Objectif Soins n° 207 du 01/06/2012

 

Économie de la santé

Didier Jaffre  

ACCÈS AUX SOINS → La ministre des Affaires sociales et de la Santé, Marisol Touraine, a présenté ses grandes orientations sur les urgences lors du 6e Congrès national des urgences 2012. Une question se pose alors : comment faire en sorte que tous les services d’urgences soient de qualité tout en n’augmentant pas le coût pour l’Assurance maladie ?

La ministre des Affaires sociales et de la Santé vient de présenter au récent Congrès national des urgences 2012 ses orientations en matière de prise en charge des urgences hospitalières. Elles se fondent bien sûr sur l’engagement du président de la République, à savoir fixer un délai maximum d’une demi-heure d’accès à un service d’urgences pour chaque citoyen français. Tout en rappelant cependant les trois principes qui guideront son action : la qualité, la concertation et le pragmatisme. Le tout dans un contexte de rareté des ressources, qu’elles soient humaines ou financières, c’est-à-dire dans un contexte de démographie médicale tendue au niveau des praticiens hospitaliers urgentistes (bon nombre de services ne fonctionnent qu’avec des médecins intérimaires au détriment de la qualité) et la nécessité de maîtriser les dépenses de l’Assurance maladie (car un service d’urgences a un coût qui ne varie pas en fonction de l’activité : patient ou pas, le service reste ouvert 24 heures sur 24 heures). De quoi relancer le fameux dilemme équité-qualité dans l’organisation des soins hospitaliers.

LES QUATRE DIMENSIONS DE L’ACCESSIBILITÉ AUX SOINS

Dans le langage courant, on dit qu’un objet ou un lieu sont accessibles quand il est facile ou possible d’arriver à ceux-ci. Frenk (1985) définit alors l’accessibilité aux soins comme le degré d’ajustement entre les caractéristiques des ressources de soins et celles de la population dans le processus de recherche et d’obtention des soins. Elle est représentée comme une fonction entre les obstacles (indicateurs de résistance) et les capacités de la population à surmonter de tels obstacles (utilisation potentielle). Ces obstacles qui caractérisent l’accessibilité aux soins sont au nombre de quatre : physiques, financiers, organisationnels et informationnels.

L’obstacle physique

L’obstacle physique concerne la facilité d’accès physique et géographique à l’offre de soins, généralement appréhendé en termes de distance à parcourir pour se rendre à l’équipement sanitaire. Cette distance est elle-même mesurée soit en kilomètres ou en temps (la distance physique qui dépend du relief, des axes et des moyens de communication), soit en monnaie (la distance économique qui correspond à la perte de revenus et/ou de production), soit en social (la distance sociale dont les facteurs sont le niveau d’éducation, la mobilité des personnes, par exemple). Plus la distance à parcourir est élevée, moins l’accessibilité est garantie, en n’oubliant pas toutefois de distinguer la disponibilité de l’offre de l’accès effectif et efficace.

L’obstacle financier

L’obstacle financier se traduit par la barrière financière dans l’accès aux soins dont la consommation représente un coût direct et indirect pour le malade. Dans un système de soins à financement socialisé comme l’est le système français où le coût de la santé est relativement réduit, restent cependant à la charge du malade le ticket modérateur qui peut s’avérer un frein dans l’accès aux soins pour les personnes modestes, tout comme l’avance de frais. Par ailleurs, une hospitalisation entraîne de nombreux coûts indirects comme la perte de revenus du travail, la garde des enfants, les aides à domicile.

L’obstacle organisationnel

L’obstacle organisationnel caractérise une offre de soins encombrée (les services d’urgences ou de gériatrie, par exemple) dont la cause identifiée correspond à un manque d’articulation entre les professionnels de santé. Il se traduit par la constitution de files d’attente de malades, le transfert des personnes, l’allongement des délais de prise de rendez-vous, qui peuvent se traduire in fine par un renoncement aux soins. Il se traduit également par une inadaptation de la prise en charge par rapport à l’état de santé du malade.

L’obstacle informationnel

L’obstacle informationnel réside dans le manque de lisibilité du système de soins et le manque d’information de l’usager. Ce niveau d’information dépend de la relative opacité du fonctionnement de l’offre de soins, mais aussi de l’éducation à la santé que le malade a reçue. Selon le niveau d’éducation, le niveau culturel, l’appartenance à un groupe, l’usager n’adoptera pas la même attitude quant au recours et au mode de recours aux soins. Certaines personnes refuseront de se faire soigner en invoquant des croyances ou des arguments religieux par exemple.

Dans l’attente des décisions

Au-delà de ces quatre dimensions, il convient de distinguer l’accessibilité absolue de l’accessibilité relative, dans le sens où le recours aux soins dépend de la décision initiale du malade de recourir aux soins, puis de la décision du médecin généraliste de prescrire une hospitalisation, et enfin la décision du malade de suivre la recommandation de son médecin prescripteur.

LES TROIS AXES DE LA PROXIMITÉ DE SOINS

Il est possible de caractériser le besoin de proximité en santé exprimé par la population selon trois axes essentiels : sanitaire, populationnel, économique et social.

Axe sanitaire

Le besoin de proximité en matière de soins concerne avant tout la prise en charge des urgences pour lesquelles la rapidité d’intervention est primordiale : la médecine générale et la permanence des soins, le suivi de la grossesse et des nouveau-nés, les soins de suite, de longue durée, la prise en charge des personnes âgées et de certaines maladies chroniques, mais également la prévention et l’éducation pour la santé. En revanche, les disciplines techniques (chirurgie, obstétrique, anesthésie réanimation, médecine spécialisée) ne correspondent pas à des besoins de proximité dans la mesure où la plupart des interventions et des séjours sont programmés pour une durée relativement courte. Seule la préparation des interventions peut se faire à proximité du domicile du patient.

Axe populationnel

Les populations à mobilité réduite, soit pour des raisons physiologiques, soit pour des raisons économiques et sociales, expriment un véritable besoin d’être prises en charge à proximité de leur domicile, les personnes âgées constituant la majorité de ce public, mais également les personnes en situation de précarité. La proximité des soins est essentielle pour ne pas les déstabiliser et augmenter le risque de dépendance physique et psychique. Les catégories sociales défavorisées et économiquement faibles, les personnes handicapées, les femmes enceintes seules et isolées, les enfants, constituent les personnes à mobilité réduite envers qui l’hôpital a un devoir social de prise en charge.

Axe économique et social

L’hôpital est le fleuron d’une commune et un facteur d’attractivité du territoire qui permet de retarder la désertification du monde rural. Les habitants souhaitent conserver leur emploi à proximité de leur domicile, tout en sachant que l’hôpital est dans bien des cas le premier employeur. Les entreprises locales souhaitent également conserver l’hôpital comme client, de même que les salariés de l’hôpital. Aussi apparaît un besoin de maintien de l’emploi et de l’économie sociale. Toutefois, restructurer l’offre de soins et sauvegarder les emplois ne sont pas antinomiques. Si les missions des établissements de proximité doivent être restructurées pour répondre aux besoins de proximité des populations, cela ne signifie pas une perte d’emplois, mais, tout au contraire, une requalification et une revalorisation des métiers.

QUAND ACCESSIBILITÉ ET PROXIMITÉ DES SOINS RIMENT AVEC EFFICIENCE

Un système de soins équitable est celui qui garantit simultanément l’égalité dans l’accès aux soins et l’efficacité de ces soins, en réponse aux besoins de santé. La population exprime tout à la fois un besoin de proximité et d’efficacité des soins. Les dimensions d’accessibilité et d’efficacité ne s’opposent pas mais se complètent, dans la mesure où elles concourent à la réalisation d’un seul et même objectif : la satisfaction des besoins.

Selon cette conception, la planification sanitaire a pour objectif de redéfinir les activités d’un établissement de santé de proximité en fonction de la réponse à apporter aux besoins de proximité, qui sont à la fois sanitaires, populationnels et économiques. Dès lors que cette adaptation du tissu hospitalier aura été effectuée, on pourra parler d’un système de soins équitable dans la mesure où l’égalité d’accès aux soins est préservée, voire renforcée pour les personnes qui éprouvent un besoin de proximité, alors même que, simultanément, l’efficacité médicale et économique, c’est-à-dire l’efficience, sera assurée, voire renforcée dans les hôpitaux de proximité dont les moyens auront été redéfinis en fonction de leur nouvelle mission, et dans les autres établissements qui auront récupéré les moyens utilisés de manière non optimale jusqu’alors par les hôpitaux de proximité, et renforceront ainsi leur efficacité médicale par le soutien apporté aux équipes médicales et paramédicales.

Cette nouvelle approche de l’équité hospitalière ne relève plus d’une conception purement égalitariste de l’équité, même si elle intègre une certaine égalité dans l’accès aux soins, mais plutôt d’une conception rawlsienne, dans la mesure où elle conduit à apporter des réponses différentes en fonction des besoins.

CONCLUSION

Les soins d’urgences relèvent donc bien des soins de proximité qui doivent être délivrés au plus près des populations. Mais cela suppose, d’une part, que ces soins soient délivrés dans d’excellentes conditions de qualité et de sécurité qui doivent être les mêmes dans l’ensemble des services d’urgences, et, d’autre part, que d’autres soins qui ne relèvent pas de la proximité (les plateaux techniques) soient concentrés au détriment de la proximité, certes, mais au profit d’un maintien de services d’urgences efficients. Dès lors, des choix doivent être faits si l’orientation prioritaire est le maintien d’un service d’urgences toutes les trente minutes pour mailler le territoire. Sinon, l’équité dans l’accès aux soins ne sera pas garantie.

BIBLIOGRAPHIE

Frenk J. (1985), “The concept and measurement of accessability”, Salud Publica de Mexico, vol. n° 27, p. 438-453. – Rawls J. (1987), Théories de la justice, Le Seuil, Paris.