Objectif Soins n° 203 du 01/02/2012

 

Droit

Gille Devers  

CAS PRATIQUES →Présentation de cas de décisions de justice relatives à une question juridique donnée, donc de jusriprudence, en matière de responsabilité.

OBLIGATION D’INFORMATION, MÊME EN L’ABSENCE D’ALTERNATIVE THÉRAPEUTIQUE

Cour de cassation, 1° chambre civile, 6 octobre 2011, n° 10-21241

Un patient se trouve atteint de troubles urinaires et sexuels à la suite d’une intervention chirurgicale. La cour d’appel a écarté toute idée de faute dans la pratique médicale. Par ailleurs, elle relève que le chirurgien ne justifie pas avoir informé ce patient du risque de sténose urétrale. Mais elle estime que, dûment informé des risques encourus, le patient n’aurait été susceptible de renoncer à l’intervention. De telle sorte, elle écarte toute responsabilité.

Alors que toute personne a le droit d’être informée, préalablement aux investigations, traitements ou actions de prévention proposés, des risques inhérents à ceux-ci, et que son consentement doit être recueilli par le praticien, hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle elle n’est pas à même de consentir, de sorte que le non-respect du devoir d’information qui en découle cause un préjudice à celui auquel l’information était légalement due, un préjudice, que le juge ne peut laisser sans réparation, en statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes.

MODALITÉS DE L’INFORMATION PRÉALABLE

Conseil d’État, 14 novembre 2011, n° 337715

Une patiente a subi une intervention chirurgicale pour remédier à une otospongiose, au cours de laquelle un piston a été placé à l’intérieur de son oreille gauche. À la suite de différents troubles, elle a été réopérée, et le chirurgien a procédé à un raccourcissement du piston. La patiente ayant gardé une surdité totale de l’oreille, des acouphènes et des vertiges, elle a recherché la responsabilité du centre hospitalier de Châteauroux.

Pour écarter la responsabilité au titre d’un défaut d’information, la cour a relevé que, par une attestation signée antérieurement à l’intervention litigieuse, la patiente avait donné son consentement à la réalisation de cette opération, en certifiant que l’ensemble des risques et complications potentiels de cette chirurgie lui avaient été clairement indiqués. Cette attestation faisait état de l’entretien individuel que la patiente avait eu avec le praticien qui allait réaliser l’intervention, de telle sorte que la loi a été respectée.

FAUTE DANS L’ANESTHÉSIE

CAA Nancy, 10 novembre 2011, n° 11NC00224

Une patiente a été victime, au cours de l’anesthésie nécessitée par une intervention chirurgicale, d’un accident d’intubation trachéale ou/et d’un accident de perforation de l’œsophage au cours de la mise en place d’une sonde œsophagienne.

Cet accident, qui met en cause le médecin anesthésiste, est constitutif d’une maladresse fautive de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier. Celui-ci soutient qu’il s’agirait d’une complication rare mais connue, en particulier chez les patients de ce type, mais il n’apporte pas le moindre élément à l’appui de ces allégations, alors qu’il est constant que la patiente n’avait pas d’état antérieur pathologique, et notamment pas d’anomalie œsophagienne ou trachéale susceptible d’expliquer les complications apparues.

FAUTE DANS LE SUIVI POST-OPÉRATOIRE ET PERTE DE CHANCES

CAA Douai, 8 novembre 2011, n° 10DA01122

Un centre hospitalier a commis une faute dans le suivi post-opératoire d’un patient en s’abstenant de réaliser les examens radiographiques qui s’imposaient au vu des symptômes alarmants qu’il manifestait. Ces examens auraient permis de vérifier l’hypothèse d’une perforation gastrique et de procéder, le cas échéant, à une nouvelle intervention chirurgicale.

Les causes du décès du patient n’ont pu être déterminées, l’expert ayant seulement envisagé l’hypothèse d’une embolie pulmonaire dont le traitement est aléatoire, ou celle d’une perforation gastrique qui aurait pu être traitée par une réintervention chirurgicale. Par la suite, il n’apparaît pas qu’un suivi post-opératoire plus attentif aurait très probablement permis d’éviter le décès du patient.

Dans ces conditions, la juridiction évalue à 50 % la perte de chance de survie résultant de la faute commise par le centre hospitalier.

PATIENT BLESSÉ LORS D’UNE CONTENTION

CAA Nantes, 8 décembre 2011, n° 10NT00099

Un homme âgé de 34 ans est hospitalisé pour sevrage alcoolique. Le lendemain de son admission, il a fait l’objet, aux environs de 18 heures, d’une mesure de contention en raison d’une crise de delirium tremens, et il a été sanglé sur un fauteuil dans sa chambre.

À 18 h 30, une infirmière a constaté que le patient, toujours attaché à son fauteuil, était victime d’un incendie dont l’origine n’a pu être déterminée. Atteint de brûlures au troisième degré sur 30 % de la surface corporelle, notamment au flanc et au bras gauches, il a été transféré au service des grands brûlés, et en conserve des séquelles graves.

La seule circonstance que le patient ait été victime, dans sa chambre du CHU, d’un incendie alors qu’il avait été attaché à son fauteuil en raison de son état de santé suffit, quelles que soient les causes de cet incendie, à révéler un défaut de surveillance constitutif d’un dysfonctionnement dans l’organisation et le fonctionnement du service hospitalier. À cet égard, le CHU ne peut utilement faire valoir qu’aucun élément ne permettait de prévoir l’événement, notamment dans le comportement de l’intéressé, alors que celui-ci avait précisément dû faire l’objet d’une mesure de contention en raison d’un état de confusion et de grande agitation.

PRISE EN CHARGE NON FAUTIVE D’UN PRÉMATURÉ

Conseil d’État, 19 octobre 2011, n° 339495

Une enfant, née prématurément le 28 octobre 1991, a été hospitalisée du 14 au 17 janvier 1992 en raison d’une fièvre et d’une otite séreuse qui ont cédé au traitement administré.

Le 21 janvier 1992, à 2 h 30, elle y a été réadmise en urgence et a alors reçu un traitement antibiotique lié à une suspicion d’otite. En raison d’une dégradation de son état général, elle a été transférée en fin de journée en réanimation néonatale. À la suite de la réalisation à 19 h 45 d’une ponction lombaire, une méningite bactérienne à haemophilus a été décelée et traitée par une triple antibiothérapie.

L’enfant a toutefois conservé un grave handicap à la suite de la souffrance cérébrale induite par la méningite.

Lors de son hospitalisation au centre hospitalier, du 14 au 17 janvier 1992, l’enfant présentait un état clinique jugé non inquiétant, qui avait été soigné de manière satisfaisante par le traitement administré. La gestion médicale de cet épisode fébrile n’était pas critiquable, les signes présentés par l’enfant ne laissaient pas soupçonner une méningite et ne justifiaient pas la réalisation d’une ponction lombaire.

Lors de son hospitalisation le 21 janvier 1992 vers 2 h 30 en raison d’un nouvel épisode d’hyperthermie, l’enfant, placée sous antibiothérapie dès son admission, avait été transférée en réanimation néonatale. En effet, il avait été constaté qu’une acidose métabolique subsistait en dépit de ce traitement et de l’accentuation de la ventilation. La réalisation d’une ponction lombaire vers 19 h 45 avait permis de diagnostiquer et de traiter la méningite.

En estimant qu’il ne résultait pas de l’instruction, notamment des conclusions de l’expert, qu’un retard fautif à poser un diagnostic plus précoce ou un quelconque défaut dans l’organisation et le fonctionnement du service public hospitalier seraient établis, la cour n’a ni dénaturé les pièces du dossier, ni entaché son arrêt d’une erreur de qualification juridique.

Elle a retenu qu’au surplus le traitement antibiotique mis en place préventivement était actif contre l’haemophilus, mais il n’était pas établi qu’une adaptation de ce traitement avec quelques heures d’anticipation aurait fait gagner à l’enfant une chance de voir ses séquelles amoindries.

INFECTION NOSOCOMIALE PAR DES GERMES DEVENUS PATHOGÈNES DU FAIT DE L’INTERVENTION

Conseil d’État, 14 décembre 2011, n° 330644

À la suite d’une hystérectomie pratiquée sur elle le 2 octobre 2001, une patiente a développé un pyosalpinx et une infection pelvienne.

L’infection est due à des germes présents dans son organisme avant l’opération mais devenus pathogènes du fait de celle-ci. En reconnaissant à cette infection contractée à l’hôpital un caractère nosocomial, la cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit. Elle n’a pas davantage commis une telle erreur en jugeant que le seul élément invoqué devant elle par le centre hospitalier, tiré de ce que l’infection présentait un caractère endogène, ne permettait pas de regarder comme rapportée la preuve d’une cause étrangère.

INFECTIONS NOSOCOMIALES À L’HÔPITAL PUBLIC

Conseil d’État, 10 octobre 2011, n° 328500

Le 26 septembre 2001, une jeune femme de 19 ans et présentant un neurinome de l’acoustique gauche, a été opérée dans un CHU. Dans la nuit du 3 au 4 octobre 2001, elle a été atteinte d’une méningite à pneumocoques dont elle est décédée le 6 octobre.

Il résulte de l’instruction, et notamment du rapport d’expertise, qu’à la suite de l’intervention pratiquée le 26 septembre 2001 au CHU, consistant dans une exérèse du neurinome de l’acoustique gauche en translabyrinthique, la patiente, dont l’évolution post-opératoire immédiate avait été satisfaisante, a éprouvé, dans la nuit du 3 au 4 octobre, des céphalées violentes, des myalgies diffuses, des dorsalgies et des rachialgies. La ponction lombaire alors pratiquée a révélé une méningite à pneumocoques dont elle est décédée le 6 octobre.

Le CHU soutient que la patiente était porteuse saine du pneumocoque lors de son admission à l’hôpital, mais cette circonstance, à la supposer établie, n’est pas de nature à faire regarder l’infection comme ne présentant pas un caractère nosocomial. En effet, c’est à l’occasion de l’intervention chirurgicale que le germe a pénétré dans les méninges et est devenu pathogène.

Il résulte de l’expertise que l’infection des méninges a été provoquée par l’intervention et constitue un risque connu des interventions de la nature de celle pratiquée en l’espèce ; que, si l’expert a relevé qu’il était très difficile de la prévenir, il ne ressort pas de l’instruction qu’elle présente le caractère d’imprévisibilité et d’irrésistibilité qui permettrait de regarder comme apportée la preuve d’une cause étrangère (responsabilité engagée).

MAUVAISE SUITES DONNÉES ÀUNE FAUSSE COUCHE

CAA Nantes, 24 novembre 2011, n° 09NT01738

Une parturiente a ressenti dans la nuit du 1er au 2 mars 2008, alors qu’elle était enceinte d’environ 7 semaines, des douleurs abdomino-pelviennes qui l’ont conduite à se rendre au service des urgences du centre hospitalier.

L’examen clinique, qui avait fait l’objet d’une échographie quinze jours auparavant, n’a révélé aucune anomalie. Dans ces conditions, en dépit de sa demande en ce sens, la parturiente n’a pas fait l’objet d’un examen gynécologique particulier et a été renvoyée chez elle avec la consigne de consulter son gynécologue habituel dans la semaine.

Ce dernier a constaté le 6 mars 2008 l’interruption spontanée de la grossesse de sa patiente. Celle-ci est retournée le 8 mars 2008 au centre hospitalier dans le service de gynécologie afin qu’il soit procédé à l’extraction de la poche embryonnaire.

Le 25 mars 2008, le gynécologue de ville la jeune femme a constaté lors d’une échographie pelvienne que des résidus ovulaires importants demeuraient dans l’utérus et nécessitaient une extraction complémentaire immédiate.

La jeune femme soutient que les douleurs qu’elle ressentait dans la région pelvienne basse lors de son admission au service des urgences le 1er mars 2008 auraient dû conduire les praticiens de garde, auxquels elle avait fait part d’une précédente fausse couche, à procéder à un examen gynécologique spécifique, et notamment à une échographie, il est constant que l’interne de garde n’a relevé aucune anomalie lors de l’auscultation de l’intéressée, laquelle avait au demeurant fait l’objet d’une échographie de contrôle quinze jours auparavant.

Ainsi, à supposer même que la décision du gynécologue de garde de ne pas pratiquer d’examen plus complet puisse être regardée comme constitutive d’une faute par négligence, aucun lien ne peut être établi entre cette décision et la fausse couche.

La procédure d’extraction à la pince du résidu embryonnaire pratiquée le 8 mars 2008 a laissé subsister dans l’utérus des restes ovulaires importants. Cette circonstance, qui a rendu nécessaire une seconde intervention de même nature pratiquée le 25 mars par le gynécologue habituel de l’intéressée, caractérise une maladresse fautive dans le geste médical, de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier.

OBSERVATIONS DE LA PERSONNE INTÉRESSÉE AVANT UN ARRÊTÉ D’HO

CAA Lyon, 3 novembre 2011, n° 10LY01690

Une patiente a été hospitalisée au centre hospitalier de Saint-Égrève à la suite d’un arrêté d’hospitalisation provisoire du maire de la commune de Vinay (Isère), en date du 6 avril 2008, pris sur le fondement de l’article L.3213-2 du Code de la Santé publique, selon la procédure d’urgence. Par arrêté du 8 avril 2008, le préfet de l’Isère a, en application de l’article L.3213-1, ordonné son hospitalisation d’office jusqu’au 6 mai 2008.

L’arrêté du 8 avril 2008 plaçant la patiente en hospitalisation d’office a été pris sans que l’intéressée ait été mise en mesure de présenter des observations écrites ou, le cas échéant, des observations orales. Aucune situation d’urgence ni aucune circonstance exceptionnelle de nature à exonérer, au cas d’espèce, l’administration de l’application des dispositions citées ci-dessus de l’article 24 de la loi du 12 avril 2000. Il suit de là que cet arrêté, pris en méconnaissance de ces dispositions, est entaché d’illégalité.

SUICIDE AU QUARTIER DISCIPLINAIRE ET RESPONSABILITÉ DE L’ÉTAT

CAA Douai, 8 décembre 2011, n° 11DA00592

Incarcéré au centre pénitentiaire de Liancourt depuis le 12 septembre 2005 où il purgeait une peine d’emprisonnement de douze mois, Il a été retrouvé, le 24 mars 2006 à 14 h 05, pendu dans la cellule disciplinaire dans laquelle il avait été placé la veille.

Aux termes des dispositions de l’article D.251-4 du Code de Procédure pénale, la liste des personnes présentes au quartier disciplinaire est communiquée quotidiennement à l’équipe médicale. Le médecin examine sur place chaque détenu au moins deux fois par semaine, et aussi souvent qu’il l’estime nécessaire. La sanction est suspendue si le médecin constate que son exécution est de nature à compromettre la santé du détenu.

À la suite d’une altercation avec un personnel de surveillance le 23 mars 2006 en fin de matinée, le détenu, qui avait été blessé au bras, a reçu les premiers soins par le médecin de l’unité de consultations et de soins ambulatoires (UCSA) avant d’être transféré au centre hospitalier de Creil pour une prise en charge plus complète, puis d’être admis de nouveau vers 16 heures au centre pénitentiaire où il a été placé en quartier disciplinaire.

S’il résulte du témoignage du médecin de l’UCSA, que le détenu ne présentait alors aucun signe de détresse psychologique, ni de tendances suicidaires, il est constant que le soir même de son placement en quartier disciplinaire, l’intéressé a entamé une grève de la faim, en se plaignant notamment de l’injustice de la justice.

Le lendemain matin, tout en maintenant son refus de s’alimenter, il a refusé d’aller en promenade et a demandé, à six reprises, aux agents de surveillance, à rencontrer un médecin.

Si ceux-ci ont informé l’intéressé qu’il recevrait la visite du médecin dans la journée, aucun des médecins de l’équipe médicale de l’UCSA n’a été prévenu de la grève de la faim qu’il avait entreprise et de ses multiples demandes d’assistance médicale. Aucun médecin n’a dès lors eu la possibilité de visiter l’intéressé avant la visite normale prévue en début d’après-midi à l’occasion de laquelle a été constatée son suicide.

En outre, s’il ressort des différentes déclarations des personnels de surveillance qu’il existait au centre pénitentiaire de Liancourt une procédure d’alerte rapide des services médicaux prévue pour tout détenu entamant une grève de la faim, il résulte de l’instruction que cette procédure, non écrite, faisait l’objet d’interprétations différentes et était ainsi appliquée diversement selon les agents de surveillance en service.

Par ailleurs, ces divergences d’interprétation n’ont pas permis aux médecins de rencontrer le détenu avant le début d’après-midi.

Ces dysfonctionnements, qui n’ont pas permis d’éviter un suicide, révèlent des insuffisances dans l’organisation et le fonctionnement du centre pénitentiaire de Liancourt, lesquelles sont constitutives d’une faute de l’administration pénitentiaire de nature à engager la responsabilité de l’État.