Objectif Soins n° 217 du 01/06/2013

 

Économie de la santé

Didier Jaffre  

Afin de combattre efficacement la désertification médicale, Marisol Touraine propose, dans le cadre du pacte territoire santé, un pôle de santé de proximité sur chaque territoire. Alors qu’il est un peu oublié depuis la loi HPST, l’ex-hôpital local pourrait bien avoir un rôle à jouer dans ce plan.

Lancé au mois de décembre dernier par la ministre des Affaires sociales et de la Santé pour lutter contre les déserts de santé, le pacte territoire santé est en cours de déploiement par les agences régionales de santé, avec la mise en œuvre concertée sur le terrain des douze engagements de la ministre (cf. encadré page ci-contre).

Ces mesures visent à rendre attractifs les territoires pour les professionnels de santé et stopper ainsi leur hémorragie déjà en cours dans certains territoires très fragiles. Tout doit être fait en sorte pour que des professionnels de santé soient présents dans les territoires, et cela, au-delà des clivages entre exercice salarié et exercice libéral.

Or, dans ces discussions, réapparaît un outil qui avait été peut-être oublié depuis la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) de juillet 2009 : l’hôpital local.

La loi HPST avait supprimé la notion d’hôpital local en faisant de ces établissements des centres hospitaliers comme les autres. C’était enfin les reconnaître comme tels, et non plus comme de simples établissements pour personnes âgées. Mais, dès lors, ils ont été un peu oubliés. La tarification à l’activité pour leurs services de médecine a été repoussée en 2015, compte tenu des dégâts qu’elle aurait causés dans bon nombre d’établissements, appliquée comme telle. Pourtant, qui n’est pas plus à l’interstice de la médecine libérale et de la médecine hospitalière que l’ex-hôpital local ? Un établissement hospitalier qui fonctionne exclusivement avec des médecins généralistes libéraux, parfois praticiens hospitaliers à temps partiel, souvent sièges de maisons de santé pluriprofessionnelles, reconnus au sein de la population. Le pacte territoire santé ne doit-il pas s’appuyer sur les hôpitaux locaux encore existants ?

Car, si bon nombre ont été transformés au cours des dix dernières années, il en reste encore un grand nombre (environ 250) qui maillent le territoire français, souvent dans des territoires isolés et ruraux, la cible du pacte.

C’est dans ce sens que les 44 propositions pour 12 engagements* de l’ANHL (Association nationale des hôpitaux locaux) et de l’AGHL (Association des généralistes de hôpitaux locaux) s’inscrivent pour contribuer de manière proactive au pacte territoire santé. Nous proposons dans cet article de les passer en revue.

AU SERVICE DE LA FORMATION ET DE L’INSTALLATION DES JEUNES PROFESSIONNELS

L’hôpital local devrait être reconnu comme lieu de stage en médecine générale : en effet, les jeunes qui font leur stage chez un médecin généraliste à son cabinet libéral pourraient très bien par la suite faire leur stage en médecine générale dans un hôpital local, avec le même maître de stage. Or, aujourd’hui, les hôpitaux locaux ne sont pas reconnus comme lieux de stage par les facultés de médecine. Par ailleurs, l’hôpital local constitue une super plateforme de services, qui peut assurer le gîte et le couvert pour les jeunes étudiants.

Les bourses proposées aux médecins devraient être proposées à l’ensemble des professionnels de santé, qui exercent également à l’hôpital local. Sans ces professionnels (infirmiers, kinésithérapeutes, dentistes, orthophonistes…), non seulement l’accès aux soins primaires n’est pas assuré, mais le fonctionnement des hôpitaux locaux n’est lui-même plus garanti.

La présence d’un hôpital local pour caractériser les zones fragiles, dans lesquelles les jeunes professionnels titulaires de la bourse s’engagent à exercer, devrait être un critère, au même titre que la présence d’une maison de santé pluriprofessionnelle : l’hôpital local n’est-il pas là aussi un lieu d’exercice coordonné ?

L’hôpital local est un support logistique important pour les futurs praticiens territoriaux de médecine générale. La présence d’un hôpital local peut être un facteur incitatif non négligeable.

Les médecins qui exercent dans ces structures sont déjà les prémices de ces praticiens territoriaux. Cela signifie en revanche que la rémunération des médecins dans les hôpitaux locaux soit réévaluée pour être en cohérence avec le statut de praticien territorial.

Les référents installation doivent avoir connaissance des caractéristiques d’un hôpital local, et ce mode d’exercice particulier de la médecine hospitalière doit être porté à connaissance et détaillé sur la plateforme d’appui aux professionnels de santé. Car l’exercice mixte à l’hôpital local et en médecine de ville peut être un facteur attractif.

VECTEUR DE LA TRANSFORMATION DES CONDITIONS D’EXERCICE DES PROFESSIONNELS DE SANTÉ

Les hôpitaux locaux sont déjà des lieux de travail en équipes professionnelles. Aussi, quand il existe un hôpital local dans un territoire donné, le développement des maisons de santé pluriprofessionnelles, des pôles de santé, des équipes de santé primaires, doit se faire en étroite articulation avec l’hôpital local, qui va apporter son support logistique et technique pour porter les opérations, mais également parce qu’il fonctionne avec ces mêmes professionnels de santé. Il s’agit donc d’une opération gagnant-gagnant réciproque. D’autant que l’hôpital local peut disposer de compétences techniques qui n’existent pas en libéral et vice versa. Les maisons de santé doivent donc impérativement être adossées aux hôpitaux locaux, voire aux établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes quand il n’y a pas d’hôpital local.

Dans ce cadre, les hôpitaux locaux doivent être reconnus comme lieu de stage, et donc comme lieu de recherche, pour la soutenance de thèse.

De la même manière la télémédecine est un outil formidable pour l’hôpital local à plusieurs points de vue : développer des consultations de médecins spécialistes au sein de l’hôpital, médicaliser les hôpitaux locaux par l’intervention à distance de spécialistes dans la prise en charge, ouvrir un support technique pour les professionnels de santé libéraux, diversifier la formation des professionnels de santé à distance, etc. La télémédecine est une opportunité à la la fois pour conforter la technicité de l’hôpital et ouvrir celui-ci sur l’extérieur.

Enfin, des protocoles de coopération peuvent être plus facilement établis au sein des hôpitaux locaux dans la mesure où les professionnels ont déjà l’habitude de travailler dans de tels contextes, la mixité salariée-libérale favorisant le partage et le transfert de compétences.

FACTEUR DE DÉVELOPPEMENT DU TERRITOIRE DE SANTÉ ISOLÉ

Avec l’adossement de maisons médicales de garde, les hôpitaux locaux peuvent contribuer à la prise en charge des urgences et ainsi garantir une prise en charge en moins de trente minutes en tout point du territoire. Permanence des soins ambulatoires et permanence des soins à l’hôpital local doivent être couplées et organisées en complémentarité. Les hôpitaux locaux peuvent également être le lieu des médecins correspondants de Samu, d’accueil de petites urgences. À condition, bien sûr, d’une protocolisation sans faille avec les Samu Centres 15 et les services de médecine d’urgences.

Pour appuyer les structures ambulatoires, les hôpitaux locaux doivent conserver leur service de médecine et de soins de suite et de réadaptation. Sinon, cet appui ne sera pas possible et, pire, il sera difficile de maintenir et d’attirer des professionnels de santé.

L’hôpital local doit être positionné dans le dispositif hospitalier comme premier niveau de l’offre de soins hospitalière, reconnu comme plateforme de santé au sein de son territoire de proximité. Il doit être le lieu de la coordination des acteurs d’un territoire. Ce qui suppose une adaptation de son mode de financement.

Enfin, il convient de ne pas vouloir substituer centre de santé et hôpital local : quand l’hôpital local existe, la création d’un centre de santé n’est pas forcément la bonne solution. Il faut au contraire s’appuyer et renforcer l’hôpital local.

CONCLUSION

Que ce soit dans le pacte territoire santé ou bien encore dans le pacte de confiance pour l’hôpital, le rôle majeur et la place essentielle des ex-hôpitaux locaux semblent avoir été oubliés. Or ne sont-ils pas, depuis de nombreuses années, le lieu exemplaire du décloisonnement entre les professionnels de santé, de la mixité entre salariat et libéral ? Avant d’investir dans de nouveaux dispositifs, dans un contexte de ressources de plus en plus contraintes, il convient de s’appuyer sur les structures innovantes des années 1970, renforcées au début des années 1990, et oubliées depuis 2009, que sont les hôpitaux locaux. Ne préfiguraient-ils pas les maisons de santé pluriprofessionnelles ? Et pour un coût au sein de l’enveloppe Assurance maladie ne représentant même pas 1 %, alors que le service rendu est lui décuplé.

NOTE

* Pour les lire, suivre ce lien : http://petitlien.fr/6kw6.

LE PACTE TERRITOIRE SANTÉ

• UN PACTE, TROIS OBJECTIFS, DOUZE ENGAGEMENTS

1 Changer la formation et faciliter l’installation des jeunes médecins

Engagement 1

Un stage en médecine générale pour 100 % des étudiants

Engagement 2

1 500 contrats d’engagement de service public signés d’ici 2017

Engagement 3

200 “praticiens territoriaux de médecine générale” dès 2013

Engagement 4

Un “référent installation” unique dans chaque région

2 Transformer les conditions d’exercice des professionnels de santé

Engagement 5

Développer le travail en équipe

Engagement 6

Rapprocher les maisons de santé des universités

Engagement 7

Développer la télémédecine

Engagement 8

Accélérer les transferts de compétences

3 Investir dans les territoires isolés

Engagement 9

Garantir un accès aux soins urgents en moins de 30 minutes d’ici 2015

Engagement 10

Permettre aux professionnels hospitaliers et salariés d’appuyer les structures ambulatoires

Engagement 11

Adapter les hôpitaux de proximité et responsabiliser les centres hospitaliers de niveau régional à l’égard de leur territoire

Engagement 12

Conforter les centres de santé