La paramédicalisation des secours, un difficile virage… - Objectif Soins & Management n° 216 du 01/05/2013 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 216 du 01/05/2013

 

Ressources humaines

Franck Breysse*   Docteur Georges-Fabrice Blum**  

Depuis quelques années, l’intervention d’infirmiers, hors présence médicale, dans le secours pré-hospitalier français, est une tendance de plus en plus affirmée. Parfois mal comprise, parfois “oubliée”, cette alternative à une trop large médicalisation des victimes semble pourtant constituer une réponse efficiente face aux défis du secours à personne de ce début de siècle.

La paramédicalisation des secours constitue une évolution importante dans la prise en charge des urgences pré-hospitalières. Inscrite dans un principe de graduation du niveau des intervenants en fonction du caractère de gravité présenté par la victime, elle met fin à un système quasi binaire qui impliquait l’engagement de moyens médicaux, souvent lourds (Service mobile d’urgence et de réanimation, Smur) sitôt le niveau de compétence secouriste dépassé.

L’implication d’infirmiers diplômés d’État, entre une réponse limitée par les compétences secouristes et médicales, souvent excessive lorsqu’elles sont apportées par un Smur, définit précisément le concept de réponse graduée. Cette tentative de mise en adéquation entre les besoins et les moyens engagés constitue un modèle d’efficience qui répond au triple défi imposé par l’évolution de la démographie médicale, la réalité économique et l’augmentation des demandes de secours à personne.

HISTOIRE

C’est à la fin des années 1960, pour répondre à l’hécatombe générée par les accidents de la route, que la doctrine française, selon laquelle il convenait de faire sortir l’hôpital de ses murs pour aller au plus près des victimes, s’est mise en place.

Avant 1960

Jusque-là, les secours routiers étaient assurés par les services de police (police secours), dotés de personnels assez peu formés aux principes du secourisme et de véhicules peu appropriés. Les pompiers n’intervenaient alors qu’en cas de victimes incarcérées. La qualité de l’ensemble était si médiocre que le professeur Arnaud, un des pères du secourisme moderne, écrira « on relève un blessé, on transporte un agonisant, on hospitalise un mort », phrase qui faisait écho à celle pro­noncée, pourtant vingt ans plus tôt, par le professeur Kirchner et qui définissait précisément l’organisation qui allait se mettre en place : « Il ne s’agit pas d’amener aussi vite que possible le malade chez le médecin, mais le médecin auprès du malade ou du blessé. La menace vitale est à son point culminant à proximité immédiate du moment et du lieu de l’accident. »(1)

Un décret qui change tout

Ainsi, le 2 décembre 1965, fort des expériences des professeurs Cara, Serre, Lareng ou encore Larca, le gouvernement publie un décret(2) imposant la création dans certains établissements hospitaliers de moyens mobiles de secours. On ne parle alors que d’Unités mobiles hospitalières (UMH), qui sont en fait des extensions des services fixes de réanimation des hôpitaux mais qui préfigurent déjà les Smur. L’action de ces UMH consiste à véhiculer des médecins réanimateurs vers les patients : dans un premier temps, vers les victimes d’accidents routiers, puis, peu à peu, vers toutes les victimes présentant des pathologies aiguës médicales non traumatiques et nécessitant des soins d’urgence.

SCOPE AND RUN VERSUS STAY AND PLAY

L’approche américaine

C’est approximativement à la même période que, de l’autre côté de l’Atlantique, une approche différente du secours pré-hospitalier se développe. Les auxiliaires de santé qui serviront l’armée américaine durant la guerre du Vietnam (1965-1973) atteindront un niveau technique et soignant d’une efficacité telle qu’en 1973 un journaliste écrira : « If you’re seriously wounded, their chances for survival would be better in zone of combat than on the average city street »(3) (« Si vous êtes gravement blessé, vos chances de survie sont meilleures dans une zone de combat que dans les rues de la ville voisine »). Le journaliste voulait ainsi dénoncer l’état déplorable du système de secours pré-hospitalier alors en vigueur aux USA.

Ces soldats, qui ne sont pas des médecins, acquièrent une expérience hors du commun qui surpasse celles de leurs aînés. Équipés de façon optimale, ils savent intervenir en milieu très hostile, agir vite et bien pour stabiliser un patient avant de l’orienter aussi vite que possible vers une structure adaptée à une prise en charge chirurgicale. À la fin de la guerre, ces personnels, experts en prise en charge périlleuse de victimes instables, retourneront à la vie civile et la société américaine saura récupérer leurs compétences. Ainsi débutera l’histoire des paramédics et autres Emergency medical technicians (littéralement : techniciens médicaux d’urgence) (EMT)… Le système américain de secours pré-hospitalier se met en place. Il s’agit là d’apporter des soins limités mais suffisants pour assurer en sécurité le relevage et le transport, le plus rapide possible, de la victime vers le secteur hospitalier.

Deux visions distinctes

Ainsi, de part et d’autre de l’Atlantique, on assiste à la mise en place de systèmes de prise en charge différents pourtant destinés aux mêmes types de victimes. On oppose alors le Scoop and Run américain au Stay and play français. Certes, en France, les interventions des Smur ne sont réservées, du moins au départ, qu’aux cas lourds qui nécessitent une technicité importante. La plupart des médicalisations sont alors assurées par des médecins généralistes locaux, bien souvent sapeurs-pompiers…

UNE INEXORABLE ET LENTE ÉVOLUTION

Il y a quelques décennies, les mé­decins libéraux installés dans nos villages apparaissaient comme une réponse efficace pour faire face aux demandes urgentes de soins. Ces praticiens, membres ou non des corps locaux de sapeurs-pompiers, défendaient une certaine idée de la citoyenneté et, bien que libéraux, priorisaient leur mission de santé publique et de service à la population. Ils n’hésitaient pas ainsi à quitter leur cabinet ou leur famille évitant ainsi le déplacement parfois inutile d’un vecteur hospitalier au domicile d’un patient.

Les prémices des déserts médicaux

Les choses ont peu à peu changé. Le numerus clausus, le nombre de nouveaux médecins autorisés, s’est avéré insuffisant pour maintenir en équilibre la démographie médicale. L’âge moyen des praticiens en activité n’a cessé d’augmenter sur les deux dernières décennies… Çà et là, ce sont de véritables déserts médicaux qui apparaissent. Ceux qui restent doivent désormais faire face à une clientèle de plus en plus importante du fait des cessations d’activité de leurs confrères, leur laissant bien peu de temps et d’envie de s’activer dans le cadre de l’aide médicale urgente. De plus en plus fréquemment, les Smur interviennent pour suppléer aux défaillances médicales locales, ils deviennent omniprésents et hyperactifs, renforçant, de fait, les médecins locaux dans leurs cabinets. Par ailleurs, les nouveaux médecins refusent, parfois, d’envisager leur exercice comme un sacerdoce sans limites, nombre d’entre eux aspirent à un temps de travail choisi. On constate aussi que la profession médicale se féminise de plus en plus, ce qui peut impliquer un temps professionnel réduit pour préserver la vie familiale et le temps consacré à l’éducation des enfants.

Une réponse peu adaptée aux besoins

Ainsi, force est de reconnaître qu’à la fin des années 1990, la permanence médicale connaît de vraies difficultés. Cette réponse médicale et libérale face à l’urgence est mise à mal par la réalité d’un contexte démographique et sociologique. Difficultés d’autant plus majorées que les demandes enregistrées aux 15 et 18 connaissent, sur la même période, une augmentation constante générant toujours plus d’interventions de secours d’urgence. Les vecteurs Smur, imaginés initialement pour faire face aux cas les plus aiguës, souvent déjà médicalisés, voient peu à peu glisser leur activité vers des interventions en carence de toute réponse médicale d’amont…

L’INFIRMIER, RÉPONSE D’AVENIR OU DANGEREUSE DÉRIVE ?

Une réponse a priori sur mesure

Face à cette carence en moyens médicaux, face aux demandes, toujours en augmentation, de secours d’urgence, face aux difficultés des Smur à répondre, dans des délais acceptables, à toutes les demandes pouvant dépasser le niveau de réponses secouristes, les infirmiers sapeurs-pompiers des Services départementaux d’incendie et de secours sont soudainement apparus comme une réponse non seulement possible, mais également adaptée et efficiente.

Les restructurations hospitalières, motivées tant par des questions financières que par celles de sécurité, remodèlent parfois de façon appuyée le paysage hospitalier français. De nombreux plateaux techniques ont ainsi déjà fermé en France. Il en résulte soit un allongement des temps de transports pour les interventions où les patients les plus critiques doivent être acheminés vers des centres de référence, soit des transferts secondaires inter-établissements de plus en plus fréquents. Les Smur de France voient donc la durée moyenne de leurs missions primaires augmenter, alors que le nombre de transports secondaires, consistant à la sécurisation des transferts inter-hospitaliers de patients instables, connaît lui aussi une progression marquée. La rigueur budgétaire, loin d’augmenter le nombre de Smur, cherche au contraire à les regrouper en définissant des seuils d’activité que certains jugent drastiques mais qui a surtout pour résultat d’élargir la zone d’intervention de ceux qui restent sur le secteur considéré. Seule la nécessité d’assurer des délais d’intervention médicale minimum semble de nature à sauvegarder les moins actifs d’entre eux.

Par conséquence directe, et puisque les moyens de ces Smur ne sont pas augmentés, la capacité de ces Smur à répondre présent pour toutes les demandes de secours dépassant le niveau de compétence secouriste s’en trouve diminuée.

Ainsi l’avènement et le positionnement de l’infirmier dans le secours pré-hospitalier apparaissent comme une évidence et s’en trouvent renforcés. Il conviendra cependant de ne pas considérer l’infirmier comme une réponse de carence mais bien comme un élément susceptible d’intervenir sitôt la réponse secouriste dépassée alors que l’intervention d’un Smur serait superflue, permettant ainsi de préserver la réponse médicale pour les cas la nécessitant. En outre, lorsqu’une victime critique se trouve excentrée de la zone de départ du Smur, l’intervention d’un infirmier localisé au plus proche de cette victime pourra permettre la mise en œuvre précoce d’une technicité potentiellement salvatrice.

Christelle Gagneux-Pincon et Jean Houtin(4) voient, dans cette graduation des secours par la paramédicalisation, une forme d’efficience où la disponibilité de l’infirmier comme maillon intermédiaire entre la simple réponse secouriste et la réponse médicale « entraîne une régulation plus nuancée occasionnant des dépenses moindres et des sorties plus adaptées en évitant de déclencher un Smur sur une carence médicale extrahospitalière due à la démédicalisation généralisée »(4).

Si l’essentiel de cette réponse paramédicalisée dans le cadre de la réponse graduée est assuré par des infirmiers sapeurs-pompiers, la mise en œuvre de véhicules infirmiers paramédicalisés, émanation de Smur locaux, est pleinement envisageable comme l’expérience du Samu 68 tend à le démontrer(5). La limite semble en être budgétaire, leur mise en place devant effectivement s’implanter dans des secteurs nouveaux et donc représenter pour les structures hospitalières, l’ARS ou l’Assurance maladie, un coût supplémentaire. Il ne saurait en effet être question de supprimer des VL Smur par des véhicules infirmiers fussent ils blancs ou rouges.

Une rapide histoire de l’infirmier sapeur-pompier

Les corps locaux de sapeurs-pompiers ont commencé à intégrer des personnels titulaires du diplôme d’État d’infirmier au fur et à mesure que la profession paramédicale se masculinisait. À l’époque, rares étaient en effet les personnels féminins dans les rangs des casernes, peu de femmes osant franchir le pas et trop peu de mentalités étant prêtes à les y accueillir.

Mais, peu à peu, dans le monde civil, la profession s’affirme. Les grèves et manifestations du milieu des années 1980 sont autant initiées par des raisons pécuniaires que par la soif de reconnaissance d’une profession qui n’est plus celle du XIXe siècle, ni même celle des années 1950. Les infirmières aspirent à un nouveau rôle qu’elles souhaitent plus valorisant, plus responsable et plus technique. C’est donc tout naturellement que nombre d’infirmiers intègrent le corps des sapeurs-pompiers, parfois même à l’occasion de leurs études, lors d’un stage de santé publique. Ils vont très rapidement montrer leurs possibilités et les médecins sapeurs-pompiers, loin de voir en eux une forme de concurrence, sauront mettre en œuvre ce potentiel. Ils deviennent rapidement indispensables dans la médecine d’aptitude, le soutien opérationnel et le secours à victimes au sens large… Les équipages Smur s’étonnent parfois de trouver des victimes conditionnées à leur arrivée mais n’en prennent que rarement ombrage.

Néanmoins, l’exercice est difficile car il n’existe alors aucune base statutaire pour ces sapeurs-pompiers volontaires titulaires d’un diplôme d’État d’infirmier. En février 1995, le SSSM du SDIS 07 initiera une forme de reconnaissance en organisant pour la première fois un stage destiné aux sapeurs-pompiers infirmiers des départements de l’Ardèche et de la Drôme intitulé “L’infirmier sapeur-pompier face aux urgences cardiovasculaires”. En 1997, Francis Lévy(6), médecin chef du SSSM 68, écrit : « L’infirmier d’urgence est une nécessité incontournable. La présence d’infirmiers formés à l’urgence dans les Smur, inscrite dans les textes, est déjà une réalité en ce qui nous concerne dans le Haut-Rhin. Ils ne diminuent pas le rôle central du médecin, mais, par leur technicité, améliorent la prise en charge des urgences dites “lourdes”. Ils peuvent aussi avoir un champ d’action autonome, qu’il conviendra de définir dans un cadre d’application de protocoles. Leur place dans le service de santé sapeur-pompier doit de même être officialisée et précisée. »

Les pouvoirs publics reconnaîtront l’infirmier sapeur-pompier d’abord par le décret 97-1225 du 26 décembre 1997(7) qui affirmera son existence puis en lui définissant une base statutaire dans le décret n° 99-1039 du 10 décembre 1999. Rapidement, quelques services départementaux d’incendie et de secours structurent le service infirmier. Rapidement, la possibilité d’intervenir, hors la présence d’un médecin, via des protocoles préalablement rédigés, est mise en avant. Les médecins chefs rédigent des protocoles locaux que mettront en application les infirmiers au cours de leurs interventions. Une difficulté apparaît pourtant : la plupart de ces protocoles ne s’appliquent pas à un état clinique mais à un diagnostic médical déjà établi, or, si l’infirmier est capable d’effectuer des actes qui répondent à un état clinique, il n’est pas compétent pour établir un diagnostic médical. De la même façon, les infirmiers intervenant en pré-hospitalier, sapeur-pompier ou engagé dans les Smur, ne seront pas plus autorisés que leurs confrères non intervenants du secours pré-hospitalier à effectuer des actes hors décret de compétence. Les coopérations entre professionnels de santé(8), un temps pressenties pour permettre une extension des capacités techniques de l’IDE pré-hospitalier, n’auront finalement, dans le cadre du secours pré-hospitalier, été retenues par personne… Du moins nos recherches ne nous ont pas permis de retrouver d’exemples de délégation de compétences pour l’activité de prises en charge des urgences pré-hospitalières.

Exercice illégal de la médecine ou décret 2004-802 insuffisant ?

Néanmoins, un certain malentendu, peut-être dû à l’empressement de certains, mais beaucoup plus sûrement à une mauvaise compréhension de ce que pouvait être la réponse graduée, s’est installé. Face à cette volonté d’instaurer une réponse paramédicale dans la palette de la gestion du secours pré-hospitalier, de fortes résistances, notamment de la part de syndicats de médecins urgentistes, se sont fait entendre, allant jusqu’à évoquer l’exercice illégal de la médecine, l’iniquité des citoyens face à la nécessité de secours d’urgences(9) ou affirmant que l’infirmier n’apporterait aucune plus-value, aucun échelon intermédiaire n’étant nécessaire au-delà de la réponse secouriste plus défibrillateur et avant la réponse médicalisée(10).

Ces résistances nous apparaissent logiques tant certains infirmiers ont peut être cru, et affirmé, trop vite qu’ils endosseraient bientôt l’habit de paramedics nord-américains, pensant, à tort, que leur qualité d’acteur désormais reconnue du secours pré-hospitalier leur donnerait bientôt des prérogatives nouvelles, telle l’intubation endo-trachéale. Si, de plus, on associe la multiplication de ces vecteurs paramédicaux pré-hospitalier à la suppression de certains Smur, en raison de mauvais rapports coût/utilité, on obtient une opposition presque légitime de la représentation des médecins urgentistes qui, plutôt que de voir une réponse graduée se mettre en place, souhaiterait voir plutôt s’étendre le maillage Smur dans notre pays afin d’accroître la sécurité des Français. Il est effectivement indéniable que la possibilité de disposer sur un secteur précis d’un médecin urgentiste offrira toujours plus de sécurité et de possibilités que n’en amènera celle d’un infirmier, fut-il l’un des plus performants.

Nous ne pouvons cependant que rappeler la notion d’efficience, les réalités économiques de notre nation et les possibilités médicales limitées induites par la démographie de cette profession. Selon le médecin colonel Francis Lévy(11) « seulement 5 % des interventions nécessiteraient la présence d’un médecin ».

Il convient de rappeler les possibilités d’interventions des infirmiers offertes par les textes actuellement en vigueur, ces possibilités nous semblant suffisantes pour assurer le niveau de réponse attendue dans le cadre d’une réponse graduée structurée. Ce concept de réponse graduée n’implique pas, a priori, que les infirmiers intervenant dans ce cadre puissent dépasser ce que le décret 2004-802 les autorise à faire (cf. encadrés pages précédentes).

THE RIGHT MAN ON THE RIGHT PLACE

Lors de notre entrevue avec le colonel Lévy, médecin-chef du SSSM 68, nous lui avons demandé de nous donner son sentiment sur l’avenir de la paramédicalisation des secours dans le cadre de la réponse graduée. Sa première réponse, qu’il compléta largement tout au long de nos échanges, fut à la fois brève et complète : « The right man on the right place. » Si « la bonne personne à la bonne place » se révèle être une traduction acceptable pour cette “parole”, la version anglo-américaine se révèle bien plus riche et pas uniquement en raison du lien évident qui la lie avec le berceau d’outre-Atlantique de la paramédicalisation des secours. L’emploi du mot “right” donne à la phrase une portée insuffisamment rendue par sa traduction française : il légitime la place occupée, il légitime l’occupant, il crée entre les deux une notion de droit. Pourtant, cette notion de droit n’y semble pas utilisée dans un souci de justification face à une revendication qui tendrait à en discuter la légitimité. Cette notion de droit semble n’être là que pour affirmer l’évidente complémentarité entre un besoin affiché et une réponse exactement dimensionnée pour ce besoin, annihilant ainsi, justement, la problématique de légitimité qui y est associée.

Pourtant, le 17 octobre 2012, le communiqué du ministre des Affaires sociales et de la Santé, Marisol Touraine, relatif à l’engagement du président de la République garantissant pour tous et partout en France un accès aux soins d’urgence dans un délai maximum de 30 minutes, semble avoir oublié cette paramédicalisation des secours dans le cadre de la réponse graduée. Ce communiqué annonce la création de moyens héliportés supplémentaires, l’apparition de nouveaux Smur, le retour, encouragé, de l’implication des médecins libéraux. Il ne fait pas état de la possibilité d’avoir recours à des compétences infirmières pour le secours pré-hospitalier. S’agit-il d’un simple, mais surprenant, oubli ? Ou nous serions-nous trompés quant à la réelle plus-value, de plus a priori efficiente, apportée par l’infirmier dans l’organisation des secours ?

CONCLUSION

L’histoire du secours pré-hospitalier français semble avoir pris, à l’aube du XXIe siècle, un virage dicté par les réalités démographiques et économiques de la médecine et de la santé publique. La nécessité de faire preuve d’efficience a trouvé un point de convergence avec l’évolution naturelle de la profession infirmière, qui aspire désormais à plus de responsabilités et à un rôle plus actif dans la prise en charge de la détresse des hommes. Il y a peu, l’organisation française du secours pré-hospitalier suivait un raisonnement binaire où le seul choix possible résidait en une réponse de niveau secouriste ou en une réponse médicalisée… devenue au fil du temps lourdement médicalisée par presque systématisation du Smur ! L’implication de l’infirmier dans le secours pré-hospitalier entraîne la conversion de ce système vers un concept de réponse graduée adapté aux réalités du terrain et aux capacités professionnelles des infirmiers, sans pour autant remettre en cause l’engagement de moyens médicaux pour les situations le nécessitant. La recherche de l’efficience devant amener à ne plus engager cette réponse médicale pour des niveaux de prise en charge dépassant de très peu celui des secouristes, mais à la réserver à des cas d’une gravité suffisante pour justifier son engagement. Des résistances, peut-être dues à une mauvaise compréhension du concept de réponse graduée, se sont faites entendre et semblent toujours présentes. S’agit-il de réflexes de type corporatistes ou d’une volonté réelle, mais presque naïve, d’assurer la sécurité du peuple français à un niveau maximaliste ? Ce souhait sécuritaire se heurte à deux réalités : le déficit en personnels médicaux et celui toujours croissant des comptes de la nation et notamment ceux de la santé. L’intervention de l’infirmier hors présence médicale dans le cadre de la réponse graduée est à la fois efficace, efficiente et de nature à satisfaire la volonté de reconnaissance et d’affirmation d’une profession, tout en répondant à un besoin de santé publique.

La législation actuelle, avec le décret 2004-802, semble parfaitement adaptée aux besoins définis pour l’intervention de l’infirmier dans le cadre de la réponse graduée, et il ne semble pas nécessaire de faire évoluer plus en avant cette législation. En effet, si les compétences de l’infirmier décrites au décret 2004-802 s’avèrent insuffisantes au cours d’une intervention, cela signifiera que le niveau paramédical de la réponse graduée est insuffisant et qu’il convient de recourir à l’élément médical de cette graduation des secours, attestant ainsi de la nécessité du maintien de cet échelon médical.

(1) Catala, Bellan H., “Histoire de la médecine d’urgence pré-hospitalière”, in : Les Urgences pré-hospitalières, De la Coussaye Jean-Emmanuel. Masson 2003, p. 9.

(2) Décret n° 65-1045 du 2 décembre 1965, JO du 3 décembre 1965.

(3) Hssain Ismaël, “Un vecteur infirmier pour les urgences préhospitalières ? L’expérience du Samu 68”, thèse présentée pour le diplôme de docteur en médecine, université Louis-Pasteur, faculté de médecine de Strasbourg, 2005, p. 47.

(4) Gagneux-Pincon Christelle, Houtin Jean, “Problèmes posés par l’introduction des protocoles infirmiers dans le département de la Mayenne”, Urgence pratique, novembre 2002, n° 55, p. 69.

(5) Véhicule infirmier mis en place sur le secteur de la commune de Saint-Louis sous le contrôle du Samu 68 et en relation avec le Smur de Mulhouse. Voir à ce sujet la thèse de Ismaël Hssain, “Un vecteur infirmier pour les urgences pré hospitalières ? L’expérience du Samu 68”, présentée pour le diplôme de docteur en médecine, université Louis-Pasteur, faculté de médecine de Strasbourg, 2005.

(6) Levy Francis, Stierle François, « La fin des trente glorieuses, réflexions sur la médecine d’urgence et de catastrophe », Urgence pratique, n° 25,1997, p. 63, 64.

(7) Décret 97-1225 du 26 décembre 1997 relatif à l’organisation des services d’incendie et de secours.

(8) Article 51 de la loi du 21 juillet 2009.

(9) Communiqué Amuf des 10 avril 2008 et du 21 janvier 2011.

(10) Courrier daté du 13 mai 2008, l’Association des médecins urgentistes de France (AMUF), la Société française de médecine d’urgence (SFMU) et Samu de France adressé au ministre de la santé.

(11) Intervention du Médecin Colonel Francis Lévy, “Les protocoles de soins infirmiers anticipés, une amélioration de la prise en charge des urgences”, 20es journées européennes de la Société française de cardiologie.

Le décret 2004-802 du 29 juillet 2004

Le décret 2004-802 du 29 juillet 2004 qui liste les compétences et actes professionnels relevant de la responsabilité de l’infirmier arme-t-il suffisamment l’infirmier pour le rendre compétent pour le secours pré-hospitalier ?

L’ARTICLE R. 4311-1

« L’exercice de la profession d’infirmier comporte l’analyse, l’organisation, la réalisation des soins infirmiers et leur évaluation, la contribution au recueil de données clinique (…). Ils exercent leur activité en relation avec les autres professionnels du secteur de la santé”. Ce passage est parfaitement adapté à l’exercice de l’infirmier en pré-hospitalier qui doit analyser une situation de soins, apprécier l’état clinique de la victime (du patient ?), s’organiser pour répondre à cette situation de soins, réaliser des soins, en évaluer l’efficacité et rendre compte à l’autorité médicale qui orientera et prescrira les actes de l’infirmier en fonction des données cliniques transmises.

L’ARTICLE R. 4311-5

Il est relatif au rôle propre de l’infirmier, et liste les actes que l’infirmier peut pratiquer de sa propre initiative, sans prescription médicale. Le profane pourrait s’attendre à ce que rien dans cette liste ne soit applicable en pré-hospitalier, c’est tout le contraire. Outre les classiques notions d’aspiration, de ventilation, d’utilisation d’un défibrillateur semi automatique (DSA) et autres surveillances classiques, les alinéas 19 et 39 retiennent toute notre attention tant ils semblent adaptés à l’action de l’infirmier œuvrant, hors présence médicale, dans le cadre du secours pré-hospitalier.

« 19° Recueil des observations de toute nature susceptibles de concourir à la connaissance de l’état de santé de la personne et appréciation des principaux paramètres servant à sa surveillance : température, pulsations, pression artérielle, rythme respiratoire, volume de la diurèse, poids, mensurations, réflexe pupillaire, réflexe de défense cutanée, observations de l’état de la conscience, évaluation de la douleur. »

« 39° Recueil des données biologiques obtenues par des techniques à lecture instantanée. »

Ces points sont essentiels et peuvent faire à eux seuls toute la valeur de l’infirmier hors présence d’un médecin dans le secours pré-hospitalier. C’est bien à l’infirmier qu’il appartiendra de comprendre la situation clinique du patient et de savoir la transmettre au mieux au médecin régulateur. L’infirmier sera les yeux du médecin régulateur auprès de la victime, tout comme le seront ceux des secouristes lorsque l’infirmier n’est pas là. Cependant, l’infirmier, du fait de son expérience et de son socle de connaissance, de son savoir et savoir être qui viennent compléter son savoir faire, s’affirmera comme le professionnel le plus compétent, hors présence médicale, pour juger et transmettre l’état clinique d’un patient.

Nous restons convaincus que la valeur d’un infirmier, comme celle d’un sapeur-pompier, d’un autre secouriste ou d’un ambulancier, ne repose pas uniquement sur la perfection de l’accomplissement d’un geste technique mais aussi, et surtout, sur son sens clinique. Le bon acteur pré-hospitalier est avant tout un très bon clinicien. Le nouveau diplôme d’État, dont le programme est entré en vigueur en 2009, semble avoir bien intégré l’importance de l’acquisition de ce sens clinique : ce programme s’articule autour de l’acquisition de dix compétences dont la première est la capacité à évaluer une situation clinique et à établir un diagnostic dans le domaine infirmier.

L’ARTICLE 4311-7

Il est relatif aux actes pouvant être effectués à la condition d’en avoir reçu la prescription de la part d’un médecin, « prescription médicale qui, sauf urgence, est écrite, qualitative et quantitative, datée et signée ». Cet article rend également possible la réalisation des actes listés « en application d’un protocole écrit, qualitatif et quantitatif, préalablement établi, daté et signé par le médecin ». L’application de cet article prend une importance considérable en situation pré-hospitalière pour l’infirmier, la transmission de l’état clinique du patient vers le médecin régulateur pouvant occasionner en retour des prescriptions adaptées à cet état, devant être effectuées sans délais et qui n’auront pas l’obligation d’être écrites.

L’ARTICLE 4311-14

Il revêt une importance capitale.

« En l’absence d’un médecin, l’infirmier ou l’infirmière est habilité, après avoir reconnu une situation comme relevant de l’urgence ou de la détresse psychologique, à mettre en œuvre des protocoles de soins d’urgence, préalablement écrits, datés et signés par le médecin responsable. Dans ce cas, l’infirmier ou l’infirmière accomplit les actes conservatoires nécessaires jusqu’à l’intervention d’un médecin. Ces actes doivent obligatoirement faire l’objet de sa part d’un compte rendu écrit, daté, signé, remis au médecin et annexé au dossier du patient.

En cas d’urgence et en dehors de la mise en œuvre du protocole, l’infirmier ou l’infirmière décide des gestes à pratiquer en attendant que puisse intervenir un médecin. Il prend toutes mesures en son pouvoir afin de diriger la personne vers la structure de soins la plus appropriée à son état. »

Cet article fait état de l’intervention de l’infirmier lorsqu’un médecin n’est pas présent et se trouve donc être parfaitement adapté à la situation de l’infirmier isolé (hors présence médicale) dans le cadre du secours pré-hospitalier. Il fait état de l’application possible de protocoles.

Les limites de l’article 4311-14 du décret 2004-802

Nombre d’infirmiers qui pensent avoir une connaissance suffisante de “leur décret de compétences” estiment que cet article 4311-14 est un blanc-seing pour réaliser tout acte qu’ils estimeraient nécessaire à la situation rencontrée. Il convient de repréciser les choses.

Si l’article 4311-14 stipule que « (…) En cas d’urgence et en dehors de la mise en œuvre du protocole, l’infirmier ou l’infirmière décide des gestes à pratiquer en attendant que puisse intervenir un médecin », les infirmiers doivent avoir conscience qu’ils peuvent, certes, se passer de prescription et de protocoles dans certaines situations urgentes, mais l’urgence doit être absolue et ils ne sont en droit de réaliser que les seuls actes qui relèvent de leurs compétences. Autrement dit, les actes non listés aux articles précédents de ce décret ne peuvent, en principe, pas être réalisés… La compétence implique savoir, savoir être et savoir faire. En termes de profession infirmière, le savoir est strictement délimité par le décret 2004-802 du 29 juillet 2004.

Rappelons que, selon l’article R. 4312-3, « L’infirmier n’accomplit que les actes professionnels qui relèvent de sa compétence » et que le Code pénal peut sanctionner les fautes ayant provoqué un préjudice corporel, notamment lorsque ces fautes découlent d’un manquement à une obligation de sécurité ou de prudence (art. 222-18, 222-19 et 222-20 du Code pénal). Nicolas Couëssurel(1) ajoute que la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 prévoit dans son article 19 que « la notion d’urgence ne peut faire échec aux règles des professions réglementaires » et que la notion de non-assistance à personne en danger, souvent évoquée par les professionnels pour justifier de la réalisation de certains actes, ne peut être retenue que dans le cas où « le péril est réel et nécessite une action immédiate ».

Le même type d’observation peut également être réalisé pour la première partie de l’article 4311-14 relative aux protocoles. Ne peuvent être protocolisés que les seuls actes qui auraient pu être réalisés sur prescription médicale en vertu de l’article R. 4311-7(2). Les membres du corps médical rédacteurs de protocoles susceptibles d’être appliqués dans le cadre de cet article 4311-14 doivent donc avoir conscience de cette limite(3).

(1) Couessurel Nicolas, Contexte juridique et institutionnel du service de santé et de secours médical, diplôme d’études supérieures spécialisées “Droit de la sécurité civile et des risques”, université d’Avignon, faculté des Sciences juridiques politiques et économiques, Institut national d’études de la sécurité civile (FSASC), 2003, p. 75.

(2) L’article R. 4311-8 ne s’applique pas pour une victime inconnue avant sa prise en charge. Les actes énumérés aux articles R. 4311-9, R. 4311-10 et R. 4310-12 (pour l’infirmier anesthésiste) nécessitent la présence d’un médecin, les actes énumérés à l’article R. 4311-5 relèvent du rôle propre et ne nécessitent pas de prescription ou de protocole pour être mis en œuvre par l’infirmier.

(3) Nous ne détaillerons pas la situation des infirmiers militaires en situation isolée, hors présence médicale, intervenant sur des théâtres d’opérations extérieures et qui ont bénéficié au préalable d’un enseignement spécifique.

[Franck Breysse, “La paramédicalisation des secours – Réponse d’avenir ou dangereuse dérive”, mémoire master “management de projet en santé” – université de Haute-Alsace Directeur de mémoire Docteur Georges-Fabrice Blum, maître de conférence associé des universités, université de Haute-Alsace, Mulhouse