Faire face à de nouvelles maladies émergentes - Objectif Soins & Management n° 213 du 01/02/2013 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 213 du 01/02/2013

 

Qualité Gestion des risques

Anne-Lise Favier  

Sras, grippe aviaire, grippe A, tuberculose, chikungunya : des maladies infectieuses qui essaiment peu à peu la sphère mondiale avec le spectre d’une pandémie en point d’orgue. Qui veille ?

Si le spectre d’une pandémie grippale a fait le devant de l’actualité en 2009 avec la grippe A/H1N1 (avec au final 312 décès recensés par le ministère de la Santé), cet épisode infectieux n’était ni le premier ni le dernier à provoquer l’émoi : il faut dire que lorsque l’ennemi est coriace, il a tendance à déchaîner les passions. Avant lui, la France avait déjà connu un épisode de chikungunya à la Réunion (244 000 personnes infectées, 203 décès sur l’île) et suspecté le paludisme de remonter jusqu’à Nice (deux cas de jeunes adultes détectés positifs à Plasmodium falciparum en 2008). Plus près de nous dans le temps, le danger semble venir d’Europe de l’Est avec des cas hautement résistants de tuberculose (cf. encadré ci-contre) : il faut dire que la mondialisation, les voyages et échanges qu’ils apportent favorisent forcément la transmission de ces maladies. Une problématique qui n’a pas échappé à une sénatrice UMP du Bas-Rhin, Fabienne Keller. L’été dernier, elle a rendu un rapport sur les nouvelles menaces des maladies infectieuses émergentes, qui vient tout juste de faire l’objet d’un débat en séance publique au Sénat. À la clé Des mesures pour faire face à de possibles épidémies.

QUE DIT LE RAPPORT ?

Rendu en juillet 2012, le rapport*, publié par Fabienne Keller au nom de la Délégation sénatoriale à la prospective (DSP), dresse un panorama complet et historique des maladies infectieuses jusqu’à nos jours. Très complet, ce document de 233 pages s’interroge sur les facteurs d’émergence des agents infectieux – population en augmentation constante, pratiques agricoles qui modifient les écosystèmes, mondialisation et tout ce qu’elle entraîne notamment en termes de déplacements de population, transports, changement climatique – et dresse une réflexion prospective de scenarios de survenue d’épidémies. Il pose la question des décisions à adopter en cas d’épidémie avérée et sur les ressources disponibles en cas de crise. En tant qu’organe de prospective, la DSP rappelle dans ce rapport les différentes propositions émises auparavant dans le cadre d’études du même type, comme celles du professeur Didier Raoult sur le bioterrorisme (2003) ou encore celles du Haut Conseil de la santé publique (2010), ainsi que les propositions émises par les intervenants aux ateliers de la DSP. Le but ultime étant d’émettre à son tour une série de propositions parmi les plus adaptées pour répondre aux enjeux d’éventuelles épidémies.

QUELLES SONT CES PROPOSITIONS ?

La délégation a identifié dix leviers d’action pour lutter contre les nouvelles menaces : dans un premier temps, la DSP insiste sur l’importance de faire prendre conscience aux opinions publiques de la globalisation du phénomène des maladies infectieuses émergentes. Elle recommande également d’agir sur tous les facteurs d’émergence et de propagation des maladies infectieuses pour ralentir, voire inverser les tendances actuelles (en agissant ainsi sur l’urbanisation, les transports, les déplacements de population, l’agriculture, des thèmes largement abordés dans le début du rapport). Fait innovant, la DSP préconise de bâtir une « grande cause collective de l’humanité » sur la prévention de la diffusion des agents infectieux : notamment en réprimant tous les actes susceptibles d’y mener, comme les trafics alimentaires, l’introduction non autorisée d’espèces sauvages (parfois vecteur de maladies), etc. Elle insiste aussi sur la nécessité de faire progresser l’information des populations sur les maladies et d’inventer ou développer des méthodes de concertation pluridisciplinaires qui permettraient, en cas de pandémie, de créer des liens de confiance et d’agir plus rapidement en cas de crise. En cas de crise avérée, réintroduire des protocoles de lutte contre les pandémies (isolement, quarantaine, hygiène publique) pour plus d’efficacité et utiliser les moyens de communication actuels (notamment Internet) pour promouvoir de nouveaux outils d’intervention sur les maladies. Concernant les mouvements de praticiens, la DSP milite pour une « diplomatie de la santé » visant à réguler le flux de soignants vers le Sud et à instaurer une facilité d’accès aux vaccins pour les populations du Sud. Concernant ces derniers, justement, un rapprochement entre toutes les entités internationales en santé humaine devrait faciliter leur développement et leur diffusion.

Dernier point : améliorer la logistique de terrain pour l’acheminement des vaccins et des médicaments dans les zones les plus difficiles d’accès.

EN DÉBAT AU SÉNAT

Le 23 janvier, un débat en séance publique a eu lieu en présence du gouvernement sur les propositions faites dans le rapport. La sénatrice Fabienne Keller a alors défendu le sujet en montrant l’intérêt d’un « exercice de prospective de grande ampleur » qui permettrait, pendant un an, de mettre en quelque sorte à l’épreuve les dispositifs existants : il faudrait, selon elle, un travail concerté des professionnels – médecins, transports, collectivités, enseignement, tourisme – qui apprendraient à se connaître et développeraient des réflexes communs.

D’un point de vue politique, la sénatrice estime qu’une gouvernance doit être organisée pour être pleinement efficace pendant les crises : un point sur lequel Marisol Touraine, ministre de la Santé, a souhaité réagir en rappelant qu’un centre de crise avait été inauguré il y a quelques mois auprès de la DGS, reconnaissant néanmoins qu’un levier supplémentaire était nécessaire auprès des autres ministères pour appuyer des exercices plus ambitieux. Un manque d’ambition qu’une sénatrice communiste des Bouches-du-Rhône, Isabelle Pasquet, n’a pas manqué de souligner : selon elle, les dix recommandations de la DSP ne sont pas suffisamment ambitieuses et le tout restera un « vœu pieu » si une autre politique économique et financière ne voit pas le jour. Certains sénateurs estimant même que le pays n’était, de toute manière, pas prêt à affronter une pandémie meurtrière, s’interrogeant au passage si la prochaine loi de santé publique aborderait ce sujet d’importance. Pour l’heure, Marisol Touraine a esquissé quelques axes de la « stratégie nationale de santé » du gouvernement, vaste terme qui englobe les priorités de la ministre, avec, par exemple, le décloisonnement du système de santé. Sur le volet sanitaire, justement, la ministre souhaite faire de la prévention un cheval de bataille (avec notamment la vaccination et la lutte contre l’antibiorésistance) et améliorer les systèmes de vigilance et d’alerte existants (comme renforcer les incitations des professionnels à déclarer). D’ores et déjà, un décret a vu le jour (décret 2013-15 du 7 janvier 2013) : il pose les bases de la préparation aux situations sanitaires exceptionnelles et tente d’apporter des réponses, notamment avec la mise en place de cellules d’urgence médico-psychologiques.

Constituées dans chaque département par l’Agence régionale de santé (ARS), ces cellules sont composées de médecins psychiatres, de psychologues et d’infirmiers volontaires et doivent « assurer la prise en charge médico-psychologique des victimes de catastrophes ou d’accidents impliquant un grand nombre de victimes ou susceptibles d’entraîner, en raison de leur nature, d’importantes répercussions psychologiques ». Reste à savoir si, en cas de crise sanitaire majeure, la France serait réellement prête : la crise de la grippe A/H1N1 de 2009 nous a montré le chemin à parcourir…

*Consultable sur www.senat.fr/rap/r11-638/r11-6381.pdf

La tuberculose venue de l’Est

• Ils sont Géorgiens, Tchétchènes, Russes, et de plus en plus nombreux depuis un an à venir se faire soigner dans les hôpitaux parisiens pour une tuberculose résistante. Une situation qui pose problème à plusieurs niveaux.

• En premier lieu, la souche de tuberculose dont sont atteintesces personnes venues d’Europe de l’Est est une souche ultra-résistante (c’est la souche XDR – extensive drug resistant) assez difficile à combattre, qui nécessite un traitement long et lourd, avec confinement.

• Ensuite, ces patients souffrent pour la plupart d’autres pathologies qui rendent la prise en charge plus compliquée qu’elle ne l’est déjà.

• Mais le pire est peut-être que ces patients représentent des bombes infectieuses ambulantes : pour venir, dans les transports, ils n’ont pris aucune précaution de protection vis-à-vis des personnes qu’ils ont pu croiser, ne supportent pas forcément le confinement nécessaire à leur rétablissement et sortent de leur chambre à pression négative sans masque : contaminés, ils deviennent des vecteurs de la maladie partout où ils sont passés.

• D’après une information du Figaro, le ministère de la Santé recenserait 54 cas de tuberculose XDR sur le territoire, dont 16 Géorgiens qui ont d’ores et déjà demandé l’asile politique.

• Enfin, sur le volet économique, ces patients sont pris en charge par la Sécurité sociale pendant les trois premiers mois, puis l’Aide médicale d’État prend le relais : une prise en charge lourde pour les enveloppes budgétaires des hôpitaux parisiens qui accueillent ces migrants hautement contagieux mais qui doivent aussi continuer à soigner la population.

Le point sur la tuberculose, XDR et la vaccination

La tuberculose est une maladie à déclaration obligatoire transmissible par voie aérienne.

Due à un bacille qui touche les poumons, elle tue encore chaque année 1,4 million de personnes dans le monde et 650 personnes en France par an. La souche ultra-résistante se caractérise par une résistance à plusieurs antibiotiques (isoniazide, rifampicine, les fluoroquinolones) et au moins trois agents injectables de seconde ligne (amikacine, capréomycine et kanamycine par exemple). En France, depuis juillet 2007, la politique de vaccination est basée sur une recommandation forte à destination des enfants à risque (notamment en Île-de-France et Guyane) mais n’est plus obligatoire pour les enfants avant leur entrée en collectivité.

À Lire

→ Maladies émergentes et réémergentes chez l’homme, dossier INIST (http://tinyurl.com/b282auc)

→ Les maladies infectieuses émergentes : état de la situation et perspectives, du Haut Conseil de santé publique (http:// tinyurl.com/bfgohcc)