Prise de fonction : regards croisés sur un an de pratique d’encadrement - Objectif Soins & Management n° 212 du 01/01/2013 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 212 du 01/01/2013

 

Ressources humaines

Un an après notre prise de fonction en tant que cadres de santé, l’heure d’un premier bilan s’est imposée à nous : quels changements étaient perceptibles après cette année écoulée ? Cette introspection nécessaire pour continuer notre parcours professionnel nous a menées à nous interroger sur notre identité à la lueur des événements vécus dans ce même établissement.

Diplômées depuis un an de la même école des cadres et exerçant maintenant dans le même établissement, nous avons souhaité revenir sur notre première année de cadre. Nous avons pris nos fonctions en août 2011 au sein d’un hôpital gériatrique de 400 lits.

Nouvelle dans l’établissement, l’une d’entre nous les a prises dans un service de 76 lits en long séjour et gère une équipe d’une quarantaine d’agents.

L’autre a repris le poste qu’elle occupait précédemment en tant que faisant fonction avec la gestion d’une équipe de rééducation. Une réorganisation au sein de l’établissement a permis à la seconde d’étendre son champ de compétences en ajoutant à ses fonctions initiales la gestion du plateau technique : une quarantaine de personnes représentant treize métiers différents.

DES ÉLÉMENTS FACILITANTS

Les différentes missions et les nombreux échanges que nous avons eus durant cette année nous ont permis d’avoir une vision croisée de nos pratiques. Au regard des éléments facilitateurs et/ou parfois déstabilisants, nous tenterons d’analyser notre nouvelle identité professionnelle.

Des échanges à la manière d’analyse de pratiques

Tout d’abord, notre rencontre à l’école de cadres a largement contribué à faciliter nos échanges lors de notre prise de fonction. En effet, le partage de l’expérience de la formation, d’un vécu commun nous a rapprochées dans un contexte nouveau, source parfois d’inquiétude et de questionnement. Le premier rapport d’étonnement fait de manière croisée a donné lieu à de nombreuses discussions, souvent de manière informelle. La richesse de ces échanges, à la manière d’“analyse de pratiques” nous amenait à conserver les grandes règles de celle-ci : l’écoute, le non-jugement, la discrétion. L’expérience de l’établissement acquise sur un poste de faisant fonction de cadre et le regard neuf d’une nouvelle recrue ont donné lieu à des échanges riches, parfois cocasses, permettant aux deux parties d’en tirer un bénéfice certain.

Un réseau développé

Dans un second temps, la mise en commun de nos réseaux nous a paru déterminante pour faciliter notre adaptation. En effet, la diversité de nos champs d’action nous a confrontées à des situations où la connaissance des interlocuteurs paraissait indispensable. Ainsi, le partage des solutions apportées et des contacts à solliciter a permis de mutualiser nos expériences et d’accroître notre réseau plus rapidement.

Des projets fédérateurs

En tant que jeunes diplômées, nous gardions en tête le fil conducteur déroulé au sein de l’école des cadres : les projets sont des leviers de motivation et fédèrent les équipes. Ainsi, avant même d’appliquer ce grand principe à nos équipes respectives, nous avons pu en mesurer l’intérêt lors de notre prise de fonction. Outre les réunions institutionnelles formalisées, les réunions autour des projets de l’établissement nous sont apparus comme un levier important de notre intégration. En prenant nos fonctions l’année précédant la visite de certification, nous avons mesuré l’importance de la transversalité en intégrant différents groupes de travail sur des sujets variés. La vision transversale de l’établissement, son positionnement dans le réseau de soin et son implication dans le bassin de vie ont développé un sentiment d’appartenance à l’institution.

Un collectif à intégrer

Parce que nous fûmes conviées par notre hiérarchie aux réunions intercadres, ces premiers pas vers le collectif nous ont donné dans un premier temps la sensation d’être « spectatrices » : ce sentiment nous a déstabilisées, car la légitimité de nos interventions ne nous semblait pas encore fondée. En effet, il était difficile de se positionner et d’émettre un avis sur certains dossiers sans en connaître l’antériorité. Cette expérience parfois frustrante nous a donné temporairement la sensation de ne pas être à la hauteur des enjeux du poste. Conscientes de l’importance de certains sujets et de leurs enjeux, nous avons mesuré l’intérêt de notre présence : observation, ambiance générale et mise en lumière des jeux de pouvoir ont pu être identifiées. Néanmoins, cette neutralité ponctuelle nous a aussi interpellées sur la reconnaissance de nos pairs. Ont-ils associé ce retrait comme une passivité de notre part ou notre incapacité à nous positionner ?

L’ensemble des projets impulsés par l’établissement, les temps d’échanges formalisés avec nos pairs mais aussi les nombreux échanges informels que nous avons pu avoir tout au long de cette année ont été sans nul doute des éléments facilitateurs à notre prise poste. Il n’en reste pas moins qu’au quotidien nous avons été confrontées à des éléments plus ou moins déstabilisants mais inhérents à ce type de poste.

DES ÉLÉMENTS DÉSTABILISANTS

L’introspection : un retour sur soi-même

Si notre projet professionnel ­prenait toute sa dimension à la sortie de l’école des cadres et plus précisément lors de notre prise de poste, il n’en reste pas moins que notre positionnement de « novices » nous amène à nous interroger sur nos capacités à prendre du recul et à agir. La question “Qui suis-je ?” prend alors tout son sens. Tantôt rassurées par la légitimité d’un diplôme et de nos parcours ponctués d’expériences et de mises en situation, il n’en reste pas moins que cette période s’est accompagnée de craintes et de questionnement. De plus, il se fait jour que les “périodes tests” ou les “situations tests” provoquées par nos équipes à notre arrivée aient amplifié ce sentiment.

La palette déployée par Patricia Benner(1) révèle ainsi toute sa substance et apparaît transposable à notre nouvelle fonction : suis-je novice, débutante, compétente voire performante dans certains domaines de mon activité ?

L’introspection semble donc un moment incontournable après notre prise de poste. Il reste néanmoins un risque majeur à se remettre en question : notre incapacité à mettre en valeur les points positifs et nos atouts dans la balance de notre bilan. Au-delà d’une simple introspection la question de notre identité professionnelle apparaît en filigrane.

Une identité professionnelle à construire

Renaud Sainsaulieu(2) définit l’identité professionnelle comme un processus dynamique en constante mutation composée d’une identité « de soi par soi » et d’une identité « de soi pour les autres ». Lorsqu’on change de statut professionnel, ces deux identités sont impactées ; une véritable remise en question s’opère sur le rôle que nous avons à jouer et la place que nous devons alors occuper. La construction de notre identité se fait donc à deux niveaux : à un niveau institutionnel (pour les autres) et à un niveau personnel (vécu individuel).

Ainsi, dans le cas d’un poste occupé en tant que faisant fonction, la formation à l’IFCS a permis d’amorcer ce cheminement personnel indissociable à l’expérience de terrain. Dès lors, il est apparu au retour de l’école que notre identité professionnelle ait été perçue par les équipes qui avaient connu l’une d’entre nous comme changée.

Cette co-construction de notre identité s’affiche comme un élément majeur dans notre prise de fonction et notre légitimité.

Une autre notion s’avère d’une importance capitale pour la construction identitaire : celle de la reconnaissance au travail. Comment a-t-elle pu s’exprimer dans une prise de fonction ?

La reconnaissance au travail

L’invisibilité du travail des cadres de santé, largement décrite par Paule Bourret(3), nous a beaucoup inspirées dans notre questionnement : “Suis-je dans la bonne direction ?”

Les évaluations régulières avec notre supérieur hiérarchique au cours de cette année ont pu contribuer à répondre en partie à notre questionnement autour de notre travail accompli. Néanmoins, il s’est dégagé un élément plus imperceptible qu’est la reconnaissance de nos pairs. Cette notion n’est pas sans rappeler la théorie de Christophe Dejours (4) du « jugement d’utilité » qui correspond à une reconnaissance sur un mode vertical, c’est-à-dire celui de la hiérarchie, et le « jugement de beauté » qui correspond à une reconnaissance sur un mode horizontal, entre collègues. Ainsi, ce rapprochement professionnel autour d’échanges et de réflexion a contribué d’une certaine manière à nous intégrer dans une équipe d’encadrement préexistante.

Au-delà de ce travail introspectif, des contraintes de temps et d’organisation ont pu nous éloigner temporairement de ce moment primordial qu’est l’adaptation.

Une notion d’immédiateté à gérer

L’immédiateté est un concept très moderne consistant à devoir répondre à un besoin, lorsqu’il est à peine exprimé. Ce mal dont souffre la société n’épargne pas le monde du travail et reste la principale difficulté des managers en pleine période d’adaptation. Cette composante est parfois difficile à gérer, car la prise de décision nécessite une bonne connaissance des organisations et fonctionnements d’usage.

Nos échanges ont beaucoup porté sur cette notion d’action immédiate souvent développée durant notre cursus de formation. Cette impatience manifestée et formulée par les équipes a fait l’objet d’une justification et d’une explication de notre démarche auprès d’elles. La prise en compte de l’ensemble du fonctionnement est indispensable pour jouer sur les organisations. Si l’état des lieux apparaît comme une nécessité absolue, certaines décisions se sont avérées difficiles à mettre en place, car liées notamment à notre position de dauphines.

Savoir s’adapter

Prendre ses fonctions dans un service, c’est respecter son histoire, son fonctionnement, l’antériorité du travail effectué. Le positionnement vis-à-vis de son prédécesseur nécessite d’adopter une ligne de conduite claire avec la nouvelle équipe. Trouver sa place dans un système existant dans lequel nous voulons apporter des modifications demande une certaine loyauté envers ses prédécesseurs. Il est beaucoup plus constructif de réfléchir avec l’équipe sur les axes d’amélioration d’organisation et de qualité des soins que de stigmatiser les dysfonctionnements. Le contexte un peu « flottant » de la prise de poste peut devenir pour l’équipe une situation profitable mais aussi ambivalente où changements et continuité s’entremêlent. De plus, au regard d’un contexte troublé, la réponse aux différentes sollicitations et doléances a pu se traduire comme une facilité managériale. Néanmoins, il nous est apparu rapidement nécessaire de différer nos prises de décision afin d’assurer un cadre stable et des limites pour l’ensemble de l’équipe.

CONCLUSION

À un an de notre prise de poste, présentant des parcours différents, nous observons que nos attentes en tant que jeunes cadres sont identiques. Notre année de formation a permis de créer un ­squelette de la fonction de cadre que notre expérience étoffe au fur et à mesure. Certaines situations rencontrées font écho à d’autres, l’expérience se construit.

Conscientes du développement progressif de certaines de nos compétences, nous avançons par étapes : la certification, les projets pour les services, les projets transversaux.

Aujourd’hui, conscientes de ne pas devoir brûler des étapes, nous souhaitons faire vivre notre projet professionnel dans un domaine où l’exercice de la fonction d’encadrement est fortement bousculé par les évolutions du contexte. La prise en compte de l’environnement politique, juridi­que et réglementaire nous amène à rester vigilantes, ouvertes à l’information et à la formation. Cette prise de hauteur nous semble nécessaire pour remettre en question notre pratique, motiver les équipes et les impliquer dans des projets.

NOTES

(1) Benner Patricia. De Novice à Expert, 1995. Editions Elsevier.

(2) Sainsaulieu Renaud. La Construction des identités au travail. in Sciences ­humaines. 1998, n° 20.

(3) Bourret Paule. Les Cadres de santé à l’hôpital. Un travail de lien invisible. Seli Arslan, 2006.

(4) Dejours Christophe. Travail et Usure mentale. Bayard.

BIBLIOGRAPHIE

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Barjou, Bruno. Réussir dans ses nouvelles responsabilités. Prise de fonction : mode d’emploi. Formation permanente : Entreprise ; n° 118.

Blaison-Castel, Mireille. Prise de fonction : un partage de la culture qualité. in : Objectif soins n° 200.

Davezies, Philippe. Crises identitaires et Santé au travail des cadres. Education permanente, 2009, n° 178.

Petitjean-Moiroud, Christiane. Prise de poste en unité de soins : une expérience d’accompagnement des nouveaux cadres de santé. in : Gestions hospitalières n° 435.

Kinet, Sylvie. Quelles compétences minimales attendues en fin de formation de cadre de santé ? in : Soins cadres n° 63.

Mossoux, Jean. Pour une prise de poste réussie, du dauphin au nouveau chef. Soins cadres n° 53.

Vinatier, Isabelle. La construction de l’identité professionnelle en acte dans la relation de service. in : Education permanente, février 2002, n° 151.