CONDUITE À TENIR → Les établissements de soins, qui sont des lieux ouverts, se trouvent régulièrement confrontés à des sorties contre avis médical ou à des fugues. La responsabilité est-elle engagée ? Pas nécessairement, mais cela peut arriver.
Le principe est qu’il n’existe pas de soins sans consentement, et si le malade est libre d’accepter les soins, il est également libre de les refuser. Pour l’équipe médicale, ce sera souvent un échec, avec la sensation d’un risque particulier. Aussi, l’équipe ne peut rester inerte et doit chercher à aller au plus loin dans la démarche de soins. Mais le principe est constant : chercher à convaincre, mais ne pas imposer. Ce principe est valable pour toute la pratique des soins en établissement public ou privé, dans le secteur général ou en psychiatrie pour ce qui relève de l’hospitalisation libre.
En psychiatrie, le patient en hospitalisation libre dispose des mêmes droits et libertés que les autres patients, et notamment celui d’interrompre une prise en charge qui, pour quelque motif que ce soit, ne lui convient plus. La seule limite serait que la situation clinique laisse apparaître un véritable désarroi avec un risque de passage à l’acte, d’une nature ou d’une autre. Dans ce cadre, le personnel doit prendre une mesure de sauvegarde pour s’assurer du maintien de la personne le temps nécessaire. Si le refus n’est pas raisonné, comme résultant d’une situation de crise qui laisse apparaître en réalité une demande médicale, il est légitime de jouer de l’autorité nécessaire pour faire céder des résistances qui ne sont finalement que la difficulté de verbaliser.
Si, en revanche, il y a un refus objectif de toute demande de soins et que l’équipe est persuadée du risque pour la personne, elle doit alors mettre en œuvre la procédure permettant de passer à une hospitalisation sous contrainte. L’un des éléments clés est le certificat médical qui établira le péril imminent pour la personne. Les équipes doivent évaluer les situations avec précision, car ces situations peuvent conduire à l’engagement de responsabilité, dans un cas comme dans l’autre. Soit parce que l’équipe est restée inactive devant un comportement qui manifestement appelait une réponse d’autorité, soit parce qu’elle a surinterprété le besoin de soins, et qu’elle a enclenché une mesure de contrainte pour un péril qui était loin d’être évident.
On examinera avec beaucoup d’attention la réalité clinique, le caractère collectif de la démarche, la diversité des intervenants, les solutions proposées… Le juge peut tout à fait prendre en compte le caractère difficilement saisissable de ces situations de crise, mais encore faut-il que l’équipe se soit montrée au niveau de la gestion de cette crise.
Dans le cadre de l’hospitalisation sous contrainte, la question est radicalement différente. La mesure de contrainte crée une obligation pour le patient et l’établissement, à savoir rester dans l’enceinte de l’hôpital. Le fait qu’un patient en hospitalisation d’office ou en hospitalisation sur demande d’un tiers ait pu quitter l’établissement, établit un dysfonctionnement. On ne peut pas dire pour autant que ce dysfonctionnement sera toujours apprécié comme une faute, car l’expérience montre, malgré la plus grande vigilance des services, qu’un patient peut arriver à fuguer. Mais la marge d’interprétation est faible, car la limitation de la liberté d’aller et venir résulte d’éléments objectifs qui appellent des mesures précises et fermes.
Nombre de services peuvent fonctionner de manière fermée, notamment pour gérer les allées et venues de patients désorientés. Cette mesure, qui doit être aussi limitée que possible, ne transforme pas pour autant le séjour en une hospitalisation sous contrainte. Bien entendu, l’obligation de surveillance est particulièrement aiguë vis-à-vis de personnes désorientées, et l’expression du consentement doit être interprétée en fonction du degré de vigilance. L’obligation de surveillance est alors liée à la protection du patient, et notamment de sa capacité à s’organiser seul en dehors de l’établissement.
Sur ce plan, l’analyse est ici bien différente, car le principe est que le mineur est placé sous l’autorité parentale. Les médecins établissent donc une relation thérapeutique avec le mineur, mais, formellement, ce sont les parents qui donnent l’accord pour l’admission, la sortie et la pratique des soins. Ainsi, la sortie d’un mineur, contre l’avis de l’équipe et sans que les parents soient avisés, traduit un dysfonctionnement fautif.
La seule limite se trouve avec les dispositions du Code de la Santé publique qui reconnaissent aux mineurs une part d’autonomie. Ce dispositif, légalisé par la loi du 4 mars 2002, permet à un mineur sans limitation d’âge de conclure directement une relation de soins avec un thérapeute en demandant que les parents ne soient pas avisés. C’est la reprise par le droit français de la notion de majorité graduée.
Passé un certain seuil de développement, l’enfant dispose d’un libre arbitre pour les décisions les plus importantes, et notamment celles qui concernent sa santé. La seule limite serait que le refus de l’enfant de voir les parents avisés laisse apparaître dans le contexte clinique une situation de danger pour l’enfant. Le médecin doit alors en référer au procureur, comme pour tout ce qui concerne l’enfance en danger. Sous la réserve de ce cas, qui existe mais qui doit rester rare, l’établissement de santé doit à tout moment être en mesure de répondre de la situation de l’enfant vis-à-vis des parents.
La curatelle est un simple régime d’assistance. La personne protégée garde son libre arbitre, et le curateur ne pourrait être avisé que dans des circonstances un peu exceptionnelles.
La tutelle pose un problème différent, car elle crée un système de représentation et le Code civil depuis la loi du 5 mars 2007 précise que la tutelle concerne la protection des biens et de la personne. Aussi, il semble normal, devant un refus de soins ou une fugue, d’aviser le tuteur. Pour autant, la mission protectrice du tuteur ne vaut certainement pas disparition de la personnalité du patient s’agissant d’une décision aussi essentielle que l’accès aux soins. L’équipe doit aviser le tuteur et c’est à lui de gérer la situation au mieux. Mais un automatisme cassant, qui ferait de la décision du tuteur un impératif, ne se situerait pas dans l’esprit de la loi.
Vient alors l’examen des situations courantes de refus de soins. En psychiatrie ou en hôpital général, un patient explique qu’il demande sa sortie car il veut interrompre la relation thérapeutique. Du point de la loi et de la déontologie médicale, il ne fait pas de doute que la décision du patient doit être respectée en toutes circonstances, et notamment lorsqu’il veut interrompre la relation de soins. Il doit être dit très clairement que, si l’on ne se trouve pas dans la situation du risque palpable, imminent pour la personne, la décision du patient s’impose. Ce principe, clairement établi, ne veut pas dire pour autant que l’équipe de soins reste passive.
Le consentement n’est jamais donné comme une formalité, mais dans l’idée d’une conviction. Il peut s’avérer très difficile d’affronter la maladie et certains aspects du traitement. C’est à l’équipe d’expliquer avec franchise quelles difficultés vont se présenter, mais également quel bienfait est attendu et ce qui risque d’arriver si rien n’est fait. Si ces démarches sont effectuées par une personne seule, elles seront sans doute considérées comme insuffisantes. Le patient a besoin d’une relation intime, mais il est pris en charge par une équipe et chacun à son degré doit œuvrer dans l’esprit de cette conviction. Si devait suivre une procédure à la suite d’un événement malheureux, le juge prendrait du temps pour vérifier la situation et comprendre comment un patient qui avait besoin de soins s’est trouvé en situation de les refuser.
Le fait que le patient sorte contre les avis médicaux ne doit pas détourner l’équipe de son devoir principal : agir dans l’esprit de la continuité des soins. Ainsi, il est tout à fait souhaitable qu’un courrier soit adressé au médecin traitant pour expliquer quelle a été la situation, indiquer que l’hôpital est tout à fait disponible pour réintervenir. Il peut parfois être plus simple de remettre au patient une lettre adressée de manière anonyme à un médecin pour que le patient se sente libre d’aller consulter le médecin qu’il souhaite. Ainsi, l’équipe montre que sa volonté était très claire et qu’elle a des choses à proposer dans la prise en charge et fait le nécessaire pour que le patient, devant le doute, puisse consulter le médecin qu’il souhaiterait pour reprendre des soins soit dans ce service, soit ailleurs.
Le dossier doit laisser apparaître les divers membres de l’équipe qui sont intervenus et chercher à retracer les arguments échangés de part et d’autre. Ce souci de tenue du dossier est important si un procès devait avoir lieu. Plus fondamentalement, il s’agit bien d’aller au terme de la démarche thérapeutique dans le respect de la liberté du patient. Le dossier doit retracer toute l’histoire de la prise en charge.
Ce que l’on entend comme décharges de responsabilité est un document écrit par le patient expliquant qu’il prend la décision seul, et que, de ce fait, l’hôpital n’en assumerait pas la responsabilité. Ces documents ont une valeur très faible. Dans le cadre de cette démarche de conviction attendue,on peut obtenir de la part du patient l’écriture d’un document qui sera laissé dans le dossier. Un tribunal constaterait que l’équipe a su aller assez loin dans la relation, pour obtenir que le patient écrive ce document. Il est préférable d’obtenir une déclaration sur un papier libre car, même si le contenu peut paraître maladroit, il aura le mérite de la sincérité. En revanche, il y aura toujours plus de doutes sur la simple signature d’un document déjà imprimé.
Quoi qu’il en soit, ce document a seulement la valeur d’un élément de preuve permettant de comprendre la démarche de l’équipe. Il n’est pas possible par un simple accord entre les parties d’exonérer l’une ou l’autre de sa responsabilité. Si, dans une affaire, apparaît un refus de soins manifesté de manière précise et insistante, une démarche de plusieurs membres de l’équipe dans l’idée de conviction, un dossier retraçant ces démarches, des courriers pour le médecin traitant montrant la disponibilité pour la reprise des soins, et qu’en plus figure une lettre simple rédigée par le patient, le tribunal sera sans doute très enclin à considérer que le maximum a été fait. Mais on ne peut pas demander à ce qu’il soit renoncé à l’application de la loi. La responsabilité ne peut pas répondre à un automatisme.
Les établissements sont ouverts et un patient peut librement sortir de l’établissement. La fugue est l’interruption unilatérale de la relation de soins : l’équipe découvre comme un fait imposé le départ du patient. La fugue doit de suite faire l’objet d’un rapport traité en interne.
L’admission est une décision administrative du directeur et la direction de l’établissement doit être avisée. C’est elle qui, en lien avec le cadre de santé ou le médecin, verra s’il y a lieu de faire davantage, notamment si cette fugue laisse apparaître des éléments inquiétants sur l’état de santé. Si l’on évalue un risque réel, le cadre administratif de garde joindra alors les services de police.
La responsabilité d’un établissement peut toujours être discutée lorsqu’il y a eu une fugue, mais le simple fait qu’il y ait fugue ne veut pas dire que cette responsabilité est engagée. Les patients sont en service libre et les hôpitaux sont des lieux ouverts. Les principaux critères seront l’acuité de la surveillance qui était opportune, et le délai dans lequel la fugue a été notée.
Enfin, une donnée de bon sens s’impose. Une sortie contre avis médical ou une fugue peut poser une responsabilité morale à l’équipe. Mais, juridiquement, il ne pourrait y avoir de responsabilité que si un dommage est intervenu. Cela montre combien est importante la discussion sur la nécessaire continuité des soins. Car, à supposer que la décision de sortie soit malheureuse, elle resterait sans conséquence si le patient se ressaisit et va consulter d’autres thérapeutes.