Surveillance infirmière : jurisprudence récente - Objectif Soins & Management n° 215 du 01/04/2013 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 215 du 01/04/2013

 

Droit

Gilles Devers  

La surveillance infirmière est un classique de la responsabilité, et la jurisprudence, loin de tout esprit de système, procède à un examen très attentif des circonstances de fait pour déterminer les contours de la faute infirmière dans la surveillance qui lui incombe.

En la matière, les affaires sont variées. L’examen rigoureux permet de mettre en lumière si faute il y a eu dans la surveillance, rôle propre infirmier. Voici l’examen de dix décisions récentes.

Une infirmière anesthésiste qui ne relève pas les signes d’une dépression respiratoire commet une faute

CAA Paris, 4 octobre 2012, n° 11PA04088

Faits

Un patient, âgé de 22 ans à l’époque des faits, en bonne santé et sans risque anesthésique détecté avant l’intervention, a été opéré le 30 mars 2007 d’une obstruction nasale dans un centre hospitalier. Au cours de l’opération réalisée sous anesthésie générale est survenue une dépression respiratoire entraînant une sévère hypoxie et une encéphalopathie post-anoxique. Le patient a été plongé dans un état végétatif chronique irréversible, le décès survenant le 7 ? novembre 2009.

L’hypoxie sévère survenue lors de son opération est en rapport avec une dépression respiratoire induite par une association d’Hypnovel-Sufentanil alors que le patient avait reçu en prémédication 100 mg d’Atarax, une heure avant l’intervention. La conjonction des effets dépresseurs respiratoires de ces deux agents et de l’arrêt des stimulations nociceptives a favorisé la survenue d’une dépression respiratoire qui n’a pas été reconnue par l’infirmière anesthésiste.

Arguments

Ces effets sont étudiés et connus, mais il n’a pas été commis de faute dans le choix, l’association ou le dosage des anesthésiants. La dépression respiratoire et l’arrêt cardiaque qui ont plongé le patient dans un coma irréversible, puis ont entraîné son décès, constituent un accident anesthésique, et non pas une faute.

Par ailleurs, il y a eu une défaillance fautive dans la surveillance du patient, tant de la part de l’infirmière que du médecin anesthésiste, qui a entraîné pour le patient une perte de chance d’éviter les lésions irréversibles de son système nerveux central, évaluée à 90 %.

Est fautif le retard des infirmiers à appeler l’interne malgré les signes de déshydratation graves d’un enfant

CAA Lyon, 27 septembre 2012, n° 11LY00537

Faits

Loris, âgé de 11 mois, qui souffrait d’une gastro-entérite, a été admis dans le centre hospitalier de Vienne le 28 février 2003, vers 20 heures. Vers 0 h 50, il a été victime d’un arrêt cardio-respiratoire qui a nécessité son transfert en urgence à l’hôpital Édouard-Herriot de Lyon où il est décédé le 10 mars 2003.

Alors que le jeune enfant présentait des signes de déshydratation sévère, le personnel infirmier chargé de sa surveillance a tardé à alerter l’interne de garde, ce qui a eu pour effet de retarder l’évaluation clinique de son état et, par conséquent, la mise en place d’une réhydratation par voie intraveineuse, et ce retard constitue une faute.

Arguments

Une réhydratation plus précoce aurait évité cette évolution gravissime, et cette faute est directement à l’origine d’une perte de chance d’éviter le décès, évaluée à 50 %.

Les mentions portées par les infirmières sur leurs observations cliniques dans le dossier de soin sont des éléments de preuve importants

CAA Paris, 7 juin 2012, n° 11PA04195

Faits

Mme A. a subi le 30 mars 2000 à l’hôpital Broussais une artériographie rénale par voie fémorale droite, en vue de la transplantation d’un rein au bénéfice de son frère. Le 8 avril suivant, elle a ressenti des douleurs à la jambe droite et a été admise au service des urgences du centre hospitalier René-Dubos de Pontoise le 9 avril 2000 qui lui a prescrit des antalgiques. À la suite d’un malaise, le 10 avril, elle a été adressée au service des urgences de l’Hôtel-Dieu pour les mêmes symptômes. Le 11 avril, une embolie pulmonaire a été diagnostiquée après réalisation d’un examen, et la patiente est restée hospitalisée dans cet établissement jusqu’au 20 avril 2000.

Arguments

La patiente soutient qu’en raison des fortes douleurs qu’elle a ressenties au cours même de l’artériographie pratiquée le 30 mars 2000 à l’hôpital Broussais, il aurait dû lui être prescrit un traitement préventif de la phlébite avant sa sortie.

Toutefois, il ne résulte pas du dossier que ces douleurs aient été localisées à la jambe. L’artériographie se révélera normale et la patiente « dira néanmoins avoir ressenti en cours d’examen une douleur thoracique motivant un électrocardiogramme ». L’expert a relevé que le dossier de surveillance infirmier montre que l’état du membre inférieur droit était normal et ne présentait notamment pas d’hématome. Il n’y avait dans ces conditions aucune indication à prescrire un traitement anticoagulant, même préventif.

Le défaut de surveillance d’une perfusion est une faute infirmière

CAA Nantes, 5 janvier 2012, n° 10NT00390

Faits

L’enfant Onais, alors âgé de 16 mois, atteint de vomissements, diarrhée et déshydratation depuis la veille, a été admis au service des urgences du CHU de Caen le 29 mai 2007 à 20 heures. Une perfusion de sérum glucosé par cathéter veineux a été posée au dos de sa main gauche. Le lendemain matin, il a été constaté que le liquide de perfusion s’était diffusé dans le bras, provoquant un syndrome de loge constituant une menace pour la vitalité et la fonction de ce membre et qui a nécessité le transfert immédiat de l’enfant dans le service de chirurgie pédiatrique pour une opération de décompression-aponévrotomie.

Arguments

L’absence de constatation plus précoce de la diffusion de la perfusion, alors qu’il s’agit d’un incident fréquent en matière pédiatrique et qui nécessite un protocole de surveillance particulier, est un manquement dans les soins infirmiers, constitutif d’une faute.

Une surveillance insuffisante et le retard à appeler le médecin devant un état qui se dégrade sont une faute infirmière

CAA Paris, 22 septembre 2011, n° 09PA03208

Faits

M. A., né en 1975, pris en charge dès son enfance pour une malformation cardiaque congénitale, a subi le 27 juin 2001 à l’hôpital Necker-Enfants malades une intervention chirurgicale sous circulation extra-corporelle (CEC) en vue de changer le tube prothétique valvulé qui lui avait été posé en 1985 dans le cadre de sa pathologie cardiaque et qui présentait un rétrécissement. En post-opératoire, il a été victime d’une embolie gazeuse ayant entraîné un état de coma, ainsi qu’une hémiplégie gauche et une paralysie faciale.

Expertise

L’état de santé présenté par le patient en post-opératoire est le résultat de la survenance d’une embolie gazeuse, mais l’équipe chirurgicale n’a pu en déterminer la cause, en l’absence d’anomalie ou d’incident technique relevés au cours de l’intervention, qui a été réalisée selon les règles de l’art. Pour l’expert, cette embolie ne résulte pas d’une faute, mais d’un aléa thérapeutique.

Arguments

S’agissant de la surveillance post-opératoire, le diagnostic d’embolie gazeuse est difficile à porter, mais un examen neurologique systématique aurait pu être effectué soit après l’extubation de l’opéré, soit lors des premières manifestations d’anomalies de caractère, qui ont été décelées à 20 heures par l’infirmière de garde. Cette infirmière a noté sur les feuilles de transmission et de surveillance que le patient avait un comportement étrange en début de nuit et ne réagissait pas aux stimuli. Ce n’est pourtant que vers 2 h 30, en raison de la persistance de ce comportement, que son transfert pour effectuer un traitement d’oxygénation par caisson hyperbare, a été décidé. Le délai entre la survenance de l’embolie et le traitement par oxygénation hyperbare, probablement de plus de 10 heures, a été trop long, et a causé une perte de chance évaluée à 30 %.

La fugue d’un patient en HO, imprévisible et suivie d’une réaction du personnel infirmer, ne révèle pas de faute

CAA Marseille, 18 janvier 2011, n° 08MA01242

Faits

M. Camille a été hospitalisé d’office, le 8 juin 2000, au CHS de Pierrefeu-du-Var. Alors qu’il se trouvait dans le jardin de l’établissement, le 13 juin, en compagnie d’autres malades, deux patients en sont venus aux mains, ce qui a mobilisé toute l’attention du personnel présent. M. Camille en a profité pour escalader le grillage en s’aidant d’un chariot et pour s’enfuir. Il a été victime quatre jours plus tard d’un accident de voiture dans lequel il a trouvé la mort.

Arguments

Selon l’observation clinique, le patient présentait, le 13 juin 2000, un comportement relativement calme et adapté, et il a été autorisé à sortir dans le jardin sous la surveillance d’un infirmier. Il ne résulte pas du dossier que le patient, quoique parfois violent en raison de la pathologie dont il souffrait, avait déjà tenté de s’enfuir de l’hôpital. Après la survenance de la fugue, le CHS a prévenu la famille et la gendarmerie, et a entrepris ses propres recherches afin de retrouver le malade, à l’aide de deux infirmiers et d’un chauffeur. Dès lors, eu égard au caractère imprévisible de la fugue et aux moyens mis en œuvre par l’équipe du CHS, il n’a pas été commis de faute de nature à engager la responsabilité de l’établissement.

La survenance d’escarres et d’une chute ne signifie pas nécessairement que des fautes infirmières ont été commises

CAA Nancy, 28 janvier 2010, n° 08NC01836

Faits

Une femme âgée de 86 ans a été admise le 13 mai 2006, au service des urgences du CH de HautePierre, à la suite d’un accident vasculaire cérébral d’allure ischémique, puis au service de médecine de cet hôpital qu’elle a quitté le 17 juillet 2006 pour regagner son domicile. Ses enfants recherchent la responsabilité de l’hôpital à raison des préjudices subis par leur mère, résultant des escarres qu’elle présentait et des conséquences d’une chute dont elle a été victime le 30 mai 2006.

Sur les escarres

La patiente a présenté des escarres importantes au niveau du pied et du sacrum. Toutefois, pendant toute la durée de son hospitalisation, elle a été quotidiennement placée dans un fauteuil afin de prévenir au mieux leur apparition, et les soins appropriés lui ont été dispensés pour le traitement des escarres dont elle était affectée. Ainsi, aucune faute ne peut être retenue dans la pratique des soins infirmiers.

Sur la chute

Le 30 mai 2006, durant la toilette matinale, la patiente a été installée sur une chaise percée en présence d’une infirmière et d’une aide-soignante. Elle a glissé de ce fauteuil peu de temps après et s’est fracturé le col du fémur droit en tombant sur les genoux. Le défaut de sangle abdominale ne peut être reproché dès lors qu’une telle précaution ne prévient pas toujours la chute, peut même l’aggraver et comporter des risques de contusions supplémentaires si la chaise, elle-même entraînée par la sangle, se renverse. Par ailleurs, la patiente était à ce moment précis restée sous la surveillance constante de l’aide-soignante qui a immédiatement prévenu l’infirmière et a remis, avec son aide, la patiente sur son siège. Aussi, cette chute ne peut être regardée comme imputable à une faute dans l’organisation ou le fonctionnement du service.

La défenestration d’une patiente, qui était correctement surveillée, est un geste qui ne révèle pas de faute infirmière ou médicale

CAA Bordeaux, 29 octobre 2009, n° 08BX01395

Faits

Une patiente, admise le 5 septembre 2000 au service de réanimation spécialisé dans la pathologie chirurgicale thyroïdienne et thoracique du CHU de Bordeaux, après avoir subi une thyroïdectomie dans une clinique privée, s’est gravement blessée le 8 septembre 2000 vers 20 h 45, en tombant de la fenêtre de sa chambre située au 2e étage du bâtiment de ce service.

Arguments

En raison de troubles constatés le 8 septembre 2000, le médecin anesthésiste réanimateur de service avait fait administrer à la patiente un sédatif par perfusion intraveineuse et avait donné l’instruction au personnel de l’attacher à son lit par les poignets dans le but d’éviter qu’elle retire les drains mis en place et qu’elle arrache sa perfusion. La patiente ne connaissait pas d’antécédents psychiatriques.

À la suite de la visite de son mari qui avait demandé qu’elle ne soit pas attachée, la patiente, qui était sous surveillance constante du personnel infirmier, a pu retirer les électrodes du monitoring qui avait été installé et, avant l’arrivée immédiate de l’infirmière prévenue par l’alarme qui s’est déclenchée, enjamber la fenêtre de sa chambre, laquelle ne nécessitait aucun aménagement spécial pour la protection des patients. Ces faits n’établissent pas l’existence d’une faute dans l’organisation et le fonctionnement du service.

La faute de surveillance infirmière en post-opératoire, malgré l’aggravation de l’état du patient, est une faute qui a causé le décès

CA Reims, 5 juillet 2011, n° 10/00471

Faits

Le 7 ? avril 2002, un patient a été admis dans une clinique pour une cholécystectomie, par laparotomie. Le geste chirurgical a été réalisé le 10 avril 2002, débutant à 14 h 40 pour se terminer à 16 h 30.

Le lendemain, vers midi, le chirurgien a été alerté par les infirmières, le patient, en collapsus, ayant perdu connaissance. La prise en charge a été rapide et adaptée, mais la défaillance multiviscérale a été irréversible, puisqu’elle était installée. Vers 15 heures, est survenu un arrêt cardio-respiratoire. Le patient a été transféré par le Samu vers le centre hospitalier de Troyes, et un scanner a mis en évidence un hémopéritoine majeur, constitué de caillots hyperdenses, mais surtout de liquide occupant l’ensemble de la cavité péritonéale. Une ré-intervention a alors été décidée, laissant un état hémodynamique précaire, et le décès est survenu le 13 avril 2002 à 13 h 45. La cause du décès a été un collapsus cardio-vasculaire, caractérisé, notamment, par un refroidissement et une chute de la tension artérielle. La famille déplorait une absence de surveillance infirmière le 11 avril 2002 entre 8 et 12 heures en se référant à la feuille de soins infirmiers. Il était inscrit « problèmes cardio-vasculaires », sans mention de l’heure, avant que n’apparaisse la notion de « malaise » à 12 heures sans autre précision.

Arguments

Tout passage d’une infirmière en post-opératoire doit faire l’objet d’une prise de la tension artérielle, et être noté et horodaté. Or, pour la période située entre 8 et 12 heures le 11 avril 2002, la feuille de soins infirmiers n’atteste d’aucune prise de la tension artérielle ni d’aucune prise de la température corporelle du patient, laquelle était à 32 °C à 13 heures. Les résultats de ces mesures, si elles avaient eu lieu, auraient justifié, avant que la défaillance multiviscérale de ce dernier se soit installée et soit irréversible à 12 heures, le recours au chirurgien, lequel était joignable à tout moment.

Un comportement perturbé et non maîtrisé impose une surveillance stricte, même dans un service de médecine générale

Cour de cassation, 1° chambre civile, 9 juin 2011, n° 10-18002

Faits

Dans la nuit du 13 au 14 décembre 2001 à 3 h 15 du matin, un patient est décédé des suites de sa chute par la fenêtre de la chambre où il était hospitalisé après une opération de chirurgie générale. Le patient avait été visité à 23 h 30 et à 3 heures par l’infirmière de garde laquelle l’avait trouvé endormi.

La clinique soutenait que les effectifs en service de nuit dans un établissement généraliste ne permettent pas de poster à demeure un membre du personnel auprès du patient et que, malgré les manifestations d’agitation qui s’étaient traduites par des fugues dans les couloirs, aucun signe dans le comportement du patient ne pouvait permettre d’envisager un quelconque risque de défenestration, étant par ailleurs observé qu’aucune tendance suicidaire préexistante ne figurait dans les éléments d’information portés à la connaissance du personnel médical.

Arguments

Or, l’avant-veille, le patient avait manifesté un comportement perturbé, caractérisé par un état d’agitation intense qui l’avait conduit à arracher les perfusions et la sonde qui lui avaient été posées. Le personnel en avait référé au médecin, qui avait prescrit un traitement neuroleptique et anxiolytique. La réitération du comportement le jour suivant avait entraîné la reconduction du traitement accompagné d’une surveillance plus fréquente et d’une mesure contraignante par attachement des mains. Dans la soirée du 13 décembre, le patient avait fugué dans les couloirs du quatrième étage et avait été ramené à sa chambre où, sur prescription du médecin anesthésiste de garde, un neuroleptique supplémentaire lui avait été administré. Ainsi, il ne pouvait être ignoré que l’état du malade l’exposait à un risque particulier de suicide ou de chute accidentelle, que de simples rondes du personnel de surveillance n’étaient pas de nature à éviter.