Objectif Soins n° 205 du 01/04/2012

 

Point sur

Thierry Pennable  

Les troubles du sommeil regroupent toutes les perturbations de la durée ou de la qualité du sommeil. Longtemps considérés comme les signes d’un problème psychologique, ils sont aujourd’hui reconnus en tant que maladie.

Les horaires professionnels décalés ou les horaires de nuit peuvent perturber l’architecture physiologique du sommeil, c’est-à-dire l’ensemble des différents cycles ou états qui le composent.

LE SOMMEIL

Trois états physiologiques

Le sommeil lent correspond à un ralentissement progressif de l’activité cérébrale et une mise au repos du cortex cérébral. Il permet la restauration des réserves énergétiques (glycogène cérébral).

→ Le sommeil lent léger permet de se reposer, mais pas de récupérer comme le sommeil lent profond, plus efficace.

→ Le sommeil paradoxal est ainsi appelé parce que le cerveau est très actif à ce stade. La respiration et le rythme cardiaque s’accélèrent. Les muscles sont complètement atoniques et les yeux sont secoués par des mouvements rapides et symétriques. Le sommeil paradoxal jouerait un rôle important au niveau de la mémoire, de l’équilibre psychologique et de la gestion du stress.

→ L’éveil fait partie intégrante du sommeil. Les temps d’éveil sont présents à l’endormissement, pendant la nuit et au réveil. Les éveils en cours de nuit sont normaux. Leur nombre et leur durée augmentent avec l’âge.

Plusieurs cycles

Pendant une nuit, sommeil lent, sommeil paradoxal et éveil se succèdent sur le même rythme pour s’organiser en cycle de sommeil. Le temps de sommeil comprend en moyenne 4 à 6 cycles qui durent 1 à 2 heures. Entre deux cycles, le sommeil redevient très léger et peut déboucher sur des éveils nocturnes plus ou moins longs.

Des besoins individuels

Les besoins de sommeil sont différents selon les individus. Les adultes français dorment en moyenne 6 h 58 par nuit la semaine et 7 h 50 le week-end(1). Un peu plus longtemps l’hiver que l’été. La durée de 8 heures répandue dans les esprits est recommandée pour les jeunes adultes en périodes d’études ou d’apprentissages. L’homme a un sommeil monophasique, en une seule période, sauf pour le nouveau-né et pour ceux qui pratiquent la sieste, dont les seniors (sommeil polyphasique). Les “petits dormeurs” dorment 6 heures ou moins par nuit, les “grands dormeurs”, 9 heures ou plus. Si 29 % des Français dorment moins de 7 heures en moyenne par 24 heures, 6 % dorment plus de 9 heures(1).

Horloge biologique

Le rythme de l’horloge biologique est réglé par l’organisme, mais n’est pas totalement indépendant de l’environnement. Le rythme circadien de 24 heures est fortement lié à l’alternance jour/nuit ou lumière/obscurité. La lumière de haute intensité agit au niveau des cellules photoréceptrices de la rétine et atteint l’horloge biologique au niveau du noyau de l’hypothalamus par les voies visuelles. L’humain est un animal diurne, le sommeil est favorisé la nuit et les performances physiques et mentales sont optimales la journée. Les personnes “du soir” se couchent tard et se réveillent plus tard, celles “du matin” ont sommeil plus tôt le soir et sont très en forme tôt le matin. Dans les deux cas, le sommeil est de durée et de qualité normale, les troubles apparaissent parfois à cause de l’adaptation à des horaires sociaux.

LES PATHOLOGIES DU SOMMEIL

→ Les parasomnies regroupent l’ensemble des troubles moteurs ou psychiques indésirables qui surviennent au cours du sommeil (somnambulisme, terreurs nocturnes). Il n’y a pas d’altération des processus de veille et de sommeil, et peu de retentissement sur la qualité de vie en période de veille.

→ Les hypersomnies (hypersomnie idiopathique, narcolepsie, syndrome de Kleine-Levin) se manifestent par une difficulté à se lever le matin et une fatigue accompagnée d’un ralentissement de l’activité et de l’attention pendant la période de veille. Elle correspond à une augmentation du rapport sommeil/veille (proportions normales : 2/3 pour l’état de veille et 1/3 pour le sommeil par cycle de 24 heures). La maladie dure toute la vie. Le trouble est soit permanent, soit fluctuant avec des périodes d’aggravation et d’amélioration relative.

→ L’insomnie se définit comme le ressenti d’une insuffisance de sommeil ou de sa mauvaise qualité restauratrice (appréciation subjective), transitoire ou chronique (cf. encadré ci-dessus). Elle affecte l’endormissement ou le maintien du sommeil et s’accompagne de retentissements à l’état de veille : fatigue, perte de concentration ou de mémoire, morosité ou irritabilité, erreurs dans la réalisation de tâches. C’est le trouble du sommeil le plus fréquent. Le plus souvent, l’insomnie est un symptôme associé à une autre pathologie.

→ Les dérèglements de l’horloge biologique impliquent, avec le syndrome d’avance de phase, un besoin irrésistible de sommeil tôt dans la soirée et un réveil précoce. Les personnes concernées ne peuvent prolonger leur sommeil le matin, même si elles se couchent tard. L’adaptation aux horaires sociaux, scolaires ou professionnels peut s’avérer difficile.

TRAVAIL DE NUIT ET HORAIRES DÉCALÉS

Sommeil et travail

Le travail est la principale cause de manque de sommeil pour 53 % des jeunes adultes(2) devant les difficultés psychologiques pour 40 %, les enfants (27 %), les loisirs (21 %) et le temps de transport (17 %). En France, un salarié sur cinq a des horaires décalés : travail posté, de nuit, etc. Les troubles du sommeil, plus fréquents que dans la population générale, touchent 35 % de ces travailleurs. Ils sont liés à une désynchronisation de l’horloge biologique et aux perturbations de l’environnement au moment du coucher (plus de bruit et de lumière, température élevée). En moyenne, les travailleurs en horaires décalés dorment une heure de moins par 24 heures, l’équivalent d’une nuit perdue par semaine.

Rythme physiologique déstructuré

Le sommeil répond à une rythmicité physiologique inscrite dans un cycle de 24 heures. « Un des points forts du fonctionnement du sommeil est la régularité des horaires, explique le docteur Sylvie Royant-Parola, psychiatre et spécialiste du sommeil, présidente du réseau Morphée. Un sommeil et un réveil à heure régulière permettent à l’organisme et au cerveau de pouvoir programmer toutes les actions de la journée avec des aptitudes optimales. » Les horaires postés cassent la régularité de l’architecture temporelle du sommeil, l’organisme ne peut plus anticiper une période d’activité. Les efforts physiques et les fonctions mentales sont sollicités « par à-coups, au lieu de fonctionner par anticipation ».

S’ADAPTER AUX HORAIRES DÉCALÉS

La sieste réparatrice

« Lorsque le rythme physiologique est perturbé, les personnes doivent entrer dans une régulation et un contrôle du sommeil au lieu d’une attitude spontanée. C’est un système finalement assez contraignant, ni fluide, ni facile, mais avec de réels bénéfices », précise Sylvie Royant-Parola. L’instauration d’une sieste apporte un second temps de sommeil où la personne va récupérer, surtout pour le travail de nuit. « La personne doit être à l’écoute de son corps pour repérer le moment de la journée le plus opportun pour faire une sieste. » La sieste peut aussi être bénéfique lorsque l’infirmière reprend sur un horaire de matin, après un ou de jours de repos qui ont fait suite à un horaire de soir. « Il est quasiment impossible d’avoir une bonne nuit dans cette situation, il faudrait reprendre le travail vers 9-10 heures, estime la spécialiste. L’infirmière peut organiser une sieste vers 17-18 heures la veille de la reprise puis se coucher à l’heure à laquelle elle peut s’endormir, même si c’est 22-23 heures, pour se lever tôt. »

Repérer les difficultés

Si certains arrivent à supporter les horaires décalés, d’autres n’y arrivent pas et peuvent recourir à des somnifères. Les personnes du soir peuvent mieux supporter les horaires de nuit et même y trouver des avantages. « Le recours au médicament est déjà un signe d’intolérance au travail posté, le corps ne s’adapte pas, avertit le docteur Royant-Parola. C’est gérable pendant un temps, 2-3 ans, mais ce n’est pas une solution tenable sur du très long terme. »

D’autant que les infirmières peuvent avoir recours à une automédication, « ce qui est le pire, car il n’y a pas d’encadrement ». Fréquemment, les personnes prennent un somnifère pour dormir dans la journée, ensuite, même le sommeil de nuit n’arrive plus à s’instaurer, et « les gens prennent des somnifères à chaque fois qu’ils doivent dormir ».

Consultation spécialisée

« Dans un premier temps, la personne en difficulté doit s’adresser à son médecin traitant. Si, au bout de trois mois, les choses ne s’arrangent pas, il vaut mieux s’orienter vers un spécialiste du sommeil ou un centre du sommeil, même si l’offre est très disparate selon les régions », conseille Sylvie Royant-Parola. La Haute Autorité de santé (HAS) préconise le recours à un spécialiste en cas d’insomnies rebelles ou en cas d’insomnies inexpliquées, atypiques ou évoquant une situation particulièrement complexe.

Aménager le temps de travail

Le changement d’horaires, matin, soir, nuit, aggrave encore la rupture avec un rythme physiologique. Il est plus facile de s’adapter à un rythme imposé, mais régulier.

Si les insomnies se répètent sans amélioration, voire avec une aggravation, il faut envisager un changement de poste. Si des éléments dépressifs sont identifiés, il faut alors privilégier un poste avec des horaires réguliers. Les horaires irréguliers sont déstabilisants en termes d’humeur.

PRIVATION DE SOMMEIL

À court terme, être privé de sommeil provoque une altération des fonctions supérieures du cerveau : concentration, mémoire, humeur, contrôle de la motricité. À long terme, le manque chronique de sommeil entraîne une baisse des défenses immunitaires, une hypertension, des troubles métaboliques (diabète) ou gastro-intestinaux, une vulnérabilité au stress ou une dépression. Les problèmes de surpoids chez les personnes qui ne dorment que 5 heures par nuit s’expliquent par une diminution de la leptine, hormone qui réduit la prise alimentaire et stimule les dépenses énergétiques, et une augmentation de la ghréline qui stimule l’appétit. Les horaires fortement décalés ou de nuit perturbent aussi les sécrétions hormonales.

TRAITEMENT DES INSOMNIES TRANSITOIRES

Selon la sévérité de l’insomnie

L’insomnie transitoire ou occasionnelle dure de quelques jours à trois mois. Appliquer des conditions optimales et des facteurs favorisant du sommeil suffit parfois à restaurer le sommeil en cas d’insomnies légères et sans cause associée (cf. encadré ci-dessous). Elles sont associées aux autres mesures thérapeutiques dans les insomnies modérées ou sévères :

→ insomnie légère : une nuit par semaine, faible retentissement sur l’activité de la journée ;

→ insomnie modérée : 2 ou 3 nuits par semaine, fatigue, état maussade, tension et irritabilité ;

→ insomnie sévère : 4 nuits et plus hebdomadaires. Aux signes précédents s’ajoutent : hypersensibilité diffuse, troubles de la concentration, performances psychomotrices altérées.

Facteurs améliorant les difficultés

L’équilibre du cycle éveil-sommeil peut être rétabli par la lumière et l’activité physique.

En cas de difficultés d’endormissement :

→ bien marquer le moment du réveil (douche, exercice physique, ambiance lumineuse forte) ;

→ le soir, éviter la lumière forte et l’activité physique.

En cas de réveil matinal trop précoce :

→ ne pas traîner au lit quand on est réveillé ;

→ favoriser l’activité physique le soir et utiliser une ambiance lumineuse forte.

L’approche chronobiologique

Une bonne connaissance des rythmes de sommeil spécifique à chaque individu permet de dépister certaines erreurs et de renforcer une bonne synchronisation de l’organisme.

Certaines règles doivent être rappelées :

→ respecter autant que possible son rythme de sommeil personnel. Il peut être repéré ses habitudes de sommeil en vacances ;

→ se coucher uniquement quand on est fatigué ;

→ éviter de rester au lit en cas d’éveil prolongé ;

→ ne pas chercher à prolonger son sommeil le matin pour récupérer une mauvaise nuit ;

→ éviter l’irrégularité des horaires de sommeil et des repas ;

→ bien marquer le moment du réveil : prendre une douche, faire quelques exercices physiques, utiliser un éclairage de forte intensité (halogène).

Traitement symptomatique si nécessaire

→ Sédatif léger comme la phytothérapie. Les plantes avec effet relaxant sont utilisées en tisanes ou infusions : valériane, passiflore, tilleul, verveine, fleur d’oranger.

→ Hypnotique (doxylamine, benzodiazépine ou apparenté) pendant quelques jours, à la plus faible dose possible.

→ Anxiolytique (benzodiazépine ou apparenté) si la composante anxieuse est prépondérante.

TRAITEMENT DES INSOMNIES CHRONIQUES

Approches non médicamenteuses

En plus des règles d’hygiène du sommeil, les thérapies cognitives et comportementales sont recommandées par la HAS(3).

Des sessions de groupe conduites par un spécialiste visent à réfléchir sur son sommeil et à corriger les mauvaises habitudes. À l’exemple de la restriction du temps passé au lit qui consiste à ne rester au lit que pour dormir et à se lever si on ne dort pas. Après quelques jours, les épisodes de sommeil, même de courte durée, sont plus récupérateurs.

Traitements pharmacologiques

Précautions générales

→ L’efficacité des traitements prolongés par benzodiazépines (BZD) et apparentés n’est pas démontrée.

→ Une accoutumance (une même dose est de moins en moins efficace) est possible.

→ Les hypnotiques peuvent entretenir une insomnie par un effet rebond possible à l’arrêt du traitement, et favoriser une dépendance.

Les médicaments du sommeil

Les hypnotiques regroupent certaines benzodiazépines (BZD), les apparentés aux BZD, les antihistaminiques H1 et la mélatonine :

→ les benzodiazépines et apparentés facilitent l’endormissement et réduisent le nombre de micro-éveils dans la nuit dans un contexte d’anxiété ;

→ les antihistaminiques agissent sur les troubles du sommeil en raison de leurs effets sédatifs d’origine histaminergique et adrénolytique ;

→ la mélatonine (qui est disponible sous une forme à libération prolongée, le Circadin) est une hormone naturelle qui participe au contrôle des rythmes circadiens ainsi qu’à la régulation du rythme jour/nuit. Elle a un effet hypnotique modéré et prédispose au sommeil.

NOTES

(1) “Sommeil et Rythme de vie : le sommeil dans tous ses états”, enquête INSV (Institut du sommeil et de la vigilance)/ BVA, 2009, réalisée auprès de 1 000 personnes âgées de 18 à 55 ans.

(2) “Enquête sur les représentations, les attitudes, les connaissances et les pratiques du sommeil des jeunes adultes en France [25-45 ans]”, Institut BVA, décembre 2007. Sur www.inpes.sante.fr.

(3) “Prise en charge du patient adulte se plaignant d’insomnie en médecine générale”, SFTG – HAS, décembre 2006.

DÉFINITIONS ET CRITÈRES

L’INSOMNIE CHRONIQUE

Le DSM IV (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders) définit l’insomnie chronique par la présence, depuis minimum un mois et trois fois par semaine, d’au moins un des critères suivants : difficultés à l’endormissement ; réveils nocturnes et difficultés pour se rendormir ; réveil matinal précoce. En pratique : le médecin relève un temps d’endormissement supérieur à 30 minutes, au moins deux éveils par nuit avec des difficultés pour se rendormir, et un réveil matinal prématuré au moins 1 heure avant l’heure choisie (“Prise en charge du patient adulte se plaignant d’insomnie en médecine générale”, Société de formation thérapeutique du généraliste, recommandations, décembre 2006).

SOMMEIL

RÈGLES D’HYGIÈNE

– Dormir selon les besoins, pas plus, et éviter les siestes longues de plus d’une heure ou trop tardives après 16 heures.

– Adopter un horaire régulier de lever et de coucher. Retarder le coucher chez les personnes âgées.

– Limiter le bruit, la lumière et une température excessive dans la chambre à coucher.

– Éviter la caféine, l’alcool et la nicotine.

– Pratiquer un exercice physique dans la journée, mais pas après 17 heures.

BIBLIOGRAPHIE

« Les mécanismes du sommeil : rythmes et pathologies », S. Royant-Parola, C. Gronfier, J. Adrien, éditions Le Pommier/Cité des sciences et de l’industrie, 2007. Un “petit” livre pour mieux comprendre les mécanismes du sommeil et les phénomènes qui peuvent l’affecter.

REMERCIEMENTS

Avec l’aimable relecture du docteur Sylvie Royant-Parola, psychiatre et neurobiologiste, présidente du réseau Morphée.