L’indispensable lien entre soin et éducation - Objectif Soins & Management n° 213 du 01/02/2013 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 213 du 01/02/2013

 

Sylvain Filiol

Sur le terrain

Laure de Montalembert  

À l’Espace méditerranéen de l’adolescence de Marseille, on ne considère pas la désertion scolaire comme une fatalité. En lien avec l’Éducation nationale, un programme novateur a été mis en place depuis cinq ans.

Qu’il s’agisse de permettre aux adolescents hospitalisés de poursuivre leur cursus scolaire ou à des enfants déscolarisés de se réconcilier avec les cours, à l’EMI (Espace méditerranéen de l’adolescence), on a inventé une nouvelle manière d’apprendre. Installé depuis septembre 2008 dans des locaux flambant neufs de l’hôpital Salvator, ce service hors du commun accueille principalement des enfants atteints de pathologies type anorexie ou troubles autistiques dans une structure alliant hospitalisation à plein temps et hôpital de jour. Toutes les équipes qui y travaillent considèrent que la scolarisation et le maintien d’un lien avec la scolarité participent pleinement à la prise en charge thérapeutique des adolescents. C’est la raison pour laquelle un espace original y a vu le jour, où exerce toute une équipe détachée de l’Éducation nationale : deux médecins scolaires, une infirmière scolaire, des professeurs de mathématiques, de français, d’arts plastiques, de philosophie et de méthodologie, ainsi qu’une secrétaire.

FAIRE LE LIEN ENTRE DEUX UNIVERS

Sylvain Filiol, cadre de santé, est l’une des pièces maîtresses chargées de faire régner l’harmonie entre le domaine des soins et celui de l’éducation. « Les deux univers possèdent une culture totalement différente. L’objet est de faire le lien entre les organisations afin de se rencontrer autour du projet d’adolescence », explique-t-il, avant de continuer : « Je navigue un peu partout et je participe à tous les staffs. Du coup, je suis au courant de la manière dont les choses se passent pour les équipes et pour les patients. » Récemment, par exemple, l’infirmière scolaire lui a demandé s’il était possible de mettre en place un concours d’affiches sur le thème de la contraception. En lien avec l’équipe médicale, il s’est donc chargé de l’organisation, permettant l’accès à l’atelier d’art et au matériel, mais aussi en déterminant quels enfants étaient les plus aptes à y participer. Car, si du côté de l’hospitalisation à temps plein, on trouve principalement des adolescents anorexiques, l’hospitalisation de jour rassemble aussi bien des enfants déscolarisés que d’autres atteints d’autisme ou d’hyperactivité. Un mélange qui ne simplifie pas toujours le travail des professeurs. « Les anorexiques, par exemple, sont ultra travailleuses. Notre difficulté avec elles, c’est paradoxalement de les freiner sur le plan scolaire, de manière à ce qu’elles retrouvent d’autres plaisirs, leur apprendre à lâcher prise à se distraire, à redécouvrir une dimension ludique », indique le professeur David Da Fonseca, chef de service. Ce qui n’est évidemment pas le cas de tous les adolescents reçus dans l’établissement.

UN MÉLANGE ENRICHISSANT

« C’est pourquoi nous avons instauré un système d’école à la carte en petits groupes », révèle Sophie Campredon, pédopsychiatre et responsable de l’unité fonctionnelle qui s’occupe des problématiques scolaires à l’EMI. Les enfants hyperactifs sont les plus difficiles à intégrer dans ces groupes. Mais cela n’empêche pas les équipes de procéder à un vrai mélange, « de manière à créer des petites mises en situation qui se rapprochent de la vie sociale habituelle ». Au sein même de l’organisation de soins, l’équipe pédagogique a pleinement trouvé sa place, « prenant à cœur d’adapter ses projets aux réelles capacités de l’enfant », précise Patrick Deldon, coordonnateur Éducation nationale à l’EMI.

Cette belle harmonie n’est cependant pas née du jour au lendemain. Comme l’expliquait Sylvain Filiol précédemment, le coordonnateur admet qu’il a fallu un peu de temps pour « apprendre à se comprendre et à se respecter ». Pour cela, il a pris soin d’embaucher « des personnes qui adhèrent à une philosophie globale et transversale ». Autre difficulté, rencontrée aussi bien par les personnels de soin que par les éducateurs : les relations avec les parents. « Parfois, ils nous déposent leurs enfants comme un colis », déplore Patrick Deldon, approuvé par notre cadre qui constate également un désintérêt de certains parents dont les enfants sont suivis en hospitalisation de jour. Pour pallier cet effet pervers, des groupes de discussions de parents ont été créés récemment.

PÉDAGOGIE ET SOINS CULTURELS

Les adolescents aussi doivent comprendre que le service est un lieu de soins. Certains d’entre eux avaient pris l’habitude de se présenter uniquement à leurs cours. Il a fallu que le chef de service remette les pendules à l’heure. « Désormais, ils voient leur référent – un infirmier ou un éducateur – avant les cours », précise Sylvain Filiol. Un paradoxe intéressant, dans la mesure où l’une des activités, en consultations, est de recevoir des adolescents qui n’arrivaient plus du tout à aller à l’école. « On appelle ça le refus scolaire anxieux », explique Sophie Campredon. Ceux-ci arrivent généralement à l’Espace méditerranéen de l’adolescence après une déscolarisation allant de deux à cinq ans. Il en faudra au moins autant pour les sortir de leur blocage.

À leur arrivée, ils sont d’abord vus par l’équipe médicale qui procède à une évaluation de la situation, de leur développement, des signes cliniques éventuels… Par la suite, c’est l’équipe de l’Éducation Nationale qui prend le relais avec une évaluation neuropsychologique et un bilan scolaire. Et, enfin, les rencontres initiales se termineront par un bilan cognitif. Ces étapes passées, on propose très vite aux adolescents de venir découvrir le service. Un projet est mis en place, associant pédagogie et soins culturels par demi-journée. Un studio de radio professionnel, une salle de sport, un espace audiovisuel dernier cri, un atelier d’arts plastiques, ne sont que quelques-unes des installations permettant aux jeunes de s’exprimer. Une fois leurs problèmes résolus, quitter cet univers tellement bien adapté à leurs besoins devient donc parfois problématique pour les adolescents. « Ils sont tellement bien ici qu’ils n’ont plus envie d’aller à l’école, constate David Da Fonseca. Cela fait aussi partie de notre rôle de les renvoyer peu à peu vers la vraie vie. » Une vraie vie où certains des anciens patients, parfois déscolarisés depuis trois à cinq ans, suivent désormais des études à l’universités ou dans des écoles d’ingénieur.