2011 est l’année des patients et de leurs droits. Dans le cadre du projet d’Évaluation des pratiques professionnelles (EPP) mis en place dans notre service d’orthopédie, nous avons souhaité que les patients deviennent acteurs de leur prise en charge.
En effet, depuis mai 2010, le Dr Benzaquen réalise une nouvelle technique chirurgicale pour la pose de prothèse totale de genou (PTG), la prothèse Signature, dont les bénéfices sont observés tant sur le plan technique qu’auprès du patient. La clinique de l’Union est en outre la première clinique de France à utiliser le protocole Rapid Recovery, développé par leurs homologues hollandais, qui permet notamment une récupération beaucoup plus rapide qu’avec une prise en charge traditionnelle.
D’un point de vue technique, la particularité de cette PTG consiste en la réalisation, en période préopératoire, de guides de positionnement des implants fémoraux et tibiaux sur mesure. L’acte chirurgical est ainsi raccourci et moins invasif qu’avec les techniques classiques. Après avoir testé la technique chirurgicale, le Dr Benzaquen a senti la nécessité d’approfondir la démarche en organisant un voyage en Hollande, sur la base d’un benchmarking auprès de l’équipe médicale du centre Rapid Recovery de Reiner Graaf Gasthuis (Pays-Bas), auquel ont également participé un anesthésiste, un kinésithérapeute et le cadre de santé du service. En effet, il était indispensable d’associer l’équipe pluridisciplinaire comme facteur de réussite du projet, avec l’objectif d’organiser en amont la prise en charge et en aval du geste chirurgical.
L’allégement des phases per- et post-opératoires à divers niveaux a été rendu possible grâce à l’implication importante des anesthésistes qui ont fourni un travail conséquent sur les techniques anesthésiques et antalgiques employées : l’anesthésie générale est délaissée, chaque fois que possible, au profit de la rachianesthésie (moins lourde d’effets secondaires). Celle-ci permet une alimentation dès le retour de bloc et évite les hypoglycémies post-opératoires. De plus, la prise en charge de la douleur est effective dès la phase terminale au bloc (infiltration intra-articulaire). Tout ceci permet donc un lever précoce des patients par le kinésithérapeute le soir-même de l’intervention, avec un démarrage de la rééducation en salle dès le 1er jour post-opératoire, et une sortie possible au quatrième jour suivant l’intervention (marche autonome avec cannes, avec une mobilisation de l’articulation à 90°, et un périmètre de marche supérieur à 30 mètres au quatrième jour). Ce mode de prise en charge limite bien sûr les complications liées au décubitus prolongé et à l’institutionnalisation des personnes (phlébite, grabatisation…), et présente les avantages d’une rééducation en ambulatoire : confort et calme, dans le lieu de vie habituel, sans perte de repères, en permettant le respect du rythme de chacun (ce qui, pour des contraintes organisationnelles, n’est pas possible en centre de rééducation).
Le concours du patient étant indispensable aux suites opératoires et à sa rééducation au domicile, l’équipe projet a décidé de mettre en place une information en plusieurs temps.
Le premier temps est réalisé par le chirurgien et permet l’explication des détails de l’intervention nécessaires à une prise de décision.
Dans un second temps, les patients sont conviés, dans les jours précédant leur hospitalisation, à une réunion d’information pluridisciplinaire animée par le chirurgien, un anesthésiste, un kinésithérapeute et une infirmière. Cette réunion vise à informer le patient sur le déroulement exact de l’hospitalisation et à mettre l’accent sur sa participation active à son lever précoce dès le retour de bloc. À cette occasion, le futur patient fait la connaissance des différents intervenants, visite le service et rencontre d’autres patients ayant subi la même chirurgie. Le patient peut ainsi se familiariser avec les lieux et les personnes. Il a le temps nécessaire pour poser les questions qu’il désire à chaque professionnel rencontré. Ainsi, le patient n’est pas dans l’inconnu et a réellement le temps de réfléchir, de faire le point de sa situation, d’organiser son hospitalisation ainsi que son retour à domicile.
« Cette réunion est un temps très fort pour l’équipe : nous pouvons faire connaissance avec le patient et le rassurer sur sa prise en charge. C’est vraiment valorisant pour nous de savoir que nous permettons au patient d’appréhender cette hospitalisation sans stress. Dès l’admission dans le service, le patient retrouve les soignants déjà rencontrés et se sent attendu et accueilli », constate Claire Lafargue.
Cette implication les rend réellement acteurs de leur prise en charge. Ils ne sont plus seulement “patients”, mais sont “actifs”. Ce principe se matérialise jusque dans leur tenue : en effet, le pyjama est relégué au placard, au profit d’une tenue plus sportive (tenue de ville ample), revêtue dès le premier lever. De plus, le raccourcissement de la période d’alitement permet de diminuer la “cassure” entre la vie avant l’intervention et le retour à une vie normale après celle-ci. Amener le patient à ne plus se considérer comme un malade est la priorité recherchée, en permettant une démédicalisation précoce et un retour à une pleine autonomie.
D’un point de vue managérial, le projet a été fédérateur pour l’équipe : la prise en charge du patient est réellement pluridisciplinaire, puisqu’elle associe le chirurgien, les anesthésistes, le personnel soignant et les kinésithérapeutes. La première version de la procédure a été évaluée à plusieurs reprises. Ces audits ont montré une diminution de la douleur (échelle EVA) et des complications post-opératoires, ainsi qu’une nette diminution du recours aux transfusions et l’arrêt des dispositifs de retraitement des pertes sanguines. Le protocole initial a même été amélioré, puisqu’un bilan de sortie kinésithérapique a été mis au point à destination des kinésithérapeutes de ville afin d’assurer la continuité des soins, et de permettre ainsi une rééducation dans les meilleures conditions possibles pour le patient. Ce travail d’évaluation se poursuit encore à ce jour.
Ce projet de longue haleine a été progressivement matérialisé par l’élaboration d’un chemin clinique soignant, c’est-à-dire la “fiche de route” qui retrace le parcours idéal du patient, depuis la phase préhospitalière (première consultation avec le chirurgien) jusqu’à sa sortie de l’établissement, en mentionnant tous les professionnels rencontrés, tous les examens et soins réalisés. Ce qui permet une uniformisation et une sécurisation optimale du parcours du patient à toutes les étapes de sa prise en charge, en limitant au maximum les variabilités individuelles et en améliorant la traçabilité de toutes les actions entreprises. Il s’est également poursuivi par l’élaboration d’un chemin clinique patient détaillant le déroulement de son séjour dans le service.
« Au décours de l’hospitalisation, le patient manifeste, si c’est nécessaire, le souhait de prendre rendez-vous pour le deuxième genou. Ce qui ressort, c’est qu’il se sent entouré par une équipe homogène et une prise en charge bien organisée. Il y a même un patient qui a fait observer qu’on sentait qu’il y avait un chef d’orchestre et des musiciens très à l’aise », ajoute Claire Lafargue.
Un autre intérêt du travail mené au sein de cette EPP a été la réduction considérable des DMS (durées moyennes de séjour) et la possibilité laissée au patient de s’orienter vers une rééducation en ambulatoire.
Dans un contexte de déficit de l’Assurance maladie et de restrictions budgétaires, il est indispensable de mettre en œuvre des initiatives permettant la pérennité de notre système de santé actuel. À l’heure actuelle, notre objectif n’est donc que partiellement atteint puisque 28 % des patients opérés avec cette technique optent pour une rééducation ambulatoire. Néanmoins, de tels changements nécessitent une évolution des mentalités, qui ne seront possibles qu’à long terme, avec le concours des patients. C’est tout l’intérêt de les inclure le plus précocement possible dans la démarche. Nous pouvons toutefois constater que les démarches de ce type commencent à émerger partout en Europe : par exemple la Hollande, pays de culture scandinave, nous montre que cette réflexion et cette évolution culturelle sont possibles. Ceci est par ailleurs en accord avec les recommandations de bonnes pratiques cliniques éditées par la Haute Autorité de santé en mars 2006 et janvier 2008, qui visent à éviter les hospitalisations inappropriées en soins de suite ou de réadaptation (SSR).
Si la réalisation d’un tel projet ne s’est pas faite sans difficultés (participation des anesthésistes et de l’équipe soignante, accord des patients), il a permis, à partir d’une technique chirurgicale novatrice, de rendre le patient véritablement acteur de sa prise en charge, le plus en amont possible de l’hospitalisation.
Cela a aussi été l’occasion de réaliser un travail véritablement pluridisciplinaire, de rassembler l’équipe et d’en renforcer la cohésion et les échanges, tout en permettant de travailler sur une optimisation de la DMS, autant profitable au patient qu’à la société.