Recherche et formation
PROCESSUS → Plusieurs auteurs en sciences de l’éducation vantent les bienfaits de l’écriture en tant que dispositif incontournable de la professionnalisation. Cependant, lors du passage à l’écriture, le scripteur connaît souvent des hésitations avant de se lancer dans son récit. De plus, le passage à et par l’écriture revêt un caractère symbolique, tel un voyage initiatique où l’errance est souvent de mise.
Au-delà de cette errance, le fait d’écrire transcende le narrateur vers une meilleure connaissance de lui-même. Mais, pour parvenir à cette meilleure connaissance de soi, différentes fonctions de l’écriture se mettent en place. Pour Clot
Pour tenter de comprendre comment basculer dans l’écriture, cet article envisagera d’abord un étayage conceptuel autour de la bascule dans l’écriture. Ce passage à l’écriture semble facilité par deux principes : comprendre la démarche sous-tendue par l’acte d’écriture et en repérer la plus-value.
Ensuite, les grandes fonctions de l’écriture seront exposées tout en mettant en évidence celle qui semble la plus importante dans la démarche d’apprentissage de l’écrit ainsi que dans un processus de formation. Et enfin, la réflexivité sera examinée sous l’angle d’un concept porteur en formation. Deux exemples d’écrits élaborés en formation infirmière témoigneront des modalités réflexives mises en œuvre.
Dans notre vie professionnelle d’infirmier ou de cadre de santé, le passage à l’écriture (en dehors des transmissions réalisées dans les unités de soins) se traduit principalement par la rédaction de projets et de mémoires professionnels. Ce passage à et par l’écriture implique souvent des tâtonnements. Trois phases décrites par l’ethnologue Van Genep
→ Un rôle de communication, qui réside dans le fait de dévoiler sa pensée et de s’ancrer sur des références existantes.
→ Un rôle de distanciation, par rapport à ses actions, ses affects, aux références connues pour les faire siennes.
→ Un rôle intégratif, associé à la construction de nouvelles connaissances et un rôle de transformation lié aux dimensions heuristiques et herméneutiques qu’implique cette posture réflexive. Les rôles décrits ci-dessous laissent présager, en second lieu, de la plus-value produite par l’activité d’écriture. Outre la valorisation qui découle de la reconnaissance apportée par l’exposition de l’objet des récits, écrire permet une triple transformation.
→ Transformation identitaire, car il faut oser parler de soi, se raconter.
→ Transformation socio-culturelle, car elle implique de communiquer une expérience.
→ Transformation cognitive et linguistique, parce qu’elle repose sur une prise de distance concernant ses actions, ses réactions et qu’elle demande de convoquer sa pensée devant notre support d’écriture et de la traduire fidèlement en paroles.
Écrire consiste donc à adopter une posture énonciative critique.
D’après différents travaux tirés du champ de la didactique du français, plusieurs fonctions sont retrouvées dans l’acte d’écriture.
→ La fonction communicative, où nous assistons à une description du récit et où sont matérialisées des références.
→ La fonction de distanciation, qui demande de prendre du recul par rapport à ses pensées, ses références, voire ses certitudes. Il y a donc questionnement de son rapport à l’altérité et réflexion sur soi. La mise en mots joue le rôle d’explicitation pour soi de ses propres façons de faire ou de penser. Elle peut être envisagée comme une fonction de réfléchissement où le narrateur dialogue avec ses références.
→ La fonction articulatoire qui implique une imbrication des différentes fonctions mobilisées.
→ La fonction intégrative associée à l’élaboration de nouvelles connaissances.
→ La fonction réflexive qui demande une « conversation avec une situation » pour reprendre la formule de Schön
→ De plus, une fonction heuristique peut être attribuée à l’écriture tant elle demande au narrateur une investigation langagière avec souvent nécessité de reprendre ses écrits et donc de découvrir sa propre manière d’écrire.
Ces différentes fonctions s’inscrivent dans une dimension herméneutique du passage. En effet, écrire suppose de s’interroger sur ses pratiques langagières, donc à se décentrer pour aboutir à une meilleure compréhension de soi dans l’activité langagière. Dans la démarche d’apprentissage de l’écrit, tour à tour les différentes fonctions tenues par l’écriture peuvent être constructives pour l’apprenant. Néanmoins, il nous semble que la fonction communicative prévaut sur les autres. La culture écrite est prédominante dans l’univers de l’enfant et constitue un moyen de transmettre des messages visuels dans le temps et dans l’espace, comme dans toute situation de communication. L’écriture est un système codé qui demande un apprentissage en trois étapes selon Ferreiro
L’écriture en formation revêt un caractère réflexif dans le sens où il est demandé au formé de se questionner sur ses pratiques. Il s’agit d’assurer un regard interprétatif et critique afin de se distancier pour entrer dans une pratique intellectuelle. Cette dernière réclame une écriture explicite qui permet la construction de la pensée. Pour autant, Lev Vygotski, à travers toutes ses œuvres et ses réflexions, insiste en exprimant que le langage modifie la pensée, mais aussi que la pensée modifie le langage. Comment s’élabore alors cette réflexivité ? Principalement basée sur le paradigme compréhensif des pratiques en lien avec l’agir de l’auteur, la réflexivité est considérée comme « une suite d’opérations relatives à une pratique intellectuelle. Elle est aussi souvent une pratique langagière, dialogique et sociale »
Elle se veut langagière puisque toute réflexion repose sur le langage et tout le sens que nous voulons faire passer dans les mots choisis. Elle se veut dialogique car elle impulse un “tête à tête” entre le formé et sa pratique, avec pour toile de fond, comme analyse, l’utilisation de ses connaissances et de ses valeurs. Elle est aussi sociale, à partir du moment où l’action analysée est située dans l’espace des interactions sociales (socioconstructivisme) avec des allers et retours circulaires où interagissent subjectivité et objectivité. Nous pouvons faire le lien avec le concept piagétien d’abstraction réfléchissante. Le formé, à partir de son action, abstrait des concepts, par réflexion sur son interaction avec l’environnement. Comme dans un miroir, le formé se regarde agir et cherche à comprendre comment il s’y prend et pourquoi il agit ainsi. De nouveaux “savoirs agir” voient ainsi le jour tels le savoir déclaratif (approche adaptée du réel), le savoir procédural (savoirs à mettre en place pour optimiser le résultat) et le savoir portant sur les ressources disponibles.
En formation infirmière ou cadre de santé, la rédaction du mémoire peut s’inscrire dans la logique de réflexion sur l’action. Elle se caractérise alors par l’analyse des pratiques. Il s’agit d’une réflexion dans l’après-coup telle que la définit Perrenoud
En effet, après avoir recouru aux mêmes caractéristiques réflexives que pour l’exemple précédent, l’étudiant déduit les compétences dont il pense avoir besoin de développer afin de se projeter dans une réflexion anticipatrice de changements de l’action et ainsi produire des savoirs nouveaux pour l’action. Ces deux moments d’écriture, conçus en tant que formalisation rétrospective, amènent à apprendre des actions, à comprendre les stratégies d’actions mises en œuvre, à déduire les compétences produites et à se positionner au regard de la profession, c’est-à-dire affirmer son identité professionnelle.
Les fonctions de l’écriture sont plurielles. Elles placent le narrateur face à lui-même dans des moments alternant entre insécurité et plénitude. Toutefois, l’écriture demeure un temps fort de tout apprentissage car elle permet un passage allégorique de l’individu, se traduisant par un dévoilement de soi, une connaissance de soi accrue pour une meilleure projection de soi. Elle engendre donc une transformation. L’écriture en formation s’avère un formidable outil de construction professionnelle car elle invite à une confrontation du formé avec ses conceptions du langage dans l’intentionnalité de faire corréler au plus profond le sens donné à la pensée et à l’action. De plus, elle demande au formé de réfléchir son rapport aux valeurs pour viser un agir communicationnel et un agir éthique. La réflexivité ? Les prémices d’une métamorphose vers une pensée créatrice à visée professionnalisante.
(1) Clot Y. Avec Vygotski. Paris : La Dispute (1999).
(2) Van Genep A. Les rites de passage. Étude systématique des rites…, Paris : Picard (1987).
(3) Bautier E. Des genres du discours aux pratiques langagières ou des difficultés à penser le sujet social et ses pratiques in Grossman F. (éd.) Pratiques langagières et didactique de l’écrit. Hommage à Michel Dabène. P.145-156. Grenoble : Ivel, Lidilem (1998).
(4) Jorro A. & Gippet F. L’écriture comme passage in Delamotte R., Gippet F., Jorro A., Penloup M.-C. Passage à l’écriture. Un défi pour les formateurs et les apprenants. Paris : Puf (2000).
(5) D. Schön with M. Rein. Frame Reflection: Toward the Resolution of Intractable Policy Controversies. New York: Basic Books, 1994.
(6) Ferreiro E. Culture écrite et éducation. Paris : Retz (2002).
(7) Perrenoud P. Adosser la pratique réflexive aux sciences sociales, condition de la professionnalisation. Éducation permanente, n° 160, (2004). 35-60.
→ Ouvrages • Wittorski R. L’écriture sur la pratique comme outil de professionnalisation (la contribution de l’écriture sur la pratique professionnelle à la fabrication des savoirs et des compétences). Chapitre paru dans l’ouvrage coordonné par Douard O. Dire son métier : les écrits des animateurs, 47 – 63. Paris : L’Harmattan, Débats jeunesse (2003). → Périodiques • Jorro A. Écrire en formation. Les Cahiers de Pédagogie Expérimentale. n° 11-12, (2002). 11 – 31, Université de Liège. • Jorro A. Parole, récit et écriture. Les arcanes de la professionnalisation. Questions vives, n° 3, (2004). 1 – 13. → Cours • Marzloff M., Weisser M. Didactique du français. Cours de licence en sciences de l’éducation. Cned. → Séminaires • Boissart Marielle. D4A1, L’écriture en formation. Atelier de Jorro A. (2010, avril). • Boissart Marielle. D4A2, L’écriture en formation. Atelier de Jorro A. (2010, avril). • Boissart Marielle. D4A3, L’écriture en formation. Atelier de Jorro A. (2010, avril).