DYSFONCTIONNEMENT → Quelle qu’en soit l’origine, un comportement inadapté d’un soignant en équipe peut sérieusement affecter l’organisation des soins, voire la sécurité des patients. Le cadre de proximité doit savoir réagir et éventuellement signaler le problème à sa hiérarchie afin de ne pas laisser perdurer des situations dommageables.
« Il m’est arrivé de soupçonner un comportement alcoolique chez un agent et de devoir faire intervenir immédiatement la médecine du travail, se rappelle une cadre de proximité d’un établissement de santé francilien. Son addiction était susceptible de mettre en danger la vie des patients et le bon fonctionnement du service. Il était donc urgent d’agir. » L’agent ayant reconnu son état, il avait accepté de suivre – en toute discrétion – son supérieur hiérarchique jusque dans le service de médecine du travail où son alcoolémie put être évaluée et où une solution lui fut proposée. « Son inaptitude avait été constatée, il a donc été arrêté et une cure lui a été proposée », poursuit la cadre. La situation ne se rencontre heureusement pas tous les jours.
Pour autant, les cadres de proximité d’aujourd’hui doivent être attentifs et savoir réagir face à des comportements de la part du personnel qui peuvent entraver le bon fonctionnement du service, voire mettre en jeu le confort et la vie des patients. « Avec l’évolution de la gestion hospitalière, il n’est plus question de surplus dans nos effectifs, explique Sylvie Sordelet. Du coup, si quelqu’un pose problème, cela se ressent tout de suite et il faut pouvoir agir rapidement. Les cadres de proximité vont donc gérer beaucoup d’alertes directement car ils sont responsables de la qualité des soins. »
La première précaution réside évidemment en amont de la titularisation. Il s’agit de prendre le temps d’observer l’agent avant sa titularisation, au travers des périodes de CDD et de stage. « Mais, aujourd’hui, reconnaît Olivier Rastouil, directeur des ressources humaines au centre hospitalier universitaire de Toulouse, nous avons tellement de besoins au niveau du personnel soignant, que nous en sommes plutôt à écourter les périodes de CDD et accélérer le passage en stage. » Il n’en reste pas moins que contractualisation et stage doivent rester des périodes d’évaluation importantes.
À Toulouse comme à l’AP-HP, un suivi trimestriel est organisé pendant l’année de stage. « Les cadres doivent être particulièrement vigilants sur cette évaluation », note Éric Domain, directeur des ressources humaines à l’hôpital Beaujon (Clichy-la-Garenne). S’ils ont des réserves, il est important de les formuler par écrit très tôt. « Trop souvent, nous avons trois premiers bilans positifs et, brusquement, le quatrième révèle des difficultés. C’est qu’au préalable, le cadre s’est contenté d’avertissements oraux, sans consigner ses doutes. Or c’est sur la somme des bilans que la titularisation sera décidée ou non. » Or un seul rapport inquiétant sur quatre peut ne pas être suffisant pour refuser la titularisation d’un agent alors que celui-ci ne fera pas nécessairement l’affaire.
Passée l’étape de la titularisation, la mission d’évaluation par le cadre de proximité se poursuit. Et des changements de comportement peuvent survenir à tout moment de la carrière de l’agent hospitalier, quelle qu’en soit la raison.
Comme évoqué précédemment, il peut s’agir d’une problématique médicale, comme lorsqu’un agent sombre dans une addiction telle que citée précédemment, de difficultés personnelles qui ont une incidence sur la ponctualité ou l’assiduité au travail, voire d’un conflit personnel avec un collègue ayant des conséquences sur le fonctionnement du service. « Souvent, au début, les collègues couvrent les manquements, les absences, remarque Sylvie Sordelet. Ils n’ont pas envie de dénoncer, ils ne veulent pas être accusés de délation. » Mais, au bout d’un moment, soit ils craquent après avoir trop cherché à compenser et vont solliciter leur cadre ; soit c’est le cadre qui relève de lui-même la situation problématique.
Dans les situations les plus courantes, certains cadres pourront tenter de proposer des aménagements officieux et temporaires. « Mais il faut toujours faire attention à ce que ne se pérennisent pas des solutions qui seraient ensuite difficiles à clore », avertit Olivier Rastouil. Autoriser un agent, sous prétexte qu’on le connaît de longue date et qu’il rencontre des difficultés personnelles passagères (typiquement, le couple qui se sépare et qui a des problèmes à organiser la garde des enfants), à arriver avec quinze minutes de retard chaque jour pourrait rapidement devenir un problème difficile à résoudre et engendrer des jalousies dans l’équipe…
« Dans les équipes, les agents se protègent beaucoup les uns les autres, indique Jérôme Eggers, directeur de l’Ehpad La Croix-Papillon (Touraine). Mais s’il y a des manquements à l’égard des patients, des comportements qui ont des répercussions sur l’organisation des soins, en général, ça ne passe pas. »
Si des faits graves sont rapportés à l’encadrement, l’agent mis en cause devra être entendu par son responsable. « Celui-ci tentera de vérifier si le témoignage peut-être recoupé avec ce qui lui a été rapporté, explique Jérôme Eggers. Il tentera de dédramatiser la situation. Éventuellement, il pourra laisser un écrit, une trace de l’entretien, notamment si la répétition du comportement incriminé comporte un réel danger. » Une restitution du contenu de l’entretien à l’agent, notamment par email, pourra parfois être utile. « Si, ultérieurement, la situation doit être signalée à la hiérarchie, il est important que l’agent ne soit pas pris en traître et que nous ayons la preuve qu’il a été alerté sur ses défaillances, afin de pouvoir tout mettre en œuvre pour y remédier », précise Éric Domain.
Car, si la situation se reproduit, si un, voire deux recadrages oraux ne suffisent pas et que le comportement repéré persiste, le cadre pourra alors faire intervenir l’encadrement supérieur. « Mais il faut évidemment un dossier circonstancié et des éléments factuels, dénués de toute émotion, qui auront été préalablement consignés par le cadre, résume Sylvie Sordelet. À partir de là, nous allons convoquer l’agent et essayer d’identifier toutes les causes du problème. » Car le but de l’institution n’est évidemment pas de se débarrasser de ses agents, mais de faire au mieux pour que ceux qui sont pris en défaut remédient à leurs insuffisances, voire soient accompagnés temporairement s’ils rencontrent une situation personnelle difficile, qu’elle soit de nature sociale ou médicale. « Il y a parfois des personnes qui rencontrent des difficultés considérables dans leur vie personnelle et qui n’en communiquent rien à leur hiérarchie soignante », ajoute Véronique Berger, conseil en ressources humaines à l’hôpital européen Georges-Pompidou (HEGP).
Des difficultés sociales (notamment difficulté de garde d’enfants dans des foyers monoparentaux) peuvent ainsi conduire à une mutation temporaire sur des horaires ou un type d’activité qui permettront à l’agent de mieux passer une période difficile…
Un épuisement professionnel peut également amener un agent “au bout du rouleau”. « De plus en plus de personnels se remettent en question après dix ou quinze ans d’exercice dans une profession. Il peut y avoir une usure, un sentiment de ras-le-bol important qui leur fait craindre de ne plus être un jour en mesure de bien effectuer leurs tâches », note Véronique Berger. Dans ces situations, le conseiller en ressources humaines peut être sollicité, à la demande de l’agent, de la médecine du travail ou sur conseil du cadre de proximité.
Cette nouvelle fonction, créée il y a trois ans, permet à chaque agent d’approfondir sa réflexion sur une évolution de carrière, sans aucun pouvoir décisionnaire ou de mutation. « On n’est pas forcément mauvais dans tout, résume Olivier Rastouil. On peut être efficace ailleurs. Le but du conseil en ressources humaines est d’évaluer avec l’agent ses points forts et ses faiblesses afin de définir le poste qui peut lui correspondre. »
Enfin, si la problématique est d’ordre médicale, la médecine du travail pourra également être sollicitée (via la DRH, l’agent lui-même ou le cadre de proximité) pour émettre un avis sur l’aptitude. La formulation de restriction d’aptitudes entraînera alors l’inscription de l’agent auprès du comité GPA
Dans certaines situations, le cadre pourra également demander une mutation dans l’intérêt du service. « Souvent, dans le cas de conflits interpersonnels, on sépare ainsi les deux agents mis en cause, explique Olivier Rastouil. Parfois aussi on fera bouger les deux. Sauf si on comprend clairement que c’est un seul qui pose souci. » Des problématiques médicales peuvent également être mieux mises en évidence lorsque l’agent passe d’un service de nuit à un exercice de jour. « C’est le cas notamment d’un agent alcoolique que nous avons d’abord dû faire passer en service de jour pour mieux l’observer et surtout faire constater son état d’ébriété par le médecin du travail, avant d’enclencher une prise en charge thérapeutique », relate Sylvie Sordelet. Mais une telle mutation, qui n’est pas réservée aux seules situations d’addictions, nécessite bien sûr un accord entre la direction des soins et les cadres de proximité qui accepteront de réaliser l’évaluation de l’agent dans leur équipe. « Dans ces cas, nous proposons un accompagnement et des bilans de suivi rapprochés », énonce Éric Domain. Le plus souvent, un budget spécifique existe pour financer ces situations. À Toulouse, une enveloppe permet de prendre en charge le traitement de l’agent en cours d’essai, afin d’éviter de pénaliser le budget du pôle. « Globalement, ce sont des situations qui nécessitent de travailler vraiment en confiance avec le cadre du service où se pratique la réévaluation, conclut Sylvie Sordelet. Celui-ci accepte une grosse responsabilité, il est généralement informé du problème du nouvel agent qu’il reçoit et de l’accompagnement spécifique qu’il va devoir mettre en place pour lui. »
Lorsque la situation l’exige, l’administration des ressources humaines pourra lancer une procédure disciplinaire.
Celle-ci intervient généralement lorsqu’un problème de comportement est signalé (en principe : non-respect des obligations statutaires issues des lois du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires, ou de celle du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière). Généralement, des absences répétées et injustifiées. « Dans certains cas, une sanction de premier échelon (avertissement ou blâme) suffit à remettre l’agent dans le droit chemin », indique Éric Domain.
La procédure, définie par la loi, comprend en effet quatre groupes de sanctions, allant jusqu’à à la révocation et passant par la radiation du tableau d’avancement, l’exclusion temporaire des fonctions, la rétrogradation… Mais il est rare de devoir en arriver là. À Toulouse, Olivier Rastouil signale une dizaine de procédures par an, tous secteurs d’activités confondus. À Beaujon, Éric Domain signale une à deux radiations des cadres par an, correspondant généralement à des abandons de postes. « En fait, il est extrêmement rare que les sanctions aillent jusqu’à la radiation, car les représentants du personnel votent systématiquement contre », précise Éric Domain.
Quant au licenciement pour insuffisance professionnelle (loi du 6 janvier 1986), qui intervient hors situation d’inaptitude ou procédure disciplinaire, il peut également être décidé par une commission administrative paritaire. « Il implique de pouvoir attester d’une manière certaine l’incapacité pour l’agent à effectuer les tâches correspondant à son décret de compétence ou aux procédures internes en vigueur, souligne Éric Domain. Dans tous les cas, la procédure repose sur des éléments factuels, clairement documentés et contradictoires. Il faut bien sûr s’assurer que les agents ont été mis en position d’être formés aux évolutions éventuelles des pratiques et mettre en place un accompagnement leur offrant des conditions satisfaisantes pour les atteindre. » À l’image de cette infirmière de Beaujon, désormais incapable de préparer une perfusion et d’appliquer les règles d’asepsie élémentaires… « Depuis un an, nous l’avons évaluée dans sept services, et elle a bénéficié d’une formation, raconte Éric Domain. Sans qu’aucune amélioration n’ait été constatée dans son travail. Et elle refuse de rencontrer le service social ou la médecine du travail, qui pourraient pourtant permettre de connaître l’origine de ses difficultés et donc d’y apporter une solution… » Une situation extrême et totalement exceptionnelle.
Face à la variété des situations et des services, les cadres peuvent adapter plusieurs réponses. Le seul impératif étant de laisser, si les aménagements temporaires déstabilisent le service et les recadrages oraux ne sont pas suffisants, une trace écrite des échanges avec l’agent concerné et, le cas échéant, des mesures prises à son encontre.
* Les comités GPA (gestion personnalisée des agents) réunissent des représentants de la médecine du travail, de la DRH, des cadres de proximité, afin de rechercher les postes qui pourraient correspondre à des agents en restriction d’aptitudes.