Nouveaux diplômés : passage en stress - Objectif Soins & Management n° 208 du 01/09/2012 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 208 du 01/09/2012

 

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Joëlle Maraschin  

En juillet dernier, la première promotion des « nouveaux étudiants » en soins infirmiers est passée devant le jury final en vue de l’obtention du précieux diplôme. Mise en œuvre à la rentrée 2009, la réforme des études a été menée avec plus ou moins de difficultés et d’inquiétudes dans les Ifsi et les terrains de stages. Même si les acteurs dressent un premier bilan dans l’ensemble plutôt positif, des améliorations sont attendues. La DGOS lance à la rentrée une évaluation nationale du nouveau référentiel.

La première promotion des étudiants formés d’après le nouveau référentiel a-t-elle vraiment essuyé les plâtres d’une réforme, certes voulue par la profession, mais conduite selon certains dans la précipitation ? « Il a fallu un certain temps d’ajustement, légitime pour un tel changement », tempère Dominique Monguillon, conseillère pédagogique nationale en charge du suivi de la réforme pour la DGOS.

Quoiqu’il en soit, les derniers mois précédant la tenue des premiers jurys semblent avoir été quelque peu éprouvants, tant pour les étudiants que pour leurs formateurs. « Nous étions dans un flou artistique assez déstabilisant. Une avalanche de directives depuis janvier a certes précisé quelques points, parfois à l’opposé des discours que nous tenions jusqu’alors à nos étudiants », témoigne Cécile Baston-Jardinier, formatrice dans un Ifsi de la région Alsace. Ainsi, il a été décidé en début d’année que le portfolio des étudiants, présenté au départ comme un outil personnel d’auto-évaluation, devait désormais être transmis au jury final. « Ce moyen de communication entre l’étudiant et son formateur référent se transforme in extremis en un outil d’évaluation. C’est scandaleux », renchérit de son côté Jean Argenty, formateur au sein de l’Ifsi de l’hôpital Gérard-Marchand de Toulouse. Jean Argenty, critique sur une réforme menée selon lui dans la « précipitation et le désordre », a ouvert un blog sur Internet(1) pour partager son expérience.

Autre exemple des “ajustements” de dernière minute, les formateurs et les étudiants ont appris en février-mars qu’un temps de présence de 90 % aux stages est nécessaire pour valider le parcours. « Et nous avons dû refaire tous nos calculs pour la présentation au jury final », soupire Cécile Baston-Jardinier. Suite aux alertes quant au faible nombre d’étudiants susceptibles d’être reçus au DEI, la DGOS a toutefois sorti en urgence le 15 juin dernier une circulaire pour assouplir l’attribution des crédits européens (ECTS) manquants(2) en vue de la présentation au jury. « Il y avait des écarts vraiment très importants entre Ifsi sur le nombre d’étudiants présentables », se souvient Frédéric Rolland, formateur à l’hôpital Delafontaine de Saint-Denis (93). Au grand soulagement des étudiants et de leurs formateurs, des ECTS peuvent être attribués « au regard du parcours de l’étudiant et de son évolution positive ».

DES PREMIERS RÉSULTATS RASSURANTS

Compte tenu du maintien des deux rentrées en Ifsi en septembre et février, il faudra attendre le début de l’année 2013 pour connaître le détail des résultats nationaux. Mais, à l’heure où nous mettons sous presse, les premiers résultats des sessions de juillet semblent, selon la DGOS, plutôt rassurants. « Autour de 85 à 90 % des étudiants de troisième année sont présentables au jury final. Ces résultats ne sont pas consolidés, mais ces premiers chiffres sont à peu près similaires à ce que nous avions avec l’ancienne formation », estime Dominique Monguillon pour la DGOS. Le taux d’abandon en cours d’études ne serait pas non plus différent des années antérieures. Les redoublements sont par ailleurs moins nombreux du fait des dispositifs de rattrapage universitaire. La formation est pourtant souvent jugée plus exigeante, ne serait-ce qu’au regard du travail personnel demandé aux étudiants et du nombre d’évaluations tout au long du parcours. Le programme prévoit en effet près de 60 contrôles des connaissances au cours de la formation, soit trois fois plus qu’avec l’ancien référentiel. « Certains ont pu craindre plus d’échecs, mais cela ne semble pas être le cas. Les étudiants se sont visiblement adaptés et ont été bien accompagnés par leurs formateurs », continue Dominique Monguillon. Sur le terrain, les formateurs semblent s’être effectivement démenés pour assurer la réussite de leurs étudiants. « Il faudra encore deux ou trois promotions pour que la nouvelle formation soit bien calée », reconnaît toutefois Frédéric Rolland. Les difficultés rencontrées sont loin d’être toutes résolues : pénurie de stages, lourdeurs des évaluations pour les étudiants et les formateurs, partenariats parfois difficiles avec l’université, méconnaissance du portfolio sur les terrains…

LE CASSE-TÊTE DES STAGES DE 10 SEMAINES

Le problème de la pénurie de stages est très souvent évoqué par les formateurs comme par les étudiants. L’allongement de la durée des stages, le découpage en semestre, les 8 semaines de congés ou de travail personnel en juillet et août pour tous les étudiants sont autant d’éléments qui expliquent la difficulté à trouver des terrains de stage qualifiants pendant le reste de l’année. « Avec les anciens stages de 4 semaines, nous avions plus de souplesse. Sur le plan pédagogique, les stages de 10 semaines sont certes plus constructifs, mais ils restent difficiles à mettre en œuvre d’un point de vue organisationnel », explique Cécile Baston-Jardinier. Qui plus est, les étudiants de 3e année sont le plus souvent demandeurs de stages techniques pour valider la liste d’actes et de techniques de soins nécessaires à l’obtention du diplôme. La demande crée un effet d’entonnoir, et ce, d’autant que les places en stages techniques (réanimation, chirurgie, urgences…) sont plus rares que celles proposées en réadaptation ou en gériatrie par exemple. « Il m’arrive d’envoyer des étudiants à plus de 100 kilomètres de notre Ifsi pour effectuer leur stage », précise Cécile Baston-Jardinier. Dans certaines régions, une participation aux frais de logement est prévue, mais c’est loin d’être toujours le cas. « Nous n’avons pas droit aux mêmes bourses et gratifications de stage que les autres étudiants de l’université. Ce manque d’aide financière reste une problématique majeure », déplore de son côté Ève Guillaume, présidente de la Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers (Fnesi). Pour pallier la pénurie de terrains de stages, certains Ifsi comme celui de l’hôpital Gérard-Marchand ont choisi de scinder en deux les 10 semaines consécutives de stage. « Il y autant de façon de mettre en place le nouveau référentiel de formation que de régions. C’est le plus souvent du bricolage pour que tout cela passe sans trop de dégâts pour nos étudiants », continue Jean Argenty.

LE PORTFOLIO ET LA FORMATION DES TUTEURS

Le portfolio, qui a fait couler beaucoup d’encre, est une autre source de difficultés. « C’est un outil compliqué à renseigner, pour lequel il serait nécessaire que chaque infirmière référente soit formée au nouveau référentiel et au portfolio », précise Ève Guillaume. Du côté des formateurs, on estime également que l’appropriation de cet outil par le terrain n’a pas été très aisée. « Avec la disparition de la mise en situation professionnelle et l’introduction du portfolio, les équipes de soins ont eu l’impression que l’évaluation des étudiants reposait désormais sur le terrain », ajoute Frédéric Rolland. Les formateurs continuent certes de se déplacer sur le terrain, mais c’est au référent qu’il appartient de remplir le rapport de stage annexé au portfolio. Les bilans d’acquisition des compétences, dont les questions ont pu déconcerter les équipes de soins, doivent théoriquement être renseignés conjointement par l’étudiant et son référent. La philosophie est celle de l’auto-évaluation, dans laquelle l’étudiant est acteur de sa formation. « Les tuteurs estiment qu’il leur fallait auparavant au moins 1 h 30 pour remplir ce portfolio. Aujourd’hui, il faut une trentaine de minutes à un tuteur formé pour s’acquitter de cette tâche », remarque Cécile Baston-Jardinier, qui assure dans son hôpital de rattachement la formation des tuteurs. Conscients des difficultés rencontrées sur le terrain, plusieurs Ifsi ont effectivement entrepris de former les tuteurs de stage. Sur le plan national, l’Association nationale pour la formation permanente du personnel hospitalier (ANFH) vient également de lancer un programme de formation pour les tuteurs. Toutefois, nombre de formateurs estiment que ce portfolio mériterait d’être simplifié.

UN PARTENARIAT BALBUTIANT AVEC LES UNIVERSITÉS

Le nouveau référentiel de formation s’inscrit dans le cadre d’un parcours de formation universitaire LMD ou licence, master, doctorat, ce qui a nécessité la signature de conventions entre les Ifsi et les universités. Un certain nombre d’enseignements et d’évaluations doivent de fait être réalisés par les professeurs d’université. Mais ces derniers ne se déplacent que rarement dans les Ifsi.

Dans le meilleur des cas, les cours universitaires peuvent être assurés par vidéoconférence, voire par CD ou DVD. Ces méthodes ne permettent guère d’interactivité, et tous les Ifsi ne sont pas équipés pour dispenser des cours par vidéoconférence. Nombre d’Ifsi font appel à des professionnels de santé agréés par l’université afin de satisfaire à leurs obligations. Mais, dans quelques instituts, des formateurs s’inquiètent aussi de la place trop importante prise par les universitaires. « En biologie, en pharmacologie ou en psychologie, les contenus des cours assurés par l’université ne sont pas adaptés. Les universitaires ne se rendent pas compte que nos étudiants sont polyvalents, ils n’ont pas besoin de cette masse d’informations », déplore Jean Argenty.

Autre problème et non des moindres : le DEI n’est toujours pas reconnu comme une licence puisqu’il reste homologué par l’université au grade licence. « Ce grade licence ne permet pas de poursuivre des études universitaires, souligne Ève Guillaume. L’entrée en master reste à l’appréciation des universités ». Encore faudrait-il que des masters universitaires et des doctorats en sciences infirmières soient effectivement accessibles aux nouveaux diplômés. Force est de constater que l’universitarisation de la profession infirmière n’en est encore qu’à ses balbutiements.

NOTES

(1) Le blog “Vue d’Ifsi” de Jean Argenty www.jargenty.fr/wp_ifsi/

(2) Le système de notation universitaire donne lieu à l’attribution de crédits, conformément au système européen de transferts de crédits European Credits Transfert System (ECTS). Le diplôme d’État d’infirmier valide un niveau de 180 crédits européens.

LES MASTERS EN SCIENCES INFIRMIÈRES

Quelques rares masters universitaires en sciences cliniques infirmières sont proposés aux professionnels infirmiers : master recherche sciences cliniques en soins infirmiers de l’université Versailles Saint-Quentin-en Yvelines, master sciences cliniques infirmières de l’EHESP en partenariat avec l’université de Marseille Méditerranée… Ces masters sont ouverts à des IDE justifiant de 4 ans au moins d’exercice professionnel infirmier. La « mastérisation » de la formation infirmier anesthésiste est attendue pour la rentrée 2012, les discussions sont en cours pour d’autres spécialisations.

Suivi et évaluation du nouveau référentiel

La DGOS a mis en place dès 2009 une commission de suivi de la réforme chargée de faire remonter les difficultés rencontrées. Cette commission, qui se réunit environ trois fois par an, est composée de représentants du ministère, des présidents d’université (CPU), des directeurs et formateurs d’Ifsi (Cefiec et ANDEP), des étudiants (Fnesi) et des syndicats professionnels. La DGOS lancera également à partir du second semestre 2012 une évaluation nationale de la réforme auprès des différents acteurs (directeurs d’Ifsi et leurs équipes, étudiants, équipes d’accueil des nouveaux diplômés, universités, fédérations d’employeurs, régions, ARS…).