation du médicament injectable demande des modalités organisationnelles spécifiques. Des éléments de réalité des situations de travail (plusieurs administrations de médicaments sont prévues aux mêmes horaires, avec parfois une seule infirmière dans l’unité) questionnent la notion “au plus près de l’administration”.

→ En tout état de cause, la nécessité de l’identification des contenants (par exemple, la poche à perfusion) s’en trouve renforcée. Les besoins de confidentialité parfois avancés par les soignants ne nous ont pas semblé prioritaires par rapport aux éléments sécuritaires, d’autant que les étiquettes autocollantes des patients sont des moyens discrets d’identification des contenants. Le consensus a été obtenu dans le groupe sur le fait que plusieurs médicaments peuvent être préparés simultanément, à condition qu’ils soient destinés au même patient.

Administration du médicament

Le contrôle ultime, la règle des 5 B – le bon produit, au bon malade, au bon moment, à la bonne dose, selon la bonne voie d’administration – est la base des critères de qualité exigibles dans les vérifications ultimes. L’évaluation porte sur la vérification du produit préparé au regard de la prescription médicale originale et sur le fait qu’à la demande le patient décline lui-même son identité. Le contrôle oral de l’identité du patient a prévalu sur le port du bracelet d’identification, car ce dernier n’est actuellement obligatoire que dans le service de maternité, aux blocs opératoires, dans les salles de réveil et pour les patients présentant des troubles cognitifs dans le service de neurologie.

Traçabilité

Les exigences sécuritaires portent sur les obligations réglementaires.

LA POURSUITE DU DIAGNOSTIC PAR L’EPP

La grille d’EPP comprend des données générales standards : le nom du service, le nom et le prénom de l’auditeur et la date. Il est apparu intéressant de confronter la dénomination du médicament prescrit avec celui du médicament préparé par l’infirmier.

Au vu des données de la littérature sur le risque d’erreur médicamenteuse lié aux interruptions des tâches, il est prévu de noter le nombre de fois où l’infirmier est sollicité dans chacune des étapes du processus.

Dans les étapes de prise de connaissance de la prescription médicale et de la traçabilité des médicaments injectables administrés, les critères sont renseignés sur la base des données présentes dans le dossier de soins ou dans le cahier d’anesthésie pour certains services de chirurgie.

Dans les étapes de la préparation et de l’administration des médicaments injectables, les sources d’informations sont diversifiées : question ou observation de l’infirmier, observation du produit ou des dispositifs pour le patient.

CONCLUSION

Dans sa conception, ce travail allie l’exigence de qualité et de sécurité tout en privilégiant une approche par processus plutôt que par procédure. Cette démarche donne une orientation nouvelle en matière d’EPP dans l’établissement.

Le logigramme et la grille d’EPP permettent de faire un état des lieux sur les conditions de mise en œuvre des thérapeutiques et d’évaluer le niveau de qualité des étapes du processus. La présentation de ces outils aux infirmiers et leur participation aux EPP sont des moyens pour les sensibiliser sur leur responsabilité spécifique dans l’administration des médicaments. Ces documents ont aussi une visée pédagogique pour donner du sens aux résultats de l’EPP. Très tôt, il est apparu au groupe l’importance de l’implication, de tous les acteurs, prescripteur-pharmacien-cadre de santé-infirmier, chacun à son niveau de responsabilité dans les différentes étapes. Si des actions d’amélioration s’avéraient nécessaires, il conviendrait de les définir et de les mettre en place en équipes pluri-professionnelles.

NOTES

(1) Lire indifféremment infirmiers ou infirmières.

(2) Le groupement hospitalier la Pitié-Salpêtrière-Charles-Foix réalise des audits utilisant l’IGEQSI dans le cadre de la démarche qualité. Cet outil permet d’évaluer la qualité des soins infirmiers sous l’angle de la structure (organisation et fonctionnement des unités), des processus (observation des pratiques professionnelles) et des résultats ressentis (exprimés par les patients).

BIBLIOGRAPHIE

Code de santé publique, articles R.5132-3, R.112-3, partie réglementaire, partie V, livre I, titre III et articles R.4311-7, R.4311-9, partie réglementaire, partie IV, livre III, titre I.

Bulletin officiel 2007/7 bis, fascicule spécial “Bonnes pratiques de préparation”, ministère de la Santé, de la Jeunesse et des Sports et l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps).

Arrêté du 31 mars 1998, relatif à la prescription, à la dispensation et à l’administration des médicaments […] mentionnés à l’article L.595-1 du Code de la Santé publique.

Décret n° 2008-1121 du 31 octobre 2008, relatif au contrat de bon usage des médicaments et des produits et prestations mentionné à l’article L.162-22-7 du Code de la Sécurité sociale.

Certification et recommandations : – Manuel de certification, juin 2009, chapitre 2, partie 3, référence 20, critère 20a, Démarche qualité de la prise en charge médicamenteuse du patient. – Fiche thématique 2005 : organisation du circuit du médicament en établissement de santé. – HAS, Une méthode d’amélioration de la qualité, Audit clinique ciblé, évaluation des pratiques par comparaison à un référentiel. – C-CLIN Sud Ouest, Principes d’une démarche qualité appliquée à la préparation de l’administration des médicaments, 2006, p.22-25.

Prise en charge thérapeutique du patient hospitalisé, document de travail, ministère de la Santé et des Solidarités, direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins.

Document de consultation, DHOS-SDE, bureau E2, V 12/11/2009.

Guichet erreurs médicamenteuses : Présentation et bilan depuis la mise en place, rapport Afssaps, juin 2009.

Sécurisation du circuit du médicament à l’AP-HP, rapport de l’Igas, 271, 01/01/2011.

Article Déranger l’infirmière est source d’erreurs, Informations médicales. Article Circuit du médicament et pratiques infirmières : évaluation dans un hôpital des armées en 2006, Mullot Hélène, Le Garlantezec Patrick, Aupee Olivier, Bohand Xavier, Recherche en soins infirmiers, n° 92, mars 2008.