Prise de fonction : un partage de la culture qualité - Objectif Soins & Management n° 200 du 01/11/2011 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 200 du 01/11/2011

 

Ressources humaines

Mireille Blaison-Castel  

DÉMARCHE QUALITÉ → L’organigramme de direction du centre hospitalier de Flers, dans l’Orne, confie à une même personne la direction des soins et la direction de la qualité et de la gestion des risques. Cette organisation facilite la mise en adéquation de valeurs professionnelles et de valeurs personnelles.

Dès la prise de poste du directeur des soins – directeur qualité, le chef d’établissement a fixé les objectifs clairement, « la priorité, c’est la qualité. L’établissement n’est pas certifié, nous faisons l’objet d’une décision de surseoir. Nous sommes en mars, la visite de suivi aura lieu en novembre. L’établissement est reconnu comme “établissement de recours”, il est indispensable de se donner les moyens de réussir cette étape ».

La situation n’est pourtant pas simple, car l’équipe de la direction qualité a été très instable depuis les trois dernières années. Les directeurs et les assistants qualité se sont succédé et ne sont pas restés suffisamment de temps pour construire une dynamique propice à une gestion quotidienne de la démarche qualité.

Depuis le début de l’année 2011, l’équipe se stabilise avec la nomination d’une assistante qualité, infirmière de formation, titulaire d’un diplôme universitaire “qualité et gestion des risques” et d’une secrétaire à temps partiel. Ensemble, nous construisons un plan d’actions à court et moyen terme. Ce plan intègre la levée de notre réserve majeure, la réévaluation de l’antibiothérapie à 48-72 heures, la politique d’évaluation des pratiques professionnelles, la déclaration des événements indésirables, la gestion des fiches d’incidents, des audits de pratique professionnelle, la rédaction de la politique qualité… Et la liste n’est pas exhaustive.

Au vu de l’importance des actions à mener, il devient primordial de trouver du renfort à cette équipe et surtout d’engager des actions durables afin que la démarche qualité soit quotidienne. L’enjeu de la certification est important, il est nécessaire de réagir vite.

UN HÔPITAL RÉACTIF, DES CADRES DE PROXIMITÉ SURCHARGÉS

Le centre hospitalier de Flers est un établissement qui dispose de professionnels conscients de la nécessité de construire des soins de qualité avec un encadrement de proximité attentif au bien-être des patients et sensible à la pratique soignante. C’est pourquoi l’ensemble des acteurs a répondu favorablement aux diverses sollicitations de la direction qualité.

Pour autant, il est bien clair que certaines limites étaient atteintes ou à ne pas dépasser : difficile pour l’encadrement de mener des audits en plus de la gestion des unités hospitalières. Les méthodes d’évaluation des pratiques professionnelles sont connues, mais non usitées.

L’équation est complexe à résoudre, la visite de suivi de la V2010 et ses exigences, les professionnels à mobiliser, les infirmiers(ères) absents(es) et un encadrement très sollicité. De plus, les liens sont à construire, car il n’y a pas de correspondants qualité identifiés dans les unités de soins. Alors, d un contexte peu propice aux recrutements infirmiers (IDE), l’idée la plus répandue veut que les cadres au retour de formation soient affectés comme personnel de remplacement : la qualité ce ne sont pas des audits ou des EPP, c’est du personnel au lit des patients. Et ne sont-ils pas IDE avant tout ?

PARTAGER UNE “CULTURE QUALITÉ”

Alors, comment partager la culture qualité ? La qualité est un bien “grand mot”, voire un “gros mot” pour certains. Afin de passer d’un concept “qualité” – parfois abscons – à de la mise en pratique régulière, voire spontanée, il y avait une piste : faire partager l’ensemble des missions menées par la direction qualité avec les cadres de l’établissement.

C’est pourquoi nous avons fait le choix d’intégrer les cadres de santé sortant de la formation à la direction qualité, pendant deux ou trois mois d’été, et de décaler leur prise de poste dans les services en septembre. Ici, le rôle du cadre de santé est primordial dans les méthodes d’évaluation des pratiques professionnelles.

AUDITS, MÉTHODE, RIGUEUR ET BEAUCOUP DE PÉDAGOGIE

La méthodologie des audits ainsi que le contenu de la formation sont préparés conjointement et en amont par la direction qualité et les pharmaciens (en l’occurrence, de nombreuses problématiques tenaient au médicament).

Madame Lecaplain, assistante qualité de l’établissement, anime la demi-journée de formation-information proposée aux nouveaux cadres autant qu’à l’ensemble de l’encadrement. Une dizaine de personnes y assistent. L’important est que les deux cadres qui réintègrent l’hôpital après dix mois puissent comprendre le pourquoi et le comment des audits, et plus encore la réalisation et la mise en œuvre de plans d’actions. Plus généralement qu’elles identifient le fonctionnement, le rôle et les missions d’un directeur des soins en charge de la direction de la qualité et de la gestion des risques afin d’être des relais dans les unités de soins.

Là aussi, les objectifs sont clairs :

→ appréhender les différentes méthodes d’évaluation des pratiques professionnelles ;

→ identifier les contraintes liées à la certification ;

→ bénéficier d’une formation à la méthodologie de l’audit clinique ;

→ réaliser des audits cliniques ;

→ analyser les résultats ;

→ construire les plans d’actions.

POUR CONCLURE

Intégrer les futurs cadres de l’établissement à la direction qualité est une expérience nouvelle dans l’établissement. Ce projet, voulu par la direction qualité et soutenu conjointement par la présidente de la Commission médicale d’établissement (CME) ainsi que par le directeur de l’établissement, se réalise. Comme toute démarche “projet”, une évaluation est d’ores et déjà prévue en septembre tout comme une large campagne de communication des résultats.

Au-delà de la réalisation concrète d’audits, travailler en étroite collaboration avec les nouveaux cadres est, pour la directrice des soins, une excellente opportunité de faire passer des messages importants directement liés à des valeurs professionnelles autant qu’à la manière d’appréhender la qualité. À ce jour, si l’expérience est positive, il est cependant probablement trop tôt pour conclure à des avancées significatives.

Quoi qu’il en soit, à l’hôpital de Flers, les nouvelles modalités d’intégration des cadres changent : ils bénéficient d’une attention particulière visant à les impliquer dans les missions qualité de l’établissement.

Témoignage

Six semaines après le début de l’expérimentation, madame Isabelle Wullen s’exprime sur la démarche

« Cette expérience a été enrichissante. Elle m’a permis de mettre en pratique la théorie apprise à l’Institut de formation des cadres de santé (IFCS). J’ai apprécié le travail en collaboration avec les différents professionnels (médecins, pharmaciens, directrice des soins et assistante qualité) avec lesquels je n’avais pas forcément travaillé durant mes années de faisant fonction. Cependant, la période choisie n’était peut-être pas optimale, au vu des difficultés à travailler avec des professionnels absents, ou “surchargés” de travail pour cause de période estivale. »

Témoignage

Six semaines après le début de l’expérimentation, madame Saâdia Farnane s’exprime sur la démarche

« Après cette expérience particulièrement enrichissante et formatrice, je crois pouvoir dire que cette première dans l’établissement doit être institutionnalisée. J’ai vu “mon” hôpital sous un angle que je ne connaissais pas. J’ai appris beaucoup, en peu de temps, et rencontré des collègues très intéressants, qui n’ont pas hésité à me faire partager leurs connaissances. Je pense qu’à l’avenir une communication précise sur cette expérience auprès des collègues cadres qui n’ont pas eu la chance de la vivre et auprès du corps médical, permettrait de dissiper les quelques impressions négatives que certains ont évoquées quant à notre affectation temporaire à la qualité alors que l’on manque d’infirmiers sur le terrain. »

Le point de vue de Jean-Marc Perez, directeur du centre hospitalier de Flers

La plupart des établissements ont largement réfléchi et fait évoluer les parcours professionnels qui débouchent sur la fonction de cadre de santé. Grâce à la Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), ils sont en général mieux repérés et gérés.

Le retour de l’Institut de formation des cadres de santé (IFCS), parce qu’il est plus naturel, a moins fait l’objet d’expériences. Une fois le diplôme obtenu, l’affectation s’opère de façon plus ou moins simple selon les besoins des établissements et les exigences des pôles et des services : retour dans le service dans lequel on exerçait précédemment (I want my employee back), ou surtout pas, affectations de suppléance ou définitives correspondant plus ou moins aux souhaits des intéressés et des responsables (médicaux ou paramédicaux) des pôles.

La question qui s’est posée au centre hospitalier de Flers est celle de l’accueil et de l’adaptation du cadre de santé à son retour d’IFCS et des conditions dans lesquelles il sera accompagné dans sa prise de poste.

Le constat posé par le directeur des soins – par ailleurs également Directeur qualité, gestion des risques (DQGR) – était le suivant : en quoi est-il urgent d’affecter, au début de l’été, un cadre de santé, alors que jusqu’à ce moment l’organisation du service a été gérée ? La question des effectifs infirmiers durant l’été est-elle aussi critique qu’il faudrait affecter, sur des fonctions infirmières, des agents destinés à des fonctions de cadres et qui, bien souvent, étaient déjà faisant fonction avant leur départ à l’IFCS ?

La possibilité d’une période de stage auprès de la DQGR est donc apparue assez naturellement, d’autant que les exigences en la matière sont importantes et croissantes, soit qu’elles découlent de l’évolution des pratiques professionnelles qui exigent une forte culture qualité (EPP, audits, etc.), soit qu’elles sont imposées par l’actualité de l’établissement (certifications).

En tant que chef d’établissement, je n’ai vu que des avantages à cette expérimentation qui devrait devenir rapidement une référence. J’en soulignerais deux aspects essentiels, une acculturation progressive aux objectifs et aux outils de la qualité.

L’exposé de Mireille Blaison est suffisamment explicite pour ne pas y revenir longuement.

Les exigences en matière de qualité et gestion des risques se font de plus en plus pesantes. Il faut admettre que, bien souvent, elles sont vécues comme des éléments alourdissant inutilement et bureaucratiquement les tâches quotidiennes. Il s’agit là d’une source de plainte non négligeable expliquant la dégradation des conditions de travail des soignants (qu’ils soient médecins ou non).

Pour autant, chacun s’accorde à reconnaître devoir sécuriser ses pratiques et en améliorer les résultats, à la fois pour un meilleur service au patient, mais aussi pour mieux justifier de la pertinence de l’organisation des soins et de la prise en charge.

Les cadres en poste – ou de retour d’IFCS – sont formés de manière inégale à ces nouvelles exigences. De plus, peu d’organisations disposent de relais ou de référents “qualité et gestion des risques”. Cette formation spécifique des cadres nouvellement nommés permet donc de poursuivre deux buts :

→ la connaissance des objectifs, l’acquisition des outils (audit, EPP, retour d’expérience, etc.) et leur diffusion dans l’établissement ;

→ l’appréhension des problématiques et des outils spécifiques de l’établissement.

Un cadre nouvellement diplômé de l’IFCS ne devrait pas être affecté dans l’urgence – sauf situation exceptionnelle, bien sûr. On peut comprendre que, dans une organisation en travail posté, il ne soit pas possible de laisser un planning avec des “trous”, mais ce n’est en général pas le cas pour un poste de cadre de santé.

Cette période de deux ou trois mois de stage peut être assimilée à une nouvelle procédure d’accueil. On relèvera bien sûr la dimension purement cognitive évoquée ci-dessus. Il n’est pas inutile de souligner quelques éléments plus informels.

Cette période de stage s’effectuera auprès de la DQGR, autrement dit dans un environnement purement administratif et de direction. Cela signifie que les cadres stagiaires auront la faculté de mieux comprendre le fonctionnement institutionnel en général et de cette partie de l’hôpital à laquelle ils seront inévitablement confrontés (DRH, services économiques, …).

Ils auront également la faculté de se construire ou d’intégrer un réseau de connaissance au sein de l’établissement en côtoyant plus régulièrement des personnels et des services auprès desquels ils pourront aussi mieux se faire connaître.

Bien entendu, cette expérience méritera d’être évaluée sur le moyen terme afin de mesurer si ses effets, notamment en matière de prise en compte des outils de la qualité, sont positifs. Les critiques immédiates, les plus fréquentes, tiennent au “gaspillage” de personnel soignant à un moment où ils seraient très utiles dans les services pour suppléer les absences ou les congés. Cette remarque doit être entendue, mais il est possible d’y répondre en indiquant que, d’une part, les cadres ne sont pas remplacés durant leurs congés, ce qui rend moins urgente une affectation en plein été et, d’autre part, qu’il serait sans doute très contre-productif et peu valorisant d’affecter un futur cadre – souvent ancien faisant fonction, d’ailleurs – sur un poste infirmier.

Enfin, ce n’est sans doute pas le hasard si cette idée est venue du directeur des soins qui est aussi Directeur qualité et gestion des risques. En effet, cette expérience trouve toute sa valeur dans l’évolution de cette fonction et de sa place dans la gouvernance hospitalière.