Objectif Soins n° 205 du 01/04/2012

 

Cahier du management

Géraldine Langlois  

Congé maladie, surcroît exceptionnel d’activité, vacance d’emploi temporaire : plusieurs situations conduisent certains établissements – pas tous – à recourir aux services d’infirmières et/ou d’aides-soignantes intérimaires. Les cadres figurent en première ligne dans la définition des besoins, l’organisation du travail de ces soignants et parfois les relations avec les agences.

Le recours à l’intérim, quand il existe, n’est choisi qu’après avoir essayé de combler en interne les absences inopinées et les “trous” dans les plannings. Au centre hospitalier de Saintonge (Saintes), en cas de besoin ponctuel, on sollicite d’abord le pool de remplacement et on essaie de modifier les plannings. Si cela ne suffit pas, les agences d’intérim sont sollicitées. « Mais on ne recourt pas à l’intérim si on peut proposer un CDD, en cas d’arrêt long par exemple », précise Jean-Luc Gensac, cadre supérieur de santé et coordinateur du pôle de chirurgie, anesthésie, urgences-Smur et réanimation médico-chirurgicale.

SOLUTION À UNE SITUATION INATTENDUE

L’intérim vient parfois répondre à une situation exceptionnelle, comme lors du déménagement du centre hospitalier de Valence dans un nouveau bâtiment l’été dernier. Augmentation d’activité, du nombre de lits… et donc des besoins en soignants. « Nous ne pouvions pas y répondre en interne et, pour ne pas avoir à fermer des lits, nous avons choisi de faire appel à l’intérim », explique Stéphanie Pioch, directrice des ressources humaines.

À la Clinique générale (privée) d’Annecy, les besoins se sont aussi accrus en 2011, avec le départ vers la Suisse de plusieurs infirmières, explique Marie-Louise Hervey, directrice des soins. Avant de recourir à l’intérim, les cadres sollicitent d’abord les infirmières salariées qui souhaitent travailler quelques heures supplémentaires.

Avec 7 000 vacations en 2011 (dont 95 % sur des postes d’IDE), le recours à l’intérim soignant a augmenté au CHU de Toulouse ces dernières années, constate Olivier Rastouil, son directeur des ressources humaines. Le principe du recours à l’intérim a été validé par la DRH du CHU, « ce qui est loin d’être systématique dans tous les établissements », note Olivier Rastouil. L’intérim est considéré ici comme un « moyen d’ajustement » des effectifs pour répondre aux besoins « urgents mais aussi pour pallier sur des courtes durées un besoin qui n’est pas satisfait par les candidatures ou dans l’attente de mutations ». Ou encore pour répondre à une augmentation d’activité imprévue.

PRÉVOIR ?

À part pour la période estivale, il est difficile d’intégrer l’intérim à la gestion prévisionnelle des emplois. Pourtant, à son échelle (200 lits), la polyclinique (privée) de Poitiers dispose d’une cellule de gestion des lits et d’une cellule de gestion des plannings et des absences. Les cadres récapitulent leurs besoins de remplacement, qui sont priorisés, explique la directrice des soins, Laurence Joulain. « Chaque jour, nous revoyons l’organisation pour vérifier si on peut faire autrement. »

Chaque établissement organise aussi le recours à l’intérim selon son statut, public ou privé. L’augmentation du recours au CHU de Toulouse l’a « amené à le gérer différemment, poursuit Olivier Rastouil. Le groupement d’achats auquel l’établissement est adhérent à négocier des marchés-cadres au plan national et, à notre niveau, nous avons organisé une mise en concurrence locale. Nous avons ensuite passé des marchés avec certaines agences ». Les pôles les sollicitent de manière différente selon le degré d’urgence du besoin. À une semaine de l’échéance, ils contactent l’organisme arrivé en premier lors de l’appel d’offres. S’il ne peut répondre au besoin, la demande est transmise à la deuxième agence et ainsi de suite. À moins de cinq jours du besoin, la demande est transmise à toutes les agences en même temps et la première réponse est validée.

À Valence, c’est la proposition la moins coûteuse de la part des agences, choisies après appel d’offres, qui est retenue. Autre formule au centre hospitalier de Saintonge, qui a également contractualisé avec deux agences à la suite d’un appel d’offres : « Les demandes sont envoyées simultanément aux deux agences et la première réponse est retenue. Cela se joue parfois à la minute près ! », indique Jean-Luc Gensac. Et si aucune des deux sociétés ne répond à la demande, les autres agences sont sollicitées.

ALÉAS DU RECRUTEMENT

À la polyclinique de Poitiers, les besoins en intérim se concentrent sur les postes d’infirmières de nuit, les plus difficiles à pourvoir, tandis qu’à la clinique d’Annecy, la question se pose de façon plus aiguë au bloc qu’ailleurs : cinq intérimaires y travaillent depuis cinq mois. « Nous essayons de travailler avec les mêmes personnes, nous le demandons aux agences, explique Marie-Louise Hervey. Certaines reviennent depuis plusieurs années et connaissent la clinique. » Mais elle doit traiter avec toutes les agences de la ville et même parfois celles de Grenoble ou de Montpellier…

À Poitiers, « l’infirmière est une denrée rare, souligne Laurence Joulain. Même les agences semblent rencontrer des difficultés de recrutement. Les délais sont poussés au maximum : il arrive qu’on attende une personne pour 14 heures et qu’à 11 heures on n’ait encore aucune nouvelle… On met toujours en place un plan B ». À la marge, des couacs se produisent aussi parfois : l’intérimaire ne se présente pas, ou bien il en arrive deux en même temps…

Dans certaines zones, les besoins varient avec les saisons et lors des week-ends ou des congés annuels, il peut être difficile d’y répondre. Au CHU de Toulouse, par exemple, les pôles commencent à communiquer leurs besoins estivaux dès le mois de mai.

DÉLÉGATION ?

La responsabilité du recours à l’intérim peut être centralisée ou déléguée. Au CHU de Toulouse, « la gestion des crédits de personnel est très déconcentrée, au niveau des pôles, explique Olivier Rastouil. Chaque pôle dispose d’un volume d’agents rémunérés, dont la très grande majorité est en poste. Le reste est constitué de remplaçants ou d’intérimaires. » C’est néanmoins la DRH qui lance les commandes.

L’hôpital de Saintes a aussi choisi de confier aux cadres de pôle une délégation de gestion sur la question de l’intérim, mais sans avoir encore engagé la contractualisation. « Ils sont responsables des demandes et de l’évaluation des besoins, explique Jean-Luc Gensac. Les demandes remontent à la DRH, mais ce sont les cadres supérieurs qui traitent directement avec les agences d’intérim. » Ils les ont rencontrées, ont élaboré un cahier des charges et un bon de commande très détaillés… « Nous sommes très précis dans nos demandes, poursuit le cadre de pôle, et les intérimaires savent exactement où elles seront affectées et ce qu’on attend d’elles. Nous avons tous intérêt à être dans la qualité de la mise à disposition d’un environnement de travail d’un côté et de professionnels de l’autre. »

Généralement, les interlocuteurs des agences d’intérim ne peuvent demander une personne en particulier, mais seulement préciser le profil du poste à pourvoir, voire le niveau d’expérience souhaité. Difficile, en effet, de positionner en réa ou aux urgences quelqu’un qui n’a travaillé qu’en gériatrie…

POOL DE REMPLACEMENT

Les intérimaires ne remplacent pas forcément une infirmière ou une aide-soignante précise. Les cadres “jonglent” parfois avec celles qui sont en poste et celles qui arrivent en renfort. « En règle générale, nous essayons de respecter le planning initial de la personne que remplace l’intérimaire », indique Olivier Rastouil, à Toulouse. Mais en cas de remplacement au pied levé, un agent prévu le lendemain peut être sollicité et ce sera lui qui sera remplacé par un intérimaire le jour suivant.

Dans les pôles de médecine du centre hospitalier de Valence, explique Catherine Orand, cadre supérieur de santé du pôle médecine et pathologies tumorales, les intérimaires n’ont en revanche pas été affectées à des postes particuliers, mais à un pool de remplacement propre aux deux pôles. « Cela nous a permis, souligne-t-elle, de mieux maîtriser les affectations » dans les huit unités du pôle en fonction de l’urgence des besoins. Les intérimaires savaient qu’elles étaient affectées au pôle de médecine mais pas dans quelle unité. Tous les deux ou trois jours, les deux cadres supérieurs faisaient le point avec les agences sur les affectations.

EN CASCADE

À Saintes, dans l’unité urgences, Smur et hospitalisation de courte durée (HTCD) une sorte d’organisation “en cascade” a été mise en place. Aux urgences, « il faut faire face à des questions vitales, et le système informatique est spécifique, alors, si un besoin de personnel survient aux urgences, souligne Valérie Vialatte, la cadre de l’unité, je vais d’abord le combler avec une infirmière d’HTCD, dont l’équipe est commune avec les urgences. C’est cette infirmière qui sera remplacée par l’intérimaire ». Idem entre le Smur et les urgences ou entre la réanimation et les soins continus : les infirmières internes se remplacent en cascade et l’intérimaire est affectée à l’unité la moins technique ou spécifique.

Des infirmières référentes sont aussi positionnées auprès des intérimaires.

En revanche, les intérimaires (généralement des Ibode ou infirmières de bloc) de la clinique annecienne sont postées en dix heures, de jour, contre sept, huit ou dix heures pour les infirmières en poste. « Cela permet de couvrir une bonne partie de la journée », où se déroule la majeure partie de l’activité au bloc, explique Marie-Louise Hervey. Elles participent aux interventions mais ne préparent pas celles du lendemain et ne participent pas aux gardes ni aux astreintes.

ACCUEILLIR

La façon dont ces infirmières se positionnent dans les équipes dépend beaucoup de l’accueil qui leur est réservé. Dans le pôle de chirurgie, anesthésie, urgences-Smur et réanimation médico-chirurgicale de l’hôpital de Saintes, un premier contact est souvent pris au téléphone avant la mission. Quand les délais le permettent, Valérie Vialatte organise un entretien et une visite du service destinés à exposer le fonctionnement de l’unité aux intérimaires. « Si elles arrivent au dernier moment, on fait la même chose, mais de façon resserrée, ajoute la cadre. La nuit, cet accueil est délégué à un infirmier du Smur. » Jean-Luc Gensac et elle en font une question de respect du professionnalisme de ces soignants. « On les appelle au dernier moment, elles doivent se déplacer, s’organiser, elles viennent parfois nous rencontrer avant, observe le cadre de pôle. Cela fait partie du contrat moral. Si elles arrivent confiantes car elles savent où elles mettent les pieds, c’est mieux pour tout le monde ?! Les médecins aussi jouent le jeu. »

Mais un tel accueil n’est pas toujours possible. Souvent, les cadres s’entretiennent au moins quelques minutes au téléphone avec les futures intérimaires avant leur arrivée.

CONTRAT MORAL

Elles s’efforcent aussi d’organiser les missions pour qu’elles se déroulent au mieux. Pendant la période de fort recours à l’intérim, les deux cadres du CH de Valence ont ainsi essayé d’assurer une certaine stabilité des effectifs. Surtout, elles se sont efforcées de n’affecter qu’une seule intérimaire par unité et par poste de travail. Le but, selon Isabelle Tavernier, cadre supérieur du pôle médecine et spécialités : « Que la prise en charge des patients soit optimale, que l’infirmière intérimaire ne soit pas mise en difficulté et que les équipes qui les accueillent n’aient à transmettre les informations qu’à une personne nouvelle ».

Même chose à Saintes : « Comme les unités de MCO ne fonctionnent jamais avec une seule infirmière, l’intérimaire a toujours une ou deux infirmière(s) à ses côtés pour répondre à ses questions, explique Jean-Luc Gensac. C’est sécurisant pour tout le monde. »

Parfois, les infirmières envoyées par les agences sont d’anciennes infirmières de l’hôpital qui ont choisi de changer de mode d’exercice ou d’améliorer leur retraite. Un avantage : elles connaissent “la maison” !

BIENVEILLANCE OU TENSION ?

« En général, l’équipe paramédicale est bienveillante vis-à-vis des intérimaires, remarque Catherine Vialatte. Outre les bénéfices pour la sécurité et la qualité des soins, elles sont conscientes que l’intérim permet d’éviter d’annuler des congés ou des formations. »

Mais des tensions sont possibles. Il arrive parfois que des soignantes ne comprennent pas que ces intérimaires, moins impliquées, soient rémunérées davantage… « Cela crée des tensions, reconnaît Marie-Louise Hervey, à Annecy, mais on n’a pas le choix. »

À Valence, les cadres du pôle de médecine ont observé une augmentation du stress dans les unités qui accueillaient des intérimaires, « au niveau des infirmières, des cadres et des médecins, souligne Catherine Orand. Nous avons constaté un certain climat d’insécurité : les infirmières du service se sentaient plus en responsabilité et étaient déstabilisées ». La présence inhabituelle d’intérimaires, assez nombreuses, pendant une période de déménagement, n’était pas forcément facile à gérer…

REMPLIR UN FORMULAIRE D’ÉVALUATION

Après chaque mission, un formulaire d’évaluation rempli par les cadres est demandé par les agences d’intérim. Il ne s’agit pas forcément de commentaires détaillés, sauf si la personne s’est montrée particulièrement compétente ou si la mission ne s’est pas bien passée. Dans ce cas, les supérieurs hiérarchiques et responsables du recours à l’intérim sont aussi informés. Et les agences essaient ensuite de ne pas proposer de nouveau des intérimaires qui n’ont pas fait l’affaire…

Le niveau de satisfaction des établissements et des cadres est très variable. Pour Laurence Joulain, à Poitiers, les infirmières intérimaires montrent une grande capacité d’adaptation. Mais il faut avoir une certaine maturité et ne pas avoir “décroché” des soins depuis trop longtemps, estime-t-elle.

Au CHU de Toulouse, la disponibilité de ce personnel de renfort est appréciée, « mais en termes de qualification, les cadres ne sont pas toujours satisfaits, observe Olivier Rastouil. Dans un CHU, l’activité de certains services est assez pointue et nécessite des compétences qui ne s’acquièrent pas du jour au lendemain. » À Annecy, Marie-Louise Hervey constate aussi des difficultés, en particulier au bloc : « Même si elles ont déjà travaillé au bloc, elles ne sont pas opérationnelles dans toutes les spécialités et il faut les former. Cela prend du temps, de l’énergie. »

Globalement, « les compétences ne sont pas tout à fait au même niveau entre des intérimaires et des infirmières en poste, souligne aussi Stéphanie Pioch, à Valence. Il n’y a pas non plus la même confiance. Mais on ne peut pas demander le même investissement. Pour faire fonctionner un hôpital, nous avons besoin d’équipes qui partagent le même projet ». La direction souhaite d’ailleurs recourir au minimum à l’intérim à l’avenir.

De fait, les missions d’intérim débouchent rarement sur des embauches. Les coups de foudre réciproques sont possibles, mais ils restent exceptionnels.

LE CADRE RÉGLEMENTAIRE

Le recours à l’intérim est réglementé pour les établissements publics par la loi du 3 août 2009 (http://petitlien.fr/5v4r) et la circulaire du 3 août 2010 (http://petitlien.fr/5v4s).

L’intérim est décrit comme un « mode de gestion alternatif au recrutement d’un agent non titulaire » destiné à répondre à un besoin non durable. Il peut y être recouru de façon exceptionnelle, au cas par cas, pour remplacer un agent, titulaire ou non, en congé maladie, maternité, parental ou autre, pallier une vacance temporaire d’emploi, répondre à un accroissement temporaire d’activité ou à un besoin occasionnel ou saisonnier.

Si l’intérim peut apporter un gain de souplesse, de gestion et de réactivité, elle représente un coût, supérieur à l’emploi d’une personne par l’établissement. La loi sur les marchés publics s’applique à l’intérim, mais les marchés de moins de 4 000 euros sont dispensés de publicité et de mise en concurrence.

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