Objectif Soins n° 211 du 01/12/2012

 

Ressources humaines

Yannick Girault  

La génération Y, en raison d’attentes différentes, pourrait être à même de transformer le management et les organisations dans le secteur hospitalier. Les personnes composant cette génération sont décrites, de manière stéréotypée, comme revêches à l’autorité, contestatrices, exigeantes, voulant tout et tout de suite, mais aussi interconnectées, innovantes et flexibles. Quel type de management doit utiliser le cadre de santé afin d’animer une équipe composée d’infirmiers issus de la génération Y ?

Le principe dominant de notre société actuelle est celui de l’immédiateté, autrement dit du service et de sa consommation immédiate. La génération Y désigne les personnes nées entre 1977 et 1995. Elle représentera en France la moitié de la main-d’œuvre d’ici fin 2020. Elle arrive dans le monde du travail avec d’autres codes et valeurs que les personnes actuellement en poste.

La génération Y est un phénomène très étudié, et ce, afin de comprendre cette génération et son impact sur les organisations, notamment celle du travail. La génération Y est donc bien dans son époque, tandis que l’hôpital est le reflet de la société. Malgré son “carcan” législatif et son statut permettant peu d’adaptation, l’hôpital peut-il évoluer ? Comment son organisation s’adaptera-t-elle face à l’évolution de la société ? Quel rôle peut avoir l’encadrement de proximité dans cette évolution ?

NOUVELLE GÉNÉRATION, NOUVEAUX ENJEUX

Les professionnels issus de la génération Y pensent davantage à leur exercice du métier et à leur parcours professionnel qu’à leur évolution de carrière. Ils demandent à changer lorsqu’ils ont travaillé un temps dans un service et dirigent leur parcours professionnel en fonction de leurs envies, leurs aspirations et de leurs besoins personnels actuels (qualité de vie, budget, conditions de vie au travail…). Comme l’ont indiqué Bertrand Pauget et Ahmed Dammak (1), en évoquant l’arrivée de la nouvelle génération Y sur le marché du travail et son importance avant la fin de cette décennie, « si la génération Y ne constituera pas la cause première de ces changements, elle devrait en être le déclencheur ». Cette constatation est également valable dans le domaine hospitalier.

La disponibilité de la nouvelle génération pour son travail diminue par rapport à ses aïeules, du fait de son exigence de qualité de vie et donc de vie privée. La notion de service public, chère à la génération baby-boomer, n’a pas le même “poids” la même influence sur cette génération. Or la nécessité de permanence des soins et la garantie de la qualité des soins prodigués posent actuellement, notamment aux cadres de proximité, d’importantes difficultés à cause de la pénurie actuelle de professionnels soignants et des contraintes budgétaires instituées depuis la tarification à l’activité. La prise en compte de ces priorités différentes des autres générations (horaires, contraintes devant se différencier aux autres) est essentielle dans la remise en cause actuelle des croyances des générations précédentes en matière de stabilité de l’emploi et d’organisation pérenne du travail.

VERS UNE NOUVELLE POLITIQUE DES RH ?

Sur le plan de la politique des ressources humaines (RH) de l’hôpital, il est donc maintenant nécessaire de passer d’une logique de gestion du personnel avec ses règles et ses statuts à une gestion des ressources humaines avec un management par le sens et la finalité pour ces personnes.

La GPEEC

Dans le secteur hospitalier, la Gestion prévisionnelle des effectifs, des emplois et des compétences (GPEEC), partie essentielle de la gestion des ressources humaines, recouvre à la fois les effectifs et leurs évolutions, les emplois et les compétences à développer par rapport aux objectifs de l’hôpital. Elle doit être adossée à un projet institutionnel.

Christian Batal indique que « la gestion prévisionnelle des emplois, des compétences et des ressources humaines est un outil au service de la gestion des ressources humaines, généralement défini comme un processus itératif permettant à une organisation de disposer en temps voulu des personnels possédant les capacités et la motivation suffisantes pour “pouvoir”, “savoir”, et “vouloir” occuper les emplois, remplir les missions, et exercer les activités qui se révéleront utiles à sa vie et à son évolution » (2).

Management par le sens

À l’hôpital, des personnes très qualifiées et très diplômées sont actuellement recrutées pour réaliser des emplois à faible qualification (par exemple Bac + 3 pour un poste d’agent des services hospitaliers). Ces mêmes personnes ont souvent des responsabilités importantes à l’extérieur (gestion d’association, utilisation de l’informatique, responsabilité communale). Il est donc indispensable de chercher à donner du sens à l’action du travail de ces personnes, et de rallier à un seul mouvement le plus de personnes possibles dans une dynamique d’objectifs et de projet. Cependant, le sens ne suffit pas. L’attribution d’objectifs et de finalité est nécessaire.

Management par la finalité

La faiblesse actuelle de la GPEEC hospitalière s’explique par une anticipation insuffisante à tous les niveaux de sa stratégie et une organisation interne peu flexible. Un axe de progrès de la GPEEC face à cette génération Y serait de mieux coordonner stratégie et gestion individuelle.

Cette démarche doit permettre d’appréhender les perspectives de carrière de chaque agent, tout en créant une culture d’établissement améliorant la fidélisation et faisant de la mobilité des personnes un atout et non plus un handicap. Le problème n’est pas uniquement dû à une difficulté d’adaptation des besoins et attentes de telle ou telle génération, mais plutôt à une reconnaissance et une prise en compte de l’ancienneté et de l’expérience dans un poste de travail déterminé, une reconnaissance individualisée, personnalisée, donc différenciée à chaque agent. Il s’agit d’un management individuel, différencié, et non plus d’équipe.

COMMENT L’HÔPITAL PEUT-IL ÉVOLUER ET S’ADAPTER ?

L’hôpital peut s’adapter à cette évolution impulsée par la génération ? Y ainsi que par la société actuelle. Pour ce faire, il devra être particulièrement attentif aux points suivants.

Plus d’anticipation

Dans le contexte économique actuel, le retour à l’équilibre financier des hôpitaux doit être accompagné d’un financement plus proche de la réalité économique actuelle. Les personnels représentent à la fois une ressource et un coût.

Au regard du projet institutionnel (service, Pôle) et des projets ou attentes individuelles de chaque agent, les managers hospitaliers (sur toute la ligne hiérarchique, soit du directeur d’hôpital au cadre de proximité) doivent piloter les emplois et la masse salariale, définir précisément les besoins en effectifs et en compétences selon des objectifs déterminés, anticiper les évolutions dans toutes ses dimensions au moyen d’outils tels que la GPEEC, et enfin construire un schéma directeur ressources humaines pluriannuel, qui sera suivi au moyen de tableaux de bord, afin d’obtenir plus de lisibilité et d’anticipation.

Une RH plus réactive

La mise en place d’une stratégie d’une politique des ressources humaines permettra de passer à une gestion des ressources humaines plus souple et plus réactive, dans une dynamique partagée par l’ensemble de la ligne hiérarchique hospitalière, contribuant ainsi à la définition de politiques de ressources humaines et à une redéfinition des systèmes de gestion des compétences et des métiers.

CADRE DE SANTÉ, PIERRE ANGULAIRE DU SYSTÈME ?

Une reconnaissance

L’encadrement de proximité doit être valorisé, au sens où l’a présenté Michel Simart (3) en 2007, voire revalorisé. Le cadre de proximité est « l’interface indispensable de la gestion des ressources humaines », le trait d’union entre l’agent, ses envies de parcours professionnel et l’institution. Une importance à la négociation au dialogue (donnant/donnant, gagnant/gagnant) doit être apportée aux équipes actuelles, équipes intergénérationnelles. Dans cette optique, il est important que l’entretien individuel et l’accompagnement de chaque personne dans son parcours professionnel soient un acte de reconnaissance de l’agent, un levier de motivation et un outil de gestion de sa carrière devenant, par conséquent, un important levier de changement en ressources humaines et management.

Une écoute particulière

Le cadre de proximité doit prendre le temps d’effectuer des entretiens individuels auprès de ces agents, soit sous forme de recadrage au regard d’un minimum de règles nécessaires au travail en équipe, soit sous forme résolument relationnelle, plus adaptée aux besoins d’écoute et de personnalisation des membres des équipes.

En raison de ce management plus proche des attentes des agents, le cadre souscrit ainsi une attention particulière à la trajectoire des individus.

Une anticipation

Grâce à ces entretiens réguliers, et notamment l’entretien annuel d’évaluation, le cadre peut ainsi apprécier les compétences indivi­duelles, reconnaître la contribution individuelle de la personne, mettre en valeur les initiatives, l’autonomie des agents dans leur sphère professionnelle et identifier les progrès réalisés, les souhaits de mobilité et/ou les besoins de formation. Il peut donc définir des stratégies, des actions de professionnalisation et de développement des compétences des personnes en fonction des besoins individuels et institutionnels. Il peut, de la sorte, anticiper les besoins et les départs possibles afin de garantir une qualité des soins auprès des patients de son service et d’éviter ainsi un manque, un déséquilibre dans les compétences collectives, techniques et/ou relationnelles, de l’équipe. Il est important de ne pas subir la situation, mais de l’anticiper, de la prévoir pour mieux maîtriser ces contraintes qui s’imposent à nous.

Face à l’évolution de la société et de ses attentes des patients et de leurs proches vis-à-vis des soins, une réflexion autour des postes, voire des métiers, à créer et ceux à supprimer, autrement dit une gestion prévisionnelle des ressources humaines doit être menée, notamment pour anticiper la reconversion de certaines catégories professionnelles amenées à disparaître dans les années à venir. Les cadres de santé doivent en être le socle, la “colonne vertébrale”, car ils sont quotidiennement au plus près des besoins et attentes des professionnels.

FORMATION

La formation et la pédagogie des agents sont des axes de la gestion des ressources humaines à ne pas omettre. La parution des différents textes législatifs (loi du 3 août 2009 relative à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique et décret du 21 août 2008 relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie pour les agents de la fonction publique hospitalière notamment) nous oblige à réfléchir à des politiques de développement professionnel des personnes. La mise en place du tutorat (présente dans les services de soins psychiatriques) permet, par exemple, d’offrir aux infirmières débutantes, souvent issues de la génération Y, un parrainage, un compagnonnage, un accompagnement de proximité par un autre professionnel, un pair plus expérimenté. La transmission des savoirs des générations précédentes aux nouvelles générations est essentielle, notamment dans la cohésion d’une équipe intergénérationnelle (les transmissions de savoir sont des connaissances acquises par des apports théoriques, de savoir-faire, c’est-à-dire de savoir mettre en œuvre, de savoir utiliser et de savoir-être, comme être, être capable de ou attitudes, comportements adéquats pour réaliser une activité).

S’ADAPTER POUR AVANCER

La génération Y redéfinit le travail en équipe (notion de proximité, de sens, animation par projets) et est le déclencheur de ces changements. Elle interroge, chahute les principes et les acquis que les autres générations pensaient inscrits dans le “marbre”. Les jeunes de cette génération ont des attentes différentes de leurs aînés : ils demandent plus de temps, plus d’attention, plus d’écoute, plus de dialogue à l’égard des managers hospitaliers. Leur exigence et leurs besoins de personnalisation et de reconnaissance modifient actuellement les relations entre les managers et leur équipe. Finalement, cette génération est à l’image de notre époque, où tout est immédiateté, rapidité, satisfaction immédiate, où les réseaux sociaux sur le Net prennent une place de plus en plus importante même sur le lieu de travail et dans son organisation proprement dite.

Face à cette modification, voire évolution de notre société, l’hôpital reste jusqu’à présent une organisation très bureaucratique avec ses règles, ses statuts, ses codes, ses valeurs. L’organisation hospitalière doit s’adapter à ces changements afin de continuer à répondre aux demandes et aux besoins sanitaires de cette société. Elle devra plus prendre en compte l’individualisation des parcours professionnels, l’importance et la valorisation du métier d’encadrement de proximité et l’anticipation dans sa politique de Gestion prévisionnelle des effectifs, des emplois et des compétences, notamment sur le plan des métiers et de la formation, permettant ainsi d’entrevoir une gestion prévisionnelle des métiers et des compétences.

Les cadres de santé ont un rôle très important dans l’évolution de cette organisation et ne doivent pas faire l’impasse de ce bouleversement dans leur pratique managériale face à l’arrivée de ces professionnels issus de la génération Y.

NOTES

(1) Dammak, “L’arrivée de la génération Y : quelles conséquences managériales et organisationnelles pour les organisations sanitaires et sociales françaises ?”, Pratiques et Organisations des soins (volume 43, n° 1), janvier-mars 2012, p. 25-33.

(2) Christian Batal, “La gestion des ressources humaines dans le secteur public”, Tome 1 : L’analyse des métiers, des emplois et des compétences, Les éditions d’Organisation, 1997.

(3) Michel Simart, “Management intergénérationnel et développement de la créativité”, Soins cadres, supplément au n° 63, août 2007, p. s9-s12.

[Article élaboré à partir d’un travail réalisé dans le cadre d’un master 2 professionnel “Analyse et management des établissements de santé” à l’université de Paris 7-Diderot en 2011-2012.