Objectif Soins n° 211 du 01/12/2012

 

Droit

Gilles Devers  

Au cours des vingt dernières années, nombre de missions et de rapports sur la fin de vie et l’euthanasie ont été demandés dans notre pays. Le gouvernement a engagé un processus en ce sens : le rapport du docteur Sicard est attendu fin décembre. Alors, réformer la loi, pourquoi pas ?

Pour cela, il faut commencer par savoir ce que dit la loi, cette loi Leonetti qui date du 22 avril 2005 et qui reste très mé­connue… et ouvre bien des possibilités.

FAUT-IL UNE LOI SUR LA FIN DE VIE ?

Non, car cette loi existe déjà. C’est la loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, dite loi Leonetti, du nom du député qui en a été le rapporteur. C’est une loi qui a été votée par un large consensus politique. Si la loi doit être modifiée, il faut d’abord l’étudier avant de songer à la réformer.

Où trouver cette loi ?

Tout simplement dans le Code de la Santé publique (CSP), dans les premières pages, aux articles L.1110-5 et suivants. Cette loi reste très méconnue, ce qui est surprenant, car elle est simple et plutôt accessible.

Il manque un organisme de référence

Cet organisme existe. C’est Observatoire national de la fin de vie, qui a justement été créé pour contribuer à la connaissance de la loi et des pratiques. En juillet 2011, il a publié son premier rapport, un document particulièrement complet de plus de 200 pages : il confirme que les deux tiers des personnes concernées ignorent effectivement la réalité de cette loi.

UNE LOI EST-ELLE ILLISIBLE PAR LES NON-JURISTES ?

C’est parfois le cas, mais cette loi est très lisible par les professionnels de la santé. Il y a un décret d’application pour la question spécifique des directives anticipées, et, pour le reste, tout en dit en une dizaine d’articles. Commençons par lire la loi avant de la critiquer ou d’en demander une nouvelle.

QUELS SONT LES PRINCIPES DE LA LOI ?

La loi se fonde sur la définition fondamentale de l’acte médical, qui n’est licite qu’avec le consentement du patient et le but médical. Elle repose ensuite sur deux piliers.

• Le premier est la condamnation des soins déraisonnables. L’acharnement thérapeutique est une faute médicale.

• Le second concerne la méthode : le processus des décisions doit être collectif et la décision individuelle, de telle sorte que la décision qui ne se rapproche pas d’un travail en équipe est fautive par principe.

Que dit la loi sur le suicide assisté ?

Elle ne dit rien, car c’est une autre problématique. On ne peut pas confondre la fin de vie et l’assistance au suicide. D’un côté, il s’agit de faire que la mort annoncée se passe au mieux, et de l’autre d’interrompre une vie. Le débat sur le suicide assisté, que la loi condamne, est important, mais il ne faut pas mélanger les deux questions.

Pourquoi tout part du consentement ?

Il n’existe pas de soins sans consentement. C’est la base de toute analyse : l’acte de soins n’est pas bienveillant par nature. C’est un acte d’intrusion sur la personne, et il ne devient légitime qu’avec le consentement du patient et un but médical.

Ces textes sont la base de tout : il faudra toujours le consentement du patient, tout comme un but médical. L’acharnement thérapeutique, celui des soins déraisonnables, est donc contraire à la loi, car de tels soins ne sont pas animés par un but médical.

Que dit précisément la loi à propos de l’acharnement thérapeutique ?

• Le texte de référence est le deuxième alinéa de l’article L. 1110-5, qui qualifie les actes de soins. « Ces actes ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. Lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris. Dans ce cas, le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa vie en dispensant les soins visés à l’article L. 1110-10. »

• Cet article article L. 1110-10 définit les soins palliatifs : « Les soins palliatifs sont des soins actifs et continus pratiqués par une équipe interdisciplinaire en institution ou à domicile. Ils visent à soulager la douleur, à apaiser la souffrance psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son entourage. »

LE REFUS DE SOINS OPPOSÉ PAR LE PATIENT S’IMPOSE-T-IL AU MÉDECIN ?

Cela ne fait aucun doute. Dans la pratique courante de services, la nécessité des soins est telle que la question du consentement peut parfois sembler un peu banalisée. Ce serait une grande erreur d’analyse, car, à tout moment, le patient doit être en mesure de dire “oui” ou “non”, et le refus du patient s’impose au médecin. C’est une exigence constitutionnelle de liberté.

La loi aborde-t-elle cette question ?

Elle répond explicitement avec l’article L. 1111-10 : « Lorsqu’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, décide de limiter ou d’arrêter tout traitement, le médecin respecte sa volonté après l’avoir informée des conséquences de son choix. La décision du malade est inscrite dans son dossier médical. »

La loi ajoute que le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa fin de vie en dispensant les soins palliatifs.

QUELLE ATTITUDE POUR L’ÉQUIPE FACE À UN REFUS DE SOINS ?

L’équipe doit encourager le patient à affronter la maladie. Elle doit agir avec conviction, surtout si elle sait qu’il existe des perspectives thérapeutiques effectives. Dans une relation de soins de qualité, il existe de nombreux signes pour comprendre ce que veut le patient, même s’il n’a plus les facilités pour s’exprimer. Mais si le refus du patient est certain, alors il s’impose à l’équipe.

LE PATIENT PEUT-IL PRENDRE DES MESURES À L’AVANCE ?

Le patient peut recourir aux directives anticipées prévues par l’article L. 1111-11. Là encore, lisons la loi. « Toute personne majeure peut rédiger des directives anticipées pour le cas où elle serait un jour hors d’état d’exprimer sa volonté. Ces directives anticipées indiquent les souhaits de la personne relatifs à sa fin de vie concernant les conditions de la limitation ou l’arrêt de traitement. Elles sont révocables à tout moment. À condition qu’elles aient été établies moins de trois ans avant l’état d’inconscience de la personne, le médecin en tient compte pour toute décision d’investigation, d’intervention ou de traitement la concernant. »

Quelle est la force juridique des directives anticipées ?

Les directives anticipées ne s’imposent pas s’il apparaît qu’il y a eu, dans les derniers temps, une inflexion de la volonté du patient. Personne ne sait comment il réagirait face à l’épreuve. Mais l’équipe doit toujours inclure les directives anticipées son raisonnement. Agir différemment serait une faute.

Le patient peut-il avoir recours à des tiers, qui seraient alors ses garants ?

Le second aménagement est le recours aux proches, et en particulier à celui désigné comme personne de confiance, selon l’article L. 1111-12. « Lorsqu’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause et hors d’état d’exprimer sa volonté, a désigné une personne de confiance en application de l’article L. 1111-6, l’avis de cette dernière, sauf urgence ou impossibilité, prévaut sur tout autre avis non médical, à l’exclusion des directives anticipées, dans les décisions d’investigation, d’intervention ou de traitement prises par le médecin. »

EN PRATIQUE ?

Si une personne redoute d’être dessaisie des derniers moments de sa vie, elle peut, d’une part, rédiger des directives anticipées, d’autre part, désigner une personne de confiance, et, enfin, intervenir régulièrement auprès du médecin pour faire connaître clairement son point de vue face à une phase finale qui serait attendue. Le médecin qui passerait outre engagerait sa responsabilité.

Le médecin n’engage-t-il pas sa responsabilité s’il limite ou arrête le traitement ?

La loi permet explicitement la limitation ou l’arrêt du traitement. C’est sans doute le point essentiel de la loi. La référence est l’article L. 1111-13. « Lorsqu’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, est hors d’état d’exprimer sa volonté, le médecin peut décider de limiter ou d’arrêter un traitement inutile, disproportionné ou n’ayant d’autre objet que la seule prolongation artificielle de la vie de cette personne, après avoir respecté la procédure collégiale définie par le Code de Déontologie médicale et consulté la personne de confiance visée à l’article L.1111-6, la famille ou, à défaut, un de ses proches et, le cas échéant, les directives anticipées de la personne. Sa décision, motivée, est inscrite dans le dossier médical. »

Peut-on alors définir une bonne pratique ?

Oui, à partir des références données par la loi :

• le traitement est inutile ou disproportionné ;

• la prolongation de la vie doit être qualifiée d’artificielle ;

• est engagé un processus collégial incluant les proches et la personne de confiance, avant la décision du médecin ;

• il n’y a pas d’abandon du patient, mais engagement d’une phase de soins palliatifs ;

• toutes ces données sont inscrites dans le dossier.

On peut retenir la très juste formule de l’article R. 4127-37 du Code de la Santé publique : « La décision de limitation ou d’arrêt de traitement prend en compte les souhaits que le patient aurait antérieurement exprimés, en particulier dans des directives anticipées, s’il en a rédigé, l’avis de la personne de confiance qu’il aurait désignée ainsi que celui de la famille ou, à défaut, celui d’un de ses proches. »

C’est ce qu’on appelle l’accompagnement ?

Tout à fait, et on peut ici citer l’article 38 du Code de Déontologie médicale (Code de la Santé publique, article R. 4127-38), qui pose la distinction entre accompagner la vie et provoquer la mort. « Le médecin doit accompagner le mourant jusqu’à ses derniers moments, assurer par des soins et mesures appropriés la qualité d’une vie qui prend fin, sauvegarder la dignité du malade et réconforter son entourage. Il n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort. » Même si la souffrance du patient ne peut pas être évaluée du fait de l’état cérébral, le médecin met en œuvre les traitements, notamment antalgiques et sédatifs, permettant d’accompagner la personne.

Que dit la loi de ce processus collectif ?

Les références se trouvent à l’article R. 4127-37 du Code de la Santé publique. La décision de limiter ou d’arrêter les traitements dispensés ne peut être prise sans qu’ait été préalablement mise en œuvre une procédure collégiale. Le médecin peut engager la procédure collégiale de sa propre initiative. Il est tenu de le faire au vu des directives anticipées du patient ou à la demande de la personne de confiance, de la famille ou, à défaut, de l’un des proches. La décision de limitation ou d’arrêt de traitement est prise par le médecin en charge du patient, après concertation avec l’équipe de soins si elle existe et sur l’avis motivé d’au moins un médecin, appelé en qualité de consultant.

Pour les patients, la grande question pratique est la prise en charge de la douleur.

Pour les soignants, ce n’est pas une option, mais une obligation, rappelée par l’article L. 1110-5 4°. « Toute personne a le droit de recevoir des soins visant à soulager sa douleur. Celle-ci doit être en toute circonstance prévenue, évaluée, prise en compte et traitée. »

Le double effet

Mais, en luttant contre la douleur dont est atteint un patient affaibli, on risque d’accélérer la fin de vie.

C’est la question du double effet, bien connue des praticiens. Le cas est net pour les produits morphiniques qui, à hautes doses, peuvent créer des dépressions respiratoires, lesquelles ont alors pour effet de provoquer le décès. Ainsi, on connaissait les résistances de nombre de services à recourir à la morphine, car ce recours anticipait la fin de vie. La loi a pris en compte cette problématique, avec le cinquième alinéa de l’article L. 1110-5.

Si le médecin constate qu’il ne peut soulager la souffrance d’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, qu’en lui appliquant un traitement qui peut avoir pour effet secondaire d’abréger sa vie, il doit en informer le malade, la personne de confiance la famille ou, à défaut, l’un des proches.

Que faut-il indiquer dans le dossier médical ?

La décision de limitation ou d’arrêt de traitement est motivée. Les avis recueillis, la nature et le sens des concertations au sein de l’équipe de soins ainsi que les motifs de la décision sont inscrits dans le dossier du patient. La personne de confiance, si elle a été désignée, la famille ou l’un des proches du patient, sont informés de la nature et des motifs de la décision de limitation ou d’arrêt de traitement.

Pour les mineurs et les majeurs protégés ?

Lorsque la décision de limitation ou d’arrêt de traitement concerne un mineur ou un majeur protégé, le médecin recueille, en outre, selon les cas, l’avis des titulaires de l’autorité parentale ou du tuteur, hormis les situations où l’urgence rend impossible cette consultation.

Les droits fondamentaux – Extraits du Code civil

Article 16

La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie.

Article 16-3

Il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l’intérêt thérapeutique d’autrui.

Le consentement de l’intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n’est pas à même de consentement.

LE REFUS DE L’ACHARNEMENT PAR LA DÉONTOLOGIE

CODE DE SANTÉ PUBLIQUE, ARTICLE R. 4127-37

En toutes circonstances, le médecin doit s’efforcer de soulager les souffrances du malade par des moyens appropriés à son état et l’assister moralement. Il doit s’abstenir de toute obstination déraisonnable dans les investigations ou la thérapeutique et peut renoncer à entreprendre ou poursuivre des traitements qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou qui n’ont d’autre objet ou effet que le maintien artificiel de la vie.

Le rôle infirmier

La fonction infirmière : CSP article R. 4311-2

Les soins infirmiers, préventifs, curatifs ou palliatifs, intègrent qualité technique et qualité des relations avec le malade. Ils sont réalisés en tenant compte de l’évolution des sciences et des techniques. Ils ont pour objet, dans le respect des droits de la personne, dans le souci de son éducation à la santé et en tenant compte de la personnalité de celle-ci dans ses composantes physiologique, psychologique, économique, sociale et culturelle […].

De participer à la prévention, à l’évaluation et au soulagement de la douleur et de la détresse physique et psychique des personnes, particulièrement en fin de vie au moyen des soins palliatifs, et d’accompagner, en tant que de besoin, leur entourage.

Le rôle propre : CSP, article R. 4311-3

Relèvent du rôle propre de l’infirmier ou de l’infirmière les soins liés aux fonctions d’entretien et de continuité de la vie et visant à compenser partiellement ou totalement un manque ou une diminution d’autonomie d’une personne ou d’un groupe de personnes.

Dans ce cadre, l’infirmier ou l’infirmière a compétence pour prendre les initiatives et accomplir les soins qu’il juge nécessaires […].

Les traitements antalgiques : CSP, article R. 4311-8

L’infirmier ou l’infirmière est habilité à entreprendre et à adapter les traitements antalgiques, dans le cadre des protocoles préétablis, écrits, datés et signés par un médecin. Le protocole est intégré dans le dossier de soins infirmiers.