Objectif Soins n° 211 du 01/12/2012

 

Management des soins

Marc Galy*   Anne Delatour**  

Depuis plus d’une vingtaine d’années, l’entreprise se transforme sous les effets de la mondialisation, des restructurations et de la récente crise financière. L’hôpital n’échappe pas aux regroupements, à l’informatisation des données, aux accréditations et aux objectifs d’équilibre financier.

La spécificité incontournable des établissements de soins est de s’occuper de patients, de les prendre en charge dans un contexte particulier (maladie) et de tenir compte aussi de leur situation personnelle, socio-culturelle et familiale. Le contrat de la structure de soin avec le patient n’est pas d’ordre commercial, mais un “contrat thérapeutique” dans lequel le lien soignant-soigné s’intègre et en représente le socle.

Les gains de productivité recherchés pour assurer l’équilibre financier entraînent des changements :

• les durées d’hospitalisation peuvent être réduites par le développement de l’hospitalisation ambulatoire et de semaine ;

• une réflexion doit être menée sur l’organisation et le rôle du pôle soins ;

• l’informatisation et la communication électronique devraient être mieux définies et encadrées.

Dans ce contexte, et comme dans l’entreprise, on observe des difficultés pour les soignants. En effet, les restructurations, la recherche de gains de productivité, l’informatisation de la communication et le manque de “temps thérapeutique” sont sources de démotivation, de déception, de perte de dialogue et d’isolement, pouvant conduire au syndrome du burn-out.

La recherche d’une autre forme de communication est nécessaire. Nous proposons l’utilisation de la “communication conversationnelle hypnotique” ou “hypnose conversationnelle” comme moyen simple pour lutter contre les difficultés professionnelles. Cette “autre dialogue” apporte ce lien de confiance individuel et collectif qui permet à chacun d’être actif et d’accompagner les changements structurels.

LA RÉDUCTION DES DURÉES DE SÉJOUR

Depuis 1992, de nombreux textes (décrets, rapports, etc.) incitent au développement de l’hospitalisation ambulatoire, et en particulier en chirurgie. Cet essor résulte de plusieurs paramètres : les progrès pharmacologiques, les avancées technologiques anesthésisques, chirurgicales et les contraintes financières.

La France, par rapport à d’autres pays comme les États-Unis, Canada, Royaume-Uni, avait un certain retard, qu’elle commence à rattraper. Néanmoins, la place de la chirurgie ambulatoire demeure insuffisante. Les raisons en sont multiples :

• une disparité des pratiques et des habitudes selon les praticiens et les établissements ;

• l’insuffisance d’organisation médicale et administrative ;

• les indications chirurgicales trop restreintes par rapport à d’autres pays ;

• un manque de collaboration, d’information, d’organisation de l’hôpital en amont et en aval avec les structures de ville (hospitalisation à domicile, infirmière, soins de suite, médecin référent), qui autoriserait un suivi post-interventionnel sécurisé.

Certains pays comme les États-Unis intègrent dans leurs statistiques une hospitalisation dite de “23 heures” qui ne correspond pas aux définitions internationales de l’ambulatoire, mais qui permet d’élargir les indications actuelles et qui offre au patient une sécurité post interventionnelle plus grande.

Dans ce cadre, l’hospitalisation de semaine (cinq jours-quatre nuits) est une réponse : elle possède tous les outils médicaux et informatiques pour être mise en place.

Les outils médicaux

Ils reposent sur la consultation d’anesthésie qui évalue le patient, adapte les traitements, demande d’éventuels examens ou d’avis de spécialistes qui mettent le patient dans des conditions optimales. Du côté chirurgical, l’imagerie moderne apporte elle aussi une évaluation préopératoire précise, garante d’un geste non improvisé. À cela s’ajoutent les techniques de chirurgie mini invasive par cœlioscopie ou percutanées qui limitent l’agression chirurgicale.

Les outils informatiques

Ils sont un précieux apport dans la gestion des lits d’hospitalisation de semaine.

La programmation est centralisée : les malades devant bénéficier d’une hospitalisation de cinq jours en début de semaine et ceux pour lesquels deux jours suffisent en fin de semaine, ainsi que les malades ambulatoires nécessitant “23 heures” d’hospitalisation. En effet, dans la pratique quotidienne, on s’aperçoit qu’un certain nombre de patients nécessitent un temps d’hospitalisation plus long que celui défini par l’ambulatoire “strict”. Cela résulte :

• du vieillissement de la population, de son isolement et des difficultés à se déplacer ;

• des distances dans des régions entre lieu de soin et domicile ;

• de condition sociale précaire et d’un entourage familial et médical ne permettant pas d’envisager le post interventionnel dans de bonnes conditions de sécurité.

Ce “groupe” de patients ne peut pas bénéficier d’une hospitalisation ambulatoire “stricte” et n’a pas sa place dans un service traditionnel. L’unité de semaine répond à ce cadre.

Par ailleurs, l’unité de semaine permet également une réflexion collective du contrôle des effets délétères de l’agression chirurgicale, des infections nosocomiales et une organisation optimale des soins péri-opératoires. Elle offre au personnel soignant un cadre de vie attractif (fermeture en fin de semaine) et limite le nombre d’intervenants auprès des patients par la réduction du nombre d’équipes.

La transformation des lits d’hospitalisation traditionnelle en lits de semaine est une nécessité incontournable dans la recherche des gains de productivité et apparaît être un bénéfice pour les soignants comme pour les soignés.

LES PÔLES D’ACTIVITÉ DE SOINS

Avec les ordonnances de 2007 se met en place une nouvelle gouvernance des établissements publics de santé et, en 2007, s’ajoute ensuite la tarification à l’activité (T2A).

Le pôle d’activité qui regroupe des “services traditionnels” répond le plus souvent à une logique médico-soignante plutôt qu’à une logique médico-économique.

Le pôle est là pour assurer la mutualisation et la solidarité entre les services, aussi bien pour les ressources financières qu’humaines, sous la responsabilité d’un chef de pôle médecin nommé par le directeur pour quatre ans.

En pratique, on observe :

• la disparité dans la production de soins à l’intérieur du pôle qui accentue la compétitivité entre les services et apporte rarement la synergie médicale et soignante ;

• la difficulté du chef de pôle d’être à la fois responsable d’un service membre du pôle et représentant du pôle ;

• une certaine complexité à mettre en place et à intégrer le projet médical du pôle, à la fois avec ceux des autres pôles et celui de l’établissement ;

• un positionnement “délicat” du personnel soignant entre le service qui représente l’unité de soins proche du terrain et une hiérarchie administrative représentée par le cadre de pôle et la direction des soins. Cet échelon supplémentaire est source de confusion et de difficulté au niveau des soignants pour lesquels l’unité de soins reste le “service” dans lequel est hospitalisé le patient. Cette stratification de l’encadrement, probablement inutile, entraîne des coûts (cadre de pôle, secrétariat) qui nuisent aux gains de productivité ;

• un bénéfice dans la constitution de “personnel de pôle” qui assure le remplacement au niveau de chaque service. Ce “pool” stable de soignants mobiles apporte une qualité dans le remplacement du personnel fixe dans chaque unité de soins.

Le personnel soignant a bien intégré la tarification à l’activité comme moyen de ressources. Il réclame une gouvernance proche de sa préoccupation qui n’exclut ni mutualisation, ni solidarité des moyens. Il demande des objectifs clairs et simples en termes de qualité de soins et d’équilibre financier. Il veut être associé aux résultats et que les efforts soient récompensés. Il comprend les enjeux d’équilibre financier et les recherches de gain de productivité mais ne veut pas une stratification de l’encadrement éloigné du terrain et source de coûts inutiles. Il reconnaît la “hiérarchie” directe qui apporte une qualité dans le management des équipes.

LA E-COMMUNICATION

Les procédures se mettent en place avec les prescriptions connectées, les plans de soins informatisés et la gestion des lits. Son utilisation offre un outil qui facilite le transfert des données, le suivi des prescriptions et des soins entre équipes. En même temps, on constate que certaines procédures sont chronophages et peuvent apparaître comme un “écran” entre le soignant et le soigné qui coupe le lien thérapeutique. Ce lien thérapeutique si précieux ne doit pas être estompé par l’outil informatique. Cette technique doit rester à sa place mais ne pas prendre toute la place. Le “temps informatique” qui accapare le soignant ne peut pas remplacer le “temps de soin et de la relation”. L’informatisation des services ne doit pas représenter le seul mode de communication entre soignant et soigné et entre soignants. C’est pour cela que la pratique de la “communication conversationnelle hypnotique” ou “hypnose conversationnelle” ouvre la porte d’un “autre dialogue” qu’il est nécessaire d’utiliser pour renforcer le lien thérapeutique et atténuer les possibles dérives de l’informatique.

UN AUTRE DIALOGUE

Tous les éléments décrits précédemment participent aux difficultés rencontrées par chaque soignant (quelle que soit sa catégorie) dans sa pratique quotidienne. Elles amènent de la démotivation, de la déception et de l’isolement que l’on retrouve dans le syndrome du burn out. Pourquoi la communication conversationnelle hypnotique permet-elle de lutter contre les difficultés rencontrées ? La pratique de l’hypnose basée sur les travaux d’Erickson s’appuie sur l’écoute et l’observation du patient. L’hypnose est un état physiologique, spontané, que chacun d’entre nous possède. “Être là et ailleurs” en regardant la télévision, en lisant ou en conversant avec un ami.

Ici, nous nous attarderons sur la composante “communication de l’hypnose” et laisserons de côté “l’hypno-analgésie” utilisée par l’anesthésiste et/ou certains soignants pour diminuer la douleur aiguë ou chronique. De même, nous n’aborderons pas la pratique de l’hypnose dans l’arsenal thérapeutique de certaines addictions ou d’autres troubles du comportement (phobie, anxiété majeure).

La “communication conversationnelle hypnotique” repose sur les outils couramment utilisés en hypnose. Ces outils linguistiques de forme verbale (phrases positives, suggestions indirectes), non verbale (position confortable du patient et du soignant), voire para-verbale (image métaphorique, confusion de langage), participent au changement dans la communication et à l’amplification de la relation thérapeutique. Le soignant est “là” sans écran, à l’écoute et en observation vis-à-vis du patient. Par exemple, à l’approche d’une simple prise de sang : « Madame, je vous propose comme moi de vous installer confortablement. Pendant que je regarde l’un de vos bras, peut être que vous regardez l’autre ou bien autre chose, ou peut être rien, comme après une longue promenade quand on s’assoit sur un tronc arbre, etc. »

Cette communication hypnotique peut aller d’une simple conversation positive à une transe légère.

La formation est indispensable. Elle peut être individuelle ou rentrer dans un projet collectif institutionnel. Dans ce dernier cas, elle permet un élan collectif, dans lequel les acteurs trouvent individuellement une source de renouvellement de leur pratique.

Au groupe hospitalier Paris-Saint-Joseph, un plan de formation collective est en place avec une hypno-thérapeute coordinatrice du projet qui assure les formations et le suivi des soignants pratiquant cette hypnose conversationnelle. Elle offre la possibilité pour les soignants d’aborder les soins différemment, de limiter l’anxiété des patients à certains gestes (pansement, ablation de drains etc.). Elle associe l’acte technique et la parole. À l’heure où les difficultés des soignants se font sentir, il est indispensable de trouver une autre forme de dialogue dans la relation de soin qui accompagne les restructurations, les recherches de gains de productivité et l’informatisation. La communication conversationnelle hypnotique n’est pas la seule solution. D’autres choisiront les groupes de parole. Tout est complémentaire.

Quoi qu’il en soit, si le patient trouve avec le soignant un bénéfice dans l’approche d’une communication apaisante, il faut noter que ce bénéfice est aussi partagé par le soignant pour améliorer sa motivation individuelle et collective. La lutte contre les éléments du syndrome du burn-out des soignants passe par le renouvellement du dialogue thérapeutique et du lien soignant-soigné. C’est pour cela que l’on peut affirmer que la pratique de la communication conversationnelle hypnotique est bonne pour tout le monde.

CONCLUSION

Plusieurs interrogations demeurent tout de même sur la place du lien thérapeutique et la place du soignant dans l’évolution du système de santé.

• Les structures vont-elles continuer à se regrouper et à représenter de très vastes ensembles multidisciplinaires dans lesquels la technologie domine, guidée par des procédures de type industriel ?

• La communication informatique deviendra-t-elle la forme de communication ?

• L’unité opérationnelle de soins (le service) laissera-t-elle la place au pôle de soins multidisciplinaire, dans une relation thérapeutique qui sera “multi-individuelle” ?

• La formation du soignant ne sera-t-elle que technique et oubliera-t-on la formation “humaniste” qui est le socle de la relation de confiance soignant-soigné ?

Il est difficile de répondre à toutes ces questions, mais on voit bien que la direction actuelle du système de santé s’oriente vers une position industrielle, malgré des recommandations du Comité consultatif national d’éthique (avis n° 101).

Le soignant a le devoir d’être vigilant à l’évolution de sa pratique, ne jamais oublier l’aspect humain et individuel que représente la relation le contrat de soin. Unir l’acte technique et la parole est indispensable au socle de la relation thérapeutique.

BIBLIOGRAPHIE

• Haute Autorité de santé, “Ensemble pour le développement de la chirurgie ambulatoire”, Socles de connaissances, Synthèse avril 2012 • Galy M., Delatour A., Plaidoyer pour l’hospitalisation de semaine. 12/06/2012 Egora.fr • E-Santé où en est-on ? Bulletin de l’ordre National des médecins n° 24, juillet-août 2012 • Maslach C., Leiter M., Burn-out, le syndrome d’épuisement professionnel. Les Arènes • Galy M., L’acte d’anesthésie et la parole de l’hypnose : hypnose et ­thérapie. Brèves n° 26, août-septembre-octobre 2012 • Roustang F., Il suffit d’un geste. Odile Jacob.