Objectif Soins n° 209 du 01/10/2012

 

Droit

Gilles Devers  

Le droit, c’est la loi et la jurisprudence. S’agissant du secret professionnel, cette approche est très pertinente, car la base textuelle du secret, à savoir la définition par le Code pénal, est inchangée depuis plus deux cents ans… C’était l’article 378, devenu l’article 226-13 dans une rédaction inchangée sanctionnant la trahison des secrets confiés.

Voici quatre arrêts qui appliquent ce texte. L’analyse de ces décisions permet de saisir toute la dimension de la protection « générale et absolue » du secret. Ces arrêts rendus à propos d’affaires médicales sont transposables à toutes les professions de santé, dès lors que les textes (voir encadrés) unifient les règles pour toutes ces professions. La plus importante de ces décisions de justice date de 1885, et reste d’une parfaite actualité…

La protection du secret est générale et absolue, condition de la confiance

Cour de cassation, chambre criminelle, 19 décembre 1885, (Arrêt Watelet)

Faits

Le docteur Watelet fut, à partir de 1883, le médecin du peintre orientaliste Jules Bastien-Lepage. Ce dernier était atteint d’une tumeur des testicules, justifiant une prise en charge chirurgicale par le docteur Watelet. Or le peintre est décédé, d’une mort rapide, en 1884, alors qu’il était en Algérie, au cours d’un voyage que son médecin lui avait autorisé. La rumeur s’est alors installée, amplifiée par une campagne de presse, laissant entendre que le peintre était en réalité atteint d’une maladie vénérienne, que la prise en charge médicale aurait été défectueuse et que le docteur Watelet avait envoyé son malade loin de la métropole en cherchant à s’exonérer de toute responsabilité. Ainsi attaqué, le docteur Watelet avait riposté dans un article paru dans le journal Le Matin du 13 décembre 1984 pour rétablir les faits : le peintre était atteint d’un cancer des testicules et, le sachant perdu, ses médecins avaient approuvé ce voyage en Algérie pour convalescence.

Procédure

La famille Bastien-Lepage n’avait pas réagi publiquement à cette polémique, et n’a pas engagé de procédure. Le Ministère public, de sa propre initiative, a engagé des poursuites pénales contre le docteur Watelet pour violation du secret professionnel.

Le docteur Watelet fut condamné par le tribunal correctionnel de la Seine, et cette condamnation a été confirmée par la cour d’appel de Paris.

Arguments du docteur Watelet

Le docteur Watelet soutenait plusieurs séries d’arguments : les faits avaient déjà été débattus et rendus publics par la presse. Il n’avait donc rien appris, ni dévoilé ; il n’avait pas révélé une confidence faite pas son patient, mais il avait simplement indiqué le diagnostic dont souffrait le patient, diagnostic qu’il avait lui-même découvert ; il avait agi sans intention de nuire, et d’ailleurs la famille n’avait pas entendu déposer plainte ou se constituer partie civile.

Cour de cassation, 19 décembre 1885

La Cour de cassation rejette ces arguments. La protection du secret est générale et absolue : elle punit toute révélation du secret professionnel, sans qu’il soit nécessaire d’établir, à la charge du révélateur, l’intention de nuire. C’est là ce qui résulte tant des termes de la prohibition que de l’esprit dans lequel elle a été conçue. En imposant à certaines professions, sous une sanction pénale, l’obligation du secret comme un devoir de leur état, le législateur a entendu assurer la confiance qui s’impose dans l’exercice de certaines professions et garantir le repos des familles qui peuvent être amenées à révéler leurs secrets par suite de cette confiance nécessaire. Ce but de sécurité ou de protection ne serait pas atteint si la loi se bornait à réprimer les révélations dues à la malveillance, en laissant toutes les autres impunies. Ainsi, ce délit existe dès lors que la révélation a été faite avec connaissance, indépendamment de toute intention de nuire.

Commentaire

La formule reste la référence : la protection du secret est générale et absolue, et il n’est pas nécessaire de prouver l’intention de nuire. Le but de la loi est d’assurer la confiance qui s’impose dans l’exercice médical. Elle répond à un raisonnement séculaire : pas de soin sans confidences, pas de confidences sans confiance, pas de confiance sans secret.

Le médecin traitant cité dans une affaire doit opposer le secret

Cour de cassation, chambre criminelle, 8 avril 1998, n° 97-83656

Faits

À l’occasion d’un procès d’assises, avait été cité comme témoin le médecin traitant de l’accusé. Celui-ci s’était retranché derrière l’article 226-13 du Code pénal, dès lors que « les questions concernent les traitements, les soins ou l’état de santé de son ancien patient ». La cour lui en avait donné acte, et la défense contestait cette décision de la cour, soutenant que le patient avait délié le médecin du secret et que le silence ainsi admis avait gravement préjudicié aux droits de la défense sur un élément essentiel du dossier personnel de l’accusé.

Cour de cassation, 8 avril 1998

La Cour de cassation rappelle que « l’obligation au secret professionnel, établie par l’article 226-13 du Code pénal, pour assurer la confiance nécessaire à l’exercice de certaines professions ou de certaines fonctions, s’impose aux médecins, hormis les cas où la loi en dispose autrement, comme un devoir de leur état, et que sous cette seule réserve, elle est générale et absolue ». Ainsi, la cour d’assises ne pouvait que prendre acte du refus du médecin.

Commentaire

Le silence du médecin est un devoir, car il ne peut témoigner sur ce qu’il a appris lors de sa pratique professionnelle, sauf s’il est mis en cause lui-même, et alors dans la mesure de ce qui est strictement nécessaire. Les juridictions pénales se font éclairer par les travaux des experts judiciaires.

Le secret couvre l’ensemble des informations venues à la connaissance du médecin

Conseil d’État, 15 décembre 2010, n° 330314

Faits

Un médecin de garde à Aubusson a été requis par le Service départemental d’incendie et de secours (SDIS) de la Creuse pour une intervention au domicile de monsieur A. dont il était par ailleurs le médecin traitant. À la suite d’un différend survenu entre la personne secourue et le SDIS, ce dernier a sollicité du praticien une attestation sur les circonstances de l’intervention. Le médecin a établi le 26 janvier 2006 ce certificat descriptif qu’il a remis au SDIS. Le patient a saisi la juridiction disciplinaire ordinale pour violation du secret médical. Statuant en appel, la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins, le 3 juin 2009, a rejeté la plainte, confirmant la décision du 24 octobre 2008 de la chambre disciplinaire de première instance du Limousin, au motif que le certificat ne portait pas d’indication diagnostic et qu’il n’avait fait que décrire des faits vus par d’autres témoins.

Conseil d’État, 15 décembre 2010

Ce certificat ne porte par lui-même aucune indication relevant du diagnostic médical, mais le médecin a divulgué, par un certificat non-anonymisé remis à des tiers des éléments relatifs à l’état de santé du patient. La circonstance que des personnes, du cercle de la famille et du service de secours, ont été témoins de ce dont le praticien avait eu connaissance, ne saurait davantage justifier qu’il soit libéré du secret professionnel qui pèse sur lui. Ainsi la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins a méconnu la portée des dispositions de l’article R. 4127-4 Code de la Santé publique.

Commentaire

Le secret concerne toutes les informations venues à la connaissance du médecin à l’occasion de son exercice professionnel. Il n’est pas limité au diagnostic ou au traitement, et n’entre pas en jeu le fait que d’autres personnes, non tenues par le secret, aient divulgué ces informations. Il en est de même si ces informations relèvent de la rumeur.

En diffusant l’identité d’une patiente, avec l’accord de celle-ci, le médecin commet une violation du secret médical

Conseil d’État, 28 mai 1999, n° 189057

Faits

Un praticien, sexologue, avait autorisé, avec le consentement de la patiente, un journaliste à prendre une photographie de l’une de ses patientes dans son cabinet en vue de sa publication dans un hebdomadaire. Il en avait organisé lui-même la réalisation.

Conseil d’État, 28 mai 1999

La diffusion dans un organe de presse, qui procédait à une enquête sur l’hypnose, de la photographie d’une patiente, prise dans le cabinet du praticien, même avec le consentement de l’intéressée, est de nature à dévoiler l’identité de cette patiente qui est partie intégrante des informations couvertes par le secret médical. L’autorisation donnée par un médecin, même avec le consentement de l’intéressée, de diffuser dans un organe de presse, dans le cadre d’une enquête sur l’hypnose, la photographie d’une patiente prise dans le cabinet du praticien constitue en l’espèce une violation du secret médical.

La sanction du blâme prononcée le 15 avril 1997 par la section disciplinaire du Conseil national de l’Ordre des médecins est confirmée.

Commentaire

Un médecin ne peut accepter que soit diffusée dans la presse la photographie d’une patiente prise dans son cabinet, et l’accord de la patiente ne peut remettre en cause l’obligation du secret. Nul ne peut délier le médecin du secret.

Ce que dit la déontologie

DÉONTOLOGIE MÉDICALE : CSP, ART. R. 4127-4

Le secret professionnel, institué dans l’intérêt des patients, s’impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi.

Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l’exercice de sa profession, c’est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu’il a vu, entendu ou compris.

DÉONTOLOGIE MÉDICALE : CSP, ART. R. 4312-4

Le secret professionnel s’impose à tout infirmier ou infirmière et à tout étudiant infirmier dans les conditions établies par la loi.

Le secret couvre non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu’il a vu, lu, entendu, constaté ou compris. L’infirmier ou l’infirmière instruit ses collaborateurs de leurs obligations en matière de secret professionnel et veille à ce qu’ils s’y conforment.

Ce que dit la loi

CODE PÉNAL, ART. 226-13

La révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.

CSP, art. L. 1110-4

Toute personne prise en charge par un professionnel, un établissement, un réseau de santé ou tout autre organisme participant à la prévention et aux soins a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant.

Excepté dans les cas de dérogation, expressément prévus par la loi, ce secret couvre l’ensemble des informations concernant la personne venues à la connaissance du professionnel de santé, de tout membre du personnel de ces établissements ou organismes et de toute autre personne en relation, de par ses activités, avec ces établissements ou organismes. Il s’impose à tout professionnel de santé, ainsi qu’à tous les professionnels intervenant dans le système de santé.

Deux ou plusieurs professionnels de santé peuvent toutefois, sauf opposition de la personne dûment avertie, échanger des informations relatives à une même personne prise en charge, afin d’assurer la continuité des soins ou de déterminer la meilleure prise en charge sanitaire possible. Lorsque la personne est prise en charge par une équipe de soins dans un établissement de santé, les informations la concernant sont réputées confiées par le malade à l’ensemble de l’équipe.