Juges, tribunaux, cours… Comment s’y retrouver ? - Objectif Soins & Management n° 204 du 01/03/2012 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 204 du 01/03/2012

 

Droit

Gille Devers  

DIVERSES JURIDICTIONS →Le juge, oui… mais quel juge, quel tribunal, quelle cour ? Le panorama judiciaire est d’une très grande diversité. Essayons de fixer quelles idées.

L’actualité montre suffisamment que le juge est devenu un interlocuteur social permanent. Pour le moindre sujet, il peut être saisi, et en suivant l’actualité à partir des jugements rendus par les tribunaux, on se rend compte que l’on acquiert une bonne connaissance de la vie sociale.

DEUX ORDRES DE JURIDICTIONS : JUDICIAIRE ET ADMINISTRATIF

Sur le plan interne, il faut procéder à une division fondamentale entre les tribunaux judiciaires et administratifs. Pour des raisons historiques liées à la période de la Révolution de 1789, deux ordres de juridictions se sont progressivement construits, qui statuent sur des domaines différents.

→ Les juridictions judiciaires, avec pour figure émergente les tribunaux de grande instance, les cours d’appel et la Cour de cassation. Ces tribunaux ont compétence pour juger toutes les affaires qui intéressent l’activité privée, c’est-à-dire celle des personnes physiques ou des personnes morales : syndicats, associations, sociétés commerciales…

→ Les juridictions administratives ont compé­tence pour toutes les affaires qui mettent en cause l’État ou une collectivité publique : tribunal administratif, cour administrative d’appel et Conseil d’État.

Ce partage de compétence est très respecté. Ainsi, un litige exercé contre un centre hospitalier est porté devant le tribunal administratif, et une affaire qui intéresse une clinique ou un professionnel de santé exerçant en libéral relève du tribunal de grande instance.

TRIBUNAL CORRECTIONNEL

Tout ce qui est public relève donc de la juridiction administrative, à l’exception du pénal. Les juridictions pénales font partie de l’ordre judiciaire. Le tribunal correctionnel est une formation du tribunal de grande instance et, si un fonctionnaire commet une infraction pénale, il est jugé pour ce fait devant le tribunal correctionnel.

DES MAGISTRATS DISTINCTS

Ce partage de juridictions recoupe une séparation des professions. En effet, ce ne sont pas du tout les mêmes carrières qui conduisent à exercer comme juge dans les juridictions judiciaires ou administratives. Il n’existe aucune passerelle entre les deux secteurs. Chacun connaît la célèbre École nationale de la magistrature de Bordeaux. Cette école forme des magistrats judiciaires, alors que les magistrats de l’administratif résultent d’autres filières totalement indépendantes.

TRIBUNAL DES CONFLITS

Il peut arriver lors d’un litige qu’un plaideur ne trouve pas le tribunal compétent, les deux se renvoyant la balle ou, au contraire, les deux voulant juger l’affaire. L’affaire est alors portée devant un tribunal particulier, que l’on appelle le tribunal des conflits, juridiction unique en France et qui règle ces questions de compétence.

PRATIQUES PROCÉDURALES DIFFÉRENTES

On trouve des différences notables dans la pratique de ces deux ordres de juridiction… alors qu’il s’agit d’appliquer les mêmes lois. Notamment, le principe est que la procédure est écrite devant le tribunal administratif, avec un rôle de l’audience très limité, alors qu’à l’inverse les procédures judiciaires, qui incluent toujours une part d’écrit, laissent un rôle important, voire dominant, à la procédure orale.

Chaque juridiction produit sa propre jurisprudence, avec l’autorité de la juridiction qui est au sommet à savoir la Cour de cassation ou le Conseil d’État. La situation est marquante s’agissant de la santé car les deux types de tribunaux sont amenés à se prononcer sur des situations extrêmement proches. En entrant dans l’analyse détaillée de la jurisprudence, on relève des distinctions d’interprétation très sensibles entre le Conseil d’État et la Cour de cassation, et s’agissant de la santé, sur des notions aussi importantes que le consentement ou le régime des infections nosocomiales.

Il n’en reste pas moins que cette dualité d’ordre juridictionnel, avec le judiciaire pour le privé et l’administratif pour le public, est une donnée acquise, pas prête d’être remise en cause.

LE SIÈGE ET LE PARQUET

Au sein des juridictions judiciaires, il faut cette fois-ci faire une distinction entre les magistrats. Il relève tous de la même formation de l’École nationale de la magistrature et du statut de la magistrature. Mais ils exercent dans deux cadres complètement différents.

Les magistrats qui statuent sur les affaires sont des juges dont l’indépendance est garantie par le statut. Il s’agit de toutes les formations qui rendent les jugements : ordonnance, si c’est un juge unique, jugement pour le tribunal, arrêt pour les cours d’appel ou la Cour de cassation.

L’autre groupe est celui du Parquet. Il s’agit de magistrats, qui disposent d’une grande autonomie d’action, mais qui sont dans un statut hiérarchique, sous l’autorité finale du ministère de la Justice. C’est là une tradition française, destinée à assurer la cohérence de l’action publique. Il y a actuellement débat, car, dans les interprétations actuelles du droit, on estime que tout magistrat doit être dans une fonction d’indépendance vis-à-vis du pouvoir. Si le Parquet français reste sous l’autorité du garde des Sceaux, un certain nombre de ses pouvoirs devront être transmis au juge judiciaire. C’est donc un débat important.

Au cours d’une carrière, les magistrats peuvent passer des fonctions du Siège à celles du Parquet, ce qui est parfois critiqué.

PREMIER DEGRÉ ET RECOURS

Ici, le système est identique en matière judiciaire et administrative. La première décision de justice est rendue par un tribunal et il s’agit d’un jugement.

La partie perdante a la possibilité de faire appel. Le dossier est alors transmis à la Cour d’appel ou la Cour administrative d’appel et le dossier est rejugé dans son entier. Celui qui entend critiquer un arrêt d’appel peut faire un pourvoi qui est porté devant la Cour de cassation ou devant le Conseil d’État. Dans ce cadre, l’affaire n’est pas rejugée dans la globalité. Sont vérifiés les aspects de forme, mais surtout l’application du droit. En revanche, tout ce qui relève de l’appréciation des faits ne peut pas être remis en cause.

Ainsi, quand la Cour d’appel a jugé les faits constituant la pratique de l’infirmière, ce point est considéré comme acquis. La question qui peut être discutée devant la Cour de cassation ou le Conseil d’État est de savoir si cette pratique doit être qualifiée de faute ou non.

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE ET AUTRES JURIDICTIONS DE PREMIER DEGRÉ

→ Le tribunal de grande instance est incontestablement la juridiction de référence du fait du nombre d’affaires qu’il traite. Mais ont été créées d’autres juridictions qui statuent sur des secteurs plus particuliers.

→ Le tribunal d’instance, qui siège à juge unique, traite des affaires d’un montant limité, ou de secteurs spécifiques comme le bail. En matière pénale, cette juridiction prend le nom de tribunal de police et elle est compétente pour les contraventions.

→ Il existe deux juridictions spécialisées dans le droit des affaires. Il s’agit du conseil de prud’hommes, compétent pour tous les litiges liés au droit du travail, et du tribunal de commerce pour tout ce qui concerne les affaires et le business. La particularité est que ces juridictions ne comprennent pas des magistrats professionnels, mais des magistrats élus à partir de listes d’origine syndicale.

→ Il existe deux juridictions spécialisées dans le domaine de la Sécurité sociale : le tribunal des affaires de Sécurité sociale, qui traite tout le contentieux de la Sécurité sociale, sauf celui qui relève de l’appréciation médicale et qui a pour nom le tribunal du contentieux de l’incapacité.

→ Il faut encore citer le tribunal pour enfants, qui est une formation du tribunal de grande instance et qui statue pour tout ce qui concerne les mineurs.

JURIDICTIONS DISCIPLINAIRES

Les infirmiers ont une petite idée de ce que peut être un Ordre professionnel, même si l’actuel est bien souffreteux. Lorsqu’un Ordre professionnel fonctionne, il inclut toujours des juridictions, qui peuvent prendre des décisions aussi bien qu’un tribunal. La juridiction se situe au niveau régional et prend le nom de chambre disciplinaire régionale avec un appel devant une chambre nationale. L’exemple de l’Ordre des médecins montre l’importance de cette juridiction dans la pratique des professionnels.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL

Le Conseil constitutionnel a pour mission de statuer sur les élections présidentielles et législatives, mais également de contrôler la conformité des lois avec la Constitution. Le Conseil constitutionnel est une formation unique, qui siège à Paris. Elle peut être saisie par les parlementaires lorsque la loi vient d’être adoptée ou par tout particulier quand, à l’occasion d’un litige, apparaît un débat sur la validité constitutionnelle de la loi (Question prioritaire de constitutionnalité, QPC).

LES JURIDICTIONS EUROPÉENNES

Il existe deux juridictions européennes qui sont souvent confondues alors qu’elles sont bien distinctes.

→ La Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH), qui siège à Strasbourg, est liée au Conseil de l’Europe et elle a autorité sur les 47 États qui composent cette juridiction, ce qui inclut la Russie, tous les anciens pays du globe de l’Est, et la Turquie. Elle statue essentiellement sur les questions liées aux droits de l’homme, tels qu’ils sont définis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme de 1950.

→ La Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), qui siège au Luxembourg, relève quant à elle de l’Union européenne des 27 États. Elle a essentiellement compétence sur les affaires économiques et sociales, qui sont la matière de l’Union européenne. Les deux juridictions sont donc complémentaires pour traiter au final tous les aspects du contentieux.

Chaque particulier a la possibilité, après avoir épuisé les voies de recours interne, de s’adresser à ces juridictions. Lorsqu’une cour européenne a rendu un arrêt important, cette décision a vocation à s’appliquer dans l’ensemble des États. Ceci explique le rôle devenu tout à fait central de ces deux cours européennes.

JURIDICTIONS INTERNATIONALES

Les affaires entre les États peuvent être jugées s’il y a accord des deux États devant la Cour internationale de justice qui siège à La Haye.

Depuis 2002, il existe une autre cour internationale, déjà reconnue par plus de 110 États, la Cour pénale internationale, qui siège également à La Haye. Cette Cour statue uniquement en matière pénale et pour les crimes les plus graves : génocide, crime contre l’humanité et crime de guerre.

CONCLUSION

Le droit de la santé peut avoir affaire à toutes ces juridictions. Il existe des jurisprudences très importantes du Conseil constitutionnel sur la bioéthique ou le respect du corps humain. Pour toutes les questions statutaires des infirmières de la fonction publique, et pour les questions de responsabilité dans les hôpitaux publics, la compétence est celle du tribunal administratif. Les mêmes questions – conditions de travail et responsabilité – dans le secteur privé relèvent du tribunal de grande instance. Lorsqu’une infirmière commet une faute pénale, elle est poursuivie devant le tribunal correctionnel, quel que soit son statut : libéral, salarié ou fonctionnaire. Le contentieux des accidents du travail et de tous les droits sociaux est examiné par le tribunal des affaires de Sécurité sociale, et les appréciations médicales sont tranchées par le tribunal du contentieux de l’incapacité. La Cour européenne des droits de l’homme a rendu des arrêts très importants sur le consentement ou les droits et libertés des patients psy, et toutes les questions liées à l’équivalence des diplômes relèvent de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne.

Alors, bienvenue dans le monde des juges…