Imagerie et cultures générationnelles : la place du cadre - Objectif Soins & Management n° 213 du 01/02/2013 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 213 du 01/02/2013

 

Ressources humaines

Isabelle Meersman  

Aujourd’hui, le soin associe complexité et maîtrise des techniques de pointe. Les établissements de santé sont tenus de maintenir un haut niveau de compétences des professionnels afin de répondre aux besoins et aux attentes des usagers. Quelles stratégies le cadre de santé d’imagerie met-il en place pour développer les compétences nécessaires à l’organisation, pour faire cohabiter au sein d’une même équipe différentes générations, pour accompagner au mieux les équipes soignantes ?

Dans le secteur de l’imagerie, l’évolution des technologies modernes telles l’Imagerie par résonance magnétique (IRM), le scanner à rotation continue, les capteurs plans, implique d’avoir des manipulateurs de plus en plus formés et compétents. La gestion des compétences dans un service d’imagerie médicale devient de fait un enjeu majeur. Il appartient au cadre de santé de proposer une organisation qui puisse répondre à cette évolution, mais également aux attentes des acteurs. Il dispose, pour ce faire, de deux options, dont les avantages et les inconvénients ont été étudiés depuis de nombreuses années : la polyvalence et la spécialisation.

LE CADRE, LES JEUNES ET L’ORGANISATION

Le papy-boom annoncé pour l’ensemble des acteurs du monde de la santé aura notamment pour effet le rajeunissement des équipes. Les sociologues sont aujourd’hui capables de produire un portrait de cette nouvelle génération baignée par toutes les évolutions sociétales et technologiques.

C’est donc, pour tout manager, une composante non neutre qu’il se doit d’intégrer dans les propositions d’organisation. L’hôpital, les services de soins, les plateaux techniques devront s’adapter à cette mixité générationnelle. Le cadre de santé doit être en capacité de proposer des organisations qui intégreront cette nouvelle composante. En effet, entre 1990 et 2005, le nombre des professionnels de santé a augmenté plus vite que celui des autres actifs, en raison surtout du faible nombre de départs à la retraite. Selon l’Insee, l’effectif des manipulateurs d’électroradiologie médicale était de 24 512 au 1er janvier 2005 avec 28,2 % de moins de 35 ans, 13,8 % de 55 ans et plus, et un âge moyen de 42,3 ans. Ces chiffres nous suggèrent que les équipes des services d’imagerie médicale vont prochainement rajeunir, ce qui pourrait probablement avoir des répercussions sur l’organisation.

POLYVALENCE ET EXPERTISE

À l’hôpital, les directions mettent en place la Gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences (GPEC). La GPEC vise à maîtriser et anticiper les écarts entre les besoins de santé des usagers et les ressources humaines en prenant en compte les projets de l’institution. La GPEC est déclinée au niveau des pôles d’activités, depuis leur mise en place dans le contexte de la nouvelle gouvernance hospitalière du Plan hôpital 2007. Ce fonctionnement en pôles permet d’optimiser les moyens techniques et humains par leur mutualisation. Il impose une certaine polyvalence des personnels et le développement des polycompétences. La compétence et l’implication des personnels hospitaliers constituent donc le socle de l’efficience de l’hôpital. Il appartient alors au cadre de santé de trouver un équilibre satisfaisant dans l’articulation, parfois complexe, des deux conditions que sont la polyvalence et l’expertise afin de garantir un haut niveau de qualité des prestations.

L’EXPONENTIELLE GÉNÉRATION Y

Aujourd’hui, trois générations de salariés coexistent dans les organisations : la génération baby-boomers (née entre 1945 et 1965), la génération X (née entre 1965 et 1980) et la génération Y (née entre 1980 et 1996). Le nombre des membres de cette dernière est amené à s’accroître indéniablement au travail. D’ici 2015, la génération Y devrait représenter 15 % de la population européenne et 40 % des actifs en France.

« Le monde de l’entreprise [….] est très accroché par cette gestion de l’intergénérationnel et l’arrivée, avec apparemment des difficultés ou des incompréhensions, de cette génération Y, dont on ne sait pas très bien comment elle réagit, ni comment la développer. Les querelles d’anciens et de modernes, ce n’est pas nouveau. L’incompréhension d’une jeune génération qui n’a pas les mêmes valeurs ni les mêmes comportements que ses aînés, qui aime la musique zazou ou qui porte des blousons noirs, ce n’est pas nouveau non plus. Chaque génération a connu l’incompréhension de la suivante, elle-même ayant été une nouvelle génération à un moment. »(1)

Mais, pour réussir à tirer le meilleur de cette jeunesse et à en faire un acteur déterminant de l’évolution de nos sociétés, le défi des entreprises est de réussir leur intégration dans les organisations. Ceci est loin d’être évident, car il existe depuis toujours une incompréhension de la jeunesse, autrement dit un fossé générationnel. Les aînés les plus réfractaires ont tendance à penser que cela se passera avec le temps, le mariage et la naissance des enfants, ou tout simplement les responsabilités de la vie, et qu’ils finiront bien par rentrer dans les rangs. Les plus indulgents pensent qu’il faut que jeunesse se passe, et qu’ils sont juste comme eux quelques années plus tôt.

Toutes les populations se sont toujours retrouvées sur un même lieu de travail et la solidarité intergénérationnelle représente l’un des éléments distinctifs des civilisations évoluées. De tout temps, les jeunes ont suscité incompréhension, voire mépris de la part de leurs aînés.

Ces tensions ne sont pas spécifiques à notre époque et nous pourrions raisonnablement penser qu’elles vont s’apaiser d’elles-mêmes avec la maturité et l’expertise. En effet, la capacité des générations à travailler ensemble est essentielle pour la survie de notre hôpital. « Jamais, par le passé, une génération n’a eu à ce point et aussi rapidement les moyens d’affirmer son pouvoir. Ce phénomène va forcément avoir une incidence sur la relation à l’autorité. »(2)

Le changement passe avant tout par les hommes, et le vecteur essentiel reste la communication afin de mieux comprendre la complexité du milieu par les acteurs concernés. Ainsi, « le cloisonnement s’estompe, permettant aux acteurs d’occuper de nouvelles positions et de développer de nouvelles compétences au service de la qualité »(3).

CADRE DE SANTÉ : L’ÉQUILIBRISTE

Le manager devra donc apprendre à se positionner en tant que créateur de contextes qui favorisent les apprentissages et parfois aussi des prises de risques et des mises en déséquilibre, dans le respect de l’éthique et des règles sécuritaires mises en place dans l’établissement. C’est bien en intégrant une réflexion et une mise en œuvre globales dans l’entreprise que chacun des managers pourra, à sa manière, intégrer dans sa propre identité les outils et les comportements qui permettent de sortir le meilleur d’une équipe intergénérationnelle.

LES Y DANS L’HISTOIRE

Aristote écrivait en 350 avant J.-C. : « De nos jours, la jeune génération est impudente, égocentrique, et n’a pas le respect des valeurs. » Ce constat qu’il formule force à sourire, nous nous demandons si l’Histoire n’est pas cyclique et si le phénomène du management intergénérationnel n’a pas toujours existé. Probablement, mais une nouveauté demeure : l’explosion des nouvelles technologies de l’information et de la communication.

Aujourd’hui, même si les jeunes diplômés et étudiants qui composent la génération Y n’ignorent pas la règle de la hiérarchie, ils souhaitent être considérés, écoutés et s’exprimer, c’est-à-dire comprendre et se placer en alter ego avec leur hiérarchie. Cela implique une évolution des comportements, des relations de travail et du style de management.

Vers un management participatif

La loi n° 91-478 du 31 juillet 1991 portant réforme hospitalière induit les prémices d’un management participatif hospitalier. À travers ce nouveau statut, le management s’appuie sur le principe d’équité et prône une approche plus personnalisée et différenciée du traitement : on intègre “le” jeune et non “les” jeunes. On passe ainsi de la gestion du personnel à celle des personnes, et de la gestion par la règle au management par le sens. La responsabilité du cadre est donc de créer un environnement et des conditions de travail, par son management et son animation, favorables à l’émergence et à l’expression de la motivation individuelle et collective. C’est dans ce contexte que devra s’inscrire l’évolution du management intergénérationnel et, par le développement de la créativité, les rapprochements entre les générations seront facilités.

Le potentiel “Y”

Les Y semblent câblés pour le futur : ils travaillent spontanément en réseau, maîtrisent les nouvelles technologies comme aucune autre génération, ce qui leur permet d’accéder rapidement à la connaissance et d’apprendre très facilement. Ils disposent d’une vision positive du changement au travers de leur esprit “zappeur” et de leur attrait pour l’innovation. Ils ont confiance en eux, et en ceux qui ont prouvé qu’ils en étaient dignes. Ignorer les adaptations nécessaires dans les organisations d’aujourd’hui reviendrait à ignorer le potentiel extraordinaire que ces jeunes Y représentent pour les organisations du futur, qui souhaitent rester concurrentielles dans un marché de plus en plus tendu. Réconcilier managers d’hier et salariés d’aujourd’hui pour les organisations de demain : ainsi peuvent être résumées les problématiques Y en entreprise.

LE PASSAGE DE RELAIS

En raison des premiers départs à la retraite des baby-boomers, les entreprises doivent sans tarder opérer un transfert de connaissances, d’autant que nombre d’entre elles n’ont pas mis en place un processus de gestion du savoir. Le départ d’un baby-boomer rime donc souvent avec une perte d’expertise considérable. De plus, les gestionnaires se voient contraints d’accélérer le développement des talents, en même temps qu’ils ont à adapter leur leadership aux employés issus des nouvelles générations qui ne partagent pas nécessairement les mêmes valeurs qu’eux. En effet, ces employés ont besoin de comprendre le sens que revêt leur travail dans l’organisation et aiment bénéficier d’une certaine liberté d’action. De plus, ils ont eu accès très tôt à de multiples sources d’informations : un facteur qui les a amenés à cultiver leur capacité d’adaptation. Des personnes capables de composer avec le changement constituent sans aucun doute un atout majeur pour une organisation. Toutefois, toute médaille a son revers, et ces employés, du fait qu’ils accordent moins d’importance que leurs prédécesseurs à la sécurité d’emploi, s’avèrent difficiles à retenir, d’autant plus que beaucoup d’entre eux ont vu leurs parents demeurer fidèles à leur employeur durant des années avant d’être congédiés sans préavis.

Donner du sens au travail

Chacun doit pouvoir trouver sa place au sein de l’organisation et sentir que sa valeur de contribution y est reconnue. Plus précisément, il importe de donner du sens au travail à toutes générations. Et seul un manager qui a envie d’aller au-devant de la différence générationnelle, pourra obtenir des résultats. « Quand la variable humaine est satisfaite, on obtient des résultats sur deux plans : le climat de travail et le rendement des employés », nous rappelle Alain Reid, associé et psychologue industriel organisationnel à la Société Pierre Boucher (SDB).

Le cadre, garant des compétences

Le maintien des compétences des manipulateurs est une préoccupation des cadres alors que les profils de compétences des manipulateurs se multiplient. Les chiffres recueillis dans notre enquête démontrent que les compétences, la polyvalence et l’autonomie ne diffèrent pas énormément d’une génération à l’autre. Ainsi, un manipulateur a expliqué que « l’essentiel est que chacun trouve sa place, se fabrique un portefeuille de compétences, et ressente du plaisir au travail ».

La transmission intergénérationnelle des savoirs et des compétences tisse des liens relationnels forts.

Ainsi, nous avons constaté au cours de notre recherche que les différentes générations présentes dans les services d’imagerie médicale ne sont pas si dissemblables les unes des autres. Mais les jeunes diplômés de notre panel sont-ils ou non représentatifs des constats que les sociologues ont pu noter sur cette génération, à savoir son refus de la hiérarchie, de l’autorité, des règles en général, sa grande mobilité, l’aspiration à des valeurs différentes de celles de ces aînés en matière de consommation, de recherche d’identité, de développement personnel – une génération à la fois plus individualiste et plus conservatrice ?

LE DÉFI DES CADRES

Ce sont les hommes qui construisent l’organisation professionnelle et qui la font vivre. Une génération est influencée par son époque. Autrement dit, elle sculpte sa propre culture et promeut ses propres valeurs. L’organisation professionnelle doit suivre le même processus : se modifier pour tenter de s’adapter à son environnement afin de survivre et de se développer. Par conséquent, plus l’environnement devient complexe, plus nos organisations doivent se complexifier pour survivre. C’est alors au cadre de piloter l’activité de l’organisation en répondant aux exigences de la direction et dans la garantie de la qualité des prestations. Mais cette fonction de pilotage doit aussi exister en termes de conduite d’équipe et de recherche d’équilibre entre tous et pour tout.

Au cours des années, l’électronique et l’informatique ont révolutionné la profession de manipulateur en électroradiologie médicale. Le cœur de ce métier est essentiellement la technologie de pointe, et celle-ci est en perpétuelle évolution. Cette profession semble donc convenir parfaitement à la jeune génération.

Le vrai défi des organisations semble donc résider dans le développement d’une culture de mixité des âges, sans stigmatisation des uns et des autres, et garantissant l’équité et l’égalité pour tous. De ce fait, le challenge actuel des hôpitaux est l’intégration de la jeune génération dans ses équipes. La jeunesse se positionne comme « un des secteurs les plus dynamiques et innovateurs de nos sociétés, avec l’énergie pour imaginer un monde fondamentalement différent de celui d’aujourd’hui » (Commission programmatique mixte jeunesse Unesco, 2005). La difficulté apparente d’intégrer la génération Y dans l’entreprise n’est-elle pas finalement une extraordinaire opportunité de développement ?

NOTES

(1) Revue Personnel, mai 2011, n° 519.

(2) Génération Y, Mode d’emploi, Intégrez les jeunes dans l’entreprise !, Daniel Ollivier et Catherine Tanguy.

(3) L’hôpital en question, un diagnostic pour améliorer les relations de travail, Gonnet F. et Lucas S.