Erreur sur l’identité du patient dans l’administration de ses médicaments - Objectif Soins & Management n° 216 du 01/05/2013 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 216 du 01/05/2013

 

Droit

Gilles Devers  

Lors de la distribution des médicaments, une infirmière commet une erreur : elle administre à une patiente en fin de vie un traitement lourd qui ne lui était pas destiné. Pourtant, étant donné la mauvaise organisation du service et l’absence de conséquence pour la patiente, la notion de faute grave sera écartée.

Une infirmière, engagée en 1979 par la fondation Les Villages de santé et d’hospitalisation en altitude (VSHA), a été licenciée pour faute grave le 22 juillet 2008. Elle a commis une erreur, qu’elle reconnaît d’ailleurs, en se trompant sur l’identité d’une patiente lors de l’administration des médicaments. Il s’agissait d’une patiente en fin de vie, arrivée récemment dans le service, et, après analyse, il avait été décidé de l’absence de toute prescription sauf douleurs ou déshydratation.

Ainsi, une patiente en fin de vie, pour laquelle aucun traitement n’était prescrit, s’est vu administrer le traitement d’un autre patient. Le décès est survenu quelque temps plus tard, mais le lien de causalité entre la faute commise par l’infirmière et le décès de la patiente n’a pas été établi.

L’employeur a procédé à un licenciement pour faute grave, que conteste l’infirmière. Ainsi l’affaire ne se présente-t-elle pas sous l’angle de la responsabilité civile, mais du droit disciplinaire. C’est donc un litige entre la salariée et l’employeur.

L’infirmière soutient que cette erreur, établie, est imputable à toute une série de facteurs qui lui sont étrangers, et qu’elle n’est donc pas constitutive d’une faute de sa part, qui plus est grave.

LA COUR D’APPEL

Chambéry, 13 septembre 2011

Pour se prononcer, la cour d’appel doit examiner les données de fait invoquées par l’infirmière pour apprécier le caractère fautif de son attitude, et le degré de gravité de son éventuelle faute.

Les difficultés générales du métier

L’infirmière évoquait d’abord les difficultés générales d’exercice : mise en œuvre des 35 heures dans les établissements de soins, durée du service d’une IDE, contraintes liées aux conditions d’exercice normal de cette profession : à savoir le respect de règles d’hygiène, la gestion d’impondérables, l’encadrement des aides-soignantes, l’importance de la prise en charge de l’humain… Pour la cour, tous ces arguments généraux sont inopérants.

Le fait que le métier d’infirmière soit difficile ne conduit pas à conclure que toutes les erreurs sont excusables et non fautives. Seules les données spécifiques peuvent être prises en compte.

L’effectif médical et infirmier

L’infirmière exposait par la suite le manque de personnel soignant. Elle ne se référait à aucune norme réglementaire générale pour caractériser l’effectif requis d’après elle, et elle ne produisait aucun document interne fixant une norme particulière à l’établissement.

La cour a donc examiné les faits en eux-mêmes.

La lettre de licenciement indiquait que l’effectif normal du service était de trois IDE, et cet effectif a été atteint dans la mesure où, au cœur de la journée, soit de 10 à 17 heures, trois IDE travaillaient dans ce service.

Ces données de fait ne sont pas contestées par l’infirmière.

Pour la cour :

• le personnel soignant était en nombre suffisant,

• un médecin était de garde,

• le nombre de patients du service n’était pas anormalement élevé ce jour-là, puisqu’ils étaient dix-sept pour vingt lits.

Aussi, la question du sous-effectif est écartée.

Sur les difficultés liées à l’admission récente de la patiente

Le dossier médical de la patiente n’avait pas été transmis par le centre hospitalier d’Annecy en globalité, mais, pour la cour, ce fait est indifférent.

En effet, à l’heure où l’infirmière a commis son erreur, l’essentiel du dossier médical avait été reconstitué par le médecin, qui avait pris attache avec les services de l’hôpital d’Annecy. De plus, l’infirmière ne prouve pas en quoi l’arrivée tardive du dossier a joué, et la cour rappelle qu’elle ne dispose d’aucun pouvoir de prescription pour l’exercice duquel elle aurait eu besoin du dossier médical.

En toute hypothèse, elle était parfaitement informée de l’absence de toute prescription pour cette patiente, sauf douleurs ou déshydratation. De même, un temps de trois quarts d’heure pris pour l’élaborer lors des transmissions avait été observé, ce qui confirme un caractère exceptionnel à la situation, focalisant nécessairement l’attention des soignants.

Même en cas de douleurs, elle devait obtenir une prescription d’un médecin, ce qu’elle a d’ailleurs fait, 5 mg de sulfate de morphine ayant été administré à la patiente à 17 h 30, sur décision du médecin sollicité à cet effet par les infirmières.

Aussi, les conditions générales de l’organisation des soins n’ont pas joué défavorablement.

Sur le processus de distribution des médicaments

L’identification des patients se réalisait à partir de quatre informations à croiser :

• les nom et prénom de chaque malade apparaissaient in extenso et par ordre alphabétique sur l’ordinateur, et étaient suivis notamment de leur date de naissance et du numéro de leur chambre ;

• sur la porte de la chambre n’apparaissaient que les initiales des noms et prénoms ;

• dès qu’on entrait dans la chambre, les noms et prénoms apparaissaient ;

• le nom du patient était indiqué sur le pilulier contenant les médicaments qui lui étaient destinés. Ainsi, alors que les conditions de travail n’étaient pas anormales et que la situation de cette patiente, admise le jour même, avait raisonnablement marqué les esprits de toutes les personnes soignantes du service, l’IDE a commis des erreurs répétées sur le nom de cette patiente :

• elle n’a pas fait les vérifications nécessaires ;

• elle ne s’est pas rappelée des consignes données, qui avaient été de retenir l’absence de traitement, sauf douleurs ou déshydratation ;

• elle a passé outre l’absence de pot dans la chambre cette patiente, absence logique puisqu’il avait été décidé de ne rien lui prescrire ;

• elle a fait fi des observations de la sœur de la patiente, portant sur le numéro 408 figurant sur le pot et sur le contenu du pilulier puis du pot, la sœur marquant son incompréhension devant cette administration de dix comprimés, au lieu de deux ou trois à Annecy.

Ainsi, l’erreur commise par l’IDE a été la conséquence d’une série d’inattentions majeures et d’un manque de vigilance, malgré plusieurs signaux d’alerte.

Dans ces conditions, la cour retient l’existence d’une faute.

Cette faute ne peut pas être qualifiée de grave

Il a été conclu, selon l’enquête administrative conduite par un médecin inspecteur de l’Agence régionale de santé (ARS), que le processus d’identification des patients était perfectible, du fait de la seule mention des initiales du patient sur la porte de la chambre.

De même, il ne peut pas être reproché à l’IDE de ne pas avoir respecté la recommandation institutionnelle relative à l’administration des médicaments per os… dans la mesure où elle a été élaborée le 11 juillet 2008, après-coup. L’employeur la présente comme un rappel, mais il ne produit aucune note précédente, à laquelle, d’ailleurs, elle ne se réfère nullement.

Ainsi, il est acquis qu’il n’existait pas de document spécifique à la distribution des médicaments, et que ce document était bien nécessaire puisqu’il a été établi après coup, sous forme d’un “faux rappel”.

En définitive, la cour d’appel écarte la notion de faute grave. Elle dit que le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse, et l’employeur est condamné au paiement des indemnités de préavis et de licenciement.

LA COUR DE CASSATION

29 janvier 2013 (pourvoi n° 11-26379)

Les arguments de l’employeur

Notion de faute grave

La faute grave (Code du Travail, articles L. 1234-1 et L. 1234-9) résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié constituant une violation des obligations découlant du contrat de travail, ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise pendant la durée du préavis.

Commet une faute grave l’infirmière chargée d’administrer les médicaments aux patients, dès lors qu’il est constaté qu’elle a mis en péril la santé de la personne âgée dont elle assurait la garde et la surveillance en lui administrant une surdose de médicament.

La cour d’appel a constaté que la salariée avait commis, en sus, d’une erreur sur le nom, une erreur sur le numéro de chambre, et passé outre l’absence de pot dans la chambre 407 de la patiente, absence logique puisqu’il avait été décidé de ne rien lui prescrire, en faisant fi des observations de la sœur de la patiente, portant non seulement sur le numéro 408 figurant sur le pot qu’elle avait cru bon d’aller chercher, mais également sur le contenu du pilulier puis du pot, ainsi que le nombre de comprimés administrés à la patiente. Cette faute relève de la méconnaissance des obligations contractuelles de la salariée, et doit être qualifiée de grave.

Appréciation indépendante du préjudice

L’existence de la faute grave ne dépend ni de l’importance, ni de l’étendue du préjudice causé à l’employeur.

En rejetant l’existence d’une faute grave imputable à la salariée aux motifs inopérants que l’employeur n’établissait pas l’existence d’un lien de causalité entre la faute commise par la salariée, dont elle avait constaté la réalité et la matérialité, et le décès de la patiente, la cour d’appel a commis une erreur de droit.

Réponse de la Cour de cassation

La Cour de cassation, qui fait sienne les appréciations de fait de la cour d’appel, relève ainsi deux points :

• le médecin inspecteur avait formulé diverses critiques sur le processus de distribution des médicaments au sein de l’établissement ;

• il n’y a pas eu de lien de causalité entre la faute de l’IDE et le décès de la patiente.

Le premier point est certainement le plus important. La faute commise par l’infirmière ne peut être qualifiée de grave dès lors que le système de distribution des médicaments était critiquable. La faute commise par l’employeur conduit à relativiser la faute commise par l’infirmière.

Le second point était moins évident, car, en matière disciplinaire, la faute doit être appréciée en elle-même. C’est la base de l’appréciation, mais, dans le même temps, il est impossible d’écarter totalement l’impact des conséquences, dit la Cour de cassation. Il est vrai que l’employeur doit, pour une mesure disciplinaire, prendre les mesures propres à défendre les intérêts de la société, notamment de l’image auprès des tiers, et une certaine sévérité est requise quand des faits ont eu des conséquences graves. Aussi, a contrario, l’absence d’effet d’une faute, même si c’est un critère secondaire, ne peut être écartée.

Dans ces conditions, l’arrêt de la cour d’appel, qui a décidé que la faute grave n’était pas caractérisée, n’appelle donc pas de critique.