L’éthique, au cœur de la formation infirmière ? - Objectif Soins & Management n° 217 du 01/06/2013 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 217 du 01/06/2013

 

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Dans le contexte de la réforme du programme des études en soins infirmiers, des formateurs issus de huit Ifsi de Lyon ou de la région lyonnaise se retrouvent depuis janvier 2011 pour se questionner sur l’enseignement de l’éthique. Compte-rendu d’une action groupée pour améliorer l’enseignement en Ifsi.

L’objectif de départ était de s’enrichir mutuellement, de questionner les pratiques, d’entrevoir des pistes d’amélioration au sein des Ifsi concernés. Car une des finalités de la formation est de mettre l’étudiant en capacité de développer « une éthique professionnelle lui permettant de prendre des décisions éclairées et d’agir avec autonomie et responsabilité dans le champ de sa fonction »(1).

La première année met l’accent sur les représentations, pose les bases en termes de législation, éthique et déontologie. Ensuite, l’étudiant appréhende la démarche éthique.

La dernière année laisse la place à une réflexion personnelle autour de situations de fin de vie et de soins palliatifs. Le mémoire de fin d’études conduit l’étudiant à analyser ses pratiques en croisant quatre items : réglementation, déontologie, éthique et évolution des sciences et des techniques. De même, il contribue chez ce dernier à développer une éthique de recherche.

Dans le référentiel de formation de 2009, l’éthique est intégrée dans les unités contributives. Toutefois, le groupe constate dans sa pratique la mobilisation de l’éthique dans les différentes unités d’enseignement “cœurs de métier”. Se pose alors la question de la légitimité d’une “compétence éthique”.

PEUT-ON PARLER D’UNE COMPÉTENCE ?

La compétence est liée à l’action :

« Elle n’existe pas en soi, indépendamment de l’activité, du problème à résoudre, de l’usage qui en est fait ; la compétence est affiliée à un contexte déterminé, à une situation précise et donc finalisée, et revêt une valeur pronostique quant au transfert d’une performance dans des situations professionnelles isomorphes »(2).

L’éthique est-elle une “compétence transversale”, retrouvée tout au long des unités d’enseignement, avec deux unités d’enseignement plus spécifiques(3) ? S’agirait-il d’une « méta-compétence« qui transcende l’acception de la compétence telle que définie plus haut ?

Le terme de “compétence éthique” n’est pas à entendre comme une finalité, une expertise, mais plutôt comme un chemin, un parcours : parcours de reconnaissance de l’autre, évoluant au cours de la pratique professionnelle quotidienne.

Pour Jean-Philippe Pierron(4), « un parcours de la reconnaissance permet de traverser le temps ensemble pour les soignants et les soignés et d’être reconnus comme sujet ». C’est une posture qui va se nourrir au cours des années. L’éthique est une manière de penser, un processus de réflexion, c’est une opportunité de rassembler les professionnels autour des valeurs soignantes.

L’ÉTHIQUE POUR TOUS

Cependant, le questionnement éthique n’appartient pas qu’aux professionnels de santé, mais à tous. Nous n’avons jamais autant parlé d’éthique. Elle est devenue une question et un enjeu de société. Nous observons, en effet, dans de nombreux domaines un phénomène d’“éthisation”.

Au cœur de la pratique soignante, deux axes sont identifiables : l’éthique biomédicale et l’éthique du soin. Ces deux aspects coexistent et constituent deux regards différents, qui amènent à réfléchir aux fondements de l’action. Ils forment un espace de pensée avant l’action.

En éthique biomédicale, cet espace est souvent pluriel. Dans l’éthique quotidienne des soins, il relève le plus souvent d’un exercice singulier, voire solitaire de la rencontre à l’autre. Cette posture singulière entre le soignant et le soigné définit par essence l’éthique du care.

INVITATION À L’ÉTHIQUE

L’initiation à la réflexion éthique s’appuie également sur la dialectique entre le désir de soigner de l’étudiant et la réalité de sa rencontre à l’autre. « Or l’acte de relier le désir et le collectif a pour nom l’éthique. »(5)

La réflexion éthique est étayée par :

• une référence à des savoirs : droit, déontologie, philosophie sociologie, anthropologie ;

• une référence à une méthodologie du traitement de l’information (modèles de processus décisionnels en éthique) ;

• un apprentissage d’une posture réflexive, cœur du questionnement du sens des pratiques professionnelles.

CONSOLIDER FORTEMENT LES ACQUIS

Pour le groupe, il est apparu nécessaire dès le départ de développer un double étayage :

• d’une part, exogène, avec la loi et la déontologie ;

• d’autre part, endogène, avec le raisonnement critique.

Il se complète par un travail réflexif : conscientisation des représentations, des résistances, des valeurs…

Le socle

Le droit, la déontologie et la philosophie représentent des fondamentaux. Ces disciplines inscrivent l’étudiant dans la société et le positionnent à la fois dans une dimension citoyenne et professionnelle. Il est donc important de les aborder tôt dans la formation, comme inscrit dans le référentiel de formation.

L’enseignement du droit, contribue à la construction de l’esprit critique du futur professionnel en s’articulant avec l’analyse de situations.

La formation mobilise dans chaque unité d’enseignement ce double mouvement : poser le cadre et apprendre à le questionner. Il est cependant difficile de jongler avec l’exigence des lois, procédures, protocoles avec pour objectif une valeur sécuritaire et dans le même temps, avec l’éthique de l’action, qui défend plus une valeur d’individualité, valeur forte de la philosophie occidentale.

Le raisonnement critique

La philosophie permet de rompre « le cercle des évidences établies et la chaîne du quotidien »(6). Elle vient nourrir la culture et la réflexion. L’éthique permet « d’ébranler des certitudes »(7) dans une société normée, notre dimension citoyenne implique de nous interroger par rapport aux normes imposées.

L’analyse du référentiel de formation nous montre que deux unités d’enseignement (l’UE 1.3 du semestre 1 et semestre 4) sont consacrées à la réflexion éthique et s’inscrivent dans la compétence 7 “Analyser la qualité et améliorer sa posture professionnelle”. Ceci montre la prise en compte d’une progression dans l’apprentissage.

L’éthique s’inscrit donc d’emblée dans une approche réflexive et critique de la pratique professionnelle. Les formateurs constatent dès le premier stage l’intensité de la préoccupation éthique des étudiants.

Par ailleurs, dans toutes les unités d’enseignement, l’éthique s’impose comme un questionnement incontournable. Par exemple, l’éthique du “prendre soin” se construit dès la première année avec l’unité d’enseignement 4.1 “Soins de bien-être et de confort” du semestre 1 autour des notions de pudeur, intimité, confidentialité…, ainsi que des valeurs qui fondent le soin. Tout comme l’unité 1.2 “Santé publique” des semestres 2 à 4, dans laquelle l’éthique interpelle l’éducation à la santé.

Il s’agit d’une approche plus inductive de l’éthique, que les formateurs s’attachent à rendre visible et à mobiliser en tant que fil conducteur tout au long de la formation. Ceci nous démontre que l’éthique est au cœur de notre métier.

ENSEIGNER, STRUCTURER

Pour aborder progressivement la complexité des situations dans l’apprentissage de l’éthique, la première étape consiste à construire une méthode « de raisonnement critique »(8) sur l’objet du droit (droit légal, déontologie) qui cadre et structure nos pratiques. Cela amène l’étudiant à ne pas glisser d’emblée dans l’applicatif lors de situations comme le consentement libre et éclairé, l’information due au patient. La distance critique des étudiants est d’autant plus difficile à faire émerger que les exigences métier sont très “normées” et que la prégnance du quotidien ne la favorise pas toujours.

Cependant, les étudiants ont une aptitude à savoir interroger les situations. La mobilisation de la distance critique est favorisée par un cadre conceptuel rassurant, gage d’une sécurité nécessaire pour parfaire la construction d’un raisonnement.

La prise de décision en éthique constitue l’étape suivante de l’apprentissage. L’enjeu est ici d’apprendre à questionner une situation, se questionner sur ses connaissances, ses fondements et ses valeurs et à s’engager dans un processus décisionnel. Cette démarche demande une analyse fine du bénéfice-risque pour la personne soignée.

DES PRÉOCCUPATIONS À TOUS LES NIVEAUX

Le témoignage des professionnels de terrain montre bien une communauté de préoccupation à cet égard, à travers l’existence des comités d’éthique propres à chaque établissement de soins.

L’éthique de l’action est de plus en plus questionnée et les soignants sont les garants des “applications décisionnelles”. Ces préoccupations se trouvent au cœur de l’apprentissage de l’éthique dans les situations d’encadrement.

De fait, la question de l’appropriation de l’éthique par les étudiants trouve toute sa légitimité en stage. La « révélation éthique »(9) ne peut-elle pas intervenir dès le premier stage ?

ANALYSE ET PISTES D’AMÉLIORATION

Malgré leur perception de l’écart existant entre l’idéal du soin et les situations rencontrées en stage, les étudiants, pris dans la rapidité et “l’injonction productiviste” des soins, ont des difficultés à engager une analyse à la fois critique et réflexive. D’autant plus que les soignants n’ont pas toujours la disponibilité nécessaire à leur offrir un étayage, ce qui peut placer les étudiants dans l’incertitude, voire la souffrance.

Accompagner

En collaboration avec les tuteurs et référents de stage, les Ifsi du Rhône ont mis en place depuis l’année 2010 des temps d’accompagnement clinique ?(10) sur différentes périodes de stage.

Une réelle complémentarité entre Ifsi et terrains de stage prend forme : les formateurs et les tuteurs, grâce à leur expertise réciproque, suscitent une prise de recul sur la pratique.

Au cours de ces séances, les préoccupations d’ordre éthiques sont très souvent convoquées. Elles débutent de manière assez récurrente par une réflexion portée sur “l’autre” : l’autre soignant, l’autre soigné… Toutefois, il est nécessaire de faire converger la réflexion des étudiants sur eux-mêmes.

Plus-value

Au terme de cette réflexion collective, notre démarche nous a amenés à démontrer que l’éthique fait partie de notre cœur de métier et de notre expertise de formateurs, bien que la formation à l’éthique s’intègre dans les UE contributives. Notre mission est de déterminer les enseignements, les stratégies pédagogiques, afin d’accompagner les étudiants dans l’élaboration de leur posture éthique. C’est bien ce qui en fait toute sa complexité !

QUESTIONNEMENTS

Pour former le futur professionnel infirmier en éthique, un diplôme universitaire est-il suffisant ? Depuis le précédent référentiel de formation (1992), des formateurs se sont emparés de ce domaine en s’appuyant sur leur double expertise pédagogique et soignante. N’ont-ils pas démontré, de fait, que ce diplôme a besoin d’un ancrage soignant préalable, pour rester au cœur d’une formation professionnelle ? L’enseignement de l’éthique ne constitue pas une fin en soi.

Le groupe de travail prend la mesure et la responsabilité de l’enseignement de l’éthique, du positionnement du “prendre soin” dans l’éthique et du rôle prépondérant du formateur. Il est fortement convaincu que les formateurs, du fait des formations suivies, de leur connaissance du soin, possèdent la compétence pour enseigner l’éthique aux étudiants infirmiers et leur permettre de cheminer dans leur positionnement de soignant.

Ceci constitue des valeurs communes aux différents Ifsi présents aux réunions.

Il y a d’autant plus urgence à convoquer la préoccupation éthique dans le cœur de métier, au moment où la sphère économique s’impose de plus en plus dans le secteur de la santé comme “valeur utilitariste”.

Remerciements

Les auteurs remercient leurs collègues formateurs en Ifsi pour leur participation aux réunions : Clotilde Messin, Catherine Francfort et Jean-Luc Acquistapace (Ifsi ESSSE Lyon); Bernadette Arbel et Martine Vacher-Materno (Ifsi CRF Lyon), Annie Tatin (Ifsi CRF Valence), Ingrid Achard et Stéphane Berger (Ifsi Bourgoin Jallieu), Hélène Dolange (Ifsi Clémenceau).

NOTES

(1) Arrêté du 31 juillet 2009 relatif au diplôme d’État d’infirmier.

(2) Organisation internationale du travail, rapport du département “Politiques de formation de 1999 en prévision du Biennium 2000-2002”.

(3) U.E.1.3 semestre 1 et U.E1.3 semestre 4 (législation, éthique et déontologie).

(4) Pierron Jean-Philippe – Journée d’études du 9 octobre 2009 – Organisée à l’université Jean Moulin Lyon 3 “Le vivant, la vulnérabilité et le soin”.

(5) Laplantine François, Ethnopsychiatrie psychanalytique, Beauchesne éditeur, Paris, 2007, p. 21.

(6) RUSS Jacqueline, Histoire de la philosophie de Socrate à Foucault, édition Hatier, Paris, 1985, p. 6.

(7) Avis n° 84 du 29 février 2004 du CCNE.

(8) M.G.Rubenfeld et B.K.Scheffer “Le raisonnement critique en soins infirmiers”, De Boeck, Bruxelles, 1999.

(9) Svandra Philippe, Le soignant et la démarche éthique, édition ESTEM, Paris, 2009, p. 33.

(10) Un formateur Ifsi est référent d’un secteur d’activités nommé “périmètre de stage”. Il organise, en collaboration avec les tuteurs ou maîtres de stage, deux rencontres annuelles avec tous les étudiants présents dans ce secteur, quels que soient leur Ifsi d’appartenance et leur année de formation.