Recherche Formation
Dorsafe Bourkia* Dominique Charniguet** Philippe Hardy*** Jean-Luc Stanislas****
Promouvoir collectivement une réflexion sur la recherche pour et par les cadres de santé exerçant des missions d’encadrement autour de thématiques touchant à la clinique, au management ou à la formation, a été le point de départ de la création d’un petit groupe de cadres motivés et engagés. Genèse de cette entité collaborative.
Pour le cadre de santé, s’engager individuellement et collectivement dans des travaux de réflexion, d’écriture et de recherche devrait constituer des modes opératoires incontournables pour assurer la promotion et l’évolution constante des professions de santé. Cependant, ces actions ne s’inscrivent pas toujours dans les priorités stratégiques des établissements de santé, comme le déplorait déjà le rapport de Chantal de Singly publié en 2009 sur “la mission des cadres hospitaliers”
La Direction générale de l’offre de soins propose pourtant, depuis 2010, de promouvoir dans les établissements l’expression des cadres hospitaliers à travers “La semaine de l’encadrement”. Celle-ci a pour vocation de récompenser les nombreuses initiatives entreprises par cette catégorie professionnelle souvent marquée par son caractère « d’invisibilité », comme le décrivent un certain nombre de sociologues (Bouffartigue, Sainsaulieu, De Gaulejac). Conscients de cette réalité et acteurs de notre destin professionnel, nous avons mesuré l’ampleur « de la nature de la tâche à accomplir », expression empruntée par les juristes, pour mobiliser notre propre “désir” de contribuer modestement à faire avancer la posture professionnelle de notre identité de cadre.
Cette ambition de nature emblématique, au départ, nous a permis de nous réunir et de constituer un groupe de réflexion “cadres chercheurs”, aux perspectives de se traduire dans un avenir proche en un groupe de recherche, au terme d’un cheminement académique individuel en gestation.
Le début de cette aventure professionnelle collective a posé sa première pierre réflexive il y a un petit peu plus d’un an, au beau milieu du mois d’août 2011.
Notre groupe se forme de quatre cadres de santé, aux qualités professionnelles marquées par la diversité de leurs trajectoires : deux cadres supérieurs de santé, collaborateurs de pôles d’activités cliniques et médico-techniques et deux jeunes cadres diplômés de l’Institut de formation des cadres de santé (IFCS) de la promotion 2010/2011. Chacun exerce dans un milieu différent : secteur public, établissement privé, psychiatrie, médecine-chirurgie-obstétrique, Institut de formation des soins infirmiers (Ifsi), en Île-de-France et en Province… Nos différences d’âge, de lieux d’exercice, références culturelles, identitaires et expériences professionnelles constituent toute la richesse de notre groupe dans sa forme initiale, avec une vision forcément plurielle de notre métier de cadre. Ces différents profils et postures permettent de confronter des regards aussi bien novices qu’experts, tout en cultivant la même passion de partager et d’approfondir nos réflexions, notamment par le biais de l’écriture professionnelle dans sa forme indigène nourrie de références théoriques empruntées des sciences humaines.
Sans attendre des années d’expérience pour se lancer dans la mise en commun de nos réflexions croisées, l’idée de nous réunir est partie d’une envie commune de mutualiser nos projets d’écriture individuels et collectifs, destinés à la publication dans les revues professionnelles. Notre fil conducteur consistait à lever les complexes du passage à l’écrit, de lutter contre le “syndrome” de la page blanche et de nous motiver, par l’entraide des membres du groupe et le soutien de nos pairs, pour oser franchir ce cap de la valorisation identitaire, et ce, malgré nos contraintes professionnelles et nos obligations personnelles.
Ainsi, notre engagement dans l’écriture et la recherche émane des trajectoires de formation de chacun (initiale, continue, avec notamment le passage à l’IFCS et l’université). L’intensité de la formation en IFCS a particulièrement été un incubateur parfait pour susciter la créativité et l’esprit de recherche : travaux de groupes, rédaction du mémoire, échange entre étudiants et intervenants, formateurs consultants, recherche et veille documentaire permanente…
C’est le jeu des rencontres qui a permis d’engager une dynamique constructive entre les uns et les autres. Le groupe cadre chercheur a ainsi pu être créé. L’originalité de la création de notre groupe est qu’il est le fruit de notre propre initiative, totalement exempte d’une commande institutionnelle, donc intégralement soumise à un investissement “hors temps de travail” pour chacun d’entre nous dans l’articulation de nos échanges, telle une organisation associative.
Convaincus de l’intérêt d’une telle démarche intellectuelle, nous avons pour objectifs actuels de nous inscrire dans un rythme d’écriture pluriannuelle et de construire progressivement une visibilité dans la littérature professionnelle et universitaire, à travers la valorisation de nos différentes contributions académiques par la recherche.
Nous n’avons d’ailleurs pas attendu cette échéance pour produire nos premiers écrits (lire article paru dans Objectif soins n° 206 daté mai 2012).
Pour mener ce travail, nous avons réfléchi sur une organisation aux apparences artisanales, compte tenu de la jeunesse de notre groupe, pour faire émerger notre projet. Une “boîte à outils” s’est révélée rapidement indispensable pour structurer le fonctionnement de notre collaboration foisonnante, à partir des rudiments suivants :
• une coordinatrice du groupe, dont le rôle crucial est de faire circuler les informations entre nous quatre, entrer en contact avec les éditeurs, gérer les envois de fichiers et centraliser les modifications, organiser les réunions interactives et rédiger les comptes rendus de discussions… (une vraie mission aux contours encore en phase expérimentale) ;
• une adresse électronique interne pour notre groupe, qui nous permet d’asseoir notre volonté collaborative et de communiquer facilement, dans une démarche de co-construction “visible” par tous, repérant ainsi nos atouts, nos incertitudes et valorisant par un système d’entraide intellectuel très stimulant ;
• une connexion gratuite, via un site Internet de discussion interactif vocal et visuel : cet outil nous permet de nous réunir, d’échanger et de lancer plus aisément des débats, compte tenu de l’éloignement géographique de chacun d’entre nous. Ainsi, nous pouvons travailler à distance grâce à la “Toile” et nous avons très vite trouvé une solution pour arriver à nous réunir en direct, dans les moments clés, pour avancer dans notre réflexion et valider chacune des étapes de chaque projet de rédaction ;
• l’entité juridique est en cours de constitution, dont la structure sera déterminée en fonction du nombre de projet et de l’évolution optimiste de l’histoire du groupe cadres chercheurs, afin d’assurer sa pérennité dans son rayonnement auprès de la communauté des cadres de santé.
Au fil des neuf mois nécessaires à la construction de ce travail, nous avons finalement opté pour écrire un dossier complet composé de quatre articles de fond, permettant de rendre visibles nos réflexions personnelles autour d’un même fil directeur.
Nous avons finalement publié notre premier dossier collectif en mai 2012 (cf. Objectif Soins n° 206). Nous tenions à mettre en avant ces regards croisés, développant différentes facettes de la fonction cadre, en nous reposant sur notre vécu mais aussi en nous aidant de références académiques issues des sciences humaines et sociales.
Notre groupe s’inscrit résolument dans une perspective compréhensive dans le sens sociologique du terme, dans l’esprit de l’approche sociologique de Weber. Partir d’un objet de recherche, de la construction de cette réalité que l’on va agencer ensemble, par tâtonnements, pour tenter de construire un modèle permettant d’envisager une représentation éclairante des expériences singulières.
Nous nous inscrivons également dans une lecture systémique des différents phénomènes émaillant le monde professionnel du sanitaire et du social, paradigme qui nous semble incontournable, face à la complexité sans cesse grandissante de notre monde. Cette approche que nous souhaitons partager répond également au fait que nous ne souhaitons pas proposer des “recommandations” ou autre discours ou rhétorique normative. Autrement dit, nous privilégions l’approche des problématiques de l’encadrement par la réflexivité, l’analyse de nos pratiques et la mise en perspective de pistes de compréhension du ou des phénomène(s) observé(s) au quotidien, pour mieux se situer dans sa posture de cadre de santé.
Indéniablement, la recherche en soins et en sciences humaines permet à la fois ce croisement entre des approches collectives de nos pairs et l’éclairage des apports théoriques. Elle devient incontournable pour l’évolution de notre système de santé, pour la promotion de la qualité des soins et pour la performance des pratiques professionnelles paramédicales. Les cadres de santé, positionnés au carrefour de différentes logiques, à la fois acteurs et observateurs de toutes les problématiques se rapportant à la prise en charge des patients et de leur entourage, ont un rôle majeur à conduire pour porter cet enjeu, à l’ère de l’“universitarisation” de la formation des professions paramédicales dont les cadres de santé, les mutations profondes de l’organisation des soins, tant sur le plan managérial que pédagogique, les multiples enjeux en matière de santé publique et de rationalisation médico-économique… Cette démarche intellectuelle vient donc en appui pour maintenir leur légitimité dans l’exercice de leur art, qui ne doit plus être limitée par la seule expertise empirique et invisible du “système D” en termes de gestion de l’incertitude, de la complexité et de l’aléa.
Le cadre de santé a donc besoin de se saisir de ces questionnements, pour prendre de la distance et prendre part aux engagements institutionnels sur l’avenir de notre système de santé, par une veille documentaire exhaustive, une formation universitaire lui donnant les outils, méthodes, réflexivité, pour mieux analyser ses pratiques professionnelles, notamment grâce aux travaux de recherche, quelle que soit l’envergure, car il n’y a pas de petite recherche… Seule la pertinence de l’objet d’un travail de recherche donne toute la légitimité au praticien-chercheur qui aura toujours la possibilité d’aller plus loin dans ses investigations, grâce au travail collaboratif entre les acteurs.
Notre ambition, à travers l’existence du groupe cadres chercheurs, est de favoriser l’esprit de réflexion partagée, de valoriser le champ de l’écriture des cadres au service de la qualité des soins, du management et de la formation.
Désireux de faire avancer le développement de l’écriture professionnelle, nous avons élaboré notre démarche par une contribution systématiquement collective, dans le respect de la singularité de nos approches réflexives individuelles au regard de notre posture et expérience professionnelle.
Le choix de la dénomination de “cadres chercheurs” pour notre groupe s’explique par notre positionnement hybride qui se situe entre celui de praticiens-experts en tant que cadres de santé, mais aussi de praticiens-chercheurs en construction, compte tenu de nos parcours universitaires et des travaux de recherche professionnels soumis ou non à publication.
Des thématiques phares comme les risques psychosociaux, l’organisation apprenante et le management des connaissances, l’éducation thérapeutique, l’avenir de nos formations et la recherche en soins sont quelques-uns des axes de travail qui mobilisent le fond de nos réflexions, nos projets de recherche et nos contributions à communication.
Santé, médecine, sciences de gestion, de l’éducation, psychosociologie, sociologie, sciences politiques, épistémologie et tant d’autres encore… Toutes ces disciplines sont appelées à nous éclairer et à nous aider dans la construction de notre parcours de chercheurs, dans une interdisciplinarité permanente.
Idéalement, il s’agit de pouvoir créer des liens durables entre notre sphère professionnelle et celle des universités, notamment en partenariat avec des laboratoires de recherche en sciences humaines et sociales, afin d’asseoir notre positionnement de chercheurs et de bénéficier de l’éclairage des banques de données disponibles par les nombreux travaux de recherches fondamentales, croisées avec notre expérience du terrain.
Nous souhaitons vraiment que le travail effectué par notre groupe puisse devenir un espace d’expression orale ou écrite sans jugement et que nous puissions nous éclairer les uns les autres et mieux se comprendre dans nos contextes d’évolutions professionnelles.
* Singly C. de, rapport final de la mission des cadres hospitaliers, ministère de la Santé et des Sports, tome 1, 11 septembre 2009, à lire sur http://petitlien.fr/63ib, consulté le 19/07/2012.